Chapitre 6

« Erin, retourne dans ton lit !»

« Jamais ! J'y ai passé assez de temps pour vouloir y retourner.»

« Ta jambe est encore fébrile !»

J'ignore les plaintes du docteur et continue de marcher dans le large couloir. En effet, ma jambe continuait de trembler à cause du fait que je ne l'ai pas utilisée depuis un bon bout de temps. En réalité, j'ai rarement bougé depuis plus d'un mois. Mes repas venaient directement jusqu'à moi, mes "professeurs" également, me montrant que Blake avait bien suivi mes indications.

Ce dernier marche derrière moi, suivant le docteur légèrement à l'écart. Ça se voit qu'il se retient de faire une remarque, mais il commence à comprendre que je peux me débrouiller à peu près seule et que j'ai besoin d'espace. Notre relation était un peu froide depuis notre dispute d'il y a un mois, mais étant mon frère, je ne pouvais pas lui en vouloir bien longtemps. J'ai quand même traversé les États-Unis pour le retrouver ! Et j'ai appris que le temps qu'on passe avec nos proches est précieux. Nous pourrions subir une attaque à tout moment, alors il n'y a pas de place pour des conflits entre nous.

Ça fait un mois et dix-huit jours que je n'étais pas sortie de ma chambre. Du moins, mes sorties étaient rares. Bien que j'avais l'habitude de sortir tous les jours dans les vastes plaines du domaine, je n'ai pas perdu la tête. Les personnes que j'autorisai à entrer dans ma chambre réussissaient parfaitement à garder mes pensées claires. À force, j'ai même réussi à me faire quelques amis, bien que la plupart soient plus âgés que moi. En tout cas, cette convalescence m'a été très utile et m'a permis d'apprendre des tas de choses sur le nouveau monde. Et aujourd'hui, c'est mon monde.

« Tu vas te casser quelque chose, me dit Harold.»

Le docteur Harold Jefferson est celui qui a suivi mon évolution de près. Ouais, ce même vieil homme qui m'avait paru tellement exécrable au départ est en réalité un brave et honnête homme avec qui j'ai appris à m'entendre, surtout que son air paternel a beaucoup joué. Ces derniers jours, il m'a jugé apte à pouvoir remarcher, et m'a donc accordé plusieurs séances de rééducations. Il regrette maintenant de m'avoir dit «Tu vas presque pouvoir remarcher sans aide !», en me voyant vagabonder dans les couloirs remplis d'hommes curieux.

Ces derniers ne m'ont pas vu depuis des jours. Je suis sûre qu'ils me pensaient morte, ayant finalement succombé à la maladie.

Eh bien non. Je suis toujours là.

« Regardez, je peux marcher ! Courir, lever la jambe, je joins les gestes à la parole, Même sauter ! en retombant sur ma jambe, je grimace, Bon, peut-être pas sauter.»

« Ta plaie va s'ouvrir, risque Blake.»

« Ma plaie s'est refermée il y a bien longtemps, et j'ai une belle cicatrice à la place.»

Je continue de marcher, non sans boiter légèrement. J'ai bien peur que ça sera comme ça pour le restant se mes jours. Mais c'est pas grave. Je suis satisfaite de pouvoir de nouveau marcher, c'est déjà ça.

Quand je tourne pour m'engager dans un autre couloir, je tombe sur un torse dur recouvert d'un t-shirt gris. Je l'évite de peu, reculant avec précipitation, manquant de tomber au sol.

« Tiens, je vois que la gamine peut de nouveau tenir sur ses jambes. Bon travail Harold, celui-ci fait un signe de la tête à son supérieur. Ce dernier reporte son attention sur moi, J'espère que tu ne feras rien de stupide qui te coûtera une deuxième balle.»

« Ça ne risque pas, je réplique avec sérieux, Pour cela, j'ai une demande à vous faire.»

Il semble surpris par ma requête, regarde derrière moi, sûrement Blake, puis pose ses yeux perçants de nouveau sur moi.

« Allons dans mon bureau.»

Il passe près de moi, se dirigeant vers le couloir gauche de l'intersection alors que je me dirigeai justement vers celui de droite. Je me tourne vers mes deux accompagnateurs restés silencieux, puis le suis. J'entends des bruits de pas derrière moi et sens deux présences. Pas étonnant.

Le dos de Reese est imposant même dans ce large couloir gris, dont les murs semblent granuleux au touché mais sont pourtant très solide. Je crois que c'est du béton armé d'après ce qu'on m'avait appris, très résistant pour éviter les attaques surprises.

J'en reviens au chef. Durant ma convalescence, il avait tout de même jeté quelques coups d'œil pour s'assurer que je guérissais. Étrange, selon Abdel qui le décrit comme indifférent du sort des autres. J'avais répliqué qu'il ne l'était sûrement pas, mais qu'il jouait ce rôle pour ne pas ressentir la perte de ses proches. Abdel m'avait longuement regardé, se demandant sûrement comment je pouvais le dire aussi sereinement, sans pitié peut-être ?

Je m'étais mise à sa place. Si le peu de presque amis que je me suis faite en un peu plus d'un mois se faisait tuer, je ne serais pas indifférente. Or, si je ne m'approche de personne, je n'aurais pas à ressentir de douleur. Comme les rares fois où je pensais mon frère mort, ou encore, Kad mort.

On arrive bientôt à son bureau. Je le sais car on vient de passer une porte à double battant et le décor change radicalement. Plus de murs et sol gris, plus de portes tous les deux mètres, qui se ressemblent toutes d'ailleurs, plus d'éclairage monotone. Cette fois, le couloir est un peu plus petit mais assez grand pour laisser passer trois personnes alignées, les murs sont blancs et le sol est marbré. Il n'y a rien d'autre, les portes sont d'un autre modèle mais se ressemblent toujours, et des lumières sont collées au plafond, beaucoup plus intenses.

On s'arrête finalement devant une porte beaucoup plis épaisse que les autres et en bois sombre. Reese sort des clés et les insère dans le verrou, quand d'ouvrir la porte. Son bureau est aussi grand que celui de Malcolm à Las Vegas. Un bureau imposant, une bibliothèque contre le mur droit, du côté gauche une sorte de petit salon avec un bar, et derrière le bureau, une énorme baie vitrée qui montre le désert derrière. Je reste bloquée dessus, essayant de deviner si c'est sûr de rester là ou pas. Reese le remarque et s'approche de la vitre. Il prépare son poing et donne un grand coup sans flancher ni même grimacer. Je sursaute moi-même, prête à la voir se briser en mille morceau. Or, il n'y a absolument rien.

« Quintuple vitrage, dit-il en tapant la surface avec ses doigts, On n'est jamais trop prudent.»

« Vous n'êtes pas à l'abri d'une bombe.»

« Elle ne sera pas très discrète, dans ce cas.»

C'est pas faux. Il aura sûrement le temps de fuir avant de se faire exploser. À moins que ce soit... Comment ça s'appelle déjà ? Ah, oui, un lance-roquette.

« Installe toi.»

J'obéis, laissant les deux autres debout derrière.

« Je reviendrai vérifier ton état plus tard. Blake ? dit Harold.»

« Compte sur moi. C'est ma petite soeur.»

Je lève les yeux au ciel et reporte mon attention sur Reese alors que le médecin sort de la pièce. Blake le suit, mais je sais qu'il reste près de la porte pour m'attendre.

« Alors, qu'est-ce que tu veux ? commence Reese en s'asseyant sur le bureau avec une seule fesse et en croisant les bras.»

« Je veux être entraînée. »

Je ne me laisse pas perturber par son regard. J'y ai longuement pensé et j'ai envie de savoir me défendre pour le moment où j'en aurais besoin.

« Entraînée ? demande-t-il avec un léger amusement.»

« Oui, je veux savoir me battre et... Utiliser une arme.»

« Et tu penses que je vais t'accorder ça alors que tu es là depuis seulement un mois ? Alors que ton frère essaie de gagner ma confiance depuis des années ?»

Je me lève de ma chaise, prête à sortir les meilleurs arguments pour le convaincre. Je m'attendais déjà à un refus, c'est la raison pour laquelle je me suis autant préparée à devoir me défendre.

« D'accord.»

Mes épaules s'affaissent et mon corps s'immobilise. D'accord ? Juste, d'accord ? J'ai même pas eu le temps d'inspirer !

« D'accord ? je répète incrédule.»

« Ouais, c'est ce que tu voulais non ?»

« Euh oui, oui c'est ça, mais...»

« Mais, me coupe-t-il, Tu vas devoir suivre mes règles. »

Je plisse les yeux. Bien évidemment, il y avait toujours un mais.

« Vos règles ? Vous voulez à tout prix être supérieur aux autres ou c'est qu'une impression ?»

Il plisse les yeux sans se mettre en colère à cause de ma réplique insolente.

« C'est la vérité, mais pour garder le contrôle il faut bien qu'on soit sûr d'être le seul supérieur ici. À partir du moment où tu as passé les portes de la base, tu es sous mon commandement.»

« Je n'ai pas vraiment eu le choix de rester, accusé-je en croisant les bras.»

« Et si tu l'avais ? Tu serais partie ? Si ton frère n'était pas là, tu serais restée ou pas ? par manque de réponse, il poursuit, Je te laisse le choix. Tu peux t'en aller, là, maintenant, emballer tes affaires et dégager, ou tu peux rester, ce qui veut dire accepter mes conditions et promettre de ne jamais mentir, ne jamais nous trahir, ne jamais rien cacher qui pourrait nous être capital.»

Un silence s'installe pendant qu'on se regarde en chien de faïence. Si je reste, je suis avec Blake, Kad, en sécurité avec de quoi manger, boire, une chambre, et je saurais me défendre. Si je pars, je peux trouver d'autres alliés, continuer à me cacher, survivre comme je le peux et fuir l'ennemi. Bon, je suppose qu'il n'y a pas à tergiverser.

« D'accord. J'accepte. »

« Tu promets de ne jamais mentir, jamais trahir, jamais rien cacher, et si par malheur c'est le cas, tu acceptes de mourir sans moyen de te rattraper.»

« Je le promets.»

Je n'avais plus à mentir, de toute façon.

« Tu acceptes de recevoir le même traitement que mes autres hommes. La seule faveur que tu auras sera ta chambre et salle de bain individuelle. En dehors de ça, tu mangeras avec les autres, tu apprendras avec des autres, tu te battras avec les autres, tu vivras avec les autres.»

Je prends une grande inspiration, essayant de ne pas trop penser à ce que ça voulait dire. Le fait que je sois une femme ne compte plus.

« J'accepte.»

Il ne laisse paraître aucune émotion, même pas un peu de satisfaction. Il se lève, met ses mains derrière son dos et m'évalue du regard.

« Bien. Tu commences dès maintenant.»

Je fronce les sourcils. Déjà ?

--

Aussitôt dit, aussitôt fait. Déjà, nous nous retrouvons devant une porte derrière laquelle des cris se faisaient entendre. Je déglutis. J'ai demandé ça. Maintenant, je dois assumer. Blake pose une main sur mon épaule, m'empêchant de faire un pas de plus. Je savais ce qu'il en pensait. Il n'avait pas arrêté de me dire pendant le trajet que ce n'était pas une bonne idée, et que j'allais me faire manger toute entière.

« Tu es sûre de toi ? me demande-t-il prudemment.»

Pour une fois, je ne m'énerve pas. J'acquiesce un sourire et pivote ma tête vers la sienne.

« C'est soit ça, soit je meurs bêtement dans une chambre d'hôtel à cause d'un sauvage.»

Comprenant l'allusion, il retire sa main et recule en silence. Je lui avais raconté ce que j'avais fait à cet homme. C'est d'ailleurs à ce moment là que je m'en étais rendue compte. J'avais tué un homme sans ressentir de remords. De Vegas jusqu'ici, je n'avais rien ressenti, rien vu venir, et juste en lui racontant, en me remémorant, mes barrières étaient tombées. Mon frère, après quatre ans d'absence, m'a vue pleurer et je suis sûre qu'il en était presque satisfait. Il avait retrouvé sa petite soeur l'espace d'un instant. Ce court événement nous avait rapproché un peu plus, assez pour que je lui accorde mon pardon définitif. J'ai arrêté de lui en vouloir. Rien ne me ramènera mes parents, ni à ma vie d'avant. Mieux vaut avancer de la bonne façon que de stagner au même niveau.

Cependant, ma révélation avait eu un impact plus grand, me faisant faire des cauchemars la nuit. Apparemment, c'était normal. Seulement les conséquences d'un acte terrible. Il m'avait dit de ne pas m'en faire et disait que je n'aurais plus à le refaire. Lui-même n'en croyait pas un mot. J'avais même commencé à avoir de la fièvre à cause de ces cauchemars. Si je tombais malade à cause de ça, je promets de rester tranquillement dans mon coin et d'arrêter de jouer les héroïnes.

Mais ça ne m'empêche pas de suivre Reese lorsqu'il ouvre la porte sur une grande salle. Du matériel dont j'ignore le nom est éparpillé partout dans la pièce. Dans un côté, les hommes s'entrainent seul ou à plusieurs dans un combat à mains nues ou avec des longs bâtons sur des tapis. De l'autre, les armes blanches plus dévastatrices comme des couteaux sont utilisées, mais sur des mannequins et des cibles, s'amusant à les planter au milieu de loin. Il y en avait quand même qui faisait des combats à deux avec de telles armes, sans jamais se toucher. Je vois bien que tout le monde est sérieux, appliqué et bien entraîné. Pas de place aux faibles, je me sens déjà souffrir.

Les portes se ferment derrière moi. Trop tard.

« Bon, je dois d'abord trouver quelqu'un qui peut évaluer ton niveau, dit Reese en analysant chaque personne présente. »

Blake s'approche, dit quelque chose à l'oreille du chef et ce dernier plisse les yeux.

« Elle a accepté de ne recevoir aucun traitement de faveur.»

« Mais si c'est lui, elle sera beaucoup plus entraînée et plus à l'aise, réplique mon frère.»

Il semble décidé à tenir tête à son supérieur, le regardant dans les yeux sans flancher. Je ne comprends pas leur échange, de qui parlent-ils ?

Reese se tourne de nouveau vers la salle, cherchant quelqu'un du regard. Il sourit quand il le trouve. Je me tourne également, me mets à chercher aussi, puis tombe sur un regard familier qui m'avait, à l'évidence, déjà trouvée. Wow. Ça faisait un mois et quinze jours que je ne l'avais pas vu.

Il se dirige déjà vers nous, le pas nonchalant. Si c'est de lui dont ils parlent, je vais de ce pas retourner dans ma chambre et ne plus en sortir.

Une fois devant nous, il croise les bras.

« Reese, Blake, il me regarde ensuite, Gamine.»

Je roule des yeux et regarde autre part. Ne l'avais-je pas dit ? Que je sois une jeune femme de 19 ans, un enfant ou un adolescent de 15 ans, ce surnom me suivra en toutes circonstances.

« Qu'est-ce qu'elle fait là ?»

Bien évidemment, le "bras droit du chef" pouvait se permettre de poser des questions sans craindre des représailles.

« Elle doit s'entrainer dans le cas où il y a une attaque dont elle est la cible principale.»

« Et donc ? Tu veux faire de moi son prof particulier ?»

« Non, répond simplement Reese, Je veux l'intégrer à ton groupe.»

Il y a un blanc pendant quelques secondes. Sa dernière phrase ressemblait plus à un ordre qu'à un souhait.

« Mes hommes ? C'est loin d'être les plus faibles.»

« Je sais, mais tu es celui en qui elle a le plus confiance. De plus, elle ne doit recevoir aucun traitement de faveur.»

Kad semble vouloir me tuer avec les éclairs dans ses yeux, et c'est d'ailleurs réciproque. Il lâche mon regard et réfléchit quelques instants. Il finit par hocher la tête. C'est pas comme si Reese lui laissait le choix.

« D'accord, mais quoi qu'il arrive, c'est de sa faute.»

Satisfait, le chef tourne les talons et s'en va sans rien dire de plus. On dirait qu'il cherchait juste à se débarrasser de moi.

Kad retourne à son travail, se dirigeant vers les combats à mains nues.

« Suis moi.»

Son comportement est distant, comme si nous étions des inconnus. Après tout, il passé des semaines avec le gamin, pas avec Erin. Je ne voulais pas de lui non plus. Je me suis rendue compte en un mois et quinze jours que la famille comptait plus que tout quand j'ai vu Blake revenir à chaque fois, tandis que Kad n'avait pas daigné se montrer. Et dire que je comptais sur lui plus que sur mon propre frère.

« Je reste avec toi, dit ce dernier.»

« Pas de problème, lui repondé-je sereinement, tu seras là pour me rappeler les conseils de notre père.»

Il hoche la tête et se dirige vers Kad, moi derrière.

Le groupe du grand brun est composé d'hommes tous aussi forts les uns que les autres. Je déglutis, pas très sûre de vouloir me battre contre eux.

« Toi, interpelle Kad en pointant du doigt un homme plutôt robuste, Tu viens sur le tapis. Gamine, tu te place face à lui.»

J'évite de protester et obéis avec une boule au ventre qui ne cesse de grossir. Blake m'avait dit de ne pas le faire. Je venais à peine de commencer à marcher que déjà j'allais me battre.

« Vous choisissez: avec ou sans le bâton.»

L'homme face à moi m'offre un sourire sans dents.

« À toi l'honneur.»

J'évite de grimacer et analyse la situation. Je suis sur le point de me battre, la jambe encore douloureuse, et j'avais le choix entre cogner avec mes poings un homme extrêmement musclé et robuste, ou avec un bâton. Sans réfléchir plus que cela, je prends le bâton posé sur le bord du tapis. Le colosse me suit. Au moins, je pourrais l'assommer avec.

« Très bien. Au signal, le combat commence.»

Il ne dit plus un mot, debout les bras croisés entre ses hommes. Blake se tient juste à côté de lui. Il m'encourage d'un seul regard, mais ça n'aide pas la boule dans mon ventre à se dégonfler.

On commence à se tourner autour, quand soudainement, une sonnerie se fait entendre. Le titan continue de tourner, se délectant de ma peur que j'essaie de cacher tant bien que mal.

« Je te laisse commencer, se moque-t-il.»

« Pas de faveur, Jason, la voix de Kad résonne durement dans la salle.»

Je n'ai pas remarqué que notre combat a attiré l'attention des autres, ni que la lumière est centrée sur notre tapis de combat et que le reste de la salle est plus sombre. Ni que le fameux Jason fonçait droit sur moi.

« Attention !»

Le cri de Blake n'empêche pas mon crâne de rencontrer le tapis. Ma tête se met à tourner, je ne comprend plus où je suis pendant un instant, avant d'entendre des acclamations autour de moi.

« Elle est trop faible !»

« Au suivant !»

« Plus de concentration, gamine. On recommence !»

Sa voix commence sérieusement à m'énerver. Je me lève péniblement, observe les sourires moqueurs des spectateurs, dégage les cheveux devant mon visage, et me reconcentre.

« Deuxième round ! s'exclame mon adversaire. »

Je me replace, écarte légèrement les jambes et tiens mon bâton à deux mains. La sonnerie retentit et c'est reparti. De nouveau il fonce vers moi, et j'ai tout juste le temps de m'écarter. Ses pieds freinent brusquement, l'empêchant de sortir hors du tapis. De nouveau, son corps dévie vers le mien. Surprise, je recule précipitamment, emmêlant mes pieds, lui laissant tout juste le temps de me percuter. BAM. Au sol, de nouveau.

« Elle se fait perdre elle-même.»

« Quelle imbécile !»

« Les femmes ont toujours été faibles.»

Je me relève sur mes coudes, ignorant les autres, leurs paroles et leur regard, et regarde Blake. Il me sourit de nouveau, mais je vois qu'il appréhende la suite car son sourire se crispe. Je souffle.

« Encore, ordonne Kad.»

Je lui lance un regard noir qu'il soutient sans mal, puis me lève difficilement. Allez Erin ! C'est pas la première fois que tu te bats.

« Troisième round ? D'accord, sourit narquoisement Jason.»

Je m'écrase au troisième combat. Je gratte le ciment qui sert de sol, hors du tapis, au quatrième combat. Je suis maîtrisée au cinquième. Au sixième, plus personne ne parle après le poing que je me suis pris à la mâchoire. Je suis encore battue.

Un genoux à terre, l'autre relevé avec mon coude appuyé dessus, je reprend mon souffle. Mes cheveux barrent ma vision floue, et je souhaite silencieusement que les gouttes sur mon visage viennent de ma sueur. En passant ma main sur mon visage, je constate que je ne pleure pas. Cependant, je suis quand même épuisée.

« J'pense que c'est mieux qu'on arrête.»

Même Jason a pitié de moi pour demander ça, lui qui semblait tellement enthousiaste à l'idée de se battre. 

« Non. Vous continuez, répond son chef.»

Sa voix est glaciale. Il a l'air tellement en colère que son visage ne reflète que ça.

« Elle est fatiguée, Kad, ose Blake.»

« Elle continue, tranche-t-il entre ses dents serrées, Elle est capable de plus qu'il n'y parait.»

Un silence s'installe. La sentence est tombée. Mon septième combat allait être le dernier, et je sens que je vais m'écrouler. Néanmoins, je me lève en repoussant mes cheveux en arrière. Je suis capable de bien plus, en effet. En réalité, je n'ai pas peur qu'il me fasse mal. J'ai justement peur d'aller trop loin et de me laisser submergée par ma colère. J'ai connaissance de nombreuses techniques de combat. Me battre avec un bâton est un jeu d'enfant pour moi, littéralement. Je pourrais les impressionner, je pourrais passer outre mes peurs, analyser nos anciens combats pour trouver une faille. Je pourrais, je pourrais... Mais je dois surtout le prouver.

Je regarde le public, observant attentivement chaque homme. Trouvé. Je m'approche d'un homme placé vers le devant sur cercle formé et me place devant lui.

« J'ai besoin de ton élastique pour m'attacher les cheveux.»

Il plisse les yeux, et quand je m'attends à ce qu'il refuse, l'homme retire le sien et me le tend sans une parole. Je m'en empare et lui adresse un signe de tête pour le remercier. Rapidement, j'attache mes cheveux en une queue de cheval haute, repoussant tous les cheveux devant mon visage en arrière, puis attrape de nouveau mon bâton en me plaçant là où je devrais être.

Jason m'observe et j'en fais de même, nous deux en position. J'inspire un bon coup, laissant ma colère prendre le dessus. C'était mon septième combat. Je ne devais pas flancher, ou ils auront raison de me prendre pour une faible. Étant la dernière femme au monde, je me devais d'honorer la mémoire de toutes les autres.

Alors qu'on commençait à se tourner autour, Blake nous interrompt.

« Rappelle toi Erin. Rappelle toi à 14 ans quand tu te battais contre papa mieux que moi et que tu arrivais à gagner. Rappelle toi de ce qu'il disait. Rappelle toi la dernière chose qu'il m'a dit.»

Mon père disait toujours « Tourner le dos à un combat qu'on a cherché c'est un acte de lâcheté. Et ta mère aurait honte d'avoir enfanté un lâche.». Je lui disais toujours qu'elle ne voulait jamais que je me batte, mais je comprends maintenant qu'il faisait toujours référence à lui. C'est relié à la dernière chose qu'il a dit à Blake. « Ne regarde jamais derrière toi.». Après un abandon, mieux vaut ne jamais revenir. 

Je ne regarde pas mon frère, mais il sait que j'ai compris. La sonnerie retentit. Jason hésite un peu, puis avance, recule, avance, recule, jusqu'à être assez proche pour me donner un coup de bâton. Je le bloque avec le mien et tente un premier coup. Mon pied nu tape son abdomen. L'attaque est assez forte pour le faire reculer et le déstabiliser. Enchaîne. Je donne un coup de bâton vers son côté droit, et comme je m'attendais, il le pare, laissant sa gauche à découvert. Mon pied s'écrase plus fortement contre son flanc, lui coupant la respiration momentanément.

Je recule, le laissant se ressaisir en observant ses gestes. De nouveau, on se tourne autour, la respiration sifflante. Cette fois, je fonce. Nos bâtons se rencontrent, il contre mes coups. Je lui laisse une ouverte sur la gauche, il en profite pour me frapper au visage avec son arme, mais je me baisse à temps et lance ma jambe d'un mouvement circulaire pour balayer les siennes et le faire tomber. Je me relève vite et lui également.

Le combat continue alors. Les coups s'enchaînent, je parviens à tenir tant bien que mal, mais je suis satisfaite de le voir se donner plus que pour les autres combats. À un moment, je perds mon bâton. Il s'envole en dehors du tapis, mais il ne me laisse pas le temps de le prendre. Tant pis, je continue à mains nues. Je pare les coups avec mon avant-bras, souffrant le martyr en silence. Je finis pas l'attraper à pleines mains, forçant pour le tourner et enfin le retirer de sa poigne, puis le lance à côté du mien.

Les poings se forment. Il a un sourire au coin des lèvres. Ça devient d'un coup plus sérieux.

Il lance un coup à gauche de mon visage. Je l'évite et mon genoux frappe ses côtes. J'entends un craquement mais je poursuis. Alors qu'il recule, la main sur sa blessure, j'enchaîne deux coups de poings contre chaque côté de sa mâchoire. Il recule encore, se rapprochant du bord. Le coin de mes lèvres se relève lorsque les bâtons sont plus proches de nous. Le combat touche à sa fin.

Il réussi à me donner un coup dans l'estomac. Je ne me plie pas et serre les dents. Il vise de nouveau le côté gauche de mon visage, me laissant l'occasion de m'emparer de son bras droit. Je passe en dessous, le tord, puis frappe avec mon pied en plein dans son genou. Un craquement se fait entendre et il s'écroule au sol en criant. Son genou ne n'est pas totalement déplacé. Pour être sûre qu'il ne se relève plus, je m'assois à califourchon sur lui, bloquant ses mains avec mes genoux, et m'empare d'un bâton que je coince sous sa gorge.

La sonnerie résonne après quelques secondes. Le combat est terminé et j'ai gagné.




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