J. Le front - huitième partie

Varig était parvenu à grappiller quelques heures de sommeil durant le repli de la flotte vers Hakka. Il avait échangé quelques messages cryptés avec Red, sans rien évoquer d'important.


Les senseurs longue portée avaient détecté une flotte d'interception de plusieurs milliers de vaisseaux pirates à la sortie du nuage de Scylla, mais les thrawniens avaient manœuvré assez vite pour la devancer et disparaître avant son arrivée.

Cette embuscade échouée avait au moins eu le mérite d'empêcher les officiers de se laisser aveugler par leur victoire; la mort rodait le long des vecteurs hyperspatiaux, et elle venait de les frôler. Ça les rendrait plus prudents. 


Peu avant que la flotte ne rejoigne l'orbite de Hakka, Varig était retourné sur la passerelle. Le commandant Arius était là également, les traits plus tirés que d'ordinaire malgré son uniforme frais.


-Arrivée dans quatre minutes, signala le lieutenant Sato.


Varig le remercia d'un signe de tête avant d'activer son interface. Il relut une dernière fois le rapport de combat qu'il avait déjà envoyé. La liste des vaisseaux qui devraient être réparés dans un chantier spatial planétaire et des blessés qu'il faudrait transborder était exact à l'unité près; Delta se chargeait efficacement de ce genre de taches logistiques. Le transfert des prisonniers du complexe mobiliserait également de nombreux transports, mais pour l'essentiel la flotte revenait intacte et prête au combat.

Dans les colonnes de chiffres du rapport, le décompte des vaisseaux perdus restait pourtant trop important dans le cœur du chevalier. Pourrait-il s'y habituer? Il espérait que non.


-Sortie de l'hyperespace dans dix secondes, l'informa le commandant Arius.


Varig le remercia d'un signe de tête. Des vibrations familières parcoururent le vaisseau avant qu'il ne replonge dans l'univers normal.


-Message entrant du QG de la deuxième flotte, indiqua l'officier des communications.

-Sur écran, ordonna le chevalier.


Le visage de l'amiral se matérialisa devant lui, l'air aussi peu amène qu'à leur première rencontre.


-Bon retour amiral, lança-t-il d'une voix qui contredisait ses paroles. Je dois vous parler sans délais. Présentez vous sur mon vaisseau; que votre flotte reprenne sa position dans la formation et commence les réparations et le réapprovisionnement.

-À vos ordres amiral, répondit le chevalier.


L'image de son interlocuteur avait disparu avant même qu'il n'ait terminé sa phrase.

Quand Varig se leva, le commandant Arius fit de même.


-Lieutenant Sato je vous laisse la passerelle le temps d'accompagner l'amiral au hangar, lâcha-t-il. Transmettez les vecteurs à la flotte et qu'un transporteur se prépare à décoller avec une escouade de garde d'honneur.

-Compris commandant.


Varig ne dit rien, laissant l'officier lui emboîter le pas. Il attendit qu'ils aient rejoint une coursive déserte pour ouvrir la bouche.


-L'agent Carlsson et le commandant Frallon m'ont déjà dit à quel point ils trouvaient ma décision d'épargner les pirates capturés stupide, lâcha-t-il d'un ton un peu trop agressif. Vous pouvez épargner votre salive.

-Ça oui, c'était stupide, répliqua Arius Mais je comprend pourquoi vous l'avez fait, et je pense que j'aurais fait la même chose à votre place. Reste que contrevenir aux ordres directs de l'Empereur et de l'amiral Kress va avoir des conséquences.

-J'y suis préparé.

-Vraiment? Théoriquement l'amiral pourrait vous faire exécuter.


Ils embarquèrent dans l'ascenseur menant aux hangars.


-Être l'unique chevalier impérial a ses avantages, répliqua ce dernier. Kress sera sans doute furieux mais il ne pourra pas faire grand chose contre moi. De toute façon je suis très dur à tuer.


Seul l'Empereur pourrait trancher, et Varig était persuadé de pouvoir l'infléchir.


Dans le transport qui le menait au vaisseau amiral de la flotte, Varig sentit pourtant son estomac se nouer. Il avait franchit une ligne rouge; réussirait-il à s'en tirer cette fois?


-Tout va bien amiral?


Assise en face de lui, Red le fixait à travers le visage sans âme de son casque. Varig se força à dissimuler un peu mieux sa nervosité. Elle ne savait rien de ce qui s'était passée, et il estimait que c'était mieux ainsi. Inutile qu'elle s'en fasse elle aussi, il avait déjà assez d'angoisses pour deux.

-Tout va bien sergent, répondit-il avec un pale sourire.


Comme la fois précédente le chevalier dut franchir différents checkpoints de sécurité à l'intérieur du vaisseau pour parvenir à la cabine-bureau de l'amiral.

Le désordre apparent de la pièce n'avait pas changé. Après tout il ne s'était guère écoulé qu'une journée depuis son dernier passage.


-Amiral, lança Varig en saluant poing sur le cœur.


L'autre ne lui rendit pas son salut.


-J'espère pour vous que vous avez une très bonne explication, Atorias.


Varig croisa les mains dans son dos.

Il avait l'impression d'avoir déjà vécu cette scène une bonne dizaine de fois. Dans divers postes de police quand il était gosse, à l'académie, puis à bord de l'Indomptable après son embarquement mouvementé, face à l'Empereur...

Oui à bien y regarder il avait vraiment l'habitude de s'attirer des ennuis.


-Tout est dans mon rapport amir...

-J'ai vu votre rapport, coupa Kress d'une voix qui laissait percer sa colère. Et j'ose espérer que ce que j'ai eu n'est que le produit d'une IA défectueuse et que vous ne l'avez approuvé que par erreur.


Varig sentit sa propre colère monter.


-Non amiral, mon rapport est parfaitement exact.


Kress se rapprocha d'un pas en s'aidant de sa canne, le fixant avec une intensité dérangeante. 


-Je savais que j'aurais des problèmes avec vous Atorias, lâcha-t-il finalement. Vous êtes trop jeune, monté trop vite et trop haut. Mais je ne vous prenais pas pour un lâche.

-Je ne suis pas un lâche monsieur, répliqua le chevalier sans détourner les yeux.

-Je reconnais qu'il faut un certain courage pour oser contredire un ordre direct de l'Empereur dans un rapport officiel, répliqua Kress. Ou de bêtise.

-Il me semble au contraire avoir été le seul à faire preuve d'intelligence, répliqua Varig, cinglant. Les hommes que j'ai affronté se sont battus à outrance, persuadé qu'ils seraient massacrés s'ils cessaient le combat. Entretenir une telle détermination chez l'ennemi me semble contraire aux buts recherchés; en tant que chevalier impérial j'ai donc suspendu l'ordre de décimation en attendant une nouvelle évaluation de son efficacité par l'Empereur.


Après un instant, il ajouta:


-Amiral.


Kress serra sa canne si fort que ses phalanges blanchirent.


-Vous êtes sous mes ordres, souffla-t-il.

-Je suis sous les ordres directs de l'Empereur, le contredit Varig. Vous avez la direction des opérations militaires, mais cela ne vous rend pas supérieur à moi. Le Grand Amiral Thrawn tranchera notre désaccord; d'ici là toute exécution doit être suspendue.


Il s'efforça de garder un air calme mais déterminé.

Jusque là il n'était jamais allé si loin dans l'exercice du pouvoir que lui avait confié l'Empereur. Carlsson lui avait conseillé cette approche; après tout le mal était déjà fait, et son autorité théorique était égale à celle de Kress. Et si elle échouait elle mettrait l'amiral à ce point hors de lui qu'il ferait sans doute quelque chose de stupide...


Kress sembla à ce point surpris de cette attaque frontale contre son autorité qu'il resta de longues secondes sans voix.


-Dites moi, au juste, où vous croyez vous mon garçon? finit-il par demander. Vous êtes sur le front. Nous nous battons contre un ennemi impitoyable, déterminé et plus nombreux chaque jour. Si les choses avaient été inversées, les hommes que vous avez sauvé vous auraient balancé par un sas sans un instant d'hésitation et c'est ce genre d'attitude qui gagne des guerres. Notre seule avantage face à ces brutes, c'est la discipline et l'obéissance aux ordres!


Il avait martelé ces derniers mots avec force, frappant le sol de sa canne et laissant enfin parler sa colère.


-Alors vous allez laisser piepie et ses pirates nous prendre notre honneur? répliqua Varig.

-Notre honneur!? cracha Kress. L'honneur ne compte pas. Ici il n'y a que la victoire à n'importe quel prix. La victoire ou la mort; si nous tombons, l'Empire suivra. Cette guerre s'achèvera quand nous aurons traqué et exterminé jusqu'au dernier partisan de la SOB ou quand il nous auront massacré. Voilà la seule vérité ici!


Après cette tirade enflammée, l'amiral sembla soudainement se calmer. Il se redressa, s'appuyant à deux mains sur sa canne.


-Amiral Atorias, votre désobéissance délibérée aux ordres ne me laisse pas le choix. Vous êtes relevé de votre commandement. L'Empereur décidera de votre sort; en attendant vous êtes aux arrêts.


La porte de la cabine coulissa, livrant passage à toute une escouade de commandos en armure de combat. Ils dirigeaient leurs canon vers le sol mais avaient épaulé leurs armes en encerclant Varig.


-Vous commettez une grave erreur amiral, lâcha le chevalier en bandant ses muscles.


En milieu confiné il avait ses chances même contre une escouade; mais résister ne servirait pas sa cause. De toute façon le destructeur était occupé par des troupes loyales à Kress.


Carlsson avait prévu qu'ils en viendraient peut-être là. Dans ce cas il faudrait se soumettre, même temporairement. Si l'amiral outrepassait son pouvoir en attaquant directement un symbole de l'autorité impériale, l'Empereur n'en serait que plus enclin à soutenir son chevalier.


La mort dans l'âme, Varig se laissa entraîner vers les quartiers de détention du Courageux.

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