Chapitre 25 : Kad
Je me suis rappelée que j'avais déjà écrit un chapitre sous le PDV de Kad. Enfin, c'était pas un chapitre mais l'épilogue du tome 1. Certaines choses changent. Dans l'épilogue, Kad explique qu'il apprécie plus ou moins Blake. Pour le bien de l'intrigue, j'ai changé ça ici. Je vous préviens histoire que vous ne soyez pas confus pour la suite !
Je m'assois sur le premier siège que je vois un peu plus loin dans le couloir. Jumaane et Kent me suivent de près, le plus jeune glissant le long du mur face à moi, tandis que l'autre s'assoit sur la chaise à mes côtés. Aucun de nous ne prononce un mot. Je suis bien trop préoccupé pour dire quoi que ce soit. Je ne m'occupe même pas du petit qui est censé m'assurer le retour de la gamine. J'ai juste envie de faire demi-tour et entrer dans la salle pour l'emmener loin d'ici.
Mais dans les deux cas, elle mourra. Si jamais ils réussissent, on pourrait fuir avant qu'ils ne décident de tourner leur veste et de l'utiliser pour des expériences. J'essaie d'éloigner mon esprit le plus possible de cette pensée négative. Je suis déjà inquiet pour sa santé, il vaut mieux éviter d'en rajouter.
Je me penche vers l'avant, posant mes coudes sur mes genoux et mon visage entre mes mains. C'est tellement dur. Je ne pensais pas retomber dans cette situation. Je ne pensais pas qu'en l'aidant, j'allais ressentir ça de nouveau. Ce sentiment d'impuissance. J'aimerais me battre avec elle, mais il y a toujours des limites.
Malgré tout, je sens toujours un vide. Une tâche inaccomplie. Quelque chose resté en suspend.
Même si j'avais de bonnes raisons de le faire, je ne peux m'empêcher de regretter. Elle devrait partir en paix, sans mauvaise nouvelle. Elle l'a peut-être deviné, mais au fond d'elle, elle espérait que je nie. Ce que j'ai fait, c'était pour lui faire plaisir. Mais elle méritait de savoir.
Elle méritait de savoir que son frère était un lâche.
Je comprenais que Wilfrid veuille le protéger. Il savait que Reese ne lui ferait rien à lui, du moins pas sur le coup. Mais Blake... trop de doutes planaient déjà sur lui. Il a supplié Wilfrid de l'aider, ne voulant pas mourir suite à la colère du chef. Je lui avais dit de ne pas y succomber. Ce n'était pas notre problème. Mais il était bien trop sage, contrairement à l'adolescent qu'il était. Il avait changé, mais ce changement lui a coûté un œil et une famille. Toute la base en a entendu parler, le reniant totalement. J'ai presque failli dénoncer Blake, mais Wilfrid m'a fait promette de ne rien dire. Et parfois, je me maudis d'être aussi loyal.
Blake n'a jamais vraiment pu remonter dans mon estime. Il a tenté de se racheter, mais ses efforts m'énervaient plus qu'autre chose. Alors je l'ai supporté. J'ai essayé de l'apprécier un peu plus, mais c'est comme si son vrai visage revenait à chaque fois. Même en étant protecteur envers sa sœur, ayant les mêmes motivations que moi, je ne pouvais pas me résoudre à me sentir proche de lui. Pourtant, un objectif commun rapproche parfois deux individus.
Elle me donne souvent l'impression d'être l'aînée. Bien qu'elle se comporte comme une gamine une grande partie du temps, elle est plus adaptée à la nouveauté que son frère. Elle n'a pas peur de braver le danger pour arriver à ses fins. Elle ne s'arrête devant rien, même en étant seule dans un endroit totalement inconnu.
La deuxième fois que j'ai croisé le gamin, à Seattle, j'ai compris qu'il n'était pas normal. Alors que je le pensais perdu au milieu de la foule, il avait décidé de reprendre son chemin, comme si de rien n'était. Comme si le fait de se retrouver sans aucune aide ne l'empêcherait pas de continuer à avancer. Sachant maintenant sa réelle identité, j'ai encore plus d'estime pour elle. Elle ne savait rien de ce monde, mais était si confiante. Bien plus que son frère.
Et en tant d'années, je ne pense pas avoir fréquenté de femme similaire. Il devait sûrement en avoir, à l'époque, qui étaient presque aussi brave. Mais jamais comme elle. Même après ce qu'elle a vécu, et en étant la seule femme sur Terre, elle continue, encore et encore. C'est pour ça qu'elle mérite au moins de partir en paix. Son frère lui a causé trop de problèmes alors, je refuse qu'il la prive d'une mort paisible. Elle aura pensé à lui jusqu'au bout. Toujours à s'inquiéter pour les autres.
Quelle idiote.
Se mettre dans un tel état pour quelqu'un qui n'en ferait jamais de même.
Ses préoccupations la suivaient même dans son sommeil, bien avant qu'elle n'attrape le virus. Néanmoins, je n'ai pas voulu la contredire quand elle m'a dit qu'elle n'en aurait plus, une fois qu'elle sera guérie. Elle est bien trop attachée à son passé. À cause de qui ? Son putain de frère.
Alors que je m'apprête à me lever et cogner le mur, Ellington me rappelle que je ne suis pas tout seul.
« Avec tout ça, tu n'as même pas pu te présenter correctement, lance-t-il d'un ton amusé, sans doute pour réchauffer l'ambiance. »
Mais ça ne marche pas. Le garçon me regarde toujours avec des yeux craintifs et méfiants, scrutant chacun de mes gestes. L'ambiance est pesante. Soit deux personnes meurent ce soir, soit personne ne perd la vie. Je ne pense pas être réellement capable de tuer un gamin, même si j'ai prétendu le contraire pour des menaces. Mais si elle meurt, je ne sais pas comment je réagirais.
« Kad Reagan. »
Le silence tombe de nouveau, mais je sens la surprise sur leur deux visages.
« Kad Reagan ? Comme l'un des dirigeants de la base la plus puissante du pays ? »
« Le bras droit du seul dirigeant, ouais, je corrige. »
Je déteste qu'on me considère comme étant chef de la base. Reese est celui qui porte toutes ces responsabilités et cette popularité. Je n'ai eu ma réputation que malgré moi.
« Ça alors... pour une surprise. Je n'aurais jamais cru que tu te déplacerais toi-même pour ce genre d'affaire. Et seul, en plus de ça. »
« Il faut dire que la situation sort du commun. »
Il fronce légèrement les sourcils.
« Je m'attendais à autre chose. Tu as l'air beaucoup plus vulnérable que ce que disent les rumeurs. »
« Vous rigolez ! s'exclame le gamin pour la première fois, Il a survécu à plusieurs blessures mortels, a fui entre les mains de l'ennemi à multiples reprises, a survécu à des tas d'accidents et quatre crashs d'avions. Quatre ! Il a réussi à sortir d'un immeuble en feu en sautant du vingt-quatrième étage, tout en sauvant les résidents. Il paraît même qu'il a réussi à se débarrasser d'un clan entier à lui tout seul, seulement avec un couteau suisse ! C'est du jamais vu ! »
Et c'est surtout faux.
Il semblerait que quelqu'un se soit bien amusé à inventer toute sorte de rumeurs. Je ne serais pas étonné de savoir que Wilfrid est à l'origine de quelques unes d'entre elle. Imbécile.
Bien que le début est certes vrai, je n'ai jamais sauté du haut d'un immeuble en feu, je ne me suis débarrassé d'aucun clan à moi tout seul, et je n'ai survécu qu'à deux crashs d'avion. Je ne suis pas si invincible.
« Tout ce que tu dis prouve que j'ai la malchance collée au cul, je marmonne. »
« Et tous ces exploits pour finir laminé par une femme. »
Je lance un regard meurtrier au vieil homme. Il n'aurait jamais tenu comme moi je l'ai fait.
Je regarde le petit, sa peau café-au-lait reprenant un peu plus de couleur. Je ne vois que maintenant la ressemblance qu'il a avec son père, excepté que celui-ci a la peau d'une teinte plus foncée. Ses yeux sont de la même couleur, foncés, presque noirs, mais semblent plus scintillants qu'il y a quelques minutes. Je suis mal à l'aise. Je n'ai pas l'habitude d'avoir d'admirateur.
« Quel âge tu as, petit ? »
Il cligne des yeux plusieurs fois, sortant de sa torpeur. Il se tient un peu plus droit, légèrement crispé. Sa nervosité m'amuse. Ça change des gamins insolents.
« Tr-treize ans, monsieur. Euh, non ! Quatorze ! Quatorze ans ! »
Kent se penche vers moi.
« Il semblerait que tu aies un fan, il chuchote. »
Je l'ignore de nouveau.
« Jumaane, c'est ça ? il hoche la tête, Désolé de t'avoir impliqué dans cette histoire. »
« N-non, monsieur, c'est rien ! s'exclame-t-il précipitamment, Je n'ai pas le droit d'être dans le bloc opératoire, de toute façon. Je suis toujours seul avec monsieur Ellington. »
Je me tourne vers ce dernier.
« Vous avez souvent des patients, par ici ? »
Il secoue la tête.
« Nous sommes assez reculés des autres. Ceux qui viennent nous voir ont été envoyés par des connaissances que nous avons dans tout le pays. C'est grâce à cette discrétion que nous sommes parmi les seuls docteurs encore en vie. »
« Pourquoi vous n'êtes pas à l'intérieur ? »
« Je ne suis pas chirurgien, ma présence n'est pas indispensable. J'ai un peu mis ma profession de côté. Je suis plus doué pour les recherches. C'est comme ça que j'ai trouvé un remède au virus. »
« Et vous êtes sûr qu'il va fonctionner ? »
Il hausse les épaules.
« Que je dise oui ou non, tu n'as pas d'autres options. »
Même si il a raison, c'est une idée que je n'arrive pas à accepter.
« Comment va se dérouler l'opération ? »
« Suite à de multiples résultats provenant de biopsies de différents organes et tissus, nous avons pu localiser les corps étrangers relatifs au... »
« Stop. J'ai plus envie de savoir. »
Il grogne de mécontentement alors que je regarde autour de moi. L'intérieur est similaire à une clinique, mais ça me semble étrange qu'il y en ai une aussi bien cachée dans ce genre d'endroit. Les murs sont fraîchement repeints en blancs, les chaises sur lesquels nous sommes assis sont dépareillées, et rares sont les fenêtres. Au lieu du carrelage familier, se trouve du béton brut. C'est comme s'ils étaient en pleines rénovations.
« Comment vous avez trouvé cet endroit ? Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais. »
« N'est-ce pas ? C'est une ancienne bâtisse qu'on a trouvé. On l'a retapée pendant ces dernières années, et même si c'est pas génial, c'est déjà suffisant. »
« Vous vivez à combien, ici ? »
« Sept. Quatre sont dans le bloc. Le dernier est allé nous réapprovisionner. »
Je réfléchis. Un contre six, ça me paraît tendu.
« Et vous n'avez jamais eu aucun problème ? »
Il secoue de nouveau la tête.
« Pas encore. »
Je m'adosse à mon siège et glisse jusqu'à poser ma tête contre le mur. Seulement quelques minutes sont passées, et d'après mes connaissances, une opération ne se fait pas rapidement. Pour être honnête, le temps m'importe peu. Si ça doit prendre des heures et des heures pour la sauver, j'attendrais.
« Tu as l'air épuisé. »
Je racle ma gorge, essayant de me redresser un peu plus.
« Ça va. J'ai connu pire. »
« Tu peux dormir dans une des chambres... »
« J'ai toujours pas confiance en vous, je le coupe. »
Il soupire.
« Je me demande ce qu'il s'est passé pour que tu sois autant sur tes gardes. »
« Ah ouais ? Je commence par quoi ? Par comment vous et le docteur Jefferson avez réussi à communiquer malgré la surveillance ? »
« Foutaises, il s'esclaffe ironiquement, Depuis que votre base s'agrandit, il n'y a plus de sécurité, et tu le sais très bien. Vous ne pouvez pas surveiller les faits et gestes d'autant de personnes. Bien que je respecte ton chef, sa méthode n'est pas la bonne. »
« Et qu'est-ce que vous en savez de nos méthodes, hein ? je dis d'un ton hostile, J'aimerais bien vous voir à sa place. Gérer toute une organisation ne se fait pas aussi simplement, surtout qu'elle continue de s'élargir au fil du temps, comme vous l'avez bien dit. Si c'était quelqu'un d'autre que Reese, la base aurait coulé, et le pays serait à la merci des chiens dont on vous protège depuis des années. »
Mon regard est sombre, combattant le sien sans se détourner une seule seconde. Je le vois hésiter, puis détourner les yeux vers une autre direction.
Personne ne peut juger le travail de Reese mieux que moi-même. Je l'ai aidé, je l'ai conseillé, je l'ai soutenu, mais je suis conscient des imperfections. Certaines décisions ont demandé des sacrifices. La base n'est jamais totalement protégée. Qu'il y ait des communications sans qu'on le sache ne me surprend vraiment pas, mais l'entendre me rappelle toujours à quel point nous sommes vulnérables.
Et à mon grand plaisir, la conversation ne va pas plus loin.
-
Le jeune Jumaane qui me paraissait si silencieux et réservé venait de me faire passer les plus longues heures de toute ma vie. Je voyais ses lèvres remuer, bouger de haut en bas et dévoiler ses dents éclatantes, sans que je ne comprenne un seul mot de ce qu'il dit. Peut-être que si j'en avais un peu quelque chose à foutre, j'aurais écouté. Je me suis contenté de fixer un point quelque part entre son nez et son front, jonglant entre penser et dormir les yeux ouverts. L'avantage est que sa voix n'est pas insupportable à mes oreilles. À côté de moi, Ellington s'est permis de sombrer dans le coma, me laissant avec un gamin surexcité.
« Qu'est-ce que vous faites ici ? »
Mes capacités auditives reprennent leur fonction quand une nouvelle voix apparaît dans le couloir. Je relève la tête en même temps que Jumaane qui se lève pour rejoindre le nouvel arrivant. Ce que je constate me fait froncer les sourcils. Cet homme est la version jeune adulte, peut-être un peu plus jeune que moi, que le petit.
« Tu es qui ? il demande. »
Je plisse les yeux et me relève doucement, lui faisant face dans le long couloir. Du coin de l'œil, je vois Kent s'agiter puis se réveiller, petit à petit. Quand il regarde les alentours, son corps se crispe.
Ouais, t'as de quoi être tendu.
« Eh, le vieux, c'est pas ce qui était prévu. »
Mon ton est calme, mais mon sang commence à bouillir. Ellington comprend ma réaction. Il comprend aussi que j'ai besoin d'explications le plus vite possible, parce que ma main s'approche dangereusement du Beretta caché à l'arrière de mon pantalon.
« Dom, c'est Kad Reagan ! Le seul et unique ! s'écrie le gamin. »
Le nouvel arrivant fronce les sourcils, tirant le petit derrière son dos. Il est aussi méfiant que je le suis, et il a bien raison.
« C'est seulement son frère, la septième personne qui est allée nous réapprovisionner. Il ne fera rien de mal. »
« On avait dit qu'un seul. »
Ma main attrape l'arme, la laissant encore cachée aux yeux de tous, mais ils savent très bien qu'elle est là, et que je n'hésiterais pas à tirer.
« Je ne pensais pas qu'il allait rentrer aussi tôt, mais il n'est pas armé. Dominic ? »
Ce dernier ne me quitte pas des yeux, hésitant quelques secondes. Au moindre geste brusque, je n'hésiterai pas à tirer. C'est ce qu'il peut lire dans mon regard. Et le message semble être bien passé.
Lentement, il relève les deux mains, mettant les paumes en évidence.
« Je vais juste enlever ma veste. »
Je sors finalement le pistolet, le pointant directement sur lui. J'ignore la panique que je vois dans le regard de son frère, et observe chacun de ses gestes minutieusement.
« Je t'en prie, dis-je d'un ton ironique. »
Il inspire une grande bouffée d'air, puis retire son blouson. Je lui fais signe de le glisser par terre, dans ma direction, ce qu'il fait sans protester.
« Tourne toi. »
Il lance un regard à Kent qui le lui rend. Ce dernier secoue lentement la tête.
« Fais ce qu'il demande. Nous ne sommes pas des ennemis. »
« Personne ne pointe une arme sur ses alliés, crache le dénommé Dominic. »
« Tourne toi, je répète en chargeant le pistolet. »
Il serre les dents, visiblement entrain de débattre avec lui même, puis me tourne le dos, les bras toujours en évidence. J'avance directement vers lui, fouillant les endroits où il pourrait cacher une arme. Rien à signaler. Je fais le même constat une fois que je m'éloigne pour tâter la veste.
Je la lance de nouveau, la rendant à son propriétaire, puis range le Beretta.
« Génial, je peux maintenant expliquer la situation sans que l'un de vous ne tente d'assassiner l'autre. »
Kent se lève, se mettant entre le septième membre et moi.
« Cet homme est Kad Reagan, dit-il à son camarade, Il n'est pas une menace pour nous, du moins, pas si on traite sa protégée correctement. »
Dominic dévie finalement son regard du mien, se centrant sur le vieux, confus.
« Sa protégée ? »
« Tu as bien entendu. Les autres sont actuellement dans le bloc entrain d'essayer de lui sauver la vie. »
Une conversation silencieuse se passe entre les deux, avant que le plus jeune ne soupire.
« Et c'est quoi cette histoire avec Manie ? »
« C'est la garantie qu'on ne fera rien à la fille. »
« C'était, je corrige, Il n'a pas précisé quel fils, et je n'aime pas trop tuer les gamins. »
« Personne n'aura à tuer personne parce que l'opération se fera comme elle devra se faire. »
Kent tente de nous calmer, mais l'atmosphère est bien trop tendue. Nous avons tous les deux une personne à protéger. Je ne peux pas lui reprocher de rester sur sa position.
Notre échange hostile est interrompu par l'ouverture des portes. Tous les regards se tournent vers celles-ci, dont le premier à en sortir est Jamie, couvert de sang. À cette vue, je sens mon cœur louper plusieurs battements. Son sang.
Il regarde chacun d'entre nous, ses yeux verts éteints par la fatigue, puis s'arrête finalement sur moi. Mon corps se décrispe entièrement quand il me fait un signe de la tête, un petit sourire au coin des lèvres.
« Tchou ! tchou ! Poussez vous, le train arrive ! Nous vous invitons à vous éloigner des bordures des qu... Oh. J'interromps quelque chose ? »
Un visage inconnu nous regarde derrière des lunettes rectangulaires, mais je ne m'y intéresse déjà plus lorsqu'un brancard apparaît derrière lui. Je n'ai jamais marché aussi vite de ma vie, poussant les chirurgiens hors de mon passage.
La voilà. Je fais une inspection rapide de son physique, les mains serrant les poignées du brancard. Elle est toujours aussi pâle, mais je vois sa poitrine se soulever et s'abaisser dans un rythme régulier. Elle semble respirer normalement, et aucun membre n'est manquant. Je souffle, comme si tous mes problèmes venaient de disparaître.
« Ahhh... l'amour. »
Je me rappelle de la présence des autres et pousse l'homme à lunette qui s'est perché sur mon épaule.
« Elle a perdu beaucoup de sang alors, on a dû utiliser pas mal de nos réserves. On l'a sauvée de justesse, enfin, du moins... on saura si ça a vraiment fonctionné quand elle se réveillera. »
Ma tête tourne d'un coup vers lui.
« Vous n'êtes pas sûrs de vous ? »
« On l'est, mais il peut toujours y avoir des complications. C'est pour ça qu'on ne se prononce jamais avant que le patient ne se réveille. »
Il s'approche de moi, levant la main pour la poser sur mon épaule, mais se rétracte au dernier moment. Il m'offre un sourire sympathique que je ne rends pas, et attrape le brancard.
« Suivez nous, on va lui trouver une chambre. »
J'évite de faire des histoires et les suit calmement. La voir de nouveau m'a apaisé.
On entre dans une pièce contenant le strict minimum. Les médecins s'affairent autour d'elle, la soulevant pour la placer sur le lit. Je suis perdu pendant un court moment, ne pensant pas directement à les aider.
« Doucement... Voilà, place la plus bas... Attention le bras !... Parfait. »
Je sors de ma torpeur et m'approche du lit. Ils continuent de bouger dans tous les sens, plantant des aiguilles dans son bras et allumant multiples machines.
« Pour le moment, elle est plongée dans un coma artificiel. Elle devrait se réveiller d'ici quelques jours. »
« Combien, exactement ? »
Le chirurgien lance un regard à ses collègues, incertain de la réponse qu'il devrait donner. Un par un, les autres quittent la pièce, me laissant en tête à tête avec Jamie. Je plisse les yeux dans sa direction. Les problèmes reprennent.
« Ça devrait normalement durer une semaine. »
« Mais ? je le presse. »
« Mais, il marque une courte pause, les lèvres pincées, ça peut se prolonger jusqu'à un mois. Et souvent, ce n'est jamais bon signe. »
Je ne réponds pas, son visage apaisé étant la seule chose sur laquelle je me concentre par peur de tout détruire. J'ai réussi à la sauver tellement fois, parfois par pur hasard. Je l'ai aidée à surmonter de nombreuses épreuves. J'ai essayé de lui montrer que même si elle sent qu'il n'y a personne autour d'elle, je suis toujours là. Alors pourquoi je n'arrive à rien faire quand elle a le plus besoin de moi ?
J'aimerais revenir en arrière pour l'encourager, pour la rendre encore plus forte et la soutenir quand elle me disait qu'elle y arriverait. Peut-être que comme ça, elle aurait envie de se réveiller.
Est-ce que c'est pour ça que tu as l'air aussi bien ? Parce que tu n'as pas envie de revenir ?
« On lui apportera les meilleurs s... »
« Merci pour votre aide, mais je vais prendre le relais à partir d'ici. »
Je ne contrôle même plus le ton de ma voix. Ça fait combien de temps que je n'avais pas ressenti ça ? C'est quand la dernière fois que j'ai eu autant peur de perdre quelqu'un ? Ces sentiments sont devenus tellement étrangers que je ne sais pas comment les gérer, moi qui arrive toujours à garder contenance.
« Vous savez où me trouver. »
Il ferme doucement la porte derrière lui, me laissant seul avec mes pensées sinistres.
Par la fenêtre, je perçois les premiers rayons de soleil apparaître à la cime des arbres. La nuit est passée. J'avais oublié quelle heure il était. On devait arriver ici avant qu'il ne fasse nuit.
Je m'empare de la seule chaise de la pièce, la plaçant au bord du lit. Je prends sa main, puis dégage quelques cheveux de son visage du bout des doigts.
« On a au moins réussi à faire ça. »
-
Je dépose doucement son bras droit pour m'emparer du gauche, un gant dans l'autre main. Je frotte sa peau délicate, gardant des gestes relativement lent.
« Bon, on arrive à la partie la plus compliquée. »
Je décolle son dos de mon torse, la penchant en avant de sorte à pouvoir lui frotter le dos, tout en la retenant de mon autre bras. J'évite au maximum la plaie due à l'opération, puis rince son corps une fois que j'ai terminé. J'attrape une première serviette, enveloppant sa chevelure, puis une autre pour la couvrir. Mes bras la soulève avec facilité pour quitter la baignoire et la porter de nouveau dans sa chambre. Rapidement, je l'habille d'une blouse, me débarrassant de ses sous-vêtements une fois qu'elle est bien couverte.
Je soupire. Le faire était bien plus compliqué, la première fois. Je ne pensais pas qu'ils avaient dû la déshabiller entièrement pour effectuer l'opération. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir de la colère, même si je savais qu'ils devaient le faire. Mais ce n'est pas ce que j'ai ressenti le plus. Ce n'était absolument pas la première fois que je voyais le corps d'une femme dans son entièreté, mais pas comme ça, pas dans ces conditions là. Alors j'ai récupéré ses biens. Seuls son t-shirt et son pantalon étaient déchirés, heureusement pour elle. Depuis, je ne les retire qu'une fois qu'elle est couverte d'une blouse d'hôpital, en respectant un maximum son intimité.
Je prends le temps de la draper d'une couverture avant de quitter la chambre. Soupir.
Deux semaines d'attentes.
Je n'aurais jamais cru finir comme ça.
Plus le temps passe et plus je perds la raison. Au début, j'hésitais à lui parler, me sentant stupide de discuter avec un mur. Mais Spencer m'a poussé à le faire. Il dit que ça les aide toujours à se battre pour vivre.
Je trouvais quand même ça stupide, mais je l'ai fait.
Je m'occupe d'elle comme d'un enfant. J'ai toujours peur de faire un geste trop brusque, ou qu'elle se réveille pendant que je suis trop loin, ou que son rythme cardiaque soit anormal. Je suis le seul à me rendre malade. Les autres persistent à dire que je devrais me reposer, mais si je détourne mon attention trop longtemps, n'importe quoi peut arriver.
« Eh. »
Je relève la tête, tombant nez-à-nez avec Dominic.
« On va manger. Tu viens ? »
Il n'attend pas ma réponse et tourne le dos. Les choses ont changé depuis notre première confrontation. Je ne suis plus une menace pour eux, et inversement. Je ne peux pas me permettre de me créer des ennemis.
Néanmoins, nous ne sommes pas des amis non plus. On se supporte juste le temps que la situation s'arrange.
Je le suis jusqu'aux cuisines, où une grande table rectangulaire se trouve. Chacun est déjà installé.
« Reagan ! T'aurais au moins pu aller te changer. Tu vas tomber malade. »
Tobby réajuste ses lunettes sur son nez, faisant semblant d'adopter une posture mécontente. Cet homme veut toujours ajouter une touche d'humeur à n'importe quel moment. Deux semaines que nous cohabitons et il n'a toujours pas réussi à me tirer un seul sourire. Il n'est jamais sérieux. La seule chose qui pourrait faire croire le contraire est la paire de lunettes strictes qui font grossir ses yeux marrons.
Spencer apparaît derrière lui, déposant une assiette fumante sur la table. Il doit avoir environ la cinquantaine, très discret et compréhensif. Sa voix est très étrange. Je n'ai jamais entendu un homme de son gabarit parler d'une voix aussi fluette, mais qu'il garde à un niveau assez bas. Je l'entends très peu parler quand on est réunis, mais il lui est arrivé de venir me voir quand je la surveillais.
« Papa, on mange quoi ? »
« Que tu le saches ou non, tu n'auras pas d'autre choix que de le manger. »
Dale. C'est celui qui a toujours le dernier mot. En peu de temps, il m'a prouvé qu'il est quelqu'un de très respecté. Il se fait toujours entendre, dans n'importe quelle situation. Je comprends mieux d'où venait sa confiance, le premier jour.
« Attention, ça arrive ! »
Jamie pose le plateau sur la table puis s'écrase sur la chaise en bout de table. Lui, il tente toujours de calmer la situation, de trouver les bons mots ou les bonnes solutions, mais il en est jamais sûr lui-même. Il essaie toujours de garder le contrôle, au risque d'être désorienté.
C'est ce que j'ai passé les quatorze jours à faire. Analyser des personnes que je n'allais, sans doute, plus jamais revoir une fois que je serai parti.
Tout le monde se sert et se met à manger en discutant, tandis que je reste dans mon coin. Je repense à la base, aux autres qui doivent sans doute la croire morte. Sauf Reese. Il attendra toujours que je revienne, car il sait que tant que je ne me montre pas, il y a toujours une possibilité. Mais avec tout ça, je me suis rendu compte de quelque chose.
Même si je la vois tous les jours, même si je m'en occupe plus que n'importe qui, même si je passe la journée, voire même la nuit, avec elle, elle me manque. Elle me manque terriblement. Et me dire ça ne me dérange même plus. J'ai juste envie qu'elle me regarde et qu'elle me parle comme elle le faisait avant.
Je ne pourrais regarder personne dans les yeux, ni même mon propre reflet, si elle meurt. La haine des autres m'importe peu. C'est de me rappeler constamment mon échec qui me perdra. Parce que j'aurais été si près du but, si près de la fin, mais pourtant, j'aurais récolté une défaite.
Et j'aurais encore perdu quelqu'un à cause de mon manque d'attention.
« Si tu veux ma part, tu devras me passer sur le corps. »
Je lève rapidement les yeux vers Tobby qui me fusille de ses yeux menaçant. Je ne m'étais pas rendu compte que je fixais son assiette.
« À quoi est-ce que tu penses ? me questionne Kent. »
« C'est pas une question à poser, répond Dominic à ma place, On sait tous très bien à qui il pense. »
Je l'ignore, plantant ma fourchette dans le gratin refroidi.
« Je m'attendais à autre chose de Kad Reagan, continue-t-il, Mais, il marque une courte pause. Je ne vois aucune méchanceté dans son regard, je suppose qu'on a tous des points faibles. »
Un bruit strident nous arrête, faisant tourner tous les regards vers Jamie. Celui-ci a les yeux rivés sur son poignet où repose une petite montre électronique. Celle-ci est reliée aux machines situées dans la chambre, notamment celle qui indique le rythme cardiaque. Et je suis assez expérimenté pour savoir ce que ce bruit signifie. Son visage pâlit.
« Son cœur s'est arrêté. »
Il ne m'en faut pas plus pour sauter de mon siège et me précipiter vers les portes. Celles-ci claquent contre les murs alors que mes jambes me portent le plus vite possible vers sa chambre. Plus vite.
Je ne sais pas ce que je ferais une fois là-bas.
Je ne sais pas si je peux faire quelque chose.
Je ne sais pas si je devrais me décaler pour laisser la place aux professionnels.
Mais je ne m'arrête quand même pas. Sous aucun prétexte.
Je vais devoir vivre avec des regrets pour le restant de mes jours. Pour ce que je n'ai pas dit. Ce que je n'ai pas fait. Est-ce qu'elle sait qu'elle ne me laisse pas indifférent ? Pourquoi je n'ai jamais rien dit ? Pourquoi je me suis moqué d'elle quand elle se comportait comme une adolescente, alors que je faisais exactement la même chose à tout renier en bloc?
J'arrête de réfléchir une fois que je me retrouve devant la porte. Et pendant un instant, j'hésite.
Où est-ce que j'ai foiré ?
Et brusquement, j'ouvre la porte.
La première chose que je vois sont deux orbes vertes me regardant avec crainte et surprise, qui, peu à peu, sont remplacés par du soulagement.
« Kad... on a... réussi. »
---
Eh non. Ce n'est toujours pas la fin du tome. Un dernier chapitre d'abord ! (+ un épilogue bien sûr).
Il est actuellement 4H du matin, mon cerveau est entrain de fondre, mais j'ai FINI. J'y tenais trop, même si il est plutôt long.
Arghhh, je suis heureuse. Erin est bien en vie ! Pour la communication, c'est pas trop ça, mais on est patient avec elle. Fêtons ça ! Mais pas trop. La suite ne va peut-être pas vous plaire...
Du coup, tome 3 ou pas ? Vous ne le saurez pas avant le prochain chapitre ! Mon Dieu, j'espère ne pas le poster dans un mois, on est si près de la fin !
Dites moi tout ce que vous en avez pensé, ça me ferait super plaisir ! Je ne suis toujours pas à l'aise avec le point de vue de Kad, donc j'espère que vous avez apprécié ! C'étais le dernier, donc profitez-en. ;)
PROCHAIN CHAPITRE : RETOUR D'ERIN.
À bientôt !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top