Chapitre 14: Premières Impressions

Monsieur Mills et madame Jacobson commençaient doucement à perdre espoir. Certes, Jeanne maîtrisait un allemand parfait et Georges, l'art de délier les langues, mais même à eux deux, ils n'arrivèrent pas à retracer le chemin de leurs enfants. Cette histoire de Nutella était à des années-lumière de leurs préoccupations quotidiennes. Pourquoi donc ce soudain intérêt ?

— Savez-vous qui aurait pu insérer dans leurs esprits, cette quête peu prudente ? questionna Mills.

Jeanne fit mine de réfléchir. Son fils et elle partageaient une relation très complice, ils n'avaient pas pour habitude, ni l'un ni l'autre, de se cacher des choses.

— Peut-être un camarade de classe ? Ou bien un professeur ?

Georges acquiesça, il savait que son fils aimait suivre des modèles qu'il choisissait lui-même. Un adulte qui lui inspirait confiance était une bonne piste. Malheureusement, Henry ne se confiait jamais à lui, pour une raison très simple : Georges ne lui avait jamais posé de question sur sa vie privée.

— Et si nous faisions des affiches et que nous les placardions un peu partout en ville ? Peut-être que quelqu'un les reconnaîtra, déclara Jeanne.

Monsieur Mills laissa un sourire s'étaler au-dessus de son menton. Il fut bref, mais sincère.

— Avez-vous des photos d'eux qui soient récentes ?

Jeanne fut surprise par cette question.

— Bien sûr, la dernière date d'il y a trois semaines. Votre fils et leur ami Joe sont dessus également. Pourquoi, n'avez-vous point de photos d'Henry ? interrogea-t-elle, maladroitement.

Georges entendit la pointe de reproche dans sa voix et se sentit mal à l'aise. Sentiment peu courant pour sa personne.

— Hum, si. Si, bien sûr, bégaya-t-il.

Et pour la première fois depuis plusieurs années, Georges Mills mentit. Il avait pourtant une haute opinion de lui et de ses valeurs. Mentir était comme une trahison avec lui-même, mais la réalité que venait d'énoncer Jeanne Jacobson était encore plus effroyable.

Lui, homme de bonne éducation, qui se déclarait père exemplaire, n'avait pas de photos récentes de son fils. Que ce fusse sur son téléphone portable, son ordinateur ou sur papier glace. La dernière datait de l'époque où sa femme était encore en vie. C'était dire que les albums photos avaient pas mal de pages à rattraper.

— Trouvons une imprimerie et faisons ça rapidement, annonça la mère parfaite.

Georges s'était rabougri. Pour un humain de constitution normale, la différence entre son apparence quotidienne et cette attitude nonchalante aurait été invisible. Pourtant, lorsque l'on connaissait le duc, on pouvait être surpris par ce comportement. Jeanne, qui avait passé les derniers jours en sa compagnie, le comprit.

— Vous savez, quand Paul a perdu son père, j'ai été totalement dépassée par les événements. Pendant plusieurs mois, je l'ai rejeté et c'est ma mère qui s'en est occupée. Il me rappelait tellement Emmanuel, c'était douloureux. J'avais besoin de faire mon deuil pour pouvoir redevenir sa mère.

Monsieur Mills ne cilla pas. Il écoutait et continuait de fixer l'horizon, les yeux immobiles et l'air hagard.

— Ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a pas une seule manière d'être un bon parent. Je suis navrée si je vous ai donné l'impression de vous juger, ce n'était pas mon intention, s'excusa Jeanne.

Georges décrocha son regard du point de repère et vint fixer ses yeux dans ceux de madame Jacobson.

— Je ne pense pas avoir été fait pour être père. Encore moins pour être une mère. Je vois les enfants comme des plantes. J'ai toujours pensé qu'une fois la graine semée et enracinée, elle commençait à grandir d'elle-même, que la seule responsabilité qui m'était incombée était de mettre du terreau et de l'arroser pendant les saisons sèches.

Jeanne Jacobson ne put réprimer son sourire devant une telle métaphore. N'oublions pas que monsieur Mills était un grand littéraire et que ses références étaient très diverses.

— Il y a des théories qui déclarent que pour qu'une plante pousse mieux, il faut lui parler avec douceur et l'encourager.

Le haussement de sourcils de Georges fit continuer madame Jacobson.

— Les plantes sont des êtres vivants, beaucoup pensent qu'il leur faut de l'amour pour s'épanouir et moi, j'y crois.

Cette fois-ci, ce sont les yeux de Georges qui petillèrent. Jeanne ne put réprimer un sourire en retour, un de ceux qui découvraient ses gencives roses et ses dents du bonheur.

— Il est alors fortuit que je ne me sois jamais occupé de plantes ! J'aurais été le pire jardinier que la terre est connue, plaisanta monsieur Mills.

Une blague ? Jeanne avait-elle bien entendu ? Georges Mills venait de faire une plaisanterie. Elle renforça son sourire et détourna les yeux. Les humains pouvaient être si surprenants parfois.

— L'imprimerie est encore à quelques mètres, si l'on en croit la carte, énonça monsieur Mills.

Ils parcoururent encore plusieurs pas sur le même trottoir, puis empruntèrent la rue adjacente, avant qu'un bâtiment à l'allure vieillissante et dégradée ne soit à leur portée. La pancarte était en allemand. Jeanne lut et déclara que c'était le bon endroit. Alors ils approchèrent et entrèrent. Une clochette signifia au patron de l'endroit que des clients venaient d'entrer dans son imprimerie.

— Hallo*, lança-t-il, alors que sa face était cachée derrière une vitre située plus loin dans la pièce.

Les deux individus le saluèrent également en allemand et s'avancèrent. L'homme se montra enfin. Il était grand, ses épaules larges portaient une blouse verte tâchée d'encre bleu, noire et rouge. Il souria aimablement et se dirigea droit vers Jeanne.

— Vous êtes d'une beauté sans faille, déclara-t-il de son allemand brute.

Madame Jacobson se sentit rougir. Cela faisait quelque temps qu'on ne l'avait plus draguée aussi ouvertement. Elle le remercia, avant d'enchaîner sur le sujet principal. Jeanne lui expliqua que leurs enfants avaient disparu et qu'ils espéraient les retrouver en postant des affiches dans la rue.

— Vous n'êtes pas allés voir la police ? demanda-t-il.

Jeanne se tourna soudainement vers Georges, qui n'avait pas compris la question en allemand.

— C'est vrai que nous n'avons pas pensé à la police locale ! s'exclama la mère inquiète.

— Finissons notre tâche et dirigeons nous par la suite vers un poste de police pour déclarer une fuite.

Madame Jacobson hocha la tête et retourna son attention sur l'allemand aux cheveux blonds dorés et à la barbe bien fournie.

— Trois cents affiches en une heure, croyez-vous cela possible ? demanda-t-elle en allemand, avec un petit accent français que l'imprimeur trouva charmant.

Il sourit et déclara qu'il pouvait même en faire quatre cents. Ce qui ravit le cœur de la Française. La négociation pour le prix fut rapide, l'argent n'ayant jamais été un problème. Bientôt, on entendit la machine se mettre en marche et cracher les visages de trois adolescents heureux et pleins de vie.

Comme convenu, les affiches furent remises au couple une heure après. Georges Mills laissa un gros pourboire à l'imprimeur et Jeanne lui laissa la trace de son rouge à lèvres sur la joue droite. Ils firent un pas et scotchèrent une première affiche sur un poteau. Tous les cinq cents mètres environ, ils plaquaient la feuille où la photo, les quelques descriptions des enfants et le numéro de téléphone de Georges, figuraient.

Ils se dirigeaient vers le poste de police que l'allemand aux boucles d'or leur avait indiqué. Jeanne était pleine d'appréhension, elle avait assez mal vécu le peu d'intérêt qu'avaient eu les policiers français pour la fugue de son fils. Georges remarqua sa nervosité, elle se triturait les mains sans cesse. Il passa furtivement sa main sur son bras avant de la laisser pendre le long de sa hanche.

La porte coulissante automatique s'ouvrit tandis que Georges emboîtait le pas à Jeanne. Droit, il traversa le hall et fixa toute son attention sur la policière à l'accueil. Froid et confiant, il la salua rapidement en allemand, suivi timidement par madame Jacobson avant d'enchaîner de son anglais bourgeois.

La femme, qui avait remarqué l'arrogance de l'homme dès qu'il avait franchi le seuil, ne voulut pas se laisser faire. Elle maîtrisait elle-même très bien l'anglais et lui expliqua poliment que non, elle n'appellerait pas son chef et qu'elle se fichait éperdument de qui il pouvait connaître.

Georges Mills, peu habitué à ce qu'on lui réponde de la sorte, vacilla. Suffisamment pour que madame Jacobson lui demande de s'écarter et ne s'adresse en un allemand courtois à la fonctionnaire. Elle lui expliqua rapidement la situation et son inquiétude pour son jeune fils adolescent, disparu depuis plusieurs jours.

Monsieur Mills restait à l'écart et veillait à garder un minois impassible. Puis après une longue hésitation, la policière accepta et composa un numéro. Elle leur indiqua ensuite en un bon anglais, le bureau où ils devaient s'annoncer.

Ce fut Jeanne qui toqua et s'annonça en première cette fois-ci. Georges, habitué au monde des affaires, n'avait pas son tact et ne savait plus, ou n'avait jamais su, s'adresser aux êtres humains munis d'un cœur. Une femme grande et fluette lui ouvrit. Un parfum de réglisse émanait de sa chevelure rousse relevée en une élégante queue de cheval.

De son regard noir, elle les invita à entrer et à s'installer sur les sièges qui faisaient face à son bureau. Ils s'exécutèrent. La commissaire, dont l'arme sur la hanche affirmait son autorité, s'installa à son tour et posa ses deux coudes sur le bureau en métal.

Georges Mills déglutit. Dans son monde, il avait côtoyé les gros requins. Ceux qui mordent avant même de vous connaître, histoire de vous prévenir, mais jamais il n'avait rencontré quelqu'un avec un tel charisme. Chaque geste, chaque regard, même chaque souffle semblait asseoir l'autorité de la femme à la quarantaine d'années qui décida, après plusieurs secondes, de rompre le silence.

— Veronika m'a expliqué la raison de votre venue. Que puis-je pour vous ? interrogea-t-elle dans un anglais parfait.

*Bonjour

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