Chapitre 10

Je suis réveillée par une légère secousse. Mes yeux s'ouvrent sur le regard émeraude de mon unique frère, qui me sourit doucement.

« Ta température a baissé, me dit-il en posant une main sur mon front, Tu te sens mieux ?»

Mon corps flotte légèrement, signe que je suis encore un peu dans les vapes, mais je hoche positivement la tête pour lui répondre. Je frotte mes yeux, me redressant tout doucement. Un verra d'eau apparaît devant moi. Je le prends sans attendre et bois jusqu'à la dernière goutte.

« L'entraînement est terminé. Il est temps de retourner dans ta chambre.»

Il m'aide à me lever, attendant que je m'étire en baillant. Je peux me tenir debout, me sentant beaucoup mieux que tout à l'heure. Dans la salle principale où sont alignés les lits, les hommes se dirigent déjà vers la grande porte pour en sortir. Nous les suivons sans un mot.

Une fois dans le couloir, je suis Blake qui s'y retrouve mieux que moi dans ce labyrinthe interminable. On croise beaucoup d'hommes allant dans différentes direction. La plupart ont l'air épuisés. Je les comprends. Reese fait vraiment en sorte de ne jamais les laisser dormir  l'esprit tranquille. D'un côté, les surmener ainsi est mauvais pour leur santé physique et mentale. Mais d'un autre, sauver leur vie est une priorité. Après tout, Reese a déjà tout perdu. Si il fait tout ça, c'est bien pour leur protection.

Finalement, on arrive devant ma chambre. Il y a quelques personnes dans le couloir qui ne nous accordent pas d'attention, et semblent se diriger vers le réfectoire. Je constate aussi que les lumières sont allumées.

« Il est quelle heure ? »

« L'heure de manger.»

« Pourquoi ils sont aussi calmes ?»

En temps normal, aller au réfectoire est un vrai supplice. J'ai déjà pu mettre à l'oeuvre plusieurs plans afin de mériter ma place et mon repas, à l'aide d'autres personnes avec qui j'ai réussi à sympathiser. J'ai remarqué une chose ici. Au moment où on a besoin d'entraide, même ceux à qui l'on n'a jamais adressé la parole viennent en aide. C'est ce qui m'est arrivé. Je me suis alliée à plusieurs hommes sans pour autant leur parler une seule fois dans ma vie.

« Tout le monde a sa portion le jour de pause.»

« Logique, affirmé-je, On devrait y aller, alors.»

Alors que je commence à marcher, Blake me retient. Je le regarde, intriguée par son comportement.

« J'allais plutôt te l'apporter dans ta chambre. En plus, tu as besoin d'une plus grande portion pour retrouver tes forces.»

« Blake, je n'ai pas le droit aux traitements de faveurs. Ça ne va pas plaire à Reese.»

« Je pense qu'il comprendra parfaitement.»

« Tu veux encore qu'on se dispute comme aux premiers jours ? dis-je en croisant mes bras d'un air mécontent.»

« Tu me menaces là ? s'énerve-t-il, Arrête d'agir comme une enfant pourrie gâtée et écoute ce que je te dis pour une fois. Tu as besoin de repos !»

Il crie la dernière phrase, me faisant sursauter. Son soudain changement de comportement me surprend, mais au lieu de crier en retour, je soupire en décroisant mes bras. Il faut que je garde contenance et que je lui montre que je vais très bien.

« Je vais juste aller manger au réfectoire avec les autres, puis tu viendras avec moi pour que je retournes dans ma chambre. Je n'irai pas à l'entraînement demain, ni après-demain, ni la semaine prochaine si tu veux, tant que je ne suis pas guérie. J'ai passé toute la journée à dormir, et je commence vraiment à en avoir marre. J'ai besoin de me changer les idées, tu comprends ?»

Il me regarde, sans un mot, étant sûrement entrain de peser le pour et le contre. Il n'a jamais été très protecteur quand nous étions au domaine. Il savait très bien que mon père nous protégeait assez comme ça. Mais il s'était bien trompé. Même si je lui en voulais de m'avoir abandonné, j'ai réussi à lui pardonner. Après tout, c'est mon frère. Il finit alors par hocher la tête, baissant les yeux, comme s'il admet sa défaite.

« C'est d'accord. Mais on ne traîne pas ! ajoute-t-il alors que je l'entoure de mes bras pour le remercier.»

Je me détache rapidement de lui et prend le chemin qui mène vers le réfectoire. Je suis maintenant ce bonne humeur, sautillant légèrement sur mon chemin, faisant voler ma longue chevelure.

« Tu devrais peut-être penser à les couper.»

Je prends mes cheveux entre mes mains, les inspectant soigneusement. Ils n'étaient plus aussi abîmés que pendant mon voyage, mais restent tout de même assez fourchus. De plus, ils ne feront que me gêner à voler autour de moi et m'obstruer la vue.

« Oui, déclaré-je, tu le feras après dîner.»

Quelques minutes plus tard, nous sommes déjà dans l'habituel réfectoire. J'ai l'impression de passer ma vie entière ici. Je rejoins Abdel à une table, obéissant à Blake qui va chercher nos plateaux. Une fois à table, l'égyptien me saute littéralement dessus.

« Erin ! Papa m'a dit pour ton problème. Comment tu te sens ?»

Il recule et pose ses mains sur mes épaules, me regardant droit dans les yeux. Il est inquiet pour moi, son expression est plus sérieuse que d'habitude. Je lui offre un sourire sincère, pour lui montrer que je m'en sors.

« C'est juste un rhume, rien de très grave, le rassuré-je, Comment s'est passé l'entraînement de votre côté ?»

Il me relâche et s'accoude à la table, mettant sa tête entre ses deux mains. Lui aussi est très épuisé.

« Vraiment fatiguant. J'ai cru que c'était une vraie alerte. Je voulais venir te voir, mais le chef de mon groupe m'a dit de garder mon sang froid. Et puis, je suis sûre qu'entre nous tous, tu es celle qui es le plus en sécurité.»

Sa dernière déclaration me brise le cœur. Jusque là, j'avais toujours pensé qu'être la dernière des femmes signifie être bien protégée. C'est justement le cas, mais à quel prix ? Ça signifie que des tas de vies peuvent être prises, tant que ce n'est pas la mienne ? Que des personnes comme Abdel peuvent aller au combat et y mourir, mais pas moi ? Même si je suis pratiquement placée au même niveau que lui ? Je n'ai pas choisi d'être une femme. Même si je suis contente d'être en vie et en sécurité, je refuse de rester là sans rien faire, pendant que d'autres se sacrifient.

« Pourquoi est-ce que tu t'inquiètes autant pour moi ?»

Il fronce les sourcils, comme si c'était évident. Pourtant, ma question est sincère. Je ne comprends pas ce qui le motive à chercher après moi.

« Parce qu'on est amis, Erin. Tant que tu n'es pas à portée de vue, je m'inquiéterai toujours pour toi, surtout que le monde entier cherche après toi. C'est ça l'amitié.»

Il me sourit chaleureusement, posant une main réconfortante sur mon épaule.

« Je serais toujours là pour t'aider, peu importe ce que tu me demandes.»

« Comme c'est touchant, dit soudainement une voix apparue de nul part, Maintenant, mange ton poisson et laisse la se nourrir.»

Un plateau s'écrase sur la table, juste devant moi, et Blake apparaît à mes côtés. Mon assiette se constitue de pâtes et d'un steak haché, pas très appétissant.

« Manger du poisson est un choix. Ramène moi de la viande halal et on en reparlera, marmonne le basané en entamant son assiette.»

Blake hausse les épaules, faussement désolé. Je regarde le poisson posé dans l'assiette de mon ami qu'il mange sans grande envie, mais qu'il termine quand même. Je trouve ça noble de sa part. Suivre les règles dictées par sa religion, et uniquement par choix, parce que sa foi n'est jamais ébranlée, malgré le monde sinistre dans lequel on vit. Il n'arrête jamais d'y croire, persuadé que L'on veille sur nous de là-haut. Et je le respecte beaucoup pour cela.

Un autre plateau vient s'ajouter sur la table. Je relève les yeux pour croiser un étrange regard. Ces yeux vairons ne me sont pas inconnus, mais ça fait très longtemps que je ne les ai pas croisé. J'avais même oublié son existence.

« Comme on se retrouve, ma jolie ! Tu te souviens de moi, n'est-ce pas ?»

Je grince des dents. Bien sûr que je m'en souviens. La première fois que je suis allée seule au réfectoire, cet homme m'a collé dans la file d'attente, jusqu'à ce que Kad intervienne. Je ne l'ai pas revu depuis cette fois là, vivant parfaitement bien avec les problèmes que j'ai déjà.

« Ta tête me dit que oui, un sourire malhonnête se dessine sur son visage.»

« Tu le connais ? me demandent Blake et Abdel, tous les deux confus.»

« Malheureusement, soupiré-je.»

Le nouveau venu pose une main sur sa poitrine, faussement outré.

« Tu fais mal à mon petit cœur.»

« Je vais te faire mal autre part si tu dégages pas maintenant, attaque Abdel.»

« Doucement le chien de garde, je ne peux pas la toucher mais te faire mal à toi est très facile.»

Son expression devient soudainement plus menaçante. Je décide alors d'intervenir.

« Qu'est-ce que tu veux ? soupiré-je.»

« Toi.»

Un grand sourire se plaque sur son visage, et avant que l'un de mes deux protecteurs n'intervienne, il reprend.

« Mais ça peut encore attendre. J'ai eu beaucoup de mal à t'approcher, puisque tu n'es jamais seule. Alors j'ai quand même tenté ma chance. »

« Retente la ailleurs, dans une autre vie, grogne mon frère.»

« Une autre dimension, renchérit Abdel.»

« Et donc ? Qu'est-ce que tu me veux ? répété-je en ignorant les deux autres.»

« Je t'ai observée durant les entraînements. Je ne suis pas dans le même groupe que toi, et c'est justement la raison pour laquelle je te propose d'intégrer le mien.»

Les deux autres se lèvent soudainement, attirant l'attention des personnes aux alentours.

« Pardon ?! crie l'égyptien.»

« Jamais ! s'écrie mon frère en l'empoignant par le col de son t-shirt, Elle n'ira jamais avec une ordure telle que toi.»

« Blake, calme toi ! Lâche le !»

Je le force à retirer sa poigne et à s'éloigner de lui. Un seul regard circulaire me suffit pour comprendre que l'attention de tout le monde est centrée sur nous. Je les force à s'asseoir de nouveau, inspirant profondément. Je tente de garder mon calme et réfléchir. Sa proposition est trop soudaine.

« Quels sont tes arguments ? demandé-je calmement.»

« Tu n'as pas besoin de les connaitre, refuse directem...»

Je lance un regard noir à Blake pour l'inciter à se taire. Il devrait me faire un peu plus confiance.

« Tu n'as pas l'air à l'aise dans le groupe de ce cher Reagan. Si je te propose ça, c'est uniquement dans ton intérêt. J'ai aussi appris que tu ne te sentais pas très bien, tout à l'heure, je cache mon choc, mais en effet, les nouvelles vont drôlement vite, Tu devrais faire attention à ta santé.»

« Tu n'as pas tort, mais qui me dit que tu n'as pas une idée derrière la tête ?»

Il hausse les épaules.

« Personne. Accepte et tu le verras par toi-même.»

À peine sa phrase terminée que je renchéris.

« D'accord. Laisse moi le temps d'y réfléchir.»

Tous les trois surpris, l'homme aux yeux vairons affiche de nouveau un sourire, ayant l'air très satisfait. Il se relève d'un coup, emportant avec lui son plateau.

« Bien, je t'attendrais ma beauté. Chandler, pour te servir. »

Il s'en va, sans rien ajouter. J'expire profondément, détendant mes muscles crispés.

« Quel lèche-cul, marmonne Abdel.»

« Comment ça tu vas y réfléchir? s'écrie Blake.»

« Détends toi. J'avais juste besoin qu'il parte pour réfléchir correctement. Je vais bien évidemment refuser, mais sa proposition est étrange. Pourquoi voudrait-il de moi dans son groupe ?»

« Tu poses des questions innocentes, ma beauté, dit-il en imitant l'autre, recevant un regard meurtrier de ma part, Plusieurs personnes vont essayer de te mettre dans leur poche de cette façon là. Malheureusement pour lui, tu n'es pas naïve au point de croire à ses belles paroles.»

Je soupire, épuisée par tous les événements qui s'enchaînent.

« Tu avais raison Blake. J'aurais dû rester dans ma chambre. Allons-y.»

Je me lève en emportant mon plateau, suivie de près par mon frère. Je salue Abdel d'un signe de tête et m'en vais sans plus attendre. J'ai à peine touché à mon plateau, et mon lit me manque déjà alors que je l'ai quitté quelques minutes plus tôt. Mon corps s'épuise de plus en plus vite. Ce rhume est plus sévère qu'il n'y parait.

Une fois devant ma chambre, je pose ma main sur la poignée. Blake me tapote le dos, se voulant sûrement rassurant.

« Ça va aller. Tu as déjà connu pire que ça.»

« Et je vais connaître pire que ce que j'ai déjà vécu. »

« Qu'est-ce qui te fait dire ça ? me questionne-t-il en fronçant les sourcils. »

Je hausse les épaules. Je ne sais pas, un mauvais pressentiment.

« Arrête de trop penser, tu vas tomber encore plus malade. »

« C'est n'importe quoi, mais je ris légèrement, amusée par sa vaine tentative de me rassurer. »

« Tant que ton grand frère sera là, rien ne t'arrivera. »

Je me mords les lèvres, essayant de ne pas me rappeler le passé. C'est ce qu'il me disait toujours, et il avait toujours raison. Mais j'ai l'impression que le Blaky que j'affectionnais tant n'est plus le même. Tout comme je ne suis plus la même.

« Merci, je réponds avec sincérité. Bonne nuit, et fais attention à toi.»

Il ricane en s'éloignant.

« Toi, fais attention à toi. »

Je n'attends pas qu'il disparaisse et entre, un sourire aux lèvres.

Sourire qui se décompose au moment où je relève la tête.

Mes yeux s'écarquillent et un hoquet reste coincé dans ma gorge. Ma mâchoire tombe, je pourrais presque croire qu'elle va percuter le sol. J'aimerais hurler mais aucun son ne glisse entre mes lèvres.

Tout doucement, tremblotante, je recule de quelques pas. Ma bouche s'ouvre et se referme, tentant de former des mots plus ou moins cohérents.

Puis enfin, j'explose.

« Blake ! »

Instantanément, les jambes me portent vers la direction qu'il a pris.

« Blake ! Blake ! »

Malgré les grandes enjambées que j'effectue, je ne vais pas assez vite à mon goût. Le couloir qui était si court me parait maintenant interminable.

« Blake ! Reviens ! »

Arrivée à l'intersection, je m'apprête à tourner pour continuer à le chercher.

« Bla... »

Et là, ma tête percute quelque chose. Mon corps se renverse en arrière, retenu de justesse par deux bras, avant que je ne m'écrase au sol.

« Quoi ?! Qu'est-ce qu'il se passe ? »

J'ouvre les yeux, croisant de nouveau les orbes vertes de l'unique membre de ma famille. Je pose mes deux mains sur ses épaules, cherchant de la stabilité.

« Quelqu'un..., commencé-je essoufflée, Quelqu'un est entré dans ma chambre ! »

-

Assise sur le canapé en cuir noir autour d'une table basse, une couverture se dépose sur les épaules. Je relève la tête, croisant le regard inquiet de Blake. Je ne tente même pas un sourire. Je suis encore choquée par ce qu'il vient de se passer.

Reese frotte son visage avec une main, regardant en boucle la vidéo venant des caméras de surveillance se trouvant aux alentours de ma chambre, ainsi que celle se trouvant juste devant celle-ci. On y voit toutes les personnes entrant et sortant, passant devant, s'arrêter devant.

La vidéo d'aujourd'hui montre uniquement quand je suis sortie de la chambre. En effet, j'avais l'air d'être dans un état lamentable. Dans une autre vidéo, un peu plus loin dans le couloir, on y voit Kad avec moi, me portant jusqu'à disparaître. Puis ensuite, rien. Jusqu'à ce que j'apparaisse de nouveau avec Blake. On le voit clairement énervé dessus, puis on s'en va tous les deux, allant au réfectoire. Et encore plus rien. Puis une nouvelle fois, Blake et moi, lui s'en allant et moi découvrant l'état de ma chambre avec choc. Et la vidéo tourne encore, encore, et encore. Sempiternellement.

Reese a beau la voir et la revoir, la conclusion reste la même.

« Les vidéos ont été sabotées. La personne qui en est à l'origine vient de l'intérieur. »

« Un traître ? propose Ammon. »

« Sans aucun doute, intervient Kad, observant silencieusement la vidéo jusque là. »

Il rejoue un moment précis où personne n'est dans les couloirs, puis le défile doucement. Il refait ça à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'on le remarque aussi. À un moment, la vidéo tressaute, comme si on passait d'une scène à une autre. 

« C'est un montage. Le traître a choisi le moment précis où il n'y avait personne dans le couloir. Pas seulement pour cacher sa présence.»

« C'est pour pouvoir superposer les images, dit Reese, comprenant la suite.»

« Exact, approuve Kad, Les images auraient été trop suspectes si des personnes passent, puis d'un coup d'autres visages apparaissent. Ce n'est pas une personne venant de l'extérieur.» 

«Ça vient de l'intérieur. Une personne qui a pu avoir accès aux caméras. Sinon, les radars l'auraient déjà détecté à des kilomètres.»

Kad recule, revenant dans un coin de la pièce. La vidéo tourne de nouveau, et encore une fois, on me voit reculer et courir dans le couloir.

« "Le Diable est proche", qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? demande pensivement Blake, assit à côté de moi.»

Cette phrase me donne des frissons. Elle est écrite en rouge et en grande lettre sur tout le mur de ma chambre. Ils pensaient d'abord que c'était de la peinture, avant de bien analyser les lieux.

Du sang. C'était du sang.

Plusieurs tâches ont volés un peu partout. Les meubles sont renversés et cassés, le bruit passant inaperçu à cause de l'alarme. C'était juste après que je sois sortie. Ce n'est pas possible autrement.

Mais le pire n'était pas là.

« Et l'homme dans la salle de bain ? demande Ammon.»

« Soit une victime, soit un équipier. On ne le saura probablement jamais, répond Kad en allumant une cigarette.»

« Qui peut bien faire une chose pareille ? souffle Blake.»

Il frotte distraitement mon bras, perdu dans ses pensées.

« Qui d'autre que ces putains de chiens, grogne Reese.»

Après avoir vu l'état de la chambre, ils se dirigent vers la salle de bain, mon ancien guide étant celui qui ouvre la porte. Une fois celle-ci ouverte, chacun a un mouvement de recul.

« Merde, souffle Ammon en détournant les yeux.»

Sans demander, j'avance pour voir ce qui provoque cette réaction.

« Ne la laisse pas venir ! s'exclame Kad.»

Mais c'est déjà trop tard.

Mes yeux s'écarquillent devant le spectacle qui s'offre à moi. Un homme, pendu par le cou à la barre de douche, nu, le corps mutilé. Je ne regarde pas l'énorme flaque de sang située sous son corps pendant dans le vide. Je ne regarde pas chaque goutte de sang glisser de son corps pour s'échouer dans la flaque pour venir la compléter. Je ne regarde pas les membres coupés, la gorge tranchée, ni ses yeux révulsés dont les vaisseaux éclatés rendent le blanc indiscernable.

Je regarde son déguisement.

Une perruque brune repose sur sa tête. Son visage est grossièrement maquillé et une poitrine a été dessinée sur son torse.

C'est donc le sort qui m'attend ?

« Tu penses qu'ils pourraient se suicider dans l'unique but de faire passer un message ? »

Ammon vient de poser la question que j'étais justement entrain de me demander. Seraient-ils fous à ce point ?

« Ouais, j'en doute pas une seule seconde, reprend le chef, Ils voulaient sûrement effrayer la petite pour ensuite envoyer un de leurs sbires pour la mettre en confiance et l'avoir plus facilement.»

Blake se redresse soudainement, me lâchant rapidement. Son comportement attire leur attention.

« Quoi ? demande le chef en plissant les yeux.»

« Chandler.»

Il me regarde alors, tout aussi choqué que moi. Je comprends où il veut en venir. Il tourne ensuite la tête vers eux et fait part de sa découverte.

« Il essayait de la convaincre pour l'intégrer dans son groupe d'entraînement. Erin trouvait son comportement suspicieux mais pas moi. Il se pourrait qu'il soit derrière tout ça.»

Il se lève, convaincu de ses propos.

« Il a demandé ça au dîner. Il pensait sûrement qu'elle était déjà passée par sa chambre. Il était également au courant pour son malaise. Il n'y a plus aucun doute. C'est lui.»

« Ammon, va dans le dortoir où est ce traître et ramène le dans la prison, ordonne rapidement Reese, Je vais lui faire cracher la moindre des informations qu'il a, même si il doit en perdre des membres.»

Un frisson de dégoût me parcourt. C'est donc cet homme qui m'a approché à deux reprises qui a commis un acte aussi horrible ? Mes yeux sont fixés sur la table basse, regardant désespérément le vide. Voilà pourquoi je ne fais confiance à personne.

« C'est sûrement pas le seul, reprend le chef après le départ du soldat, Trouver les traîtres est moins facile que ça en a l'air. Ils peuvent tourner leur veste d'un seul coup, sans même venir de l'extérieur. Si seulement je trouvais leur moyen de communication.»

« Tu y penseras plus tard. On a un autre problème, intervient Kad.»

Un silence plane soudainement, me poussant à relever les yeux. Avec surprise, je découvre tous les regards braqués sur moi. Reese s'approche de moi, me surplombant de toute sa hauteur, déjà que je suis assise sur le canapé. 

« Petite, il faut que tu comprennes que ça ne sera pas le seul tordu que tu rencontreras.»

Je baisse la tête instinctivement, me remémorant toutes les personnes qui m'ont voulu du mal.

« Tu ne dois pas te laisser amadouer par quelques belles paroles compris ? Même si c'est tentant, ne te laisse surtout pas avoir.»

« Qu'est-ce que vous racontez ?»

Je relève la tête, plantant mon regard perçant dans le sien. Je peux y lire de la surprise causée par ce que le mien affiche.

Aucune trace de peur. Uniquement de la colère et de la détermination.

« Je ne sais pas quel genre de femme vous avez fréquenté. Je ne sais pas comment elles étaient en général. Je ne sais pas comment une femme normale est censée réagir dans cette situation. Mais ai-je l'air assez stupide pour faire confiance à n'importe qui ? »

Je retire la couverture posée sur mes épaules et me relève.

« Je pense pouvoir faire la part des choses. N'oubliez pas que j'ai voyagé jusque là sans jamais accorder une totale confiance à une personne.»

Il me regarde, toujours de haut, mais je peux lire du respect dans son regard. Je n'ai pas besoin de plus.

« Bien. Maintenant, il faut te trouver un endroit où dormir.»

Instinctivement, je me tourne vers Blake. Cependant, il me regarde d'un air désolé.

« Je t'aurais bien hébergé, mais je dors dans un dortoir. À moins qu'il reste des chambres individuelles.»

Reese secoue négativement la tête.

« La seule chambre individuelle qu'il restait était celle là. Elle appartenait à Mason, avant que celui-ci ne trouve la mort.»

Je déglutis. Après avoir vu le cadavre de l'homme dans la salle de bain, j'ai maintenant encore moins envie d'y retourner. Les images du défunt me reviennent en tête, me serrant le cœur. Je n'arriverais décidément jamais à passer à autre chose.

« Il n'y en a que trois. Celle-là, la mienne, et une autre. D'ailleurs, ça tombe bien, elle est occupée par un très bon ami à moi. Je suis sûr qu'il saura te protéger sans protester, dit-il d'un air moqueur.»

Un soupir se fait entendre. Nos regards se tournent vers l'unique autre individu présent. Pourquoi je ne suis même pas un peu étonnée ? 

« C'est bon, j'ai compris. J'espère pour toi que tu dors en silence, gamine, à défaut de ne pas la fermer quand tu es réveillée. Sinon, tu dors au sol.»

Génial. Je vais encore devoir cohabiter avec Kad Reagan.

--

Petite anecdote: La chambre d'Erin appartenait bien à Mason. Mais avant cela, elle était d'abord à Wilfrid, avant qu'il ne se fasse passer pour mort. C'est aussi dans cette même chambre que se sont réunis les membres de l'escouade et Kad, dans l'épilogue du tome 1.

Deux chapitres, pour vous faire plaisir ! J'aurais bien aimé en écrire un troisième, étant très inspirée, mais ça va devoir attendre la semaine prochaine, pendant les vacances. Cette semaine est chargée en examens pour moi. Souhaitez moi bonne chance, je vais mourir.

À bientôt ! Et merci pour la lecture. ;)


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