Chapitre 18: Prison Nié

La journée eut un air de monde parallèle pour monsieur Mills et madame Jacobson. Comme convenu, ils s'étaient rendus au commissariat. Le commissaire Ackermann leur avait montré les trois portraits-robots. Ils ressemblaient en tout point à la bande d'adolescents qu'ils avaient vu tous les deux, grandir au sein de leur quartier privilégié.

— C'est pas possible, avait murmuré Jeanne.

Le choc pour Georges avait été fort, il repensa au premier sourire de son fils. Il n'avait jamais vu quelque chose de si innocent auparavant. Comment ce petit être si doux, pouvait-il être aujourd'hui accusé de meurtre ?

— Peut-on savoir comment s'appelle la victime ? déglutit Georges Mills.

La policière fixa le père inquiet. Dans ce genre de situation, la question ressortait toujours à un instant. Son enfant s'en était-il pris à un faible ? À un brigand ? À une autorité supérieure ?

— Nous ne sommes pas en mesure de vous révéler cette information, expliqua-t-elle.

— Vous préférez que je tape le nom de mon fils sur internet pour trouver les articles de journaux danois qui parlent de l'affaire ? interrogea froid, Mills.

La femme se dit qu'il n'avait pas tort. Cela faisait plusieurs jours que le Danemark faisait circuler les portraits-robots et des photos de la victime.

— Très bien, céda-t-elle, c'est une jeune femme âgée de trente-six ans. Elle se nomme Joséphine Mills et elle est française.

Le nom de famille fit sursauter Jeanne qui se tourna vers Georges. Ce dernier ne bougeait plus, il avait presque arrêté de respirer.

— Joséphine Mills ? Vous en êtes sûre ? interrogea le duc.

Katharina hocha la tête lentement.

— La tante de votre fils, oui. Nous en avons eu la confirmation, tard dans la nuit.

Georges se leva précipitamment et vomit dans la poubelle en papier.

— Sauriez-vous pour quelles raisons vos enfants auraient pu s'en prendre à madame Mills ? Nous savons qu'elle ne possédait pas une grande fortune comme la vôtre.

Jeanne s'était levée et avait apporté un mouchoir à monsieur Mills pour qu'il puisse s'essuyer. Il la remercia et rejoignit le bureau de la commissaire.

— Henry et moi n'avons jamais parlé de Joséphine. Je ne savais pas qu'il avait connaissance de son existence, annonça-t-il.

Il se rappela la première fois qu'il avait rencontré Joséphine Portier. Elle avait les mêmes yeux que sa sœur, mais avec cette lueur, une lueur pleine de mépris.

— Comment a-t-elle été tuée ? demanda-t-il.

— On l'a empoisonnée. On a trouvé du Liporex dans ses lasagnes et dans son estomac, expliqua le commissaire Ackermann.

Dès le premier faux sourire, il sut qu'ils ne s'apprécieraient jamais. Et ce fut le cas. Elle avait tout fait pour détruire son couple avec sa sœur, mais heureusement, elle avait échoué. Le jour du mariage et de sa rencontre avec Sullivan, elle avait enfin eu une nouvelle occupation dans sa vie et avait arrêté de lui pourrir la sienne.

— Les garçons ne savent même pas faire cuire des pâtes, expliqua Jeanne Jacobson.

Katharina émit un sourire de compassion, elle avait toujours été fascinée par la loyauté des mères envers leurs enfants. Quelles que soient les arrestations, délits ou crimes dont ils pouvaient être accusés, elles croyaient toutes en leurs innocences et elles se seraient brûlées vives pour le prouver.

— Des voisins les ont vu entrer dans le domicile et en ressortir rapidement à l'heure de la mort déclarée par le médecin légiste. De plus, plusieurs témoins ont déclaré que ces trois garçons l'avaient cherchée dans toute la ville. Ils demandaient une madame Mills.

Cette nouvelle alliance avait rompu le lien entre les deux frères. Joséphine n'avait peut-être pas réussi à éloigner Georges de sa sœur adorée, mais elle avait réussi à lobotomiser le cerveau de son futur mari.

— Qu'est-ce qu'on peut faire pour les aider ? questionna d'une petite voix, Jeanne.

La policière énonça un « nothing* » d'une voix morne et désolée.

— Pouvons-nous regagner notre hôtel ? Nous avons besoin de digérer toutes ces informations, s'enquit le père d'Henry.

La commissaire acquiesça et ils rejoignirent leurs chambres en taxi. La vue était belle depuis la terrasse de l'hôtel, mais les deux clients ne la voyaient plus. Georges avait proposé à madame Jacobson de le rejoindre dans sa chambre pour discuter. Elle avait accepté.

— C'est un cauchemar, murmura Jeanne.

Georges avait allumé un cigare, il en fumait un seulement durant de rares occasions. Madame Jacobson en avait attrapé un au passage, sous le regard étonné de son propriétaire. La fumée épaisse s'envolait au-dessus du vide.

— Qui était Joséphine Mills pour vous ? poursuivit-elle.

Monsieur Mills lâcha un long souffle et posa son regard dans celui de madame Jacobson.

— C'était la sœur de ma défunte femme et l'épouse de mon défunt frère, expliqua-t-il.

Jeanne se dit qu'il devait se sentir bien seul, son attitude froide avait dû l'aider dans ses deuils. Elle avait toujours pensé de Georges Mills, qu'il était un homme froid, riche, peu intéressant et imbus de sa personne. Aujourd'hui, elle réalisait qu'elle s'était toujours trompée.

— Je suis désolé pour votre femme et votre frère.

Georges Mills repensa à la première fois qu'il avait embrassé Marie. C'était en juin, le premier jour de l'été. Elle portait une robe bleue fleurie. Ses cheveux étaient relevés en un chignon défait et elle avait coincé une marguerite derrière son oreille. Il avait mis plusieurs mois avant de lui proposer un rendez-vous.

Il était si intimidé, qu'il balbutiait à chaque fois qu'il la voyait. Quand elle eut accepté, il avait senti son cœur danser. Le jour J, il avait enfilé son plus beau costume et ses chaussures les plus classes. Elle avait ri. Elle avait ri en le voyant arriver ainsi, dans le parc où ils avaient rendez-vous.

— C'est comme ça que l'on s'habille chez toi quand on veut pique-niquer ? avait-elle lancé.

Georges avait rougi. Penaud, il s'était senti soudain ridicule. Elle s'était rapprochée et avait saisi sa main.

— J'ai toujours aimé les hommes en chemise, ils sont si beaux. Tu peux peut-être enlever ta veste. Et tu te sentiras mieux en chaussettes, avait-elle continué.

Le garçon avait obéi. Marie Portier avait apporté avec elle un sac en osier, d'où elle avait sorti un drap jaune qu'elle avait déposait sur l'herbe grasse. Ils avaient alors discuté. Quand la soirée fut bien avancée, il avait pris son courage à deux mains et avait posé sa paume sur son cou, avant de poser ses lèvres sur les siennes.

Leur échange fut doux, comme tous les suivants. Mademoiselle Portier désirait cacher leur relation à sa sœur. Ce fut ce qu'ils firent pendant plusieurs mois, jusqu'à ce que Georges lui demande d'emménager avec lui dans son nouveau cottage. Elle avait accepté et il fut présenté, difficilement, à la famille.

— Joséphine était une femme charmante au premier abord. Belle, intelligente, subtile, élégante, mais elle était également la femme la plus manipulatrice que je n'ai jamais rencontré.

Il l'avait entendue une fois, parler de son frère avec ses amies.

— Un très bon parti, disait-elle, jeune, beau, prometteur, l'argent ne sera jamais un souci avec lui. Je vous le dis, il sera à moi et pour toujours.

Le jeune Mills avait accouru vers son frère pour lui narrer la conversation qu'il venait de surprendre entre sa petite amie et ses amies, mais il ne l'avait pas cru.

— Joséphine m'avait prévenu de ta jalousie. Ce n'est pas parce que Marie s'est mariée avec toi pour ton argent, que tu dois détruire mon couple, avait répondu Sullivan.

Et voilà comment la relation des deux frères avait pris fin. Georges ne supportait pas la manière dont Joséphine posait ses mains sur Sullivan. Comme si tout son être était sous son contrôle. Un jour de pluie, on lui passa un coup de téléphone. Son frère était mort et enterré et personne n'avait jugé bon de le prévenir. Il avait crié, hurlé, ce qui avait réveillé son fils de onze ans à peine.

— C'était quoi ? avait-il crié, paniqué.

Georges Mills s'était calmé immédiatement et lui avait raconté que ce devait être le voisin qui avait trop bu. Son fils recouché, Georges pleura la nuit entière sur sa terrasse, avant d'enterrer à jamais ses larmes.

— Vous pensez qu'elle a tenté de manipuler les garçons ? interrogea Jeanne.

— C'est possible.

Le jour de la naissance d'Henry, Joséphine avait fait une apparition remarquée. À peine entrée dans la chambre, elle avait annoncé son mariage avec Sullivan. Comme preuve, une bague de fiançailles gigantesque au doigt. Elle avait refusé de porter le bébé, se déclarant trop maladroite. Même si elle venait rendre visite de temps en temps à Marie, elle ne se préoccupait jamais d'Henry, Georges dirait même qu'elle ne l'avait jamais regardé.

À l'époque, il se disait qu'elle ne devait pas supporter les traits qui lui rappelaient son beau-frère, mais peut-être que c'était plus profond que ça.

— Elle ne s'est jamais intéressée à Henry. À la mort de Marie, je lui ai caché l'existence de son oncle et de sa tante. Nous ne nous fréquentions plus de toute manière, expliqua monsieur Mills.

Georges se dit que quoi qu'avait pu prévoir Joséphine, elle avait forcément eu une très mauvaise idée en tête pour impliquer son fils. Il eut soudain très peur pour ce dernier, qui était certes débrouillard, mais qui ne pouvait pas se douter des ennuis dans lesquels sa tante pouvait le faire plonger.

— Nous devons les retrouver avant que la police ne le fasse et ne les mette en prison, déclara solennellement Georges Mills.

*Rien

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