K. Le destin de l'Empire - seizième partie

Recroquevillé dans un coin de sa cellule entre les murs du palais impérial, le colonel Diadia ruminait ses fautes et ses regrets.


Il était l'un des trois officiers les plus gradés de la défense planétaire de Nirauran quand le BSI avait lancé sa prise de contrôle. Les oiseaux de proie du Bureau avaient déferlé sur son quartier général, exigeant des troupes pour procéder à l'arrestation de "conspirateurs".


En temps normal Diada avait des tas de supérieurs pour prendre les décisions critiques à sa place, mais ils étaient tous confinés au palais impérial, injoignables après la brutale interruption du discours du régent. Son adjoint le pressait de faire arrêter les agents en attendant les ordres du général Scrubs, du gouverneur Rmiss ou même de n'importe qui d'assez qualifié pour s'opposer au Bureau.

Mais le colonel avait peur. Peur de l'inconnu, du chaos, de faire le mauvais choix. Son indécision le poussa à la soumission. Il avait donc vérifié, revérifié puis docilement transmis les ordres d'arrestation à ses troupes et observé les transports chargés de soldats décoller sans rien dire. Aux ordres du BSI, ils allaient écraser une tentative de putsch. Ou assurer sa réussite, Diada ne savait pas bien.


Il n'avait fallut que deux jours pour que les agents en gris viennent arrêter son adjoint. Le colonel avait serré les poings, détourné les yeux et gardé le silence alors qu'on l'entraînait hors du poste de commandement. Les temps changeaient, il fallait s'adapter. 

Personne n'avait protesté non plus quand c'était lui que les agents avaient arrêté quelques jours plus tard. Le BSI ne s'embarrassait même plus d'accusations pour justifier ses rafles. Traîtres, dissidents, suspects ou simple critiques du nouveau régime peu importait au fond. Le Bureau avait le pouvoir d'emprisonner qui il souhaitait sans motif pour aussi longtemps qu'il le jugeait utile, et il ne s'en privait pas. Même ceux qui avaient assuré leur prise de contrôle par une passivité complice, comme Diada.


La cruelle amertume qui serrait la gorge du colonel déchu n'était pourtant rien face aux souffrances endurées par un autre prisonnier quelques cellules plus loin.


Essoufflé et terrifié l'agent Nico émergea brutalement des tourments virtuels. Il tenta de bouger mais des entraves enserraient solidement ses membres, empêchant tout mouvement. Ses yeux cherchèrent désespérément un point sur lequel s'accrocher, mais ne rencontrèrent qu'un plafond lisse et noir d'où émanait une lumière sans chaleur.


Un sifflement bref retentit et la machine à laquelle l'agent était entravé se redressa. On aurait dit un chevalet de torture médiéval, mais d'ignobles tuyaux d'acier s'enfonçant dans les tempes du prisonnier dénotaient un niveau technologique nettement plus élevé. La finalité restait pourtant la même; l'afflictum existait pour infliger d'intolérables souffrances, piratant le système nerveux à sa source pour transmettre l'illusion de mourir des plus affreuses manières à tout ceux qui y étaient soumis. Les tuer à l'intérieur de leur esprit, sans fin.

Écorché. Noyé. Pendu. Brûlé. Décapité. Démembré. Exposés au vide spatial. Dissous dans un bain d'acide. Déchiqueté par des chiens. L'imagination morbide des programmateurs était prolifique.


-Êtes vous disposé à nous dire enfin la vérité? demanda une voix féminine.


Nico voyait maintenant son interrogatrice. Une femme au visage banal, l'expression froide et sanglée dans un uniforme gris du BSI.

Le prisonnier ouvrit la bouche et émit un gémissement inarticulé. Une unique larme coula sur sa joue.


-Vous le poussez trop, observa un homme à la voix si faible qu'il fallait tendre l'oreille pour l'entendre. Si vous le lobotomisez on en tirera plus rien.

-Je connais mon travail agent Carlsson, répliqua sèchement  la femme.


Elle siffla sur une note et une durée précise. Nico tressaillit comme si une décharge électrique traversait son corps et Carlsson comprit que l'afflictum venait d'injecter un produit stimulant à sa victime.


-Vous m'avez mentit, accusa la femme sans la moindre colère.


Nico ne répondit rien, fermant les yeux de toutes ses forces.


-Regardez moi, exigea-t-elle. Regardez moi!


Elle avait hurlé. Le prisonnier rouvrit les yeux. Les pupilles de l'ex agent étaient dilatées à l'extrême, ressemblant à deux lacs noirs. Vides.


-Vous m'avez dit que vous n'aviez fait que fournir les tueurs, expliqua-t-elle patiemment. Or nous avons découvert que vous avez accédé aux mesures de sécurité détaillées du palais en utilisant les codes d'accès d'un agent de grade plus élevé. Vous croyez vraiment que ça allait nous échapper, Nico?


L'intéressé garda le silence.


-Je veux une réponse, insista-t-elle.

-Non, lâcha-t-il d'une voix éraillée.


Satisfaite d'avoir réussi à arracher une réaction même laconique, la femme se rapprocha.


-Alors vous espériez juste gagner du temps. Nous en faire perdre. C'est une attitude très loyale, ou très stupide, Nico. Pour qui vous travaillez? Qui vous inspire une telle fidélité?


L'autre la fixait sans la voir. Son esprit tentait de se réfugier dans une bulle protectrice, loin de la souffrance, loin de tout. Carlsson reconnaissait les symptômes; encore un peu et il entrerait dans un état de prostration complet dont aucun mauvais traitement ne pourrait le sortir, et on en tirerait plus rien d'utile.

Une gifle sonore claqua.


-Dites moi pour qui vous travaillez et la souffrance s'arrêtera, susurra l'interrogatrice avant de hurler à son oreille: donnez moi quelque chose ou je vous renvoie dans l'afflictum!


L'agent Zule avait la réputation d'être la meilleure spécialiste des "aveux spontanés" du BSI et Carlsson trouvait qu'elle prenait un plaisir tout à fait malsain à ce travail. Sans doute la raison pour laquelle elle y excellait d'ailleurs.


Mais contrairement à la plupart de ses "sujets" Nico avait été entraîné à résister à la torture. Il avait commencé par se taire, pas longtemps, puis jeté des mensonges mêlés de vérité difficilement vérifiables.

Zule semblait prendre un malin plaisir à effleurer les limites de son art, mais Carlsson n'avait pas le temps d'attendre qu'elle délie patiemment les fils de la trahison de leur ancien collègue. Il avait besoin de faits, de pistes, de noms. Assister à l'interrogatoire de Nico avait seulement été une perte de temps.


Laissant Zule poursuivre sa sinistre besogne, il quitta silencieusement la pièce.

Une fois franchit un sas, les parois noires de la cellule devenaient transparentes. Ce dispositif permettait à d'autres agents d'observer le prisonnier sans être vu. En l'occurrence la salle d'observation n'accueillait qu'une seule spectatrice. Encadrée par la haute silhouette de deux droïdes de combat dernière génération, la femme la plus puissante de l'Empire semblait de mauvaise humeur. Elle ne se déplaçait plus sans cette escorte blindée, qu'elle préférait désormais à ses gardes du corps humains.

-Madame la directrice, lança Carlsson en saluant.

-Repos. Où en est votre enquête?


L'agent ne répondit pas immédiatement. Si Nina Septime venait en personne s'enquérir de ses progrès dans l'investigation qu'il menait sur l'attentat contre le régent, ce n'était certainement pas par hasard. Et sa réponse risquait de ne pas lui plaire.


-Comme précisé dans mon dernier rapport, la cellule responsable de l'attentat contre le régent a été organisée par l'agent Nico, un des responsables les plus gradés du BSI sur Nirauran. Celui-ci a utilisé ses accréditations pour permettre à deux mercenaires embauchés à l'origine par le conseiller Rmiss d'échapper à leurs poursuivants et de frapper leur cible. Il a ensuite éliminé les deux tueurs une fois le travail effectué. Nous avons identifié certains de ses complices, dont la plupart disent avoir été trompés et coopèrent pleinement à l'enquête. Deux se sont suicidés avant arrestation. Certains indices laissent directement penser que le gouverneur Rmiss est derrière ces attaques.

-Si Rmiss avait eu les moyens de monter une telle opération, il n'aurait pas eu besoin de voter pour un autre régent que lui même, il aurait prit soin d'effacer toute trace menant à lui et il n'aurait surtout pas utilisé ses propres mercenaires. C'est une fausse piste. En bref nous n'avons rien.


Carlsson sentit qu'il devait présenter ses efforts sous un jour plus positif. Charger Zule peut-être?


-Je le crois aussi madame. Toutefois je suis persuadé que l'agent Nico savait pour qui il travaillait vraiment. Malheureusement malgré... L'expertise professionnelle de l'agent Zule, il refuse de nous communiquer cette information.


Nina Septime jeta un regard froid au prisonnier à travers la vitre.


-La torture est inutile pour obtenir des informations fiables, lâcha-t-elle. Vous devriez le savoir.

-Oui madame. Dois-je mettre fin à l'interrogatoire dans ce cas?

-Non. On ne sait jamais. Et puis une mort rapide est trop douce pour un traître de son rang.


Carlsson acquiesça docilement. Après tout c'était le seul véritable usage de la torture: terroriser. La plupart des gens se mettaient immédiatement à table parce qu'ils savaient ce que le BSI avait le pouvoir de leur faire. On instillait pas la peur à toute une population par de longs et patients interrogatoires, pourtant bien plus efficaces; de temps en temps il fallait mettre des gens en pièces. Cruellement.


-Nous vivons des temps troublés agent Carlsson, reprit la directrice, l'air préoccupé. La trêve que j'ai réussi à négocier avec la SOB nous a fait gagner du temps et un peu de crédit auprès de la population, mais le nouveau régime reste fragile. Nous devons frapper les responsables du meurtre du régent publiquement. Une exécution générale montrera que l'ère de la complaisance envers les dissidents et les traîtres s'achève. Vous me comprenez?


Carlsson hocha la tête. Son enquête continuerait officieusement, mais il devrait fournir à Nina Septime une version officielle plausible, solide et des preuves propres à servir ses intérêts. Autant mettre les forme avant d'exécuter en direct les "conspirateurs".


-Parfaitement madame la directrice. Vers qui se tournent vos soupçons?


Nina Septime tourna à nouveau son regard vers l'interrogatoire mené dans la cellule, mais elle semblait presque distraite.


-Les anciens hauts conseillers n'ont accepté le régent qu'à contrecœur. Je ne serais pas étonné qu'ils aient formé une cabale pour l'assassiner. Évidemment ils auront reçu l'aide d'autres responsables, peut-être même certains gouverneurs planétaires et responsables militaires.


Elle faisait le ménage, comprit Carlsson. Sans subtilité mais avec efficacité; liquider tous les plus hauts responsables impériaux lui dégagerait la route et donnait un avertissement aux autres. Pour un temps. La répression aveugle et féroce que le Bureau appliquait commençait à inquiéter Carlsson.


-Certaines pistes peuvent mener dans cette direction, je vais m'assurer de les approfondir, répondit-il, sibyllin.


La doctrine en vigueur était que frapper fort permettait de neutraliser toute opposition et de repérer ceux qui rechignaient à collaborer avec le Bureau. Mais Carlsson craignait que ça ne fasse qu'encourager la dissidence; la population resterait sous contrôle grâce à de solides outils de contrôle social et de maintien de l'ordre. Mais vu la répression féroce, les cadres de l'Empire se demanderaient forcément si tenter de renverser le régime ne serait pas moins dangereux que de s'y soumettre. Or le pouvoir du BSI était trop neuf, il manquait encore trop d'alliés, alors qu'il avait trop d'adversaires...

En outre emprisonner ou exécuter des gens compétent allait causer des problèmes logistiques. Les gens les plus dociles et les plus prudents étaient rarement les plus brillants. Ni les plus loyaux d'ailleurs.


Évidemment il ne comptait pas évoquer ses réflexions à haute voix, ni même de penser trop fort. Pas question de finir à la place de Nico. 


-Loyauté à l'Empire, déclama-t-il en saluant avant de prendre congé.

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