Chapitre 1: Le Colis

Un coup à la porte résonna dans la maison. Le postier vêtu de son couvre-chef jaune attendait impatient que la poignée ne s'abaisse, mais après plusieurs minutes, toujours aucun mouvement. Il cogna une seconde fois, grognant son mécontentement. Il est vrai que cela faisait partie du travail d'attendre sur le palier, mais il n'avait jamais été d'un naturel patient.

Il se préparait à faire demi-tour quand un garçon à peine plus haut que lui, entrouvrit la porte. Le jeune homme avait une mèche de cheveux brune qui lui tombait sur le front et ses yeux étaient d'un vert sapin. Il regardait le postier d'un air impassible. Ce dernier tendit le courrier et déclara qu'il avait un colis pour « Monsieur Henry Mills ».

— C'est moi, annonça le brun, d'un ton morne.

Le postier, habitué aux attitudes désagréables de ses clients, répondit d'une voix identique au garçon.

— Signez s'il vous plaît.

Sans grande cérémonie, Henry saisit le crayon sur le colis et signa d'un X, le formulaire. Il n'avait jamais cherché à élaborer sa propre signature. Le postier regarda la croix que l'adolescent avait laissée et haussa un sourcil, avant de tourner le dos au garçon pour rejoindre sa camionnette d'un jaune pimpant. Les gens sont mous, pensa-t-il.

Le brun rentra chez lui, le colis sous le coude. Son reflet dans le miroir lui renvoya une image triste et amère d'un adolescent en plein tourment. Il traversa le seuil de sa chambre et s'installa sur son bureau pour ouvrir l'étrange paquet. Un coup de couteau plus tard, le paquet était éventré et crachait du papier bulle qui enveloppait une forme étrange.

Après s'être laissé distraire par le plop de ses doigts éclatant les bulles de plastique, il le retira et y découvrit un bocal en verre où un morceau de papier y était enfermé. Une bande blanche recouvrait ce bocal à l'allure insolite et une inscription y figurait : Nutella. Surpris, le garçon manqua de lâcher le pot, il recula et observa la pièce, se demandant qui pouvait bien lui avoir envoyé un tel colis.

Plusieurs secondes de stupeur plus tard, Henry se décida à desserrer le couvercle et sortit le papier, qu'il déplia. Une grande carte se dévoila sous ses yeux, de longs traits de couleurs barraient la feuille, des schémas de reliefs, de mer ou de lacs y figuraient de toutes tailles. Il parcourait la page A5, lorsque son regard se stoppa sur un symbole, une croix marquée d'un feutre noir était placée derrière une chaîne de montagnes de la Sibérie profonde.

Il retourna ensuite la carte où une phrase et un code y était inscrit :

Retrouve la croix et tu découvriras le dernier pot de Nutella.

ECXG - UWTXKXCNKUVG - CFCO

Henry, les sourcils froncés, tenta de comprendre le code, mais il abandonna bien vite. La faim était prégnante et la motivation minime. Il pensa à une blague qu'un de ses amis avait dû lui faire et, attrapant son mobile, il descendit pour rassasier son appétit d'un timide bout de brioche et de deux grosses tartines de beurre. Son smartphone clignota rouge, signe qu'un message de Joe venait d'être reçu. De son doigt gras, il déverrouilla l'écran.

Joe : De quoi tu parles ? J'ai jamais envoyé de pot de Nutella vide, encore moins un message codé. C'est quoi ce truc ? Je peux voir ?

L'adolescent d'un mouvement de tête replaça sa mèche de cheveux et souffla. Si ce n'était pas ce plaisantin de Joe, alors qui était-ce ? Pour toute réponse, il photographia le colis et son contenu et l'envoya à son ami. Les deux garçons se connaissaient depuis la maternelle. Ils avaient grandi ensemble et même si aujourd'hui ils trouvaient le qualificatif « meilleur ami » trop ringard, le fond était le même.

Joe : COOL ! Attends, je transfère à Paul, je suis sûr qu'il va te trouver comment déchiffrer ce truc ahha.

Paul était le dernier à avoir rejoint la « bande », qui aujourd'hui était un trio. Ils l'avaient connu en entrant au collège. D'une intelligence rare et d'une timidité mystérieuse, il avait suffit qu'ils soient dans le même groupe de travail pour ne plus jamais se détacher les uns des autres.

Paul : Il n'y a pas d'adresse d'expéditeur sur le paquet ?

Henry laissa éclater un « mais bien sûr !» et attrapa le carton. Il le tourna dans tous les sens pour trouver un indice sur l'expéditeur. Il y avait un tampon qu'il ne connaissait pas. Il le prit en photo et le transféra sur une conversation qu'il créa sur messenger, il nomma le groupe Colis inconnu.

Rapidement, ses deux amis le rejoignirent sur la discussion.

Jojo : Ça a été du rapide la création du groupe.

Polochon : Tu n'as reçu que ce mot et ce code ?

En Riz : Non. Le mot est derrière une carte et tout ça était dans le pot de Nutella vide dont je vous ai parlé.

Polochon : Une carte ? Envoie !

En riz a envoyé une photo.

Joe : Wow, trop cool, mais elle date pas un peu ta carte ? Certains pays ne portent plus le même nom. L'Estonie par exemple, elle est reliée à la Lettonie et à la Lituanie maintenant, enfin c'est Paul le pro de la Géo, mais quand même !

Polochon : Tu as raison Joe, je daterais cette carte de l'an deux-mille quarante, elle a plus de vingt ans, mais elle est bien détaillée et elle provient d'un grand cartographe.

En Riz : Vous croyez sérieusement que cette carte indique le dernier pot de Nutella ? Je croyais que l'entreprise avait été entièrement détruite ainsi que les produits pour cause inconnue. Même la recette a été enterrée et est devenue illégale.

Joe : Le gouvernement en a pas parlé plus que ça. Ils ont juste dit qu'il n'était plus apte à la consommation et qu'il n'aurait jamais dû l'être pour la santé publique, mais en même temps on était dans un virage au niveau sanitaire et alimentaire.

Polochon : Certaines personnes ont dû cacher les derniers pots, mais plus de vingt ans après, c'est vrai qu'il devrait être impossible d'en trouver un.

Joe : Mais les gars, imaginez que ce soit vrai. Vous avez jamais eu envie de goûter à ce truc ? Quand on voit les vieux mèmes des années deux-mille et les pubs de l'INA. Je me suis toujours demandé si le goût était aussi fantastique que les anciens le racontaient.

En Riz : Je sais pas, ça ressemble quand même beaucoup à un canular.

Polochon : Rien ne nous empêche déjà de décoder le message. Je vais chercher sur internet et je reviens vers vous si je trouve un truc.

Une porte claqua, signe que son père était rentré pour le déjeuner. En une seconde, la position limace sur le canapé se transforma en celle d'un robot étrangement droit et rigide qui détenait entre ces mains, non plus un gadget électronique, mais un classique de Baudelaire.

— Je suis rentré, déclara l'homme de sa voix rauque et maîtrisée.

Une telle évidence agaça le brun, mais il ne dit rien et sembla impassible quand son père se posta devant lui pour le scanner.

— Je remarque que tu n'es qu'à la moitié du livre, là où tu devrais déjà en être à la fin. Qu'as-tu donc fait en cette matinée pour ne pas avoir terminé ta lecture ?

— Père, cette semaine j'ai lu deux classiques, j'en suis déjà à mon troisième.

— À votre âge fils, mes lectures se comptaient à plus d'une trentaine par mois.

La pique s'enfonça dans sa chair. Son père n'avait jamais été raisonnable quant à ses demandes de réussite.

— Vous m'en voyez navré, je m'exécuterai plus vite la fois prochaine, je vous en fais la promesse.

L'homme aux tempes grisonnantes lâcha un claquement de langue. Celui-là même qui signifiait que son temps avec son fils était écoulé. Il vint ensuite chercher une assiette de poulet refroidi dans le frigo avant de se sustenter seul sur sa terrasse panoramique qui dominait la ville Lumière. Son fils attrapa deux morceaux de pain, du jambon et du fromage et s'isola dans sa chambre. La vue y était aussi belle et l'ambiance plus tranquille.

On pourrait être surpris par la relation entre les deux hommes, mais leur entente restait cordiale et le ton ne s'élevait jamais très haut. Monsieur Mills trouvait cela discourtois. Georges Mills était l'héritier d'une longue lignée d'aristocrates anglais. Même si la royauté était aujourd'hui passée de mode et était devenue plus un morceau d'Histoire qu'un réel présent, Georges avait été éduqué à l'ancienne et essayait tant bien que mal d'inculquer ses valeurs à son fils unique.

Une lumière verte vint se refléter sur la lampe argentée d'Henry. D'une main, il saisit son portable et lut le message.

Paul : Je crois que j'ai trouvé comment décoder le code. En vérité c'est un classique et il n'est vraiment pas compliqué. Tu veux que je t'envoie les réponses ou tu préfères qu'on se retrouve à la bibliothèque pour faire plus de recherche ?

Le brun avala la dernière bouchée et en deux temps trois mouvements se retrouva sur le trottoir extérieur à enfourcher son vélo électrique. Son père ne remarquera pas son absence. Il y avait longtemps qu'il avait fini de lire les classiques obligatoires qu'il lui imposait. Chaque mois, c'était la même histoire. La liste des livres arrivait et en deux jours et deux nuits, il les ingurgitait.

Il sacrifiait son temps de sommeil de début de mois pour pouvoir vaquer à ses occupations les semaines suivantes. Et lorsque la fin du mois approchait ainsi qu'avec lui, les questions pour savoir s'il avait bien lu les textes, il était prêt. Il aurait pu lui dire, mais connaissant son géniteur, il lui aurait donné une masse de travail encore plus importante et une insatisfaction persistante.

Il était presque devant chez Paul quand son téléphone sonna. Il se stoppa et décrocha :

— T'arrives dans combien de temps chez Paul ? émit la voix chantante de Joe.

— Cinq minutes et toi ?

— Pareil, on fait la course ?

Là encore, Henry ne se donna pas la peine de répondre et raccrocha, accélérant le rythme de sa course. Trois minutes et quarante secondes plus tard, il approchait de la boite aux lettres jaune quand un Joe suant arriva à toute allure sur ses deux jambes musclées. Henry lâcha le vélo et se rua à la porte, bousculant au passage son fidèle ami qui venait de traverser le village en courant.

— Pour une fois que tu arrives en premier, lâcha essoufflé Joe, un peu déçu par sa défaite.

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