K. Le destin de l'Empire - dixième partie

La salle du Haut Conseil. Une pièce dans laquelle Varig était rarement venu mais qu'il détestait déjà généreusement. La réunion du jour risquait de ne rien arranger à ses sentiments.


Sans surprise puisque Nina Septime l'avait déjà briefé, il vit l'image du général Scrubs apparaître dans l'un des sièges. L'officier avait gagné quelques cicatrices mais il semblait plutôt en forme pour quelqu'un enterré vivant sous son quartier général après la détonation d'une bombe cinétique de plusieurs megatonnes.


Les autres participants étaient les mêmes qu'à la première réunion: l'amiral Verla pour la flotte, le gouverneur Rmiss en tant que civil le plus gradé de l'administration impériale et la directrice Septime pour le BSI. La lutte pour le pouvoir se jouerait sans doute entre ces deux derniers, et elle s'annonçait féroce.

Varig n'avait ni planète, ni armée ou réseau d'agents pour garantir son siège. Il ne devait sa présence qu'aux intrigues de Nina Septime, dont il commençait seulement à entrevoir les buts. Sans elle son titre de chevalier impérial ne valait plus grand chose. Mais son aide n'avait rien de désintéressée.


-Chers collègues, lança Rmiss alors qu'il venait à peine de s'asseoir. Avant toute chose j'aimerais faire une déclaration.


Il se leva après avoir à peine frôlé son siège, comme pour si le cuir le brûlait. Varig le comprenait en même temps; aussi confortable que soit la sellerie, s'asseoir autour de cette table ronde où se décidait l'avenir de l'Empire à coup de menaces voilées, de compromis et d'intrigues n'avait rien d'agréable. En tout cas pour lui.


-Ce Conseil a été assemblé à la hâte et maintenu l'ordre dans l'Empire, reprit-il d'un ton solennel. Mais notre Empereur n'a toujours pas refait surface, et nous devons envisager le risque qu'il ne revienne pas.


Il attendit une opposition qui ne vint pas, jetant un regard un peu plus long à Nina Septime qui l'écoutait, impavide.


-Les plus hauts cadres de la hiérarchie impériale sont rassemblés ici sur Nirauran, tous là pour réaffirmer l'unité et la force de l'Empire, déclara-t-il en posant les mains sur la table. Certains doivent recevoir un siège au sein du Conseil et un Régent doit en prendre la tête. 

-L'Empereur n'a nommé personn, observa sèchement Scrubs.

-Cela nous aurait considérablement facilité la tâche, mais ce n'est hélas pas le cas, intervint Nina Septime. Je suis de l'avis du conseiller Rmiss; nous devons avoir un Régent. Heureusement il y a autour de cette table un homme que l'Empereur destinait à devenir son successeur.


Elle se leva à son tour, étendant le bras vers Varig.


-L'Empereur a élevé le chevalier Atorias à un rang unique alors qu'il n'était qu'un simple soldat. Il lui a confié les missions les plus critiques, un vaisseau puis toute une flotte. Il a mené cette flotte au combat et à la victoire puis...

-Directrice, coupa l'amiral Verla. Nous avons accédé à vos demandes de faire siéger le chevalier Atorias au Conseil et personne ne remet en cause ses faits d'armes au service de l'Empire, mais il n'est pas qualifié pour devenir Régent. Et pour être tout à fait franc, il est trop proche du BSI. Je crois que je suis loin d'être le seul à penser qu'il pourrait être un moyen détourné pour vous de diriger l'Empire... Sans compter les accusations qui lui ont valut d'être écarté du commandement de sa flotte et d'autres rumeurs. J'ai une meilleure alternative à proposer.


Varig serra le poing en silence tandis qu'il se levait. C'était une charge frontale, ce qui devait se rapprocher le plus d'un assassinat en politique.


-Le BSI, la flotte et l'armée impériale sont sous l'autorité de trois conseillers, déclara l'amiral. Chacun d'entre nous pourrait déchirer l'Empire en cas de conflit, mais le gouverneur Rmiss n'a pas ce pouvoir. C'est un politique expérimenté, capable de concilier les différents... Points de vue au sein du Conseil et en tirer une ligne d'action. Voilà pourquoi il est notre meilleure candidat. Je lui apporte officiellement mon soutien en tant que chef de la flotte impériale.

-Je n'aime pas l'idée de confier l'Empire à un politique, lâcha Scrubs, pensif. Mais ça me semble être l'option la plus raisonnable; après tout il nous serait facile de le déposer en cas d'abus de pouvoir... L'armée impériale soutient également cette solution, mais à contrecœur et seulement à titre temporaire. Six mois, maximum.


La directrice Septime se rassit, étrangement silencieuse. Verla fit un signe de tête à Rmiss, se rasseyant également.

Varig serrait toujours le poing. Le gouverneur venait de remporter sa guerre pour le contrôle de l'Empire avec Nina Septime sans avoir besoin de dire un seul mot lui-même. Et la directrice ne semblait pas décidée à dire quoi que ce soit pour lui disputer la place.


Il hésita. Il ne voulait pas devenir Régent, mais la directrice du BSI l'avait convaincu que c'était la meilleure solution, pour l'Empire. Allait-elle abandonner maintenant? Laisser la régence aux mains d'un politicien?

Il cherchait encore quoi faire quand Rmiss reprit la parole.


-C'est un grand honneur que vous me faites, déclara le gouverneur.


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Quelques heures avant la réunion du Conseil, Rmiss recevait une hôte inattendue dans son bureau de la capitale.


-Madame la directrice, lâcha-t-il avec un air accueillant à l'exact inverse de ses sentiments réels. Quel bon vent vous amène?


L'intéressée lui rendit son sourire, bien qu'elle n'en pense sans doute pas moins. Elle ne s'était pas annoncée bien sûr, mais la sécurité l'avait informé de son arrivée quelques minutes plus tôt. Une demi-douzaine de gardes du corps supplémentaires attendaient dans la pièce à côté, et ses deux assistants dans portaient des armes de poing paralysantes dans leurs vestes.


-Bonjour Gouverneur, lança-t-elle. Puis-je vous parler en privé?

-Vous pouvez nous laisser, indiqua le maître des lieux aux assistants qui s'empressèrent de quitter la pièce.


La directrice s'approcha des larges fenêtres qui offraient une vue plongeante sur la ville souterraine. La capitale impériale s'étendait sur plusieurs kilomètres en contrebas, occupant une immense grotte artificielle. Contrairement à la plupart des bâtiments officiels, le siège du gouvernement planétaire était en sous-sol, là où les centaines de millions d'habitants de la capitale n'avaient qu'à lever les yeux pour le voir. Un ciel artificiel était projeté sur la roche, une illusion grandiose pour tenter d'éviter une crise de claustrophobie; des tours et des quartiers résidentiels côtoyaient des usines, et des milliers de véhicules de transports volaient entre les bâtiments selon des maillages complexes.

Le bureau lui même était avant tout fonctionnel, et à part ce panorama il n'avait rien d'exceptionnel.


-La vue est superbe d'ici, observa-t-elle.

-On a pas de temps à perdre en conneries de mondanités, ni vous ni moi, lâcha Rmiss en abandonnant son masque aimable. Qu'est-ce que vous voulez?


La directrice continua à sourire, se tournant vers lui.


-Très bien, comme vous voudrez. Le Conseil se rassemble tout à l'heure et nous avons préparé ce moment, vous et moi. Je veux que vous souteniez ma proposition de nommer le chevalier Atorias Régent et renonciez à vos propres prétentions sur ce poste. En échange je suis prête à certaines concessions politiques.


Rmiss ne répondit pas immédiatement, savourant l'instant.


-Cela mérite bien un verre, décréta-t-il en contournant son bureau. Je vous en sers un? Non?


Il tira une bouteille d'un tiroir et un unique verre qu'il servit généreusement avant de s'asseoir.


-Vous savez quoi, j'étais un peu inquiet, lâcha-t-il en croisant les doigts autour de son verre. Vous êtes une femme dangereuse Nina et même si j'avais confiance en mes atouts, rien n'était joué. Mais vous êtes là, à me demander mon... Renoncement? Si vous en êtes réduite à ça, c'est que vous avez compris que la partie est perdue pour vous.

-Vous pensez que je suis là pour demander, Arol? lâcha simplement la directrice.


L'intéressé sourit.


-On sait tous les deux que vous pourriez vous emparer du pouvoir. Me faire jeter moi et tous vos opposants sur Dantès dans la glace pour l'éternité, ou nous faire tuer plus probablement. Mais ensuite? Trop de gens ont déjà peur de vous, et ça achèverait de les unir. Vous ne feriez pas le poids, l'armée ne vous suivrait pas même si vous utilisiez Atorias comme visage de votre putsh. Alors comme vous êtes lucide, vous venez ici me menacer... En espérant m'effrayer assez pour que je renonce.


Il se redressa et posa son verre un peu trop vite, faisant couler quelques gouttes d'alcool sur son bureau transparent.


-Je n'ai pas peur de vous, Nina, déclara-t-il avec détermination. Je ne suis pas un soldat, mais je suis prêt à tous les sacrifices pour m'assurer que l'Empire ne tombera jamais entre vos mains. Et j'ai tous les alliés qu'il me faut pour que ça n'arrive pas, ni aujourd'hui ni demain. Mais je suis encore prêt à négocier certaines concessions politiques.


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-C'est un grand honneur que vous me faites, déclara le gouverneur.


Il ferma un instant les yeux.


-Mais c'est un honneur que je ne peux accepter, ajouta-t-il.


Tous les conseillers affichèrent leur surprise de façon plus ou moins visible, sauf Nina Septime qui resta parfaitement impassible. Elle n'était en rien étonnée.

-Ce qu'a dit la directrice Septime est vrai, lâcha-t-il. L'Empereur préparait le chevalier Atorias a être son successeur, il me l'a dit lors d'une conversation privée. Et même s'il n'est pas encore prêt... En ces heures sombres nous devons croire en la vision de notre Empereur qui a assuré la puissance et la prospérité de notre Empire. C'est ce que je m'apprêtais à déclarer tout à l'heure.


L'amiral Verla fronçait si fort les sourcils qu'ils menaçaient de se rejoindre. Quant à Varig, il se contenta de fixer le politicien, dérouté.

L'Empereur voulait faire de lui son successeur? C'était ça l'arme secrète de la directrice Septime? Il n'avait pas bronché en pensant qu'elle se contentait d'une déclaration politique mais Rmiss allait bien plus loin. Avec cette affirmation, il venait d'abandonner une partie qui semblait pourtant gagnée d'avance.


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-Je n'ai pas peur de vous, Nina, déclara-t-il avec détermination. Je ne suis pas un soldat, mais je suis prêt à tous les sacrifices pour m'assurer que l'Empire ne tombera jamais entre vos mains. Et j'ai tous les alliés qu'il me faut pour que ça n'arrive pas, ni aujourd'hui ni demain. Mais je suis encore prêt à négocier certaines concessions politiques.


L'intéressée hocha la tête d'un air entendu.


-Oh, je vous connais Arol. Vos ambitions, vos projets et vos alliés... Je sais combien de gens seraient ravis de voir un avenir sans BSI. Un Empire où le contrôle des colonies serait moins strict, et les opportunités de profit plus nombreuses. Malheureusement pour vous j'ai bien peur que cet avenir n'existe jamais.

-Nous verrons cela au Conseil alors.


Rmiss prit une petit gorgée d'alcool, souriant. La directrice changea soudain d'expression, se rapprochant du bureau.


-Non Arol, nous allons régler ça maintenant.


Elle pianota sur son ordinateur de poignet.

L'écran holographique du gouverneur s'activa en tressautant, puis l'image se stabilisa sur une douzaine de fenêtres vidéo. Des caméras de casque transmettaient le flux vidéos de chefs de pelotons; des soldats en armures de combat et armes lourdes, en train de progresser dans un décors urbain.


-Qu'est-ce que... commença-t-il.

-Peu après la première réunion du Conseil un de vos assistants a engagé à grands frais trois équipes de mercenaires de haut niveau et les a fait clandestinement venir sur Nirauran, déclara la directrice. Des tueurs à garder sous la main au cas où la politique ne suffise pas j'imagine.


Les soldats progressaient vite. Les premières explosions fusèrent à l'écran, aussitôt suivies d'une intense fusillade. La fumée rendait les scènes confuses, mais aucun doute que des combats violents se déroulaient, malgré l'absence de son sur les vidéos. Rapidement les affrontements devenaient à sens unique.


-C'est une accusation ridicule, lâcha Rmiss. Je n'ai jamais...

-... Eu connaissance de quoi que ce soit. Vous êtes contenté d'une allusion vague interprétée par un subordonné trop zélé, et cetera. Je croyais qu'on avait pas le temps pour des conneries de mondanité? Regardez bien ces images, gouverneur. Ces types étaient ce qui se fait de mieux en matière de tueurs à louer.


Les commandos avançaient dans les décombres de planques, éclairant des salles ravagées par les explosions et les tirs, noyées de fumée. Les restes du matériel entreposé dans les planques étaient mélangés avec les corps.


-Je ne suis pas venu vous demander votre aide, reprit-elle. Ou négocier. Je suis venu vous effrayer, parce que vous avez raison. Je pourrais prendre le pouvoir, mais pas sans déclencher une guerre civile sanglante. Mais si vous croyez que ça me feras reculer, alors vous me connaissez très mal Arol.


Des corps déchiquetés serraient encore des armes; les commandos les achevaient méthodiquement, même si à l'évidence la plupart étaient déjà morts. Rmiss observait, le visage fermé.


-Nous jouons les chiens de garde depuis longtemps, gouverneur, mais il est temps de vous rappeler que nous sommes des loups, lâcha Nina Septime en se penchant par dessus le bureau. Si vous n'avez pas peur de nous, c'est que vous êtes un idiot inconscient. Tout à l'heure, au Conseil, vous allez approuver la nomination du chevalier Atorias en remerciant votre ciel numérique que je vous laisse une chance de négocier au lieu de réduire directement votre vie et vos ambitions en cendres. Dans le cas contraire, je vous jure que je vous tuerai, vous et tous vos amis conspirateurs jusqu'au dernier, même si je dois serrer leurs gorges moi-même.


Elle se redressa soudainement et fit disparaître les images d'un geste.


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-Gouverneur, je trouve cette déclaration soudaine pour le moins déroutante... lâcha l'amiral. Pour ne pas dire suspecte. Avez vous subi des pressions?

-Avez vous la preuve de cette volonté de l'Empereur de faire de Varig Atorias son successeur? demanda abruptement le général Scrubs.


Le gouverneur regarda longuement la directrice Septime.


-Vous étiez prêts à faire de moi le régent, lâcha-t-il enfin. Je vous promets que je ne fais pas ces déclarations sous la menace, mais pour le bien de l'Empire. Il faudra vous contenter de ma parole.

-Cela me suffit, déclara le général Scrubs. Amiral?


L'intéressé resta silencieux, braquant son regard alternativement vers Nina Septime puis vers Varig. Ce dernier sentit que le moment était venu de prendre la parole.


-Je n'ai pas voulu devenir chevalier de l'Empire, lâcha-t-il. Pas plus que je ne veux aujourd'hui devenir Régent. Mais je suis un soldat et je ferais mon devoir selon la volonté du Conseil impérial. Si nous restons unis et loyaux, alors l'Empire surmontera ces temps difficiles. 

-Unis et loyaux, répéta Rmiss.


Nina Septime acquiesça de la tête.


-Unis et loyaux, lâcha-t-elle.


Scrubs se leva, répétant à son tour:


-Unis et loyaux.


Verla secoua la tête.


-Six mois. Et le Conseil devra garder un droit de destitution sur le Régent, lâcha-t-il comme si chaque mot lui brûlait la gorge.

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