Partie unique



« À quelle heure est ton rendez-vous demain ?

– Hm, neuf heures et demie.

– Tu as besoin que je t'accompagne à l'hôpital ?

– Non, ne t'en fais pas.

– Tu es sûr ? Parce que je peux m'arranger pour-

– Tae, ça ira. C'est juste un check-up pour voir si tout va bien. On ne me fera rien. »

À cette annonce, le corps du jeune homme se détendit légèrement. Il n'insista pas, malgré son envie de le faire. Dans le silence, il reprit ses baguettes pour avaler le reste de son dîner. Il savait pertinemment que son petit-ami, tête de mule comme il était, refuserait quoi qu'il arrive son soutien s'il se faisait trop excessif. Jungkook était comme ça, il n'aimait pas montrer ses faiblesses et encore moins être pris en pitié. Pourtant, de la pitié, ce n'en était pas. De l'amour, de l'inquiétude, il n'y avait que ça dans le cœur de Taehyung.

Cela faisait maintenant quelques mois que le couple avait retrouvé sa petite stabilité d'antan et le plus jeune ne voulait pas risquer de la fragiliser à nouveau.

Jungkook et Taehyung, c'était une histoire qui enchantait les cœurs et émouvait les âmes. Elle avait commencé il y a presque dix ans, lorsque les deux jeunes hommes étaient encore au lycée. C'était là qu'ils s'y étaient rencontrés pour la première fois. Une entrevue un peu clichée, qui avait débuté par une collision maladroite et involontaire au détour d'un couloir. Jungkook avait renversé les livres que Taehyung tenait dans les mains, Taehyung avait cogné le front de Jungkook avec le sien, et tandis qu'ils s'étaient chacun relevés pour comprendre la nature de ce choc, ils avaient vu le temps s'arrêter au croisement de leurs regards.

Taehyung était si beau, son visage avait ce petit brin d'irréalité, qu'il en était difficile, voire cruel de s'en détacher. Quant à Jungkook, ses traits sémillants respiraient la fraîcheur et repeignaient le monde de douces couleurs pastel. Chacun attirait à sa manière : une beauté qui impressionne, une candeur qui envoûte.

C'était avec leurs yeux qu'ils étaient avant tout tombés amoureux. Un coup de foudre réciproque qui n'arrivait généralement qu'à la télé mais qui avait violemment bousculé les adolescents qu'ils étaient. Comme une évidence, comme un coup du destin, un peu brutal, un peu douloureux, mais si plaisant.

Timidement, ils s'étaient observés pendant de longues minutes, occultant sans le vouloir les étudiants qui défilaient en accéléré autour d'eux. Ils n'avaient pas eu besoin de parler pour savoir qu'ils se voulaient. Mais ils avaient bien été obligés de le faire pour entamer la discussion. Un peu gauchement, c'était Jungkook qui s'était excusé en premier, bafouillant légèrement devant l'individu qui avait captivé son cœur. Puis, Taehyung s'était penché vers lui sans réfléchir et avait palpé son front, à la recherche du moindre début de bosse même s'il était trop tôt pour en voir apparaître une.

Au moment où il avait effleuré la peau du noiraud, une douce folie s'était emparée de l'aîné, gonflant ses poumons d'un sentiment inédit et si grisant. Ce dernier, qui s'était dès l'instant-même juré qu'il ne le laisserait pas lui filer entre les doigts, lui avait alors proposé de l'accompagner jusqu'à sa salle de cours, puis de se voir en dehors du lycée quelques jours plus tard, d'aller prendre un café la semaine d'après, jusqu'à l'inviter à venir chez lui le mois suivant.

Bien que sa démarche eût été quelque peu osée et directe, Jungkook en avait été ravi, lui qui n'était que peu familier avec l'initiative. Ce fut donc avec une joie non dissimulée qu'il avait laissé le plus âgé prendre les devants, et qu'au bout d'une saison seulement, qu'ils en étaient venus à se déclarer leur flamme et ne s'étaient plus lâchés, se faisant la promesse de rester aux côtés de l'autre éternellement.

Leur relation durait depuis ce temps, puissante et solide comme rare une relation pouvait l'être. Ils étaient tous deux une source d'inspiration pour quiconque les connaissait, un modèle que chacun aimerait secrètement pouvoir suivre. Ensemble, ils évoquaient la passion, la confiance et la bravoure.

Car l'un comme l'autre avait eu une facilité naturelle à passer au-dessus des critiques, des mauvais regards et de l'appréhension du rejet de la société. Ils vivaient leur amour sans aucune censure et avançaient main dans la main, contre les médisances et les jugements. À deux, ils étaient bien plus forts qu'un pays entier aux esprits un peu trop fermés.

Mais étaient-ils plus forts que cette maladie poisseuse qui avait enroulé ses fils toxiques autour du plus jeune ?



« Attends, t'es sérieux ?

– Plus que sérieux.

– Mais pourquoi tu ne lui as pas dit ?!

– Je ne veux pas l'inquiéter davantage. Il a déjà suffisamment souffert à cause de moi. »

Hoseok souffla bruyamment avant d'interrompre sa marche pour prendre le noiraud par les épaules, l'obligeant à le regarder droit dans les yeux.

« Jungkook, c'est ton mec ! Tu peux te reposer sur lui, tu sais ?

– Je sais.

– Tu penses vraiment qu'en lui cachant la vérité tu l'empêcheras de s'inquiéter ? »

Jungkook se mordit la lèvre et détourna le regard, intimidé par le ton sévère de son meilleur ami. Il n'aimait pas lorsque celui-ci le grondait ainsi. Cela n'arrivait jamais, avant. Avant qu'il se mette à agir de manière inconsidérée. Avant tout ça.

« Tu ne peux pas lui mentir là-dessus, reprit l'aîné. Pas éternellement. Il y aura forcément un moment où il s'en apercevra.

– Peut-être pas...

– Kook, on parle d'un cancer, pas d'une putain d'infection urinaire ! explosa-t-il. »

Le cœur du noiraud se serra violemment tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Il se sentait complètement dépassé, au bord du gouffre, une jambe pendue dans le vide.

« Mais que suis-je censé faire alors ? Je pensais qu'on en avait fini avec tout ça ! Je pensais que c'était derrière nous... qu'on...qu'on allait pouvoir vivre heureux... »

Un premier sanglot fit trembler sa voix, et ce fut à ce moment-là qu'Hoseok le prit dans ses bras pour l'enlacer aussi fort qu'il lui était possible.

« Chou, tu dois lui dire. Il doit être là pour toi, il a le droit de savoir et tu as le droit d'avoir son soutien.

– Je...

– Dis-lui, s'il te plaît. »

À bout de forces, Jungkook hocha la tête, l'estomac noué comme une pelote de laine tout emmêlée. Il n'avait pas l'esprit suffisamment rôdé pour se battre actuellement. Il avait peur, extrêmement peur. Il pouvait sentir le chaos menacer son existence entière et était terrifié à l'idée de voir sa vie s'effriter. Qu'allait-il devenir ? Qu'adviendrait-il de son couple ?

Taehyung était déjà si pris par son travail, et son éditeur lui mettait tant la pression. Il venait tout juste de terminer le roman sur lequel il travaillait depuis deux ans, Jungkook ne voulait pas ruiner tous les efforts de son petit-ami. Il redoutait tant le moment où il devrait lui apprendre qu'il avait rechuté. Son Taehyung qui était si heureux d'avoir enfin pu arriver au bout de son projet, il savait que cette mauvaise nouvelle le détruirait et ferait obstacle à sa carrière.

« Ça va le détruire, Hobi... S'il m'arrivait quoi que ce se soit, il ne le supporterait pas.

– Ne pense pas tout de suite au pire... Tu ne sais même pas ce que ton professeur va te dire.

– Si... Si, je le sais. J'ai beau essayer de rester positif, je le sens au fond de moi. Je le sens se propager, je le sens me grignoter petit à petit, je-

– Jungkook. Va à ton rendez-vous, écoute ce qu'il a à te dire, le reste on verra. »

Hoseok se dégagea doucement de son ami et déposa de chaque côté de son visage une paume chaude et rassurante.

« Quelle qu'en soit l'issue, tu ne seras pas seul, d'accord ? »

Ses pouces essuyèrent délicatement les larmes du plus jeune qui lui adressa un semblant de sourire avant de se tourner vers sa destination du jour.

L'hôpital se tenait à quelques mètres devant eux, fier et imposant par son envergure. Jungkook le haïssait de toute son âme. Ce bâtiment qui aspirait son énergie, engloutissait tous ses espoirs rien qu'à sa vue, il lui était devenu si désagréablement familier. Il en connaissait son moindre recoin par cœur et exécrait chacune de ses façades, chacun de ses sols en lino aux couleurs fades, chacun de ses couloirs interminables d'un blanc aveuglant.

« Tu es le garçon le plus courageux que je n'ai jamais connu, Jeonie-jeon, murmura Hoseok, tandis que le noiraud avançait vers la grande structure. »

Ils y avaient tous cru, dur comme fer, au fait qu'il ne s'y rendrait plus qu'une fois par semestre pour ses bilans de surveillance. Mais la vie en avait décidé autrement.

La vie lui avait offert une seconde chance. Ou plutôt, une nouvelle opportunité...

...celle de mourir.



« Merci de m'avoir attendu, Hobi. »

Le concerné hocha simplement la tête, le regard saturé d'inquiétude. Jungkook avait bien vu la manière dont il le dévisageait. Sans doute qu'il crevait d'envie de lui demander un compte-rendu détaillé de son rendez-vous avec son oncologue. Mais le noiraud avait encore la gorge trop serrée pour en parler maintenant.

« On va boire un café ? proposa-t-il plutôt.

– Tu n'as pas le droit, lui rappela son ami.

– Merci maman, je le sais. C'était juste une façon de parler. »

Jungkook cracha presque ces mots. Il n'avait pas voulu se montrer aussi sec, mais il n'aimait pas qu'on lui signale les choses évidentes qu'il savait déjà. Depuis maintenant plus de deux ans qu'il était réduit à un régime strict, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait oublier comment le suivre.

« Pardon, je ne voulais pas prendre ce ton-là, s'excusa-t-il. »

Un doux sourire apparut sur le visage du plus vieux, qui passa un bras autour de son épaule avant de se mettre en route.

« T'inquiète pas, chou. Tu es sur les nerfs, c'est normal. »

Au fond, le brun savait. Il savait que Jungkook allait mal, qu'il n'était pas prêt pour lui expliquer tout de suite ce qu'il avait appris et qu'il ne fallait pas le brusquer. Il y avait cette connivence entre eux, cette complicité qui faisait que les paroles n'avaient pas toujours leur utilité. Hoseok connaissait son meilleur ami sur le bout des doigts, un regard posé sur lui suffisait à le comprendre.

Il l'entraîna alors vers un petit coffee-shop dans lequel ils s'installèrent en terrasse. Il serait bête de ne pas profiter de l'extérieur ; le temps était bon et le ciel, dépourvu de nuages, diffusait pleinement les rayons du soleil sur terre. Hoseok était persuadé que ce petit instant de météo radieuse remettrait un peu de baume au cœur à Jungkook. Et il eut raison de se faire confiance sur ce point-là : le noiraud avait soupiré de bien-être, la tête rejetée en arrière et les paupières closes.

« J'aimerais pouvoir en profiter éternellement, songea ce dernier.

– Kook... »

Le jeune homme ouvrit les yeux et lui sourit. Un sourire lourd de sens, à la fois criant et mystérieux. N'en pouvant plus de ne pas savoir, le brun s'apprêta à lui demander les informations concernant le diagnostic des médecins lorsqu'un serveur apparut devant eux pour prendre leur commande.

« Une... une limonade s'il vous plaît, prononça-t-il, pris de court.

– Un verre de lait avec un peu de sirop à la fraise pour moi. »

L'homme en tablier hocha la tête et disparut à l'intérieur, laissant derrière lui un Hoseok mécontent et un Jungkook au minois provoquant. Celui-ci savait parfaitement qu'il s'agissait-là d'un excès stérile, mais il s'en fichait bien.

« Du sirop ? nota l'aîné.

– J'ai le droit de me faire plaisir. On a qu'une vie.

– Jungkook, arrête ça, s'agaça-t-il. Ça suffit maintenant, qu'est-ce qu'il t'a dit ? »

Le concerné souffla doucement, les sourcils froncés, avant de réciter d'un air lointain :

« Extension loco-régionale, une chimio post-chirurgicale qui aurait dû être effectuée afin d'éliminer les dernières cellules à risques mais qui n'a pas été faite, présence de métastases dans les ganglions lymphatiques se rapprochant doucement du foie et des poumons et-

– En d'autres termes, s'il te plaît. »

Le regard acéré de Jungkook frappa violemment celui de son ami qui sentit l'air se bloquer dans ses poumons.

Ainsi, la première bombe fut lâchée.

« En d'autres termes : mon cancer de l'estomac a récidivé et est en train de se généraliser. Il n'y a aucun traitement curatif pour un cancer métastatique. »

Incapable de prononcer le moindre mot, Hoseok ouvrit la bouche sans rien dire.

Et Jungkook l'acheva.

« Hobi... J'ai très peu de chances de m'en sortir, cette fois. »



Un cancer...

Lorsque Jungkook et Taehyung avaient entendu pour la première fois ce terme si effrayant, ce fut lors d'une énième consultation du noiraud avec son médecin traitant. Bien entendu, chacun savait ce qu'était un cancer, du moins dans ses grandes lignes. Mais jamais ils n'avaient dû personnellement se confronter à l'un d'entre eux. Le genre de choses qui n'arrivaient qu'aux autres, que l'on se disait généralement pour se rassurer.

C'était il y a un peu moins de trois ans.

Depuis plusieurs mois que Jungkook se plaignait de nausées, de douleurs abdominales et de pertes d'appétit. Des symptômes assez communs pouvant apparaître dans n'importe quel type de situation. Ce pourquoi la piste cancéreuse n'avait au départ pas du tout été explorée, ni même envisagée. De plus, la plupart des cancers ne survenait pas à un âge aussi peu avancé que le sien. Mais le temps passait et les nausées se transformaient en vomissements, les douleurs devenaient de plus en plus présentes, le corps du jeune homme fondait à vue d'œil et la fatigue le terrassait.

Jungkook était allé se faire dépister dès que les premières suspicions avaient été déclarées. Une batterie de tests lui avait alors été passée afin de déterminer la nature de l'anomalie présente dans son organisme et d'en mesurer l'étendue.

Et c'est alors que "cancer de l'estomac" avait été prononcé.

Pour en être certain, il avait subi une endoscopie œsogastrique et une biopsie, qui se chargèrent de confirmer le pré-diagnostic. Un rendez-vous en urgence avait donc été pris avec l'hôpital, puis tout était allé très vite lorsqu'ils avaient vu le professeur du service oncologie.

« Je ne vous cache pas que les pronostics de survie d'un cancer de l'estomac sont relativement peu encourageants, avait expliqué le professionnel. Ces derniers sont directement liés au dépistage de la maladie. Plus il est détecté tôt, plus les chances de s'en sortir augmentent. Cependant, un homme ou une femme d'un certain âge aura plus de risques d'y succomber. Dans votre cas, le diagnostic a été fait à temps, et bien que cela soit extrêmement rare de voir un patient de moins de quarante ans atteint d'un cancer de l'estomac, nous pouvons dire qu'aujourd'hui, votre âge joue en votre faveur.

– Ce qui veut dire... ? avait interrogé Taehyung, la main crispée autour de celle de son amant. »

Il pensait avoir compris où l'homme en blouse voulait en venir, mais il avait eu besoin de se sentir pleinement rassuré.

« Ce qui veut dire que pour l'instant, même si le chemin de la rémission sera long et douloureux, il n'y a pas à s'inquiéter. Le terme cancer, parfois, fait bien plus peur que ce qu'il n'est réellement menaçant. »

Aussi, il leur avait annoncé que le noiraud n'aurait pas à suivre d'autres traitements que celui chirurgical. Sa tumeur n'étant pas bien épaisse et plutôt facile d'accès, l'intervention au bloc suffirait à dégager toute la zone infectée. Le couple avait soufflé, quelque peu soulagé par ces nouvelles.

Suite à ça, Jungkook et Taehyung avaient vu différents corps médicaux afin d'être conseillés, aiguillés, mais surtout pour que le malade puisse être soigné. Oncologue médical, pathologiste, gastroentérologue, chirurgien, anesthésiste, psychologue et même un diététicien. Une ribambelle multidisciplinaire qui leur avait fait tourner la tête. Mais Jungkook avait été si courageux. Il ne s'était pas plaint une seule fois. Pas même lorsqu'on lui avait annoncé qu'il devrait se faire retirer un bout de son estomac, pas même lorsqu'on lui avait appris qu'il devrait suivre un régime draconien post-opératoire le temps que celui-ci se régule.

Il se sentait chanceux.

Chanceux d'avoir un homme merveilleux sur lequel s'épauler, chanceux de n'avoir que vingt-sept ans, chanceux de n'avoir à subir ni chimio ni radiothérapie, chanceux de pouvoir guérir, mais surtout, chanceux d'être en vie.

Parce que Jeon Jungkook était comme ça, il préférait voir le bon plutôt que le mauvais et que sans doute, le bonheur et la santé de son entourage lui importaient bien plus que lui-même. Taehyung, ses amis, sa famille, il devait être fort pour eux. Il devait se battre pour ne pas laisser dans leur cœur une peine immense et irrémédiable.

C'était un combat entre lui et le cancer.

Et Jungkook n'avait pas dit son dernier mot.



« Mon cœur, tu ne manges pas ? »

Dans un silence inhabituel, Taehyung regardait celui qui partageait sa vie avec un brin d'inquiétude. Le noiraud, baguettes en main, n'avait pas avalé le moindre légume présent dans son assiette.

« Je n'ai pas très faim... s'excusa-t-il, penaud. »

L'écrivain soupira doucement, avant de finalement prendre une expression plus tendre. Il se leva de sa chaise pour faire le tour de la table et s'assit sur les genoux de Jungkook en glissant ses bras autour de sa nuque.

« Bébé, tu dois manger un peu. Je pensais que ton appétit était revenu...

– Il l'est ! Juste... Ce soir je me sens un peu barbouillé.

– Est-ce que tu veux que hyung te fasse l'avion ? »

La mine légèrement crispée du noiraud se détendit instantanément et un fou-rire le prit.

« Tu m'as pris pour un gosse ?

– Ne fais pas genre. Tu adorais que je te donne la becquée. C'était la seule manière de te faire manger. »

Le regard de Jungkook s'assombrit brièvement au souvenir de cette époque, tandis que le plus vieux se munissait déjà de ses couverts en bois. Taehyung aurait-il la force et la patience de tout recommencer ? Jungkook avait l'esprit plein d'insécurités.

« Allez, ouvre la bouche ! »

Voulant faire plaisir à son homme, il s'exécuta, écartant lentement les lèvres pour laisser entrer une bouchée de haricots et de riz. La saveur lui parut bien fade, mais il mâcha sans faire d'histoires, peu désireux d'alerter Taehyung avec un comportement négatif. Ils reproduisirent ce schéma quelques fois, le brun s'amusant à mimer l'arrivée d'un grand coucou sur un tarmac et Jungkook pouffant à ses bêtises, avant d'arriver à saturation de nourriture.

« Trop... Je vais exploser si tu continues à me gaver comme ça.

– Tu n'as même pas été jusqu'à la moitié. Ce n'est pas bon ?

– Ta cuisine est toujours excellente, Tae. Ne t'inquiète pas. »

Plissant les yeux dans le but de détecter un quelconque mensonge, Taehyung finit par abdiquer, ne voulant pas le forcer davantage. Profitant de leur proximité, il se laissa aller contre le torse de son amant et embrassa le cou qui se trouvait à la portée de sa bouche gourmande.

« Jungkook, tu me dirais si quelque chose n'allait pas, n'est-ce pas ? »

Le concerné se raidit en entendant la question.

« B-Bien sûr. Bien sûr que je te le dirais... »

Ses mains partirent trouver le dos de l'écrivain pour l'amener un peu plus contre lui.

Cela faisait deux semaines que Jungkook avait revu son oncologue.

Et il n'avait toujours rien dit à son petit-ami.



Les jours défilaient à une rapidité étourdissante. Taehyung travaillait beaucoup et faisait énormément d'aller-retours entre chez eux et la maison d'édition. De ce fait, ils ne se voyaient pas beaucoup avec Jungkook, juste le soir. Mais ce dernier ne s'en plaignait pas. Même si cela le contrariait un peu, il savait que ce livre était important pour son copain qui y avait mis beaucoup de temps. De plus, on pouvait dire que cette situation l'arrangeait plutôt bien. Il avait pu sur rendre sans soucis à l'hôpital pour faire le bilan clinique précédent sa première séance de chimiothérapie qui avait eu lieu la semaine suivante.

Si à l'époque de son premier cancer, il avait pu échapper à ces séances-là, cette fois-ci il n'y couperait pas. Jungkook n'avait pas peur des aiguilles. Il n'avait pas peur non plus de la douleur. Pourtant, il avait énormément appréhendé la chimio, ne sachant pas réellement ce qui l'attendrait malgré les explications de son médecin. Heureusement, il avait été accompagné, comme toujours, par son fidèle acolyte Jung Hoseok. Cela l'avait aidé à réduire le stress immense qu'il avait ressenti dès son lever du lit.

Contre toute attente, ça ne s'était pas si mal passé. On lui avait d'abord posé une petite chambre implantable, un porte cathéter au niveau du thorax qui servirait à faciliter les injections et ne pas fragiliser les veines de ses bras. Il était au courant de ce procédé, alors il n'avait pas été surpris lorsqu'on était venu le chercher pour passer au bloc ambulatoire. Il était ensuite revenu dans une salle spécifique, dans laquelle on lui avait fait sa première perfusion. Hoseok avait pu lui tenir compagnie pendant toute l'heure et l'avait fait beaucoup rire en lui lisant de manière pittoresque un roman sorti d'on ne sait où. Son ami s'était grandement amusé à emprunter toutes sortes de voix, allant de la plus grave à la plus aiguë.

Jungkook était grandement rassuré de pouvoir rentrer chez lui dès la fin de ses séances. Cela lui permettait de s'occuper de la maison et tout un tas d'autres choses avant que son copain ne rentre. Une couverture qui protégeait ainsi le secret qu'il n'était toujours pas prêt à révéler.

Il craignait cependant de ne pas être capable de le cacher encore longtemps. Lorsque Taehyung aura retrouvé un rythme plus régulier et sera bien plus présent à la maison, il ne pourra plus lui mentir et taire les raisons de ses sorties clandestines. Il devra alors aussi lui annoncer son passage à mi-temps à la galerie d'art dans laquelle il travaillait depuis maintenant quelques années, car avec leurs comptes bancaires communs, l'écrivain se rendrait vite compte que la moitié des revenus de son conjoint ne serait pas versée par son entreprise.

Tout cela était déjà bien compliqué. Mais il y avait un détail, surtout, auquel Jungkook n'avait pas pensé.

Un détail qui le trahirait encore plus vite.

Les effets secondaires.

« Jungkook tout va bien ? »

Taehyung ouvrit la porte de la salle de bain, alerté par un grand fracas. Devant le miroir, Jungkook observait son reflet, le visage baigné de larmes. À ses pieds traînait un peigne et le sèche-cheveux, certainement la nature du bruit qui avait résonné dans tout l'appartement.

« Bébé, qu'est-ce que tu as ? »

Le châtain, soudain anxieux, s'approcha de son amant qui conservait un mutisme exemplaire. Il posa une main sur son épaule, souhaitant obtenir une réaction de sa part, mais le regard figé de Jungkook ne déviait pas de sa propre image dans la glace.

Quand soudain, quelque chose attira l'attention de Taehyung.

Ce dernier baissa lentement les yeux.

Et son cœur s'arrêta de battre.

Jungkook tenait dans sa paume une imposante mèche de cheveux.



« Pourquoi ?! »

Dans l'appartement du couple, ça hurlait dans tous les sens.

« Pourquoi, Jungkook ?! »

Des cris, des pleurs, de la rage.

« T-Tae... Calme-toi...

– Depuis combien de temps, hm ? Depuis combien de temps me caches-tu ça ? »

Furibond, Taehyung parcourait le salon à grands pas, passant et repassant inlassablement aux mêmes endroits. Jungkook, en larmes sur le canapé, se sentait acculé devant l'excès de colère de son petit-ami. Une colère amplement justifiée.

« Je l'ai appris le... le mois dernier.

– Un mois ? Depuis un mois ?! explosa l'aîné. »

Ce dernier se frotta le visage de ses longues mains veineuses avant de se stopper à quelques centimètres de Jungkook, ses doigts perdus dans les mèches folles de ses cheveux châtains.

« Jungkook... Pourquoi ?

– J'avais... peur, murmura-t-il, honteux.

– Peur ? Mais j'suis ton mec, pas un inconnu !

– Justement ! Tu n'es pas un inconnu. Je ne veux pas te faire mal !

– Mais mal de quoi, putain ?! J'étais là quand tu es tombé malade il y a trois ans, non ? J'étais là pour toi, pour te soutenir. Alors oui, j'ai eu mal ! Nous avons eu mal ! Mais est-ce que je me suis effondré ? Est-ce que tu m'as vu m'effondrer ? »

Ravalant un sanglot, Jungkook secoua la tête de gauche à droite. Non, il ne s'était pas effondré. Taehyung était resté fort et courageux. Mais le noiraud savait à quel point il avait retenu sa peine, sa haine contre le monde et la vie. Il l'avait vu pleurer, tant de fois, dans les bras de son cousin Jimin, alors même qu'il pensait que Jungkook ne le verrait pas. Taehyung aurait pu le quitter, il aurait pu lui dire que c'était trop à supporter pour lui et qu'il ne voulait pas s'encombrer d'un petit-ami cancéreux. Mais il ne l'avait pas fait, il s'était battu à ses côtés, prenant soin de lui jour après jour, acceptant ses sautes d'humeurs sans rechigner, le berçant lors de ses insomnies, le nourrissant à la cuillère lorsqu'il n'arrivait plus à manger...

Taehyung avait été présent du début à la fin. Il avait été parfait.

« Mais cette fois-ci tout est différent... »

Jungkook avait laissé échapper cette triste vérité.

« Pourquoi ce serait différent ? Tu penses que je vais partir ? M'enfuir ? Tu ne me crois pas capable de gérer ?

– Tu ne vas pas partir... Je le ferai avant.

– De quoi tu parles ? Jungkook, qu'est-ce que tu ne m'as pas dit ? »


« J'ai rechuté, Taehyung. Le cancer est revenu. »


C'était la seule information qu'il lui avait communiquée.

« Jungkook.

– Je vais sûrement mourir...

– N'importe quoi.

– J'ai peut-être eu de la chance il y a trois ans, mais un miracle ne se produit jamais deux fois, continua le noiraud, ignorant la remarque de Taehyung. »

Un rire nerveux vibra dans la gorge de l'écrivain.

« Arrête tes bêtises, bébé !

– Taehyung... le professeur An a été très formel là-dessus. Nous ne sommes plus dans le même degré de gravité que la première fois. Le cancer que j'ai eu n'a pas été suffisamment bien pris en charge, j'aurais dû avoir des séances de chimio pour éviter les risques de récidive, mais je n'en ai pas eu, et la tumeur que j'avais à l'estomac a laissé des cellules dormantes qui n'ont pas été détectée lors de mes contrôles.

– Je m'en fous de ce qu'il peut raconter, ce sont des conneries.

– Ce ne sont pas des conneries ! Il a parlé de métastases. Et tu sais tout comme moi, pour avoir longuement écouté ses explications sur les différentes formes de cancer, ce que ça veut dire !

– Je m'en fous, je t'ai dit ! Ce cancer, peu importe ce qu'il est, peu importe son nom, tu vas le vaincre comme tu l'as déjà fait.

– Je suis impuissant face à ça, Taehyung ! s'époumona Jungkook. Pourquoi tu ne veux pas le comprendre ? »

Sa voix tonna dans toute la pièce, rebondissant sur les murs comme un ballon de basket et dont l'écho remplit les tympans des deux attristés. Les yeux de l'aîné s'embuèrent, ses poings se serrèrent et il se dirigea vers l'entrée tout en criant :

« Tu ne vas pas mourir, tu iras bien ! Tu m'entends ? Tu vivras, jusqu'à ce qu'on soit vieux et fripés ! »

Et la porte avala la silhouette de Taehyung, avant de se refermer dans un claquement sourd.



Lorsque l'orage avait frappé le couple pour la première fois, il avait fait bien plus de bruit que de réels dégâts. La nature de cette tempête avait été la jalousie de Taehyung qui, après avoir vu son petit-ami échanger de grands sourires à l'un de ses camarades de classe, l'avait fortement réprimandé. Selon lui, Jungkook n'était démonstratif qu'avec les autres. Il lui reprochait une certaine passivité au sein de leur ménage. Sans conteste, l'amour que lui portait le plus âgé était bien plus puissant que le sien.

Du point de vue du noiraud, les choses étaient cependant très différentes. Peut-être qu'effectivement il manquait de gestes tendres à son égard. Les initiatives, les marques d'affection, il n'avait jamais été très familier avec ça et il avait dû apprendre, avec le temps, à s'accoutumer à la vie à deux. Mais entendre dire que ses sentiments avaient moins de valeur que ceux de sa moitié, lui qui était persuadé de réussir à les lui montrer de bien d'autres façons, avaient eu le don de le faire sortir de ses gonds. Le ton était alors monté, et ils avaient vécu leur première querelle.

Celle-ci n'avait toutefois pas duré bien longtemps. En quelques phrases rugies seulement, ils avaient fini par se jeter l'un sur l'autre, emportés par une passion dévorante et nouvelle. Jungkook avait ce jour-là offert son corps à Taehyung ; Taehyung avait offert à Jungkook une myriade d'étoiles provenant de la vaste galaxie qu'était son cœur.

Au fond, leur relation, bien qu'admirée de tous et aussi fusionnelle soit-elle, était loin d'être parfaite. Comme chez tous les amants, le tonnerre grondait et faisait trembler la terre. Mais si leur histoire comportait des premiers chapitres assez mouvementés, leur lien restait d'une solidité inégalable et leur amour perdurait. À deux, ils étaient inébranlables.

C'était déjà le cas avant, et ça l'était encore aujourd'hui, malgré les intempéries du quotidien.

Malgré les discordes et la maladie.

Et cette fois-là n'avait pas fait exception à la règle.

Quand l'aîné s'était enfui de la maison, après avoir appris pour la rechute de son conjoint, il avait erré pendant une heure entière sans savoir quoi faire de lui-même. Il avait pensé, réfléchi, ressassé ; il avait eu peur, incroyablement peur de perdre l'amour de sa vie. Il haïssait plus que tout leurs engueulades, mais bien qu'il fût conscient d'en être à l'origine au moins les soixante-dix pourcents du temps, il n'arrivait pas à concevoir ses torts sur ce coup-là.

Jungkook n'aurait jamais dû lui mentir là-dessus, il n'aurait jamais dû lui cacher une information aussi capitale et gérer les choses seul. Il lui en voulait excessivement, mais comme toujours, il ne pouvait entretenir la moindre rancune envers lui sur le long terme. Alors, désœuvré, il n'avait eu d'autres choix que de rentrer auprès de celui qui lui manquait déjà tant.

Parce qu'ils étaient les protagonistes de leur idylle, l'un ne pouvait vivre ou aimer sans l'autre.

Taehyung n'était rien sans Jungkook et la réciproque était tout aussi vraie.

« Un jour, je serai vieux et moche. Tu penses que tu m'aimeras quand même ?

Je t'aimerai, que tu sois fripé, aigri, que tu sois obligé de porter des couches ou un dentier, je t'aimerai, parce que je le serai aussi. Parce que nous serons deux.

Promets-le. Promets que nous serons toujours ensemble.

Je te le promets, Jungkook. Nous vivrons vieux et amoureux.

Vieux et amoureux. »

De la première à la dernière page de leur histoire, jusqu'à ce que le temps ne les sépare. C'était ce qu'ils s'étaient toujours promis.



« Hyung ! Hyung ! Regarde, ils ont rouvert le Titan ! »

Excité comme une puce, Jungkook tirait le bras de son copain en sautillant vers le grand huit qui s'étendait devant eux. C'était le week-end et les deux amoureux avaient décidé d'aller se détendre à la fête foraine et d'y passer leur soirée, maintenant que l'emploi du temps de Taehyung le lui permettait.

Et qu'est-ce qu'ils avaient bien fait ! Depuis leur arrivée, Jungkook courait dans tous les sens, les yeux pétillants de fraîcheur et un sourire indélébile collé sur sa bouille d'ange. L'écrivain se damnerait pour voir ce bonheur durer, celui qui rendait le visage de son dongsaeng étourdissant de beauté. Les guirlandes de lumières qui éclairaient les stands pouvaient bien mourir de jalousie, Jeon Jungkook était infiniment plus rayonnant que le soleil lui-même.

C'était donc de bon cœur que Taehyung le laissait prendre les rênes et le suivait partout où il allait, partageant naturellement son euphorie. Mais lorsque le jeune homme lui demanda de faire un tour dans ce train mécanique, toute l'allégresse qu'il ressentait s'envola.

« Mon cœur, ce n'est pas raisonnable...

– Oh allez... Tae ! S'il te plaît ! Tu as dit qu'il fallait profiter. Et puis, qui sait quand nous reviendrons ? Tu m'as déjà refusé une barbe à papa tout à l'heure, chouina le noiraud. »

Jungkook avait raison, il l'avait déjà restreint dans son plaisir. Mais c'était pour son bien ! Taehyung était comme ça, toujours très sérieux. C'était lui qui surveillait son compagnon, qui lui imposait des limites qu'il s'obstinait parfois à vouloir franchir. Lorsqu'il était tombé malade la première fois, il avait pourtant suivi à la lettre les indications du médecin, mais dès le moment où son état s'était amélioré, il avait commencé à se reposer sur ses lauriers. Alors l'aîné avait pris l'habitude de l'encadrer.

Seulement, ce soir, il regrettait un peu de l'avoir privé de cette sucrerie. Ce n'était pourtant pas grand-chose, un tout petit écart qu'il aurait pu laisser passer. Mais il redoutait toujours tellement de faire des erreurs qu'il avait choisi de rester ferme, au risque de voir son amoureux mécontent.

Jungkook n'avait étonnamment rien dit. Ce dernier lui avait tout juste offert une moue déçue, puis la joie de se retrouver dans un tel endroit l'avait vite détourné de sa frustration. Mais cette fois-ci, il n'allait pas lâcher l'affaire.

« Hyuuuung, s'il te plaît... Juste un tour ! insistait-il, les doigts crochetés aux siens. Imagine que c'est la dernière fois que je viens ici, tu t'en voudras éternellement de ne pas m'avoir laissé monter dedans. »

Le cœur du châtain se serra vivement et la culpabilité s'empara de lui. Mais plus encore : l'agacement pointait son nez lui aussi. Il détestait lorsque Jungkook jouait avec ses sentiments pour arriver à ses fins. Ce petit pourri gâté savait se montrer très persuasif quand il le souhaitait, et cela avait le don d'exaspérer Taehyung. De le blesser, surtout.

« Arrête de parler comme ça, prononça-t-il sèchement. Tu as encore toute une vie pour y retourner.

– Tu sais bien que non... marmonna le noiraud.

– Jungkook, ça suffit ! Je ne veux plus t'entendre dire des stupidités pareilles ! »

Devant l'autorité du plus vieux, Jungkook bomba fièrement le torse et soutint son regard, peu désireux de s'aplatir face à lui. Les deux hommes se défièrent ainsi quelques instants, se livrant un combat de coq en mesurant silencieusement leurs fiertés respectives... jusqu'à ce que le vaincu ne baisse la tête en frissonnant, à la fois penaud et attristé.

« Pardon hyung... Je ne le referai plus. »

Les traits de Taehyung se défroissèrent instantanément et un léger soupir lui échappa. Il caressa alors les cheveux noirs de son petit-ami et lui embrassa le front avant de capituler et de lui murmurer tendrement :

« Juste un tour, et après on ne fait que des attractions calmes, d'accord ?

– Promis ! s'exclama Jungkook en criant victoire. »

Avec un sourire jusqu'aux oreilles, ce dernier reprit directement ses petits sauts de cabri jusqu'à la cabine du forain pour prendre leurs places.

En retrait, Taehyung l'observait faire, l'estomac douloureusement noué.



« Tu vois ce qui se passe quand tu ne m'écoutes pas ? Regarde dans quel état tu es ! »

La tête au-dessus de la cuvette des toilettes publiques, Jungkook régurgitait les quelques légumes qu'il avait avalé au déjeuner, pendant que Taehyung le grondait. Ce dernier ne pouvait contenir ses remontrances. Il l'avait pourtant prévenu ! Mais Jungkook... Jungkook n'en faisait qu'à sa tête. Toujours. Et il en payait à nouveau le prix.

En sortant de la montagne russe, le plus jeune s'était soudainement accroupi au sol, les bras enroulés autour de son ventre qui le faisait souffrir. Taehyung s'était précipité vers lui et, comprenant sans mal ce qu'il se passait, l'avait conduit jusqu'aux sanitaires les plus proches.

Depuis qu'il avait commencé la chimiothérapie, Jungkook voyait son corps s'affaiblir de séance en séance, et il constatait, au fur et à mesure, les merveilleux effets secondaires de ce traitement. La chute de cheveux, la fièvre, les douleurs abdominales, les nausées... et sans doute tout un tas d'autres qu'il ne tarderait pas à découvrir. Si pour l'instant il n'avait perdu que quelques mèches à des endroits peu visibles, les soucis digestifs se faisaient plus fréquents.

« P-pardon, Tae... de toujours te fâcher et d'être un poids...

– Bébé, je ne suis pas fâché, je suis inquiet, nuança-t-il d'une voix plus douce. Si je t'empêche de faire des choses, ce n'est pas par plaisir, j'essaie juste de te préserver.

– Je sais... Je sais bien, soupira le concerné. »

L'écrivain regarda avec peine son petit-ami qui crachait une dernière fois avec dégoût et se releva doucement. Il attrapa une feuille de papier et la lui tendit pour qu'il s'essuie le contour des lèvres, avant de l'aider à se remettre sur ses pieds. Ils sortirent ensemble de la cabine et Jungkook se dirigea vers les lavabos pour se rincer les mains et la bouche. Le tout, sans jamais croiser le reflet qui s'animait à l'identique dans le miroir en face de lui.

Jungkook ne se regardait plus depuis la fois où il s'était retrouvé avec un trou dans son cuir chevelu. Et même avec le bonnet qu'il portait actuellement, il ne désirait pas se voir. Voir quoi de toute manière ? Son visage plus pâle ? Plus maigre ? Avait-il maigri en si peu de temps, ou n'était-ce qu'une impression ?

« Kook, rentrons, tu es fatigué. »

Le jeune homme fit volte-face, prêt à rechigner, mais les traits las de son hyung l'en dissuadèrent. Taehyung aussi était fatigué, ils l'étaient tous les deux, Jungkook en était conscient. Peut-être que rentrer à la maison n'était pas une mauvaise idée, après tout. Il hocha alors la tête en silence, et ce fut main dans la main qu'ils quittèrent la fête foraine pour retrouver leur petit chez eux.

Le chemin du retour se fit sans un mot. Taehyung se concentrait sur la route, les mains serrées autour du volant, tandis que Jungkook somnolait, la tête appuyée contre la vitre derrière laquelle défilait à toute vitesse le paysage nocturne.

Leur soirée avait été très agréable, avant que tout ça n'arrive. Le noiraud s'en voulait de l'avoir écourtée et ainsi tout gâché. Lui qui avait tant attendu d'enfin pouvoir passer un peu de temps en compagnie de celui qui partageait sa vie...

Enveloppé dans une petite bulle de songes, il se jura de sauver les meubles avec un bon dîner.

Le trajet ne dura qu'une trentaine de minutes mais cette petite sieste lui avait fait le plus grand bien. Alors, après une bonne douche pour se remettre complètement d'aplomb, Jungkook se mit aux fourneaux, insistant auprès de son conjoint pour que celui-ci se tienne tranquille et le laisse faire. Ce que Taehyung finit par accepter, non sans grogner. Ce dernier prit place sur une des chaises de la cuisine afin de garder un œil sur lui, et s'autorisa simplement à contempler le corps de son amant s'agiter dans tous les sens.

Jungkook était toujours aussi beau. Il n'avait pas tant changé que ça. Sa silhouette s'était légèrement affinée, mais la musculature de ses bras était encore visible. Et bien que la fatigue se lisait sur ses traits et que sa carnation avait perdu un ou deux tons, son sourire restait le même et ses yeux de biche obnubilaient toujours autant Taehyung.

Taehyung était fou. Fou de son Jungkook.

Au point où il lui arrivait fréquemment de se demander s'il en faisait assez, s'il parvenait à lui montrer toute l'ampleur de l'amour qu'il lui portait, tant celui-ci était grand, immensurable.

Cette question, il se la posa pendant tout le repas, et il se promit de trouver un moyen de lui prouver combien son cœur était épris de lui.



« Dis, Tae... Tu penses que tu m'aimeras toujours quand je serai chauve, blanc comme un évier et maigre comme clou ? »

Jungkook aussi se posait beaucoup de questions. Quotidiennement. Et celle-ci ne le lâchait jamais.

À côté de lui, Taehyung contemplait son corps dénudé et sa peau brillant d'une fine pellicule de sueur, que leur drap recouvrait à peine.

Jungkook allait bien mieux. Soit, il n'était pas au maximum de sa forme, mais il allait mieux. Suffisamment, en tout cas, pour avoir eu envie de son amant qui n'avait arrêté de le dévorer d'un regard énamouré pendant tout le dîner. Cela faisait trop longtemps qu'ils n'avaient pas partagé ce genre de moments charnels et, bien qu'extenué, le noiraud n'avait pu résister au besoin de s'unir à sa moitié.

Profiter de tout, tant qu'il le pouvait encore. C'était devenu son leitmotiv.

Mais voilà, en dépit de ses bonnes résolutions, Jungkook avait l'esprit perturbé. Ses peurs agitaient l'océan autrefois calme de son existence, et à chaque grande marée, l'impression de pouvoir sombrer dans ces flots glaciales et houleux s'accrochait à lui et le terrifiait.

« Qu'est-ce que... tu racontes encore comme bêtise ? »

Lorsqu'il l'avait interrogé, le regard de l'écrivain s'était agrandi et son visage, précédemment quiet, s'était décomposé. Sa voix, elle, s'était mise à trembler légèrement. Une oscillation quasiment imperceptible mais qui recelait une crainte sans limite ; un doute, peut-être.

« Je... Je ne sais pas, souffla honteusement le noiraud. J'ai peur que tu finisses par me trouver moche. J'ai peur de te dégoûter... »

Ces aveux engendrèrent un long silence. Un silence aussi impitoyable que désespéré. Leurs pupilles ne se lâchaient pas, mais ni l'un ni l'autre n'aurait su dire ce qui passait par la tête de son homologue.

Le temps s'étira encore et encore, à l'instar de la boule qui prenait place au fond de leurs gorges et qui ne cessait de s'accroître.

« Laisse tomber... J'ai compris, murmura Jungkook en se tournant sur le flanc. »

À la vision de son dos, Taehyung réagit enfin. Il s'avança jusqu'à lui pour plaquer son corps au sien et enroula son bras autour des hanches de son dongsaeng. Sa joue se posa tout contre la sienne, délicatement, et ce fut près de son oreille qu'il lui réitéra sa promesse :

« Je t'aimerai. Que tu sois vieux et fripé, avec ou sans cheveux. Je t'aimerai jusqu'à notre dernière page. »



« Et celle-ci ?... Et elle ?... Oh, bébé, regarde ! Je suis sûr que tu serais magnifique avec celle-là ! »

Alors que Jungkook cherchait une perruque adaptée à son visage, avec l'aide précieuse de Mme Hanae, la responsable de la petite boutique, Taehyung ne pouvait s'empêcher de faire le pitre en essayant toutes sortes de fausses chevelures. Enfin, "fausses", pas vraiment. Chacune était faite de véritables cheveux qui s'entretenaient de la même manière que ceux que l'on avait sur le crâne.

Jungkook savait pertinemment pourquoi son petit-ami agissait de manière aussi puérile. Il voulait le faire rire et lui changer les idées, car il savait le noiraud particulièrement angoissé à l'idée de devenir chauve. Ce dernier, n'ayant pas anticipé sa chute capillaire, avait tardé à se pencher sur cette alternative. Jusqu'ici, il n'était sorti qu'avec des bonnets pour masquer les énormes vides qui parsemaient désormais sa tête. Tout allait vite, très vite. Cela ne faisait que quatre séances depuis la première mèche tombée, et le jeune homme était persuadé que dès la prochaine, il n'aurait plus l'ombre d'un poil sur le caillou.

« Oh, Kookie, j'ai trouvé la coupe qu'il te faut. Tu serais incroyablement sexy avec, qu'en dis-tu ? »

À l'autre bout de l'échoppe, Taehyung se pavanait avec de longs tifs légèrement ondulés et d'un blond vénitien d'une brillance remarquable. Sans le moindre doute : une perruque pour femme.

Jungkook ne put se retenir de pouffer, tandis qu'Hanae prenait les mesures de son tour de crâne. Elle aussi souriait aux bêtises de l'écrivain, même si, en temps normal, elle n'aimait pas que l'on s'amuse avec ses produits. Le couple dont elle s'occupait aujourd'hui était si touchant qu'elle ne voulait pas réduire à néant tous leurs efforts pour rendre cette virée shopping, hors du commun, un peu moins morose.

Une bonne heure passa, dans ce semblant de joie que chaque individu présent s'évertuait d'amener, et lorsque les amants sortirent du magasin, Jungkook ne portait plus son vieux bonnet en laine effilé mais arborait fièrement une jolie touffe ébène, dont la coupe ressemblait très fortement à la sienne. Il n'avait pas souhaité s'éloigner de celui qu'il avait toujours été et avait donc refusé toute perruque aux formes atypiques ou aux couleurs trop farfelues.

Main dans la main, ils rentrèrent chez eux, après avoir envoyé une petite série de photos à Hoseok pour lui montrer à quel point le noiraud resplendissait sous ses nouveaux cheveux.

Jungkook était plutôt heureux. Il avait, selon lui, retrouvé un visage humain, et plus encore : Taehyung était avec lui pour le soutenir.

Comme il l'avait toujours été, et comme il le serait toujours.

Car c'était ce qu'il lui avait promis, n'est-ce pas ?



« Je suis désolé, mon cœur, mais je ne pourrai pas être là demain. Est-ce qu'Hobi peut t'accompagner ? »

Jungkook sortit la tête de sa couette et la descendit sous son menton pour regarder son petit-ami d'un air surpris.

« Oui, il peut... Tu sais bien qu'il vient toujours. Tu as un imprévu ? »

Plusieurs mois s'étaient écoulés, et l'état du noiraud continuait de décliner, au point où il passait désormais la plupart de ses journées au lit. La chimiothérapie le fatiguait tellement que, n'ayant plus la force de rien, il n'avait eu d'autre choix que de se mettre en arrêt maladie complet. La galerie d'art dans laquelle il travaillait lui manquait cruellement, mais son corps n'arrivait plus à suivre le rythme, même à temps partiel.

Malgré tout ça, le jeune homme parvenait à garder son moral à peu près stable. Hoseok passait beaucoup de temps avec lui, et Jimin, le cousin de Taehyung, lui rendait visite à la maison aussi souvent que possible.

Et puis, maintenant qu'il avait enfin terminé son livre et que son éditeur lui avait offert de longues vacances bien méritées, Taehyung avait pris l'habitude d'accompagner son dongsaeng et le meilleur ami de ce dernier à l'hôpital, lors de ses séances hebdomadaires. Jungkook en était intimement ravi, même s'il ne l'avouerait jamais.

« J'ai... je dois travailler toute la journée. Je vais être assez occupé pendant les prochaines semaines à venir, s'excusa l'écrivain.

– Travailler ? Mais je croyais que tu étais libre jusqu'à la fin de l'année.

– Oui, je suis libre... Enfin, pas vraiment. Je dois tout de même rester disponible si jamais il y a un souci avec mon livre.

– Il y a un souci, du coup ? »

Taehyung soupira doucement avant de venir prendre place au bord du lit. Ses prunelles se posèrent sur les joues pâles et amaigries de son amant, alors que sa main caressait sa tempe, débordant de temps à autre sur sa perruque. Jungkook ne l'enlevait jamais en sa présence.

« Il n'y a aucun problème, c'est juste que... »

Il chercha ses mots pendant quelques secondes et Jungkook remarqua qu'il ne l'avait pas une seule fois regardé directement dans les yeux.

« M. Shin exige un deuxième tome. Il est persuadé que le premier marchera du tonnerre, alors il souhaite anticiper.

– Oh mais... c'est génial ! s'exclama Jungkook d'un enthousiasme feint. Je suis heureux pour toi, hyung. »

L'aîné esquissa un mince sourire puis se pencha vers lui pour déposer un baiser sur ses lèvres sèches.

« Je serai là la prochaine fois, je ferai en sorte de me libérer, promit-il à voix basse. »

Jungkook hocha sagement la tête. En silence. Au fond, ce n'était pas si grave si, cette fois-ci, il ne pouvait venir avec lui. Pourtant, il n'arrivait pas à effacer cette mine déçue qui lui repeignait le visage, ni cette douloureuse sensation logée au creux de son ventre. Car demain n'était pas un jour comme les autres...

Il y a deux semaines de ça, l'oncologue qui le suivait l'avait fait venir à son cabinet pour lui annoncer une nouvelle peu réjouissante. Malgré les soins palliatifs, le cancer continuait sa course et les métastases n'avaient de cesse de s'étendre. Jungkook s'y était attendu. Après tout, on le lui avait dit : il ne guérirait pas. Il avait toutefois espéré pouvoir échapper à la radiothérapie, mais le professeur An avait été intransigeant. La chimio à elle seule ne suffisait plus.

Pendant ces quinze jours d'attente, Jungkook s'était raccroché à l'idée que Taehyung serait là. Cela l'avait beaucoup rassuré, surtout la nuit lorsqu'il y repensait. Mais maintenant...

Il avait peur d'y aller. Car cela représentait pour lui un pas de plus vers la mort.

Chassant le brouillard noir qui s'emparait de son esprit, il se força à faire bonne figure devant son hyung afin de ne pas le faire culpabiliser.

« Ne t'en fais pas, ça ira. Hobi sera là, je ne serai pas seul, alors concentre-toi sur ton travail. Je sais à quel point c'est important pour toi.

– Tu es beaucoup plus important, Jungkook. J'espère que tu le sais, souffla Taehyung.

– Oui, Tae... Bien sûr que je le sais. »

Alors pourquoi ne pouvait-il pas se libérer quelques heures pour lui ?

« Bon, je vais me mettre dans mon bureau pour commencer à écrire. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu m'appelles avec ton téléphone, d'accord ? »

Devant la bienveillance dont il faisait preuve, Jungkook remua une nouvelle fois la tête, montrant qu'il avait compris. Taehyung l'embrassa encore, un peu plus longtemps cette fois, avant de mêler son regard au sien et de lui murmurer :

« Je t'aime comme un fou. »

Un dernier baiser, et il quitta la chambre sans plus attendre.

Pendant de longues minutes, Jungkook observa la porte, sans esquisser le moindre geste. La déception le rongeait toujours un peu plus. Quitte à ce que Taehyung ne soit pas là demain, il aurait au moins aimé qu'il passe l'après-midi avec lui.

« Raah, arrête de faire des caprices, il viendra la prochaine fois ! se reprit-il en enfonçant son visage dans l'oreiller. »

Il viendra la prochaine fois.

Ce fut ce qu'il se répéta, encore et encore, pour faire taire la petite voix qui lui soufflait que ce ne serait que le début d'une longue série d'absences.



« Je crois que j'habite avec un fantôme... rechigna Jungkook auprès de son ami.

– Tu le vois toujours aussi peu ? Mais qu'est-ce qu'il fout toute la journée ? »

"Aussi peu" était un euphémisme. Si Taehyung l'avait bien prévenu quant à ses contraintes professionnelles pour les semaines à venir, Jungkook ne s'était pas attendu à ce que celles-ci s'accumulent autant. Et il n'allait pas sans dire que, malgré sa garantie de faire acte de présence, il lui avait fait faux bond à chacun de ses rendez-vous hospitaliers.

« Il reste enfermé dans son bureau et il écrit, écrit encore. Il ne fait que ça. C'est à peine s'il s'arrête pour manger. »

Hoseok soupira discrètement. Un bras autour de la hanche du noiraud, il le soutenait du mieux possible, tandis que les deux rejoignaient lentement la cafétéria de l'hôpital.

« Il pourrait au moins me laisser entrer, reprit-il, agacé. Mais même ça il me l'a formellement interdit. Si seulement je pouvais le contempler pendant qu'il travaille... Rien que voir son dos me redonnerait des f- »

Jungkook s'interrompit dans sa phrase pour pousser une plainte de douleur lorsqu'il s'appuya sur une des tables pour s'asseoir.

« Tu as vraiment mal, n'est-ce pas... ?

– C'est à cause de cette foutue radiothérapie, cracha le plus jeune. Ça m'a complètement brûlé la peau au niveau de ma cicatrice à l'estomac. »

Sans faire le moindre commentaire, Hoseok l'aida à s'installer. Son visage retranscrivait toute l'inquiétude qu'il ressentait à l'égard de son ami. Jungkook n'était pas du genre à se plaindre. Jamais. Il gardait constamment tout pour lui, offrant des sourires surfaits à qui voudrait croire qu'il allait bien. Mais aujourd'hui, il semblait de très mauvaise humeur. Il venait de passer sous les rayons pour la troisième fois cette semaine, et la douleur ne cessait d'empirer. Hoseok désespérait de le voir ainsi.

« Je vais te chercher une bouteille d'eau fraîche Jeonie-jeon. Il faut que tu t'hydrates après la radio.

– Tu peux me prendre un muffin au chocolat en même temps ?

– Kook...

– Roh ça va, je l'ai mérité ! C'est pas une fois dans le cercueil que je pourrais me faire plaisir comme ça. »

Les traits du brun se durcirent instantanément et, sans pouvoir se contraindre, il frappa la table du plat de la main.

« Tu fais chier, Jungkook ! rugit-il avant de se mettre en route vers les distributeurs.

– N'oublie pas mon muffin ! héla le réprimandé en haussant les épaules. »

Jungkook le regarda partir d'un pas furibond. Puis un long soupir lui échappa.

« Qu'est-ce qu'ils ont tous à pas vouloir voir la vérité en face ? Tss... bande de fragiles, maugréa-t-il. »

Oui, il était vraiment d'une humeur de chien.

Et Kim Taehyung n'y était sans doute pas pour rien.



« Hyung, Jimin nous propose d'aller boire un verre après son travail. Ça te dit ? »

Ce jour-ci, Jungkook avait enfin réussi à croiser son petit-ami. Difficile de croire qu'ils partageaient le même appartement lorsque l'on pouvait compter le nombre de leurs rencontres sur les doigts de deux mains à peine. Peut-être que si Jungkook faisait quelques efforts, il pourrait y ajouter un ou deux orteils.

Le jeune homme était persuadé que cela était de sa faute si l'écrivain s'enfermait autant dans son bureau. Il lui en demandait beaucoup trop, il était bien trop dépendant. Il ne pouvait pas se retenir de lui envoyer des messages à longueur de temps, lui proposant de dîner avec lui ou bien de regarder un film, ou tout simplement pour lui dire combien il lui manquait.

Au départ, Taehyung répondait toujours à ses messages. Des petits cœurs ou des mots d'amour, parfois même il sortait de sa pièce de travail pour venir lui voler un baiser. Mais le temps passait, passait, et un fossé se creusait entre eux.

Taehyung devenait irascible, distant, angoissé. Il avait fini par répondre de moins en moins à ses textos, ou alors, lorsqu'il le faisait, ce n'était que pour le repousser.

Et le repousser, c'est ce qu'il fit à nouveau.

« Je ne vais pas pouvoir, bébé. Je dois terminer un chapitre très important et j'ai encore des recherches à faire.

– Tu ne pourrais pas te libérer, rien qu'une petite heure ? S'il te plaît... supplia le noiraud, plein d'espoir.

– Une heure c'est déjà trop. Je ne peux pas perdre la moindre minute. Je suis juste sorti pour aller aux toilettes mais je dois y retourner. »

Les larmes au bord des yeux, Jungkook s'élança vers lui et s'agrippa à son bras pour le retenir.

« Mais hyu-

– Jungkook, s'il te plaît, ordonna sèchement l'écrivain. Ne rends pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà. »

Sur ces mots, il se dégagea de sa prise et disparut derrière la porte de son bureau. Un bruit de clé résonna dans le couloir, en même temps que dans le cœur du noiraud.

Jungkook ne reconnaissait plus Taehyung. Il ne reconnaissait plus l'homme qu'il avait aimé dès le premier jour, celui qui avait tant pris soin de lui et qui avait toujours fait de son bien-être une priorité.

Même lors de son premier roman, le châtain ne bossait pas autant. Il avait toujours su séparer son emploi du temps en deux, afin de ne jamais mettre Jungkook de côté. Alors pourquoi, cette fois-ci, ne pouvait-il pas le faire ? Pourquoi être aussi froid et si peu affectueux ? S'il était, pour lui, aussi important qu'il le disait, pourquoi faisait-il passer son travail avant ?

C'était vrai, Jungkook avait du mal à comprendre. Mais parce qu'il savait, malgré tout, que son métier représentait beaucoup pour son amant, il ne disait rien, ne voulant pas lui nuire avec ses enfantillages.

Taehyung était déjà si fatigué. Il ne dormait qu'à peine et arborait d'énormes cernes mauves sous les yeux. Jungkook avait bien saisi qu'il lui était arrivé plus d'une fois de s'endormir devant son écran. Il l'avait compris à force de voir sa place vide dans le lit du matin au soir, et même jusqu'au lendemain.

Depuis trois mois, Jungkook avait appris à faire sans lui, il avait surtout appris à se faire petit. Afin de ne pas l'inquiéter et de ne pas être un poids supplémentaire, il avait pris l'habitude de cacher ses maux. Il enfilait les couches de vêtements pour paraître moins maigre et mettait du fond de teint la journée pour se donner meilleure mine, au cas où il l'intercepterait. Il jetait directement les emballages de ses patches pour les brûlures dans la poubelle de l'immeuble. Il ouvrait le robinet de la salle de bain à fond pour couvrir les bruits dès qu'il s'y rendait pour vomir, et il trichait sur la quantité de nourriture qu'il avalait, jetant dans les toilettes le surplus qu'il ne pouvait manger, car Taehyung serait tout à fait capable de vérifier si l'entièreté de ses repas était bien consommée.

La situation devenait ingérable pour Jungkook. Son copain lui manquait, et le besoin de sa présence, de sa chaleur et de sa bienveillance devenait insoutenable.

Son entourage pouvait bien dire de lui qu'il était un guerrier, un combattant. Un homme fort. Mais il ne l'était en rien. Il ne l'était plus, tout du moins.


« Je n'ai pas le temps pour ça, Jungkook. »

« Je travaille, on se parle plus tard. »

« Je sais que c'est difficile pour toi de comprendre, mais je dois rendre mon projet avant la deadline. Je te demande juste un peu de patience. »


Parce qu'à chaque rejet, son courage s'amenuisait.

Et qu'une deadline, Jungkook aussi en avait une.



« Tiens, enfile ça. Et mets-toi une écharpe, sale gosse ! Si tu continues à pas te couvrir, c'est d'une pneumonie que tu vas crever, grogna Jimin. »

Faisant tomber un gilet en laine sur les épaules de son hôte, il se chargea de l'emmitoufler dans une grosse écharpe qu'il avait déniché dans sa chambre. En voyant Jungkook grelotter, il n'avait pu se retenir de le sermonner et de s'occuper de lui comme il l'aurait fait avec un enfant. Jungkook n'était plus un enfant depuis longtemps. Actuellement, il ressemblait surtout à un esquimau qui se serait perdu en plein désert. Il ne faisait pas froid chez lui, même pas du tout. Jimin supportait sans mal son simple t-shirt. Mais Jungkook avait de la fièvre, et celle-ci faisait frissonner la moindre parcelle de son corps.

« C'est peut-être moins douloureux que de mourir d'un cancer, songea ce dernier. »

Jimin haussa les épaules.

« Aucune idée, j'suis mort ni de l'un ni de l'autre. »

Le franc parler de son invité décrocha un petit rire au noiraud. Jimin était sans doute le seul à ne prendre aucune pincette avec lui et à accepter son triste sort. Mais Jungkook était loin de s'offusquer de son honnêteté. Au contraire, celle-ci lui remontait presque le moral.

C'était peut-être bête à dire, mais parfois, il n'en pouvait plus de l'apitoiement de son entourage. La mort avait tendance à faire peur, alors on l'ignorait, on la minimisait, on la balayait d'un revers de manche comme on fout de la poussière sous un tapis. Que ce soit Taehyung ou même Hoseok, sans parler de ses parents, tous préféraient faire comme s'il s'en sortirait. Alors pour ne pas les blesser davantage, Jungkook se taisait.

Avec Jimin, il n'avait pas à se brider. Aucune censure, il pouvait afficher, comme un trophée, l'épée de Damoclès qui pendait au-dessus de sa tête.

« Bon, c'est pas tout mais moi j'ai faim, annonça bruyamment le blond qui disposait déjà des barquettes de nourriture sur la table à manger. J'ai pris plein de bonnes choses au marché d'à côté et j'ai même pensé à te prendre un beignet au sucre. »

Jungkook n'avait pas spécialement faim, son estomac lui faisait mal et il se sentait comprimé au niveau thorax. Mais il ne voulait pas décevoir son ami qui avait eu cette gentille attention, alors il dissimula sa gêne par un sourire forcé, bien que l'image même du beignet luisant de gras lui mettait le cœur au bord des lèvres.

Devant son manque d'entrain, Jimin leva ses yeux de fouine vers lui et fit claquer sa langue contre son palais.

« Tu vas manger, Kook, ou je t'insère toute cette bouffe par le cul. Ouais, bon, tu m'diras c'est pas mon job de te foutre des trucs à cet endroit-là mais...

– Tss, on se demande bien à qui appartient ce job dans ce cas, renâcla le plus jeune.

– Quoi... Tu vas me dire que, même ça, il ne le fait plus ?

– Il ne m'a pas touché depuis... trois mois ? Quatre ? J'ai arrêté de compter... »

La mâchoire tombante, Jimin le regardait d'un air scandalisé. Mais alors qu'il s'apprêtait à faire entendre sa voix, un bruit de porte retentit dans l'appartement et le sujet de leur conversation traversa la cuisine comme un fantôme.

« Ah bah c'est maintenant que tu sors, toi ? reprocha le blond à son cousin.

– Je ne fais que passer, j'ai encore du travail. »

Un bruit de chaise qui racle le sol, et Jimin se leva brusquement de table. L'air courroucé, il rejoignit le châtain près de l'évier, là où ce dernier se servait à boire.

« Travail, travail, t'as que ce mot en bouche ! s'emporta-t-il. Qu'est-ce que ton putain de livre a de plus que ton propre mec ?

– Qu'est-ce que Jungkook a à voir là-dedans ? répondit l'autre d'un ton absent. »

À l'entente de son prénom, le concerné sursauta. Les bras enroulés autour de son maigre corps, il tenta de se faire le plus discret possible.

« Je te rappelle juste qu'il est malade à en crever et que ça fait des mois que tu le délaisse pour ton connard d'éditeur ! Ça fait combien de temps que tu t'es pas soucié de son état ?!

– Jimin... je vais bien, temporisa timidement le noiraud. »

Taehyung se retourna vivement vers son petit-ami, comme si sa petite voix venait de le réveiller d'un long coma, ou comme s'il venait seulement de se rendre compte de sa présence.

Ses yeux sombres parcoururent son visage blême, et une profonde inquiétude brouilla soudain son regard.

« Mon Dieu... »

Il se précipita vers lui pour appliquer sa paume sur son front brûlant et laissa échapper un juron.

« Tu es brûlant, tu as encore attrapé froid ? Combien de fois t'ai-je dit de faire attention à ta santé ?

– Il a juste un cancer en phase terminale mais tranquille, cracha Jimin depuis la cuisine.

– Tu devrais aller te reposer, bébé. Tu sais que tu es fragile, l'ignora Taehyung.

– Bah oui, une bonne sieste, un doliprane, et tout ira mieux, reprit le blond avec cynisme.

– Hyung, je vais bien, murmura doucement Jungkook. »

Les paupières closes, le noiraud ne se souciait aucunement de ce que les deux hommes pouvaient dire. Tout ce qui l'importait était la main réconfortante de son amant qui caressait sa peau sensible. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas eu ce genre d'attention, Jungkook était aux anges. Il en souriait même inconsciemment.

Mais le bonheur fut de courte durée.

« Mon cœur, je dois y retourner. Mais je te promets que bientôt, j'aurais tout fini. Je te demande juste d'attendre encore un peu, d'accord ? »

Taehyung embrassa sa tempe tendrement, et sans attendre sa réponse, il reprit le chemin menant à son bureau, emportant avec lui la chaleur de son baiser.

Alors ça y est, il allait encore disparaître ? Était-ce ainsi qu'ils passeraient ses derniers jours sur terre ?

Jungkook refoula un sanglot et se jeta à sa poursuite, le rattrapant de justesse avant qu'il n'entre dans la pièce, tandis que Jimin insultait son cousin de tous les noms dans sa barbe.

« Hyung, attends ! »

Taehyung interrompit subitement son geste. La main accrochée à la poignée, il pivota lentement vers lui, une expression surprise sur le visage.

« Tu me manques... renifla le noiraud. J'en peux plus... Je ne peux plus... Reste avec moi ! »

Le regard terne, Taehyung ne bronchait pas. Pourtant, Jungkook voyait sa pomme d'Adam remonter à plusieurs reprises, et son poing se serrer sur la barre métallique.

« Tu ne m'aimes plus c'est ça... ?

– Quoi ? Bien sûr que je t'aime, se réveilla l'écrivain.

– Alors pourquoi tu es comme ça ? Pourquoi es-tu si différent ?

– Je n'ai pas changé, Jungkook. Je suis juste très occupé.

– Ne mens pas ! hurla-t-il, à bout de nerfs. Tu me fuis depuis des mois ! Je veux savoir pourquoi. »

Sans réfléchir, Jungkook tenta de forcer le passage pour pénétrer dans le bureau, mais Taehyung fut plus rapide que lui et se posta devant la porte, les bras écartés formant un barrage.

« N'entre pas ! rugit-il, presque effrayé. »

Jungkook eut un mouvement de recul, choqué par l'agressivité dont il venait de faire preuve.

« Tu vois... ? Tu n'es plus le même. Avant tu me laissais être avec toi pendant que tu écrivais... »

Les larmes dévalaient ses pommettes osseuses, il les essuya rageusement d'un coup d'écharpe. Jungkook était véritablement au bord du gouffre. Il avait tant essayé d'être le petit-ami parfait, celui qui savait respecter l'intimité de sa moitié, celui qui était en bonne santé, quelqu'un de fort qui pouvait s'en sortir seul. Quelqu'un qui ne serait pas un boulet que l'on se traîne. Mais il arrivait vraiment à saturation. Il ne comprenait plus rien, l'échéance se rapprochait toujours un peu plus, et ça le rendait fou de chagrin.

« Tu as changé depuis... »

Plongé dans ses pensées, Jungkook se laissa divaguer un instant, ressassant l'année qui venait de s'écouler. Quand une soudaine prise de conscience lui retourna l'estomac.

« Depuis que le professeur An m'a prescrit la radiothérapie... »

Les yeux de l'écrivain s'arrondirent et la peur figea ses traits. Il ouvrit plusieurs fois la bouche, sans savoir quoi répondre, avant de remarquer Jimin qui s'était rapproché d'eux dès les premiers cris et les surveillait maintenant comme chien de garde.

Son regard retomba ensuite sur son dongsaeng qui semblait avoir de plus en plus de mal à tenir sur ses jambes, et son expression se refit plus douce.

« Bébé, je dois travailler. Je suis désolé... »

Comme toujours.

« Prends un cachet pour ta fièvre et va te reposer, je viendrais te voir tout à l'heure. »

Il ne le fera pas.

« Je t'aime, n'en doute pas. »

Une brève caresse sur la joue de Jungkook, et Taehyung se réfugia dans son bureau, refermant la porte à toute vitesse et prenant soin de garder secret tout ce qui se trouvait à l'intérieur.

« Il est devenu complètement timbré, putain, jura Jimin. »

Un lourd silence succéda aux paroles du blond et s'appropria l'entièreté des lieux. Le plus jeune pouvait ressentir sa froideur dans toute son âme. Sa tête lui tournait et ses poumons le brûlaient. Une gêne dans son abdomen, dans ses bronches.

Une main portée sur sa poitrine, ses jambes lâchèrent et une quinte de toux secoua tout son corps.

« Kook ! »

À l'instant même où son genou toucha le sol, Jimin se rua vers lui pour le relever et ne perdit pas de temps pour le reconduire à sa chambre. Il l'allongea et lui demanda de rester tranquille pendant qu'il partait lui chercher un gant de toilette et une bassine d'eau fraîche pour essuyer son visage transpirant.

Son médecin avait préconisé un repos des plus total. Jungkook devait se préserver et garder son calme, il ne pouvait plus se permettre de se laisser aller à de trop fortes émotions ou forcer sur sa voix et son souffle. Car ses organes avaient commencé à être touchés et qu'ils se faisaient lentement grignoter.

Ce petit malaise n'avait donc rien de surprenant, et Jimin, tout comme Hoseok, avaient pris certains réflexes leur permettant de gérer ce genre de situation.

En repassant devant le bureau de son cousin, Jimin ne put s'empêcher de faire un doigt d'honneur à son attention, bien que celui-ci ne puisse le voir.

Son comportement le mettait hors de lui et il avait rongé son frein depuis trop longtemps. Il considérait Jungkook comme sa propre famille et ne supportait pas la manière dont Taehyung le traitait dernièrement. Comme tout le monde, il ne reconnaissait pas le châtain. Ses sautes d'humeurs, ses regards tantôt tendres, tantôt mornes, sa nouvelle obsession pour le travail...

Jimin n'arrivait pas à concevoir que l'on puisse préférer passer tout son temps à la conception d'un livre plutôt qu'avec son petit-ami mourant. Il n'y voyait que deux explications possibles :

Soit Taehyung s'était plongé dans un déni trop profond afin d'échapper à la réalité...

Soit il avait véritablement perdu les pédales.



L'ambulance était venue chercher Jungkook la semaine dernière pour le faire interner d'urgence. C'était Taehyung qui avait passé l'appel, après l'avoir retrouvé inconscient dans la salle de bain.

Jungkook était parti en réanimation, et Taehyung avait attendu pas moins de quatre heures pour avoir enfin le verdict du médecin. Ce dernier avait été d'une cruelle transparence : ce n'était plus qu'une question de quelques semaines, deux mois tout au plus. Le foie était irrémédiablement atteint et les métastases avaient envahi une bonne partie du poumon gauche, ce qui avait causé le malaise du patient sous-oxygéné.

Lorsqu'on l'avait autorisé à voir son petit-ami, Taehyung s'était écroulé sur le sol de la chambre et avait fondu en larmes. Jungkook était méconnaissable. D'une maigreur maladive, son corps était entouré de tubes et de seringues qui trouvaient place dans ses narines, sa main et son bras. Ses sourcils étaient inégaux, des trous se formaient dans sa pilosité, et ses lèvres crevassées avaient perdu toutes couleurs.

La vision avait été insupportable pour Taehyung qui s'était précipité vers les toilettes, de peur de vider son estomac sur le lino.

Il se souvenait encore des sombres jours passés dans une chambre similaire il y a quatre ans. À la seule différence que Jungkook s'en était à l'époque brillamment sorti. Cette fois-ci, il semblait avoir atteint sa limite.

Pourtant, Taehyung croyait en lui. Il savait qu'il lui reviendrait, malgré le funeste pronostic du médecin. Après tout, il connaissait son amant mieux que quiconque. Jungkook était l'homme le plus fort et le plus courageux qu'il n'avait jamais connu.

Il avait donc passé les deux heures suivantes à son chevet, à lui parler, à lui dire à quel point il l'aimait, à quel point il le trouvait beau, même chauve, blanc comme un linge et maigre comme un clou. Et quand sonna la fin des heures de visites autorisées, les infirmières durent s'y mettre à plusieurs pour le faire quitter l'hôpital, Taehyung se raccrochant avec force au bras de son amant.

En rentrant chez lui, chez eux, il s'était enfilé une demi-bouteille de vodka et avait écrit. Écrit, écrit encore... Vidant son cœur et son esprit.

Puis le soleil s'était couché, la lune s'était réveillée, et vice versa. Un jour, deux jours ou peut-être trois... Il ne savait plus. Devant son écran, les heures se confondaient.

Et tandis que son téléphone sonnait à n'en plus finir, Taehyung se raccrochait désespérément à son livre. Il devait le finir, il devait y mettre le point final sur la dernière page. Alors il ne gâcherait pas son précieux temps en communiquant avec l'extérieur, il ne répondrait qu'au numéro de l'hôpital.

De ce fait, il ne vit que le message de Jimin lui disant que Jungkook s'était réveillé, puis ignora les tous les suivants.

Il devait terminer.



Le chant des oiseaux le réveilla. La joue marquée par son clavier d'ordinateur, il se frotta les yeux en gémissant de douleur. Ils lui faisaient mal comme si du verre pilé s'était engouffré dans chacun de ses globes.

Il lui fallut de longues minutes avant de prendre conscience d'où il se trouvait, et de ce qu'il avait bien pu faire pour s'endormir ici, devant son écran encore allumé.

Comme chaque soir, il avait écrit jusqu'à pas d'heure et avait succombé à l'épuisement avant même de terminer son chapitre. Chapitre qui, indéniablement, était le plus important de tout son roman. C'était celui qui marquait la fin de son histoire, mais il était également celui qui lui demandait le plus d'énergie. Jamais Kim Taehyung n'avait mis autant de lui-même dans un ouvrage, chaque mot tapé sur les touches semblait avoir été puisé directement dans ses veines.

C'était son cœur qu'il disséquait pour y mettre entre chaque ligne un petit morceau de celui-ci.

C'était douloureux, éreintant, mais si essentiel.

Pour lui, mais surtout pour Jungkook.

L'heure continuait de tourner, il n'avait presque plus de temps. Alors il se leva et partit se faire couler un café d'un pas chancelant, avant de revenir sur son document.

Ses doigts engourdis se mirent à bouger comme les pattes d'une araignée tissant sa toile, et il poursuivit son travail.

Encore, toujours.

Il ne s'arrêterait pas.



« Kim Taehyung, petit vaurien de mes deux, si je te trouve je t'arrache les couilles à la lime à ongle ! »

Un énorme fracas fit éclater la bulle de silence qui englobait l'appartement du couple. Cependant, le résidant était bien trop absorbé par sa tâche pour remarquer la démarche lourde et tonitruante de son cousin qui venait de s'introduire chez lui.

Ce ne fut que lorsque celui-ci apparut sur le pas de la porte du bureau, visage rouge de colère et poings sur les hanches, que Taehyung releva la tête brusquement et écarquilla les yeux, horrifié.

« Te voilà enfin sale morveux ! gronda l'aîné. J'ai essayé de t'appeler toute la semaine, tu veux vraiment me rendre chèvre, c'est ça ?

– Qu'est-ce que tu fais là ? se raviva l'écrivain. Sors d'ici ! »

Furibond, le châtain s'élança vers l'indésirable, prêt à le foutre dehors, mais son manque de vivacité due aux nuits quasi blanches lui valut un échec. Jimin s'était simplement écarté sur le côté pour l'éviter et avait, à présent, ses deux pieds dans la pièce.

La vie sembla dès lors se mettre sur pause. Les yeux de Jimin balayaient l'environnement encombré, tandis que Taehyung restait tout bonnement paralysé.

Les lettres qui jonchaient le sol ; les innombrables photographies qui dégoulinaient sur le bureau, la table basse et le canapé ; la boîte initialement remplie d'objets et de souvenirs, désormais répandus aux quatre coins de la pièce ; le texte en cours de rédaction sur l'écran...

C'était trop tard. Jimin avait tout vu.

Et ce dernier était complètement dépassé par les événements, choqué par ce qui s'étendait devant son regard stupéfait. Il avait l'impression que tout se reliait, s'imbriquait, se connectait.

« Alors c'était ça... ? murmura-t-il d'une voix chevrotante. Pendant tout ce temps... C'était ça que tu faisais ?

– Ne lui dis pas, supplia l'écrivain. Il ne doit pas savoir avant que ce soit terminé. Je dois... Je dois... »

Jimin fit volte-face, bouillonnant de rage

« Tu dois quoi, Tae ? tonna-t-il. Finir ta déclaration d'amour ? Mais à ce rythme-là, Jungkook ne la lira même pas ! »

L'expression de Taehyung changea du tout au tout. Il n'y avait plus aucune trace de désespoir sur son visage, seules la sévérité et une ultime conviction y apparaissaient.

« Il la lira, affirma-t-il d'un ton sans appel. Parce que c'est l'histoire de notre vie. »

Abasourdi, Jimin le regarda s'installer sur son fauteuil et reprendre son travail comme si de rien n'était.

« Tu sais qu'il n'arrive quasiment plus à parler ? lui apprit-il. Le moindre mot le fait littéralement souffrir. Et pourtant il ne cesse de prononcer ton nom, encore et encore. »

Taehyung déglutit mais ne répondit pas.

« Depuis combien de temps tu ne l'as pas vu ? enchaîna Jimin.

– Je l'ai vu il y a deux jours.

– Faux. Tu ne lui as rendu visite qu'une seule fois depuis qu'il a été admis à l'hôpital. Une seule ! Et c'était il y a quinze jours. »

L'effarement déforma les traits de Taehyung qui se figea sur son siège. Ses sourcils se froncèrent quand il parut réfléchir quelques instants.

« Non... C'était il y a deux jours, insista-t-il.

– Tu ne te rends même plus compte du temps qui passe... déplora son homologue. Ton bouquin tourne à l'obsession, Taehyung. Aussi belle soit ton initiative, tu es en train de tout gâcher et tu n'auras plus que tes yeux pour pleurer.

– Mais je dois lui faire savoir.

– Eh bien va lui dire en face !

– Je ne suis pas aussi doué à l'oral. Il doit savoir ce que je ressens le plus justement possible. »

Ce n'était pas possible d'être aussi borné. Devant son manque de lucidité, Jimin tenta de le faire réagir autrement, quitte à se montrer encore plus dur et franc.

« Jungkook est en train de mourir.

– Jungkook est fort, je crois en lui. Il ne va pas mourir maintenant.

– Jungkook va mourir seul ! Abandonné par celui qu'il aime plus que tout sur cette putain de planète !

– Je ne l'ai jamais abandonné, Jimin, je t'interdis de dire ça !

– Ah oui ? Tu appelles ça comment alors ? Pendant que toi tu te replongeais dans vos souvenirs merveilleux, le dernier que lui aura de toi sera celui d'un petit-ami absent. T'en es conscient ?

– Lorsqu'il lira mon livre, il saura que j'ai toujours été présent pour lui et à quel point mon amour est sans limite. »

La discussion tournait en rond, et Jimin arrivait à court de patience. Des larmes de colère et de dégoût roulaient à présent sur ses joues rebondies et il n'avait plus la force de débattre. Taehyung avait perdu la raison. Peu importe combien il essayait de lui faire ouvrir les yeux, il n'y avait plus rien à faire.

« Tu es devenu complètement fou... »

Sans un regard en arrière, il quitta l'appartement et ne se priva pas de claquer la porte. Taehyung était peut-être résolu à ruiner ses derniers instants avec son amant, lui ne gâcherait pas sa chance de profiter un maximum de son ami.

Le cœur en lambeaux, il retourna à l'hôpital.



Taehyung ne se rappelait pas la dernière fois qu'il avait avalé quelque chose de plus consistant que du café. Peut-être était-il parti grignoter une ou deux crudités pendant la nuit, lorsque son estomac avait fini par lui signaler qu'il était temps de le remplir, ou peut-être pas. À vrai dire, il avait de plus en plus de mal à différencier les jours qui passaient.

Il était au sommet de sa concentration.

Son visage fatigué et ses yeux injectés de sang semblaient avoir fusionné avec son écran. Il y a un peu moins d'une semaine, l'écrivain avait achevé sa rédaction et s'était depuis plongé dans une relecture pointilleuse, afin de repérer les fautes restantes et corriger les potentielles incohérences.

Il y était presque. Enfin !

La dernière ligne droite.

Jusqu'à pas d'heure, il relu, relu encore à s'en faire exploser les rétines. Son cœur battait la chamade à mesure qu'il approchait de la fin. Il manquait de sommeil, il manquait d'énergie et d'apports nutritionnels, il était à bout, mais il ne lâchait rien.

Sa détermination faisait sa force, et Jungkook faisait sa motivation.

La seule pensée de son petit minois tout mouillé d'émotions suffisait à lui redonner le coup de boost dont il avait besoin. Taehyung avait si hâte, hâte de lui faire part de ce cadeau ; sûrement le plus beau qu'il ne lui avait jamais offert. Il y avait mis dedans absolument tout.

Son âme, ses tripes, sa mémoire, son amour...

C'était leur histoire qu'il avait retracée, depuis son tout début jusqu'à leur dernier souvenir heureux : celui d'une nuit chaude qu'ils avaient partagé, leurs corps entrelacés, leurs soupirs érotiques emmêlés et leurs cœurs virevoltants dans un tourbillon de sentiments. C'était le fameux soir où ils étaient sortis à la fête foraine. Après leurs ébats, Jungkook lui avait fait part de ses craintes concernant son physique changeant, et Taehyung l'avait rassuré en lui murmurant au creux de l'oreille que, jamais, il ne cesserait de le trouver magnifique.

Jusqu'au bout il l'aimerait, il le lui avait promis il y a longtemps, et il avait continué à le faire, jour après jour, année après année.

Jusqu'à leur dernière page, c'étaient les mots exacts qu'il lui avait prononcés. En tant que bon écrivain, un peu poète à ses heures perdues, ces derniers lui étaient venus instinctivement, et Jungkook avait beaucoup aimé cette image. Ils s'y étaient tous les deux attachés.

Alors, de sa vie entière, jamais Taehyung n'avait été aussi fier que de pouvoir l'illustrer au travers de ce roman qu'il lui dédiait.

C'était la preuve de sa passion infinie.

La matérialisation de sa promesse.



Il avait réussi.

Là, à l'aube, alors que le soleil s'élevait à peine dans le ciel, Kim Taehyung avait réussi.

Un sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, l'écrivain observait le résultat de son long travail acharné se concrétiser, page après page, dans le bac de son imprimante. Le bruit de la machine sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles. Une mélodie aux notes victorieuses.

Pendant que son livre continuait de se former, il se précipita sous la douche afin d'optimiser son temps, le cœur gonflé de joie. Maintenant qu'il avait enfin terminé, il pourrait revoir son Jungkook. Il lui tardait tellement de pouvoir le prendre dans ses bras, l'embrasser, lui dire combien il était heureux d'être avec lui et combien il espérait pouvoir créer ensemble tout un tas d'autres souvenirs...

Peut-être que d'ici quelques années, Taehyung serait même capable d'écrire un tome deux de leur histoire !

Tout en se savonnant le corps, il y songea, les paupières fermées et toujours ce même sourire étirant sa bouche charnue. Mais l'heure n'était malheureusement pas aux rêveries. Le futur avec son amant attendrait un peu, pour l'instant, il devait se concentrer sur le présent.

Il abandonna donc la chaleur de l'eau qui ruisselait sur sa peau et quitta la cabine de douche pour aller se sécher, avant de s'habiller rapidement. Il ne fit même pas attention à l'association de ses vêtements. L'impression de son manuscrit devait être finie depuis, et il lui fallait encore relier les pages entre elles.

Revigoré et plein d'espoir, il se mit à la tâche en fredonnant une chanson que Jungkook adorait, puis glissa une jolie photo d'eux après la première de couverture, là où se trouvait un message directement adressé au noiraud.


« À toi, mon Jungkook.

Parce que le temps à tes côtés est éternel, notre histoire ne cessera jamais d'exister.

Je t'offre ces quelques chapitres de notre vie, en espérant pouvoir t'en offrir une infinité d'autres.

De notre première à notre dernière page et plus encore...

Je t'aime.

Kim Taehyung. »


Son regard tendre parcouru une énième fois ces quelques lignes qui reflétaient merveilleusement bien ce qu'il ressentait. Jungkook n'allait pas en revenir. Mais plus encore, lorsqu'il découvrirait, à la toute fin du livre, la surprise qui l'attendait...

Mince ! Avec toute cette excitation, Taehyung en avait presque oublié le plus important. Il s'élança alors vers sa veste qui recouvrait le fauteuil et retira une petite clé de sa poche, pour ensuite retourner à son bureau et en ouvrir le deuxième tiroir. Sa main y attrapa le petit écrin en velours pourpre qui y avait été secrètement conservé pendant des mois, et il se remit encore une fois à l'observer sous toutes ses coutures, de l'extérieur, jusqu'à ce qui se trouvait protégé à l'intérieur, les yeux brillants.

« Il ne va vraiment pas y croire, murmura-t-il pour lui-même avant de pouffer doucement. »

Il était évident que Jungkook se mettrait à pleurer toutes les larmes de son corps. Taehyung le connaissait si bien. Son copain faussement orgueilleux, qui aimait jouer au dur à cuir, était en vérité bien plus émotif qu'il ne voulait le montrer.

Désirant mettre fin à cette trop longue attente, il termina de se préparer en quatrième vitesse. Chaussures aux pieds, manteau sur les épaules, écrin tout au fond de la poche et manuscrit sous le bras, Taehyung était enfin prêt pour aller retrouver l'homme de sa vie. L'esprit léger, il clopina jusqu'à la porte d'entrée, avant de se rendre compte qu'il lui manquait son téléphone. Il en avait absolument besoin s'il voulait filmer la réaction de son amant. Il fit donc demi-tour pour aller le chercher dans tout l'appartement, et c'est dans la cuisine, entre le frigo et la machine à café qu'il le trouva.

Par automatisme, il passa son doigt sur le capteur digital pour allumer l'écran et y jeta un œil distraitement. Puis ses sourcils se froncèrent et son pouls s'accéléra quand il vit plus d'une quinzaine de notifications, des appels et des textos, pour la plupart de Jimin et Hoseok.

Et au milieu de tout ça, s'affichait le nom de la mère de Jungkook.

Pris d'un soudain sentiment d'angoisse, il se débarrassa de son livre sur le comptoir et consulta immédiatement son répondeur, les mains tremblantes. L'ongle de son index partit se caler entre ses dents et il se mit à le ronger nerveusement tandis que la voix robotique lui annonçait six nouveaux messages au creux de l'oreille. Il supprima les plus anciens sans même les écouter, puis arriva celui fatidique.

Taehyung se figea.

Il le réécouta, juste pour être sûr de ne pas avoir halluciné.

Et son monde entier vola en éclats.

Ce n'était pas possible. Il ne pouvait pas... Ce n'est pas possible. Il rêvait, ça devait être ça. Taehyung s'était sans doute endormi devant son ordinateur et était victime d'un terrible cauchemar. Le médecin lui avait pourtant dit qu'il lui restait plus d'un mois, presque deux.

Alors pourquoi maintenant ?

Jungkook ne pouvait pas l'avoir abandonné. La vie lui faisait une blague.

La respiration sifflante et le corps lourd, il composa le numéro de son cousin et l'appela.

Une fois.

Deux fois.

Taehyung hurla de rage et d'impatience.

Il réessaya une troisième fois.

Et Jimin décrocha enfin, la voix écorchée par des sanglots incontrôlés.

« Qu'est-ce... que t-tu veux... Taehyung ?

– Jimin, dis-moi que c'est faux ! J-Jungkook, il...

– Jungkook est décédé tôt ce m-matin. C'est seulement... main-maintenant que tu te rappelles de lui ?

– Arrête, ne me mens pas. Il ne peut pas être parti sans m'avoir dit au revoir ! Il ne peut pas, il- »

Taehyung se tut brusquement en sentant une douloureuse bulle d'air se croiser dans sa gorge. Les larmes irritaient ses joues, sans même qu'il ne s'en rende compte, et un bourdonnement continu lui agressait les tympans. De l'autre côté du téléphone, Jimin reniflait. Encore et encore.

Jusqu'à ce qu'il ne rompe le silence en lui crachant avec venin :

« Il t'aurait dit au revoir... si seulement tu étais venu le voir pendant ses trois mois d'hospitalisation.

– Que... T-trois mois ?

– Oui, trois mois. Tu t'attendais à quoi ?! hurla-t-il soudain. Je t'ai pourtant prévenu... maintes et maintes fois.

– Ce n'est... pas possible.

– Il t'a attendu aussi longtemps qu'il lui a été permis de le faire, reprit-il. Mais t'es jamais venu ! Jour après jour, il a continué d'espérer et de croire en toi. Jusqu'au bout il a refusé de montrer sa tristesse et même avant de mourir, il m'a encore demandé de te transmettre son amour. Mais toi... Toi... »

Sous le choc, Taehyung ne répondit rien. Les informations entraient en collisions les unes aux autres dans son crâne. Tandis que son cousin continuait de l'enfoncer dans sa culpabilité dévorante.

« Tu as fini ton bouquin ? J'espère que tu es satisfait des derniers moments que tu as vécu avec lui.

– Je... Je ne...

– Raye-moi de ta vie, Taehyung. Je ne veux plus jamais entendre parler de toi. »

Et sur ces ultimes paroles, il raccrocha.

La tonalité indiquant la fin de l'appel se répercuta dans le cerveau de l'écrivain qui sentit le sol se dérober sous lui. Faiblement, il se retint au rebord du plan de travail, faisant maladroitement tomber son portable à ses pieds. Il ne vérifia pas son état. Il s'en foutait. Il ne réfléchissait plus à grand-chose, les rouages de ses pensées tournaient dans le vide, rouillés et mal huilés.

Ses tripes étaient nouées, ses muscles le faisaient souffrir le martyre. Comme si d'énormes chaînes entravaient chacun de ses membres, il avait l'impression de se faire écarteler vivant. Le silence semblait assourdissant, les échos des battements de son cœur à sang lui donnaient la nausée.

Il ne pouvait plus bouger.

Il ne pouvait plus respirer.

Dépossédé, son regard ne déviait pas du robinet mal fermé qui gouttait à n'en plus finir dans l'évier.

Combien de temps s'était écoulé depuis qu'il avait commencé son livre ?

Combien de temps avait-il négligé Jungkook, l'homme de sa vie ?

Pendant combien de jours, de semaines, de mois, Taehyung avait-il quitté la réalité ?

Il pouvait encore entendre la voix lointaine de Jimin qui le mettait en garde. Pourquoi ne l'avait-il pas écouté ?

Que pouvaient donc valoir quelques mots rédigés à l'encre de son amour, si la personne pour qui ils étaient destinés n'était plus là ?

Un sanglot le surprit et ravagea son être entier.

Puis la haine.

Une haine immense s'empara de lui.

Taehyung se haïssait, bien plus encore qu'il aimait Jungkook.

Dans un élan de fureur, il attrapa l'écrin qui renfermait un petit anneau et l'envoya contre le mur adjacent. Puis il récupéra son manuscrit et en arracha les pages, une par une. Ses cris rebondissaient dans chaque recoin de la pièce, ses pleurs martelaient son être. Il avait mal. Son univers implosait et l'aspirait dans un gigantesque trou noir.

Le papier mis en charpie jonchait le carrelage de la cuisine, recouvrait ses chaussures. À s'en blesser les mains, il continua de les déchirer, faisant voler chaque morceau autour de lui, comme si cela suffirait à apaiser sa peine et sa rancœur. Mais lorsqu'il atteignit les quelques feuilles restantes, ses doigts arrêtèrent de les broyer et ses yeux embués furent attirés par une seule et unique phrase, affichée ostensiblement au beau milieu d'un large espace rempli de blanc.

Une question.

Sa surprise pour Jungkook.


« Pour quelques mois, quelques années, ou bien encore jusqu'à la fin de notre vie...

Mon cœur, acceptes-tu de m'épouser ? »


Lentement, le châtain porta son lambeau de livre à sa poitrine pour le serrer contre lui, et le calme retomba aussi brusquement que la tempête s'était levée.

Meurtri, esseulé, il prit conscience que Jungkook ne l'épouserait pas.

Parce que Jungkook n'était plus là.



Au final, Kim Taehyung avait respecté sa promesse.

Il avait aimé Jeon Jungkook comme un fou, jusqu'à ce que le temps les sépare.

Il l'avait aimé comme un fou, et ce, jusqu'à la dernière page.


Mais à quel prix ?



Astëlya


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