J. Le front - dernière partie
Si Varig aurait pu craindre d'être jeté dans une cellule à fond de cale, son rang lui avait valu certains égards. Il avait été consigné dans une cabine du Courageux, après avoir été privé de ses armes et de tout moyen de communication.
Il disposait d'un lit, d'une armoire et d'un livre qui constituait sa seule distraction: une édition papier de "l'Histoire de l'empire Thrawnien". Comme si quelqu'un pouvait avoir envie de lire un ramassis de propagande enjolivant les péripéties traversées par l'Empire...
Privé de repère, le chevalier avait sentit sa perception du temps se distordre peu à peu. Les heures et les minutes finissaient par se confondre jusqu'à perdre toute substance. Étendu sur sa couchette, il fixait depuis un long moment le plafond de métal. Avait-il fait les bons choix? Il l'ignorait, et les conséquences possibles de ses décisions lui donnaient le tournis... Trop de paramètres lui échappaient; il se perdait en hypothèses et en scénarios improbables faute d'informations sur ce qui se passait tandis qu'il était coincé ici.
Il pensait à Red. La dernière chose qu'il lui avait dit c'est que tout allait bien; elle devait lui en vouloir à mort.
L'isolement entamait rapidement son moral, le poussant à ressasser de sombres pensées de ce genre.
Pour s'occuper, il finit par se débarrasser de sa veste, se livrant à des exercices physiques; pompes, flexions, gainage... Le manque d'espace ne lui facilitait pas la tâche, mais c'était mieux que de rester passif. Son corps forgé par l'énergie surnaturelle du fragment de Nihilithe était capable de prouesses physiques, mais il n'était pas infatigable; Varig s'efforça de repousser ses limites pour s'empêcher de penser. Transpirant, le souffle court, il passa ensuite à des mouvements de combat.
Frapper. Saisir. Percuter. Frapper à nouveau.
Tandis qu'il s'exerçait face à des adversaires invisibles, il sentit monter en lui toute la colère péniblement refoulée qui se nourrissait de son impuissance; il ne tarda pas à frapper la cloison à mains nue, d'abord à coups mesurés, puis de plus en plus fort. Malgré la surveillance dont il faisait sans doute l'objet, personne n'intervint pour le faire arrêter; il finit par faire pleuvoir un déluge de coups de poing sur la plaque de métal, déchaînant sa rage.
Quand il s'arrêta enfin des marques sanglantes constellaient la cloison légèrement bosselée là où les impacts les plus puissants avaient porté. Sa chair était méchamment entaillée et ses os lui faisaient mal.
Épuisé il se coucha à même le sol. Sa rage l'avait quitté, laissant derrière elle une lassitude qui confinait à l'abattement. Ici, il était impuissant.
Kress avait-il seulement fait son rapport à l'Empereur? Sans doute que l'équipage du Spectre saurait faire parvenir la nouvelle de son arrestation, que l'amiral l'autorise ou non. Mais quel serait le jugement de Thrawn? Et quelles conséquences auraient les choix de Varig pour sa flotte, son vaisseau, son équipage?
Il finit par se lever et aller se nettoyer grâce au compartiment individuel prévu à cet effet, un vrai luxe sur un vaisseau de guerre. Le sang de ses blessures teintait l'eau de rouge alors que ses plaies se refermaient déjà. La douche ne tarda cependant pas à s'arrêter; le précieux liquide était trop précieux pour en gaspiller plus que nécessaire, même pour un officier. Heureusement Varig était conditionné pour respecter ce délais standard depuis qu'il avait rejoint son premier croiseur, l'Indomptable.
Une fois propre, le chevalier s'étendit et s'endormit laborieusement, sombrant dans un sommeil agité aux rêves flous.
À son réveil eut la surprise de découvrir sur le lit une boite de barres nutritives ainsi qu'un uniforme propre. Désœuvré une fois son repas achevé, Varig tourna en rond un moment avant de se résigner à lire l'unique livre qu'on lui avait laissé.
Alternant entre lecture, longues phases d'ennui et exercices physiques, il lui sembla que le temps s'écoulait avec une lenteur désespérante. L'isolement attaquait son moral avec plus d'efficacité que des brimades ou même des coups; il en venait à détester cette petite cabine, à espérer qu'on vienne l'interroger, rien que pour pouvoir parler à quelqu'un.
Quand le vaisseau changea soudain de cap, il perdit toute concentration, relisant en vain la même page avant d'abandonner. Où se rendaient-ils? Allaient-ils au combat? En tout cas il sentit qu'ils plongeaient en hyperespace.
Des heures plus tard, le chevalier ressentit la sortie, puis un moment après la vibration des armes du destructeur. Alors que la flotte se battait, lui restait bloqué ici, inutile et impuissant.
Son unique livre de chevet traversa la petite cabine et percuta violemment la porte.
------------------------------------------------------------------------------
Dirigeant la bataille depuis la passerelle du Courageux, l'amiral Kress était dans son élément. Le combat aiguisait ses sens, purifiant ses pensées de toute distraction parasite. Les écrans panoramiques montraient la flotte thrawnienne en train de prendre d'assaut une colonie pirates. Les tirs illuminaient l'orbite dans un ballet chaotique que seule les schémas de la console tactique rendaient lisible.
Sur les ordres de Kress, la deuxième flotte s'était scindée en quatre groupes de combat qui avaient convergé sur la colonie d'Issenghen, une planète industrielle solidement tenue par les pirates de Piepie. Ces derniers utilisaient les installations pour réparer de nombreux vaisseaux endommagés ou capturés. Ceux qui étaient opérationnels avaient décollé en urgence, mais les thrawniens étaient en surnombre. Ils avaient soigneusement minuté l'attaque pour s'assurer que les renforts ennemis n'arriveraient jamais à temps; d'ailleurs les pirates n'avaient même pas essayé d'en envoyer, ce qui aurait été un gaspillage de carburant. La garnison se battrait donc seule.
Les assaillants ne tenaient pourtant pas pour autant la victoire pour acquise; les défenses planétaires pouvaient encore infliger de lourdes pertes à la moindre imprudence. Kress faisait donc manœuvrer ses différents groupes de combat avec méthode, enserrant l'ennemi dans un étau de feu.
D'abord, il avait brisé les boucliers planétaires par un féroce tir de barrage qui avait surchargé les générateurs; ensuite il avait entreprit de réduire les défenses légères en quadrillant secteur par secteur, leur nombre interdisant de viser correctement les canons de gauss et les artilleries à plasma, des armes capables de pulvériser un vaisseau de ligne en un seul coup.
Dos au mur, la flottille ennemie avait lancé une contre-attaque suicidaire pour tenter de ralentir l'assaut, chargeant un des groupes de combat thrawnien. Le commandant Frallon y avait vu une ouverture et lancé tous ses chasseurs et ses traqueurs d'escorte sur les arrières de l'ennemi tandis que sa flotte lourde continuait à pilonner la défense. Kress avait admiré cette charge destructrice, bien plus intelligente que la réaction de sa collègue du troisième groupe de combat.
-Dites au commandant Malarite de reprendre le bombardement sur la planète, ordonna-t-il. Cette flotte cherche à faire diversion pour nous retarder; qu'elle détache seulement quelques vaisseaux pour lui barrer la route et laisse les forces de Frallon les achever. Dites à Quintus que son deuxième groupe doivent continuer de pilonner la défense sans s'occuper de cette flotte ennemie.
-À vos ordres amiral!
Tout le vaisseau vibra alors que le canon principal de son destructeur catapultait un projectile de plusieurs tonnes vers la planète. L'impact aurait lieu vingt secondes plus tard, engendrant un énorme nuage de poussière et de débris qui montrait haut dans le ciel, cachant la lumière du soleil pour des semaines.
Les défenses diminuaient de plus en plus vite à mesure que les cibles se faisaient plus rares. La face nocturne de la planète était constellée de points de lumière, l'éclairage des villes se superposant aux incendies dantesques causées par le bombardement orbital. Kress aurait volontiers prolongé le bombardement jusqu'à faire de la colonie un cimetière couvert de ruines, mais Thrawn avait été clair; seul les objectifs militaires devaient être bombardés. Il quadrillait donc les cibles méthodiquement.
Quelques mois plus tôt, Piepie avait essayé de bâtir quelques installations de défense dans des zones densément peuplées en espérant que les impériaux retiendraient leur feu; Thrawn avait impitoyablement ordonné leur destruction systématique afin d'éviter que cette tactique se généralise. Kress avait obéit sans états d'âme; peu lui importait combien d'ennemis devraient mourir pour que la guerre prenne fin, civils ou soldats.
Il n'en allait pas de même pour ses hommes. Ici sur Issenghen, il aurait put lancer un unique assaut frontal dès le départ, débordant les défenseurs et mettant fin à la bataille en quelques minutes. Mais une telle tactique aurait été inutilement coûteuse en hommes et en vaisseaux; il préférait s'en remettre à une méthodique attrition, utilisant sa supériorité numérique pour remplacer les vaisseaux trop touchés en première ligne.
Une fois la bataille gagnée il pillerait les maigres stocks de la planète et des vagues de recycleurs suivraient, engloutissant les débris laissés en orbite par les combats. Les précieuses ressources viendraient nourrir l'effort de guerre thrawnien, tout en manquant à l'ennemi.
-Amiral, appel prioritaire, signala l'officier des communication. C'est l'Empereur. Il souhaite vous parler en salle de conférence.
Vaguement agacé de cette distraction, Kress s'appuya sur sa canne pour se lever. La bataille n'était pas encore achevée, même si ses commandants allaient facilement la terminer sans lui.
-Une audience impériale m'attend... Dites à Quintus que je lui confie la flotte. Capitaine Kemlar, vous êtes au commande du premier groupe de combat. Continuez le bombardement.
Les officiers présents se levèrent et saluèrent l'amiral alors qu'il quittait la passerelle, entouré par une escouade de gardes du corps en armure de combat. Les soldats adaptaient leur allure au pas claudiquant de Kress, serrant leurs armes. Le combat qui faisait rage à l'extérieur affûtait leur vigilance; les hommes d'équipage et les autres soldats s'écartaient sur leur passage, saluant leur chef avec une dévotion qui n'avait rien de feinte.
La salle de conférence n'était pas très éloignée de la passerelle; deux soldats y entrèrent les premiers pour l'inspecter tandis que les autres se plaçaient en sentinelle devant la porte.
La vaste pièce était plongée dans la pénombre, mais un des soldats perçut un mouvement de l'autre côté de la longue table autour de laquelle tout l'état major pouvait prendre place. Il épaula instinctivement son arme.
-Identifiez vous! ordonna-t-il en se plaçant entre la silhouette et l'amiral.
La silhouette s'avança dans le faible halo de lumière projeté par les écrans en veille, et l'arme s'abaissa aussitôt.
-Laissez-nous, ordonna Thrawn.
Les deux hommes quittèrent aussitôt la pièce, laissant Kress seul avec l'Empereur. L'officier inclina la tête, saluant raidement de sa main libre.
-Mon seigneur, lança-t-il. Nous n'attendions pas votre venue sur le front.
-Il y a eu... Un rebondissement inattendu en galaxie 2, amiral.
L'Empereur ne lui offrit pas de s'asseoir; Kress restait toujours debout face à lui, même quand la position était encore douloureuse. Question de fierté.
-Nous ne disposons pas de forces en galaxie 2, releva-t-il.
-Non, en effet. En revanche la totalité de la flotte du chancelier Rems y était stationnée. Elle a été attaquée et détruite il y a près de cinq heures par une expédition punitive de la Tearkasten.
Kress resta silencieux de longues secondes.
-Le chancelier...? demanda-t-il simplement.
-En vie. La secte ne voulait pas le tuer, seulement briser ses forces et envoyer un message clair à tout ceux qui voudraient résister.
-Triste jour pour la Triplice et pour Andromeda, lâcha sentencieusement l'amiral. Craignez vous que nous soyons les suivants sur la liste?
Malgré ses talents évidents de tacticien, Kress manquait de vision d'ensemble. Thrawn lui confiait volontiers les batailles de la guerre d'usure en galaxie 4 et les opérations les plus complexes, mais il continuait à diriger la guerre lui-même justement à cause de cette tare.
-Les TTC sont plutôt lents, or votre deuxième flotte esquive déjà avec succès piepie et ses pirates. Non, la menace est ailleurs.
Thrawn se pencha et pianota sur un écran. Un système stellaire se matérialisa sous forme d'hologrammes flottant au dessus de la table de bois.
-Il y a environ deux heures, un important convoi de ravitailleurs pirate s'est mis en route vers la galaxie 5 dans le système Terranie, exposa-t-il. Les scans confirment une intense activité sur les installations lunaires de la colonie SOB; Piepie prépare un raid de grande envergure et il va frapper sa cible sous vingt-quatre heures.
Kress pointa une planète gelée en périphérie du système de la pointe de sa canne.
-Csillia? C'est l'une des bases les plus lourdement défendue de l'Empire. La deuxième flotte le taillerait en pièces, il n'est pas assez idiot pour attaquer ici. Pour moi ça ressemble à une diversion pour nous éloigner du front. Nos attaques...
-Ce n'est pas la seule cible de valeur dans le système, le coupa Thrawn.
Il laissa l'amiral comprendre seul alors que ses yeux passaient en revue les mondes qui flottaient dans la pièce. Un tir du canon principal fit vibrer la coque du Courageux.
-Terranie, lâcha simplement Kress.
-Une planète riche, mal défendue et la capitale d'un haut conseiller de la Triplice, confirma Thrawn. Tant que Rems disposait d'une flotte pour défendre la planète avec nous, elle était inattaquable. Mais aujourd'hui Piepie a l'avantage; d'après les simulations, son armada l'emporterait largement sur nous s'il nous affrontait sur ce terrain. Il a vu une ouverture et la saisit avec son audace habituelle.
L'amiral Kress resta pensif.
-Ça ne colle pas, lâcha-t-il enfin. Quelques centaines de croiseurs et de vaisseaux de bataille suffiraient à écraser la défense et ouvrir la voie au pillage de la planète. Pourquoi préparer une attaque massive bien plus lente et coûteuse?
-Pour nous forcer à l'affronter dans une bataille décisive, lâcha Thrawn. Il ne va pas se contenter de piller Terranie si on ne l'arrête pas; il va l'anéantir.
L'idée ne sembla pas choquer l'amiral, au contraire.
-Alors laissons le faire. On ne peut pas l'arrêter sans perdre la flotte, et un massacre de grande ampleur pourrait même pousser le reste de la Triplice à enfin nous soutenir dans cette guerre.
Thrawn ne répondit pas immédiatement. L'idée lui avait forcément traversé l'esprit; il ne séparait jamais le militaire de la politique, calculant froidement chaque possibilité. Mais le massacre de plus de cinq milliards d'innocents n'était pas un prix qu'il était prêt à payer dans l'espoir d'un hypothétique soutien à la guerre.
Sans compter que Terranie était un symbole; la promesse offerte par la Triplice à Andromeda. Une planète riche, paisible et libre. Sa chute ne galvaniserait personne; elle serait plus probablement un désastre qui saperait le moral de l'Alliance. La mort d'un rêve.
-On ne peut pas se le permettre, finit-il par lâcher. Malgré les efforts de l'amiral Verla et des colonies, l'économie impériale ne parvient pas à fournir assez de vaisseaux pour rattraper l'expansion de la flotte de Piepie. Nous savons où l'ennemi va frapper en force; ce sera notre dernière chance de l'écraser. Nous allons défendre Terranie à n'importe quel prix; finissez en ici, et ralliez l'orbite de Csillia.
-Attendez! s'exclama Kress. Je connais les forces en présence; Piepie dispose de meilleurs équipages, et de plus de vaisseaux. Si on l'affronte la flotte sera...
-En mauvaise posture, oui. Hélas amiral, nous n'aurons pas de meilleure chance; le temps joue contre nous. Nous avons perdu tous nos alliés contre Piepie, mais nous avons encore certains atouts, et je dirigerais personnellement la flotte impériale; nous jetterons dans cette bataille toutes nos forces. Piepie sera probablement à la tête du raid; si nous parvenons à l'éliminer, la guerre sera terminée. Sans lui la "Space of Brothers" implosera en vulgaires bandes rivales. Tout s'achèvera enfin.
Le BSI avait tenté d'assassiner le pirate à de nombreuses reprises, mais sans succès. Cette bataille offrait la meilleure des ouvertures, et Kress le savait. Plus que tout autre argument rationnel, la perspective de tuer l'homme responsable de tous ces carnage sur le champ de bataille emporta sa décision. Il rectifia la position et salua poing sur le cœur.
-Pour l'Empire! proclama-t-il gravement. Pardonnez moi, je dois aller préparer la flotte pour son déploiement en galaxie 5.
-Une dernière chose, lança Thrawn avant qu'il ne quitte la pièce. Nous devons régler le cas d'Atorias avant la bataille.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top