Chapitre 15

CHAPITRE NON CORRIGÉ. Désolée pour vos yeux.

Quand je le reverrai, je demanderai à Kad pourquoi il se balade avec une caisse vide à l'arrière du rover.

Contorsionnée dans la petite boîte, mon corps a étonnamment réussi à y tenir, malgré mon sac et l'énorme manteau que je porte. Je peine à respirer et mes membres sont ankylosés. Pas surprenant sachant que je suis ici depuis un bon moment maintenant.

J'avais demandé à Kad si il n'y avait pas une possibilité de me laisser dehors encore un peu, mais il a été catégorique: les hommes de Malcolm me verraient de très loin. J'ai juste eu le droit de laisser le couvercle légèrement ouvert pour respirer et profiter d'un peu plus de lumière, avant qu'il me fasse signe de le remettre en place. Son plan n'est pas sûr, et n'importe quel événement peut "tout foutre en l'air", comme il l'a dit.

L'odeur du cambouis mêlé à celle de la poudre blanche - du talc, d'après ce que j'ai appris - commence à me donner un mal de tête. L'un sent mauvais et l'autre sent bon mais l'odeur devient vite entêtante et énervante. Déjà que la boîte m'empêche de respirer correctement, c'est encore pire.

Finalement, je ne sens plus les roues bouger, et peu de secondes plus tard, le véhicule arrête de vibrer, signe que le moteur est éteint. Ma poitrine se serre lorsque des voix d'hommes me parviennent. C'est là où tout va se jouer.

« Monsieur, vous avons été prévenus de votre arrivée. Le chef vous attend dans son nouveau bureau.»

Kad m'a prévenu que des hommes viendraient directement décharger le véhicule. Il doit trouver un moyen d'attirer leur attention plus loin, tandis que mon rôle est de fuir le plus discrètement et rapidement possible.

« Nous sommes là pour décharger votre véhicule, reprend une autre voix, Vous pouvez garer le rover à l'intérieur.»

« J'aimerais bien mais j'ai un pneu crevé, je ne peux pas aller plus loin. Vous deux, allez chercher de quoi le réparer.»

« Mais vous aller le changer de toute faç...»

« Vous contestez mes ordres, soldat ?»

Sa voix plus menaçante me fait lever les yeux au ciel. Je compatis, soldat.

« Non, monsieur.»

Je me concentre afin d'entendre leurs pas s'éloigner, m'assurant que le nombre d'homme diminue. Impeccable. J'ignore combien ils sont, mais j'espère qu'ils ne vont pas insister pour rester.

« Toi, accompagne moi vers le bureau de Malcolm. Je ne connais pas ce nouvel endroit.»

« Bien sûr, monsieur. Mais votre véhicule ?»

« Il ne lui arrivera rien. Allons-y.»

Encore une fois, je coupe ma respiration pour entendre le mieux possible. Soudainement, un coupe fait brièvement vibrer le rover, émettant un son également. C'est le signal.

Mon accompagnateur m'a dit qu'il se débrouillerait pour me trouver une cachette dès que je sortirai de la caisse, sans que ça ait l'air suspect. Mon sac sur mes épaules, j'entrouvre la caisse, tendant l'oreille pour écouter les bruits alentours. Aucune voix, aucun pas. Seul les bruits de la civilisation animée qui me parviennent de loin. 

J'ouvre un peu plus, passant à peine ma tête par l'ouverture. Encore une fois, je ne vois personne. Enfin, je glisse rapidement en dehors de la caisse, ne perdant pas mon temps à être silencieuse. Le bâtiment le plus proche est trop loin pour qu'on m'entende. C'est sûrement là bas qu'ils sont partis chercher leur matériel. J'espère qu'ils ne vont pas revenir vite.

Le problème, si je me fais prendre, c'est qu'on ne peut pas fuir. Kad sera trop loin pour m'entendre. Si j'y arrive sans me faire prendre, il ne saura rien. Si je me fais avoir, il ne saura rien non plus. Dans les deux cas, je suis soit libre, soit chassée ou emprisonnée à cause du rôle que je joue actuellement. Et je ne reverrais plus jamais Kad.

Je passe une jambe par dessus, me tenant au bord avec mes deux mains, puis passe la deuxième. Je me met directement en position accroupie et ouvre plus largement la bâche. Le bruit qu'elle fait est terrible, mais je me dépêche quand même de la retirer.

Toujours accroupie, je descends de l'arrière du rover, faisant tomber quelques objets parterre que je jette rapidement dans la caisse vide, la refermant ensuite. Je prends soin de recouvrir le tout avec la bâche noire avant de me pencher de nouveau, cette fois vers la roue arrière gauche, du côté découvert et où les deux hommes pourraient l'inspecter sans s'approcher de ma cachette. Sur le côté droit du véhicule, à même pas un mètre, se trouve une rangée de buissons. Parfait. Je vais pouvoir m'y cacher.

Je sors un petit objet noir, décoré par des gravures dorées représentant un aigle. D'un geste habile, j'en extirpe la lame tranchante, étincelant sous les rayons du soleil, puis la plante dans la matière épaisse du pneu. Je la retire ensuite et n'attends pas qu'il se dégonfle, sentant déjà l'air en sortir.

Je me tourne, toujours accroupie, pour rejoindre le côté droit, quand des voix me parviennent. Je me dépêche avant qu'ils n'arrivent et aient une vue sur le côté droit, là où je dois me cacher, mais me retrouve bloquée par quelque chose. Sans regarder ce que c'est, je continue de forcer pour avancer, n'ayant toujours aucun résultat. Je force un peu plus, jusqu'à ce qu'une lourde boîte tombe au sol, m'emportant avec elle en faisant un bruit monstre. De tas de petits objets s'éparpillent, roulent et rebondissent parterre, me faisant écarquiller les yeux.

« C'est quoi ce bruit ?»

« Merde, je chuchote, horrifiée.»

Le temps n'est jamais passé aussi lentement.

Je me relève rapidement, tentant de faire le moins de bruit possible alors les pas s'approchent de plus en plus en vite. Mes yeux fous cherchent à identifier le problème, en vain. Le sang pulse dans mon crâne, rendant mes oreilles momentanément moins efficaces. Je vais me faire prendre. C'en est fini de moi.

J'essaie alors désespérément d'avancer malgré tout, avant d'être de nouveau bloquée. J'ai l'impression que des minutes sont entrain de passer, alors que ce sont seulement des secondes. Les hommes ne sont toujours pas arrivés. 

Mes yeux captent alors la source du problème. Mon manteau est resté coincé avec une des caisses pleines, m'empêchant d'avancer et poussant la boîte au sol. Les mains tremblantes, je ne réfléchis pas avant de dégainer mon couteau, coupant le bout de tissu totalement aléatoirement. Je ne vérifie même pas et avance, soulagée d'être de nouveau libre. Je plonge directement dans les buissons, alors qu'un énorme fracas retentit derrière moi.

« Tout est entrain de tomber ! Vite !»

Je profite du vacarme et de leur précipitation pour m'éloigner un peu plus dans les buissons, m'assurant que le bruit soit bien couvert. Je n'ai jamais autant transpiré. Même sous une température de quarante-cinq degrés en plein désert. Mon cœur a failli s'arrêter.

Une fois plus loin, je m'arrête et reprends ma respiration. Je ne suis pas assez éloignée pour sortir, ni faire du bruit. Je les entends nettement se plaindre du nombre d'affaires et du fait qu'elles étaient mal fixées, mais je peux être tranquille et attendre qu'ils s'en aillent. 

Le couteau toujours dans mes mains, je le porte devant mes yeux en souriant bêtement. C'est ce couteau que j'avais si peur de toucher qui m'a finalement sauvé la vie. Il ne fait pas que la prendre, finalement. Cependant, en le regardant, un détail me frappe.

Un filet d'un liquide familier coule le long de la lame argentée, retombant sur le manche, avant de s'écraser sur mon pouce ganté. Surprise, je le regarde suivre sa trajectoire avant d'être absorbé par le tissu, tout en portant mon autre main à ma bouche pour retirer l'autre gant, avant de la poser sur mon flanc gauche. Je me paralyse en sentant le tissu de mon t-shirt humide. Mon t-shirt. Alors que je porte un manteau.

Je relève ma main devant mes yeux. Mes doigts sont pleins de sang frais écarlate. Comment est-ce possible ? La peur et l'adrénaline m'ont empêché de couper correctement. De plus, je n'ai absolument rien ressenti, alors que la blessure a l'air assez conséquente. J'ai besoin de me soigner, mais si je bouge, les feuilles bougent aussi, et je serais morte dans tous les cas. 

Vient ensuite la douleur. Je grimace lorsque ma blessure commence à me lancer, mais également parce que savoir qu'elle va rester à l'air libre le temps que les soldats s'en aillent me gêne énormément. C'est un nid à microbes, je dois la désinfecter et la couvrir.

« Sérieusement... on nous a pas appelé pour faire du rangement et remplacer un pneu.»

« Arrête de te plaindre. Plus vite on finit, plus vite on partira.»

« Plus vite ? Si y'avait pas chacune de ces putains de vis microscopiques éparpillées partout à ramasser, j'aurais pu dire ça aussi.»

« Ferme la et aide moi plutôt à soulever cette caisse.»

J'entends l'autre soupirer et devine qu'il va aider son équipier.

« Pouah ! Merde, il y a quoi dedans ? Un humain ?»

« Ça serait pas étonnant venant de Reagan.»

« Carrément. Ce type fait peur à n'importe qui. C'est qu'un gamin pourtant !»

Ils poussent des cris à cause des efforts qu'ils fournissent pour remettre la caisse à sa place.

« Un gamin qui prend plus de risques et qui en a vu beaucoup plus que toi à quarante piges. La honte. Remets toi en question.»

« T'es vraiment un connard.»

« Et toi un raté. Dépêche toi, on s'occupe de la roue.»

Après de nombreuses minutes passées à se chamailler, j'entends finalement le moteur du rover reprendre vie. Je bouge quelques feuilles des buissons pour pouvoir mieux observer et vois déjà le véhicule s'éloigner. La première partie du plan est réussie, avec beaucoup de mal.

J'attends quelques minutes, le temps que le véhicule soit bien loin, puis sors de ma cachette. Accroupie, je me dirige vers les trottoirs pour retrouver la civilisation, et me mêle aux hommes.

Cette fois-ci, je suis beaucoup plus nerveuse. Ma tête est entièrement à découvert et des dizaines d'hommes marchent autour de moi, vivant leur vie et faisant comme si je n'étais qu'une tâche quelconque sur un tableau. Mais moi, je suis terrifiée.

Je longe les murs, m'éloignant de plus en plus du bâtiment où doit se trouver Kad. J'espère que la suite du plan va bien se passer.

Je suis censée jouer le rôle d'un enfant sans abri qui arpente les rues sans but précis. Kad m'a dit que mon gabarit et mon visage ne me permettent pas de jouer le rôle d'un homme, et il refuse de me laisser jouer le rôle d'un homme-femme. Mon personnage du gamin étant déjà connu et suspect, il opté pour le gamin sans abri. Mon visage et mes cheveux sales ne soulèvent aucune question. Les enfants comme moi, ce n'est pas ce qu'il manque.

La deuxième partie du plan consiste à rejoindre une impasse entre le Strip Poker et une laverie. Les impasses sont souvent mal fréquentées, selon lui, mais celle-là est trompeuse. Le mur du fond donne l'impression que c'est la fin, mais il y a une petite ouverture sur la droite, étant l'arrière de la laverie. Je pourrais m'y cacher le temps qu'il termine avec Malcolm.

En tout cas, je suis bien soulagée de ne pas avoir à croiser le chef. Même si ce plan est dangereux, il reste quand même une issue favorable à la fin. Notre voyage pourra continuer sans problème.

Une main sur ma blessure, j'avance en restant collée au mur, me sentant un peu épuisée maintenant que l'adrénaline est passée. Ma bêtise peut vraiment me coûter la vie. La plaie ne doit pas être bien profonde, mais je dois quand même la cacher des regards curieux. Je l'inspecterai une fois que je serai isolée.

Cette ville est sûrement maudite. La dernière fois que j'y ai mis les pieds, mon couteau a atterri dans l'abdomen de Kad, l'ennemi a lancé un assaut sur le casino de Malcolm, et j'ai tué un homme. Inutile de dire que nous avons failli mourir pour la énième fois.

Je me dis que jusque là, je n'avais rien fait pour provoquer ces problèmes. Ça doit être le sinistre quotidien de Kad, lui qui aime énormément se déplacer. Cependant, d'autres soucis arrivent, et cette fois-ci, je pourrais bien en être la cause. J'ignore même si mon accompagnateur va un jour me rejoindre. Si l'entretien avec le dirigeant de Las Vegas se passe mal, c'en est fini pour nous deux. Mais j'ai confiance en lui. Il ne meurt pas aussi facilement.

Les hauts buildings de la ville me donnent la nausée, mais leur taille reste assez impressionnante. Ceux sont les mêmes qu'à Seattle, peut-être un peu moins nombreux. Je sais déjà que le charme de cette ville repose sur les casinos, les hôtels, et tous ces endroits où je ne peux me permettre d'aller. Elle reste animée principalement la nuit, comme j'ai pu le constater la première fois que je suis venue ici. Le "Luxor", un hôtel en forme de pyramide entouré de statues égyptiennes. Une petite version de la tour Eiffel qui mesure à peu près la moitié de l'originale. La "High Roller", la plus grande roue au monde. le "Bellagio" un hôtel démesurément grand et luxueux accompagné de ses impressionnantes fontaines. On peut dire que la ville a été bâtie pour attirer ceux qui sont en proie à la démesure.

Tous ces lieux que je visite, je les ai déjà vu en livre avec des images. Jamais je n'aurais pensé que moi, vivant comme une pauvre paysanne dans un domaine éloigné de tout civilisation, je pourrais un jour voir ces images dans la réalité. Bien que le pays a été assailli par des attaques, certains lieux sont restés comme tels. Pour le moment, avant une autre attaque. La précédente n'avait attaqué que le "quartier général" de Malcolm, étonnamment plus grand que le Bellagio. Enfin, c'était le cas avant qu'il ne soit détruit.

Je pénètre enfin dans un quartier un peu moins excessif, tombant face à un long boulevard. Parfait. Kad m'a dit de trouver le boulevard, sans me donner plus de précision car je trouverai directement le bon, selon lui, et de le longer jusqu'à trouver l'impasse. Et même si je me trompe, j'ai encore le temps de retourner sur mes pas et chercher. Je l'espère du moins. Cette ville a l'air d'être un véritable labyrinthe.

Les bruits alentours me dérangent énormément, mitraillant mes oreilles de tous les côtés. L'avantage est que mon visage est à découvert, je peux donc respirer à ma guise, sans avoir à me sentir étouffée. J'ai encore chaud sous ma couche de vêtements, mais rien que je n'ai pas déjà vécu jusque là. J'ignore seulement dans quel état est ma blessure. 

Plus le temps passe et plus la foule devient compacte. Le temps que j'arrive jusque là, le soleil est déjà sur le point de se coucher. C'est ce qui me fait le plus peur. Le soir, la ville se transforme et devient plus animée, peuplée, voire sauvage. Ma couverture devient de plus en plus proie aux menaces. Les lumières commencent à s'allumer, tandis que les voitures se resserrent le long du boulevard, provoquant un concert de klaxons. Bientôt, le ciel est presque entièrement obscur. 

Je relève précautionneusement mes yeux, ralentissant le pas en scrutant le grand vide menaçant au dessus de nous. Je cherche des petites étincelles, mais croise uniquement un brouillard à peine visible. La pollution ne me permet pas d'admirer les étoiles. Elles ont été remplacées par la lueur artificielle produite par tous ces éclairages. Dans le domaine, on pouvait nettement les distinguer. On pouvait facilement admirer un plafond interstellaire. Tout comme dans le désert, bien que je ne pouvais pas sortir une fois la nuit tombée. Les quatre jours que j'ai passée seule, à la merci de l'inconnu, m'avaient permit de passer d'agréables nuits relaxantes.

Un coup contre mon épaule me ramène à la réalité, me poussant vers l'avant.

« Dégage, sale môme !»

Tiens, voilà un surnom qui ne m'a pas manqué.

Je reprends mes esprits et continue d'avancer, tentant d'ignorer l'oppression que je ressens en étant entourée d'hommes qui peuvent me vouloir du mal. Plus vite j'y serais, plus vite je serais en sécurité. 

Mes yeux attentifs tombent finalement sur une devanture un peu délabrée d'un petit bâtiment faisant le coin d'un carrefour. Le lieu a l'air désert, voire abandonné, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse. En grandes lettres éteintes et à peine visibles contrairement aux autres, est écrit Strip Poker. Pourquoi Kad choisirait celui-ci parmi tous les autres ? J'aurais très bien pu passer à côté, sans rien remarquer.

Néanmoins, je l'ai fait parce que jusque là, c'est le seul bâtiment éteint de la ville. Le seul qui se démarque des autres, puisqu'il n'y a plus aucune vie à l'intérieur. Quelqu'un venant à Las Vegas pour s'amuser et dépenser son argent ne s'arrêterait même pas à côté. Quelqu'un venant pour fuir et se cacher, si. 

De là où je suis, sur le trottoir opposé, je ne vois pas de laverie à côté, ni d'impasse. Puisqu'il fait tout le coin du croisement, je suppose je dois traverser la rue pour trouver ce que je cherche. J'attends en compagnie de la foule avant d'accélérer et rejoindre le bâtiment délabré. Les vitres sont teintées, impossible de voir à travers. Je ne m'y attarde pas et continue à marcher.

Comme je l'ai prévu, une laverie se tient de l'autre côté. Elle me semble vide, mais bien illuminée, comme le restant de la ville. Ça me rassure un peu de le savoir. Personne ne pourra me voir et me rejoindre à l'arrière. Je me dirige vers la petite impasse, hésitant avant de pénétrer les lieux sombres. Maintenant qu'il fait nuit, j'ignore si c'est une bonne idée. Je ne peux même pas voir si quelqu'un s'y trouve, uniquement marcher aveuglément en faisant confiance à mon instinct.

Je souffle, histoire de me donner du courage, et avance dans l'impasse menaçante. Je plisse les yeux, tentant de mieux voir dans la pénombre. Je passe une benne à ordure, plissant le nez à cause de l'odeur. Après ça, je m'enfonce littéralement dans la pénombre. 

C'est étrange. J'ai l'impression d'entrer dans une autre dimension, les bruits étant soudainement altérés et moins agressifs qu'avant. Peut-être que c'est à cause de mon coeur qui pulse dans mes oreilles. 

Un bruit me fait sursauter, ainsi que des couinements. Kad m'a prévenu que des rats pourraient croiser mon chemin. Génial. Je commence presque à regretter Malcolm. 

Mon pied frappe contre un objet métallique, faisant un bruit monstre dans la petite impasse. Des grognements se font entendre derrière moi, venant de la benne à ordure.

« Doucement ! Y'en a qui essaient de dormir, marmonne une voix rocailleuse.»

Je n'avais même pas remarqué sa présence. Je tourne légèrement la tête pour voir une ombre gigoter et marmonner près de la poubelle, se replaçant correctement avant de s'immobiliser. Je suppose qu'il s'est rendormi. Quelle blague. Avec tous les bruits alentours, c'est moi qui le dérange ? 

Je continue d'avancer, jugeant sa présence non menaçante et faisant attention de ne rien toucher. Après un moment, j'arrive finalement à la fin, découvrant l'ouverture un peu plus illuminée. J'inspire profondément, soulagée d'y être. J'ai l'impression d'avoir fait tout un périple.

Rapidement, je m'installe dans un coin, entre deux murs en briques. Mon sac se retrouve parterre, accompagné de mes gants. Je cherche à l'intérieur pour trouver mon kit médical et soigner ma blessure. 

J'imbibe une compresse d'alcool désinfectant avant de l'appliquer sur la plaie, l'essuyant par la même occasion. Je grimace, tentant de ne pas faire de bruits. Ce qui n'est pas très compliqué. Ma vie en tant que gamin m'a permis de me taire quand il le fallait.

J'applique de l'onguent et bande la plaie rapidement avant que quelqu'un ne vienne par ici. Je range tout et me laisse enfin aller contre le mur, soupirant à cause de la fatigue. Le trop plein d'émotions m'a épuisée, et maintenant stable, j'ai bien envie de dormir.

Mais je ne peux pas me le permettre. 

Je pourrais fermer les yeux le temps qu'il vienne.

Mais il arrive bientôt.

Quand, bientôt ?

Je pourrais me faire attaquer pendant mon sommeil.

Je suis bien cachée des autres. Qui penserait venir ici et agresser un sans abri qui n'a déjà rien ? 

Je peux fermer les yeux. Juste un peu. Je ne dormirai pas. J'attends juste mon protecteur, les yeux fermés. 

--

Je me réveille en sursaut, alertée par des bruits proches de moi. Un chat se tient devant moi, faisant face à quelque chose que le mur ne me permet pas de voir, venant de l'ouverture derrière la laverie. Il crache dans sa direction, les poils hérissés.

Mon premier réflexe est de me lever, attrapant mon sac et le serrant contre moi. Mon esprit est complètement embrouillé. J'agis sans même le vouloir.

 « Bouge pas gamin, il va te sauter dessus.»

J'obéis et ne fais rien, regardant le gros chat valser son regard entre lui et moi. L'ombre s'approche peu à peu du chat, dans une posture calme et rassurante.

« Les animaux sauvages sont souvent comme ça. Quand tu pénètres leur territoire, ils deviennent très agressifs. Un peu comme les hommes, tu ne crois pas ? dit-il en continuant d'avancer, Je n'aime pas trop quand je trouve des SDF dans ma laverie, mais je les laisse quand il fait vraiment froid.»

Je ne comprends pas vraiment pourquoi il me raconte ça. Il semble être entrain de calmer le chat et me partager son expérience en même temps. Essaierai-t-il de me rassurer ?

« Viens par ici, il tend une main vers moi, semblant sérieux, On sous-estime souvent ces petites bêtes, mais si elles sautent sur ton visage, tu peux être défigurer à vie.»

Je regarde l'homme puis diverge mon regard sur le chat. Il est maigre et frêle, son pelage sale et parsemé de sang. Il me semble inoffensif. Qu'est-ce que raconte cet homme ? 

Je m'approche tout de même de lui, veillant à garder une bonne distance.

« Maintenant, admire le coup de maître.»

Il s'empare d'une pierre au sol et la lance vers le chat, réussissant à le faire fuir.

C'est... tout ? 

Tout un stratagème pour si peu ?

Il pose ses mains sur ses hanches, riant à gorge déployée. J'en profite pour l'observer un peu plus. Il n'est pas si vieux que ça. Il doit avoir à peu près le même âge de Malcolm, mais pas la même prestance. Il est très étrange de rire pour aussi peu.

Il se tourne enfin vers moi, satisfait de lui. Je baisse instantanément la tête, serrant mon sac contre moi. Sans un mot, je retourne à ma place dans le coin, me recroquevillant sur moi-même en espérant qu'il s'en aille. Erreur.

« Tu es tout seul ?»

Il est désormais face à moi, les bras croisés. Son regard me scrute tandis que je me cache. Je secoue la tête négativement. Kad va bientôt arriver.

« Tu mens. Sinon, tu ne serais pas là. Tu as faim ? Soif ?»

Aucune réponse.

Il s'accroupit, me faisant reculer d'avantage. Kad va bientôt arriver.

« N'aie pas peur, me dit-il doucement, Je ne vais pas te faire de mal. Tu m'as l'air bien seul. C'est triste.»

Je lui réponds encore par le silence, espérant qu'il se lasse.

« Tu veux venir chez moi ? Je suis seul aussi. Un peu de compagnie ne me ferait pas de mal, ajoute-t-il avec un grand sourire.»

Je relève les yeux, cachant le reste de mon visage avec mon sac. Je croise les siens et remarque leur teinte sombre. On dirait deux puits sans fond.

« Tes yeux ! Un aussi grand et beau regard. Ils sont très charmeurs.»

Ses dents attrapent sa lèvre inférieure, a triturant légèrement. Je fronce les sourcils et baisse le regard, cette situation étrangement familière.

À la Casa, mon entrée dans le réfectoire, dans la salle d'entraînement, mes passages dans les couloirs, attiraient les regards et les murmures. Certains étaient curieux, d'autres menaçants ou encore amicaux. Et il y'en avaient d'autres, les pires. Les regards désireux.

Et c'est en le regardant dans ses grandes orbes où règne le néant, que je le remarque.

Il n'est pas là pour être ami avec moi. 

Je serre le sac d'avantage contre moi, évitant tout contact avec lui.

Kad va bientôt arriver.

Il pose sa main sur mon bras, provoquant des tremblements violents de ma part. Jordy, le psychologue, m'avait prévenu. Ça n'arrive pas qu'aux femmes.

Violemment, je rejette sa main d'un grand mouvement du bras. Il tombe en arrière, surpris par mon geste. Ma main retrouve rapidement ma poche, s'emparant de mon couteau. Je l'ai fait une fois. Pourrais-je le refaire une deuxième fois ?

« Doucement petit ! Je suis très gentil avec toi. Tu pourrais au moins me remercier, tu ne crois pas ?»

Je sens qu'il commence à perdre patience, son masque se brisant de plus en plus. Le temps passe et Kad n'est toujours pas là. J'ignore combien de temps j'ai dormi. Peut-être qu'il ne viendra pas.

« Viens avec moi, et tout ira bien.»

Il tend une main vers moi, et par réflexe, je lance mon bras dans sa direction, mon couteau dégainé. Il recule de justesse, mais ne parvient pas à sauver sa main.

Un filet de sang s'en échappe, m'aspergeant par la même occasion. 

Deux de ses doigts sont maintenant au sol.

Un hurlement sort de sa gorge alors que son autre main tient celle qui est coupée. Ses yeux la regardent avec effroi, tout comme les miens. Ils se changent ensuite, pleins de haine, et divergent vers ma personne.

Aïe. Je vais y passer.

Kad n'est finalement pas venu.

Je vais devoir m'en charger moi-même.

Il se relève, chargeant dans ma direction. Je mets à profit tout mon entraînement et dévie sur le côté, le laissant s'écraser contre le mur. Je relève mon coude et frappe à l'arrière de sa nuque. Raté. Ce coup a pour but de l'assommer, mais mon manteau est bien trop épais pour ça. Mes mouvements sont aussi ralentis par mes affaires.

Je tente de nouveau, envoyant mon pied en plein dans son genou. Il crie encore, s'écroulant à terre à quatre pattes. J'enchaîne alors en lui assénant un coup de pied dans l'estomac, le faisant complètement tomber, avant d'écraser une de mes énormes bottes contre son visage. 

Je recule un peu, observant son état. Il ne bouge plus, ayant sûrement perdu connaissance à cause de mon dernier coup. Ma respiration est saccadée à cause de l'effort et de l'adrénaline. Décidément, un problème n'arrive jamais sans un autre. J'essaie le sang qui a giclé sur mon visage, tremblant de la tête aux pieds, avant d'avancer pour m'emparer de mon sac près de mon assaillant. Tant pis si je dois partir. Kad devra me retrouver de lui-même.

Soudainement, en empoignant mon sac, quelque chose vient percuter mon visage, me faisant tomber à la renverse. Mon nez ne tard pas à saigner, atrocement douloureux. Trop sonnée pour le voir arriver, un corps s'écrase sur le mien.

J'essaie de me reprendre, distinguant le visage de mon assaillant. Sans réfléchir, j'attaque de nouveau, toujours armée de mon couteau. Il le voit venir et l'intercepte, m'attrapant sauvagement et tordant mon poignet. Je gémis et laisse tomber le couteau, totalement affaiblie.

Le couteau fermement tenu dans sa main, il prend son élan, levant son bras au dessus de sa tête pour m'achever. Est-ce que c'est terminé ?

Pour être honnête, je me sens lamentable. J'ai réussi à m'en sortir de nombreuses fois. J'ai réussi à battre des hommes bien plus expérimentés. J'aurais peut-être réussi à combattre le virus. Mais c'est un pédophile propriétaire de laverie qui va en finir avec la dernière femme encore en vie à ce jour, dans une impasse puante et banale ?

La mort m'aura surprise jusqu'au bout.

Une douleur aiguë me parvient à l'épaule, me faisant hurler. À ce point, ma couverture m'importe peu. Les femmes ne sont, de toute évidence, pas à son goût.

Il triture ma peau avec le couteau enfoncé dans ma chaire, agrandissant la plaie et faisant couler le sang à flot.

 « Oh non, tu ne vas pas mourir tout de suite, il colle sa bouche à mon oreille, me faisant plisser mon nez blessé, Je vais d'abord bien profiter de toi, puis te laisser crever tout seul.»

Il se redresse et me tourne sur le ventre. Il jette mon couteau plus loin derrière lui, puis des bruits de ceinture se font entendre, me laissant deviner qu'il enlève son pantalon.

La mort, avant que tu viennes me chercher, je suis obligée de souffrir ? Tu peux seulement me retirer la vie sans états d'âme ?

Sa main glisse lentement entre mes jambes, me faisant frissonner de dégoût. Le sang s'échappe de mon corps, me rendant faible. L'attaque contre mon visage m'a totalement désorientée. Je suis épuisée. Je n'arrive plus à me débattre. La bonne nouvelle, c'est que je ne vais pas mourir à cause de la maladie.

Dans tes dents, virus.

Des gémissements proviennent de l'homme, tandis que sa main remonte de plus en plus. Du coin de l'oeil, je vois que son autre main effectue des mouvements que je ne peux pas voir. Et même si je le pouvais, je préférerais être aveugle.

Comment un homme peut aimer infliger ça à un enfant ? Comment je devrais réagir sachant que des êtres aussi innocents sont victimes d'un acte aussi immonde ? Même si dans mon cas, mon apparence me rapproche plus d'un adolescent, infliger un châtiment pareil est inhumain. Personne ne devrait vivre ça. Personne ne devrait être forcé à faire quoi que ce soit. Aucun être humain ne peut avoir la prétention de posséder du pouvoir sur un autre.

Les larmes coulent de mes yeux fatigués, se mélangeant au cambouis, à la poussière et au sang tapissés sur mon visage. Mes traits doivent être méconnaissables.

« Gamin ? s'élève une voix.»

Je n'ai même pas pu dire au revoir à Kad. Lui qui devait se charger de moi, il se sentira comment quand il verra mon cadavre gisant sur le béton ? Je ne veux pas qu'il me voit dans cet état là et qu'il soit malheureux.

J'aurais trop envie de le prendre dans mes bras.

Sa main atteint finalement le haut de mon pantalon, passant sous mon manteau et s'apprêtant à tirer dessus.

Puis soudain, le monde s'arrête.

Le poids qui écrasait mes jambes se soulève, et juste après, un liquide chaud et épais gicle sur moi, semblable à une douche tiède. Une masse s'écrase ensuite à côté de moi.

Une joue collée contre le bitume, j'ouvre lentement les yeux, mes paupières pesant des tonnes.

Seul un tressaillement me traverse lorsqu'ils tombent directement dans deux iris noirs, écarquillés, et inactifs. Morts. Le sang de mon assaillant, coulant de sa gorge tranchée, se mêle au mien qui a déjà formé une petite flaque. Mes paupières retombent de nouveau, sans se fermer, toutefois.

Deux grandes mains me relèvent par les épaules, me faisant couiner de douleur. Ils ne me relâchent pas, me positionnant contre un support ferme, radiant de chaleur.

« Tu es... en... retard, je prends la peine de dire, faiblement.»

« Mais je finis toujours par arriver, non ?»

Sa voix se veut plus joueuse, mais c'est un échec. Je le sens. Il brûle de colère.

Ma tête retombe en avant, mes forces m'abandonnant définitivement. Je suis soulagée. Je ne vais pas mourir, finalement.

« Co-comment... Tu... Tu...»

« Shhht, arrête, ses bras glissent en dessous de moi pour me porter, ma tête se posant contre son torse, Tant que je suis là, tu ne mourras pas. Plus jamais je ne te laisse seule, finit-il par marmonner.»

Plus jamais, s'il-te-plait.

Je ne force pas et me laisse aller, m'effondrant contre lui. Quoi qu'il arrive, je lui fais confiance. Il arrivera toujours à nous sauver.

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Chapitre très trèèèèès long, je me suis laissée aller avec les descriptions. Oups. Mais j'ai aimé, ça fait un moment que je n'avais pas décrit comme ça. C'est rafraîchissant. J'ai un peu trop abusé à certains moment à décrire tout et n'importe quoi, j'en suis navrée ! 

C'était aussi très dur d'écrire la scène de la tentative de viol. Merci à Kad de m'avoir évité ce moment horrible. Mais voilà, le périple d'Erin continue, ça veut dire qu'elle doit continuer à rencontrer les aspects les plus sombres du monde. Ce n'est malheureusement pas terminé. 

Ce chapitre n'est absolument pas corrigé, je n'ai toujours pas dormi, et je suis sûre et certaine qu'il est bourré de fautes (de temps par exemple, je me suis reprise plusieurs fois, mais certaines erreurs ont du m'échapper). Je suis vraiment épuisée, mais je me devais de le poster. Je suis très inspirée, pour le coup.

Alors, qu'est-ce que vous en avez pensé ? Quelque chose vous a déplu ? Gêné ? Ému ? Je veux touuut savoir.

Que va-t-il se passer dans le prochain chapitre ? Est-ce que ça va contrecarrer leur voyage ?  Quelles seront les séquelles qu'Erin va garder ? 

Merci beaucoup pour votre lecture et à la prochaine ! J'espère. ;)

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