Chapitre 12: Parents Enquêteurs
L'attente était longue. Quand Georges et Jeanne avaient compris que leurs enfants s'étaient envolés pour Francfort, après avoir fouillé l'historique internet de leurs deux boxs. Ils avaient réservé leurs billets pour le lendemain. Georges avait tenu à offrir un siège première classe à madame Jacobson. Il pouvait se le permettre et la galanterie voulait qu'ils fassent le voyage ensemble.
En fouillant les poubelles des deux maisons, ils avaient trouvé des codes déchirés, des mots, des lettres, beaucoup de choses dont ils ne comprenaient pas la signification. Ce qu'ils savaient en revanche, c'était que leurs enfants avaient disparu depuis près d'une semaine et cela n'était en rien normal. La police n'ayant été d'aucune aide, ils avaient dû se débrouiller par eux-mêmes et avaient envahi l'intimité de leurs adolescents.
Rapidement, ils comprirent qu'ils étaient loin de connaître leurs bambins. Ils avaient réussi à craquer quelques mots de passe de compte sur les réseaux sociaux, des dates de naissance, des prénoms de chiens ou de hamster, un jeu d'une simplicité enfantine, presque inquiétante, ils avaient pu lire leurs conversations.
Georges Mills y était décrit comme un tyran au cœur froid, rien de bien original, tandis que Jeanne Jacobson s'y voyait dépeinte comme une louve surprotectrice et en dehors de toute réalité. Étonnamment, ce fut l'ego féminin qui fut le plus vexé, mais l'heure n'était pas aux rebuffades.
— Avez-vous lu les derniers messages échangés que je vous ai transféré ? demanda de sa voix courtoise George à sa voisine.
— Oui, hier soir. J'ai l'impression que toute cette histoire concerne un pot de Nutella, mais j'ai encore beaucoup de mal à réaliser le pourquoi de cette aventure, annonça Jeanne.
— Vous savez, ce sont de jeunes garçons en quête d'adrénaline, il ne leur faut qu'un rien pour les exciter et les convaincre de partir à la conquête du monde.
Madame Jacobson acquiesça et observa sa tablette. Elle n'avait pris l'avion qu'une seule fois des années auparavant, alors qu'elle était encore étudiante en droit. À cette époque, elle était bien plus impulsive. À la fin de son semestre d'été, sur un coup de tête, elle avait décidé de s'envoler pour New-York comme beaucoup de jeunes filles avant elle.
Pourtant ce jour-là, elle s'était sentie indestructible, irrésistible et tellement originale. Heureusement qu'elle n'avait pas parlé aux sept autres jeunes filles de son âge, qui attendaient le même avion qu'elle et qui avaient ce même sentiment de puissance et d'impulsion. La demoiselle avait passé un merveilleux été et était rentrée conquise par la ville et ses merveilles, en France.
On aurait pu penser que sa ville de prédilection serait devenue la grande pomme, mais quelques mois plus tôt, elle s'était retrouvée à Paris pour une formation et c'était là qu'elle l'avait rencontré son homme, son futur mari. Celui qui lui avait donné Paul et qui était parti avant elle. Aucune ville après cela ne pouvait rivaliser avec Paris, même pas l'agitation de New-York.
— Paul n'a jamais pris l'avion, enfin, n'avait, murmura Jeanne.
Georges observa la mine défaite de madame Jacobson. Cela faisait bientôt une semaine que sa face trahissait son inquiétude, tandis que son reflet à lui, était toujours identique à l'homme qu'il était à trente ans. D'une certaine manière, il était touché par cette sincérité qui émanait de sa personne, mais il trouvait également que cela était très déplacé.
Depuis tout petit, on lui avait appris à maîtriser ses émotions, à les contenir. Il avait le droit de souffrir, oui, mais il ne devait dévoiler ses émotions sous aucun prétexte, ou les remarques désobligeantes pleuvaient.
— Je suis sûr qu'Henry veille bien sur lui, il a toujours été très autonome. De plus, j'ai ouï dire que votre fils était un ami très précieux à ses yeux et l'une des plus grandes qualités de mon fils est qu'il n'abandonne jamais ceux auxquels il tient. Il a toujours été un garçon très protecteur, confia Georges.
Les mots du père d'Henry apaisèrent un instant le cœur de Jeanne. Les garçons étaient grands déjà, ils étaient intelligents et rusés, mais le danger était quand même présent et ça, elle ne pouvait l'oublier ou l'omettre, ne serait-ce qu'un seul instant.
— Merci, s'enquit-elle malgré tout.
Quand l'atterrissage fut terminé, Georges sortit de son sommeil agité. L'avion avait toujours eu un effet soporifique sur sa personne. Grand habitué des longs trajets à travers le monde, il avait posé le pied sur chaque continent et la presque totalité des pays.
Tandis qu'à ses côtés, Jeanne avait les traits fatigués et des courbatures sur l'ensemble du corps, elle n'avait même pas pu lire une seule ligne de son roman de poche.
Georges avait réservé deux chambres dans un des meilleurs hôtels de Francfort, elles étaient communicantes. Les deux pièces étaient en tout point identiques. Le salon était muni de grands canapés en cuir et de méridiennes, une table basse en chêne prônait devant une cheminée en pierre. Le lit, d'une taille indécente, donnait sur la terrasse panoramique qui couvrait l'ensemble de la ville allemande, ainsi que sur un écran plat gigantesque.
Monsieur Mills ne savait pas voyager en toute simplicité, il avait perdu toute notion de réalité le jour où il eut accès à son premier compte en banque. Le majordome les mena à leurs lieux de vie et leur laissa les clés avant de leur expliquer que leurs bagages ne tarderaient pas à être déchargés. Madame Jacobson, bien trop préoccupée par la disparition de son fils, ne s'accommoda pas du prix exorbitant du lieu et du fait que Georges Mills tenait à payer chaque dépense de sa poche et le remercia simplement.
Dans d'autres circonstances, il aurait été inconcevable pour elle de laisser ainsi faire quelqu'un d'autre. Elle aimait gérer sa vie et Jeanne contrôlait le moindre événement qui pouvait s'annoncer dans son quotidien. Ces derniers jours elle avait pourtant vu cette partie d'elle se faire engloutir par la peur et la déraison.
Trois coups se firent entendre à la porte communicante. Jeanne attrapa une veste, s'y dirigea prestement, avant de l'ouvrir. Elle découvrit derrière la porte de bois, un Georges Mills en pyjama de satin.
— Je tenais à vous souhaiter une bonne nuit et à vous rappeler l'heure du lever. Il serait préférable que nous déjeunions aux aurores pour optimiser notre journée à Francfort. Nous n'avons certes pas de vol retour, mais il nous sera plus agréable de les retrouver au plus vite.
Jeanne opina et il continua :
— Je vous retrouve donc dans le hall à sept heures pour le départ. Vous pouvez laisser vos affaires ici, la chambre est payée pour la semaine.
Elle le remercia, sans oublier de glisser un bonne nuit. Elle ferma la porte et alla se coucher. Son imagination ne lui laissa aucun répit et malgré la douceur des draps et le silence de la nuit, elle ne ferma pas l'œil.
Au milieu de la nuit, Georges céda à l'envie de boire un verre sur sa terrasse et ce fut ici qu'il termina la nuit. Couché sur l'un des fauteuils du salon de jardin. Le soleil commençait à mordre l'horizon. Il n'avait pas dormi à la belle étoile depuis son vingtième anniversaire, organisé par son frère il y avait de cela bien trop longtemps.
Sullivan avait le don pour faire rire les gens. Il était l'un des rares à avoir fait sourire Georges Mills. Quand il pensa à son grand frère, l'homme se renfrogna. Certains souvenirs douloureux ressurgissent toujours sous les effluves de l'alcool. Il se leva et observa le pendule. Il était en retard or, Georges Mills n'avait pas pour habitude d'être en retard.
Il passa rapidement sous la douche, dit adieu à son thé et se faufila in extremis dans l'ascenseur que venait d'appeler Jeanne.
— Courte nuit ? lui lança-t-elle, en observant son allure négligée.
Sa barbe n'avait pas été rasée, ses cheveux étaient en bataille et encore humides. Ses yeux étaient petits et sa chemise de la veille, froissée. Tout un tas de détails qu'un œil aussi avisé que celui de Jeanne ne pouvait ignorer.
— Il est vrai, j'espère que la vôtre fut meilleure, s'enquit-il.
Jeanne s'était levée quand elle se fut lassée de rouler et de tournebouler sur son immense sommier. Elle s'était glissée sous la douche et avait laissé l'eau chaude la détendre pendant près d'une heure. Puis elle avait croqué dans une pomme qui traînait sur la table et s'était attablée pour colorier sa face.
Avec application, elle avait posé une première couche pour le teint, puis une deuxième, elle qui d'habitude ne portait que deux ou trois touches de couleur, essayait en vain de cacher la nuit désastreuse qu'elle passait. Après plus d'une heure de maquillage, elle avait brossé ses cheveux et les avait attachés en un chignon strict.
— Je crains fort que non, émit-elle.
Georges remarqua alors la forte couche de maquillage qui recouvrait son minois et se retint de toute réflexion. Compte tenu des circonstances et de l'état de sa propre tenue, il était fort mal placé pour la juger. Si se cacher sous de la poudre pouvait l'aider, alors qu'elle le fasse.
Il était sept heures dix quand ils traversèrent le hall. Georges Mills avait oublié d'enfiler sa montre qui était restée couchée sur sa table de chevet et il ne le réalisa pas, mais ce fut la première et la dernière fois qu'il dépassa un horaire qu'il s'était fixé.
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