La disparition soudaine du Paladin avait semé le désarroi parmi les ingénieurs autant que parmi les scientifiques censés contrôler l'expérience. Après un instant de flottement, les uns et les autres s'étaient mis en mouvement, se disputant les écrans de diagnostic et les consoles de la salle. J'en soupçonnais plusieurs de faire semblant dans l'espoir de paraître occupé et compétents; les regards qu'ils me lançaient étaient éloquents. L'expérience tournait au désastre et ils craignaient que cela n'influe sur leurs carrières.

Ils pouvaient s'estimer heureux; ailleurs dans l'univers c'est pour leur vie qu'ils auraient craint. 

Je fermais les yeux. Varig Atorias n'était pas mort, sans quoi je l'aurais sentit à travers le lien particulier qui nous unissait. Mais alors où était-il?

L'ingénieure en chef du projet semblait au bord de la crise de nerf, ce qui n'avait rien d'étonnant quand on savait que le pilote de l'engin disparu n'était autre que son frère.

Jedora n'était pas moins nerveuse; elle renvoyait ceux qui venaient l'interrompre avec une verve venimeuse, sans pour autant cesser de pianoter sur son terminal. De longues minutes passèrent avant qu'elle ne puisse me fournir un semblant d'explication; d'après elle le Paladin s'était téléporté "ailleurs", sans plus de précision.

Après plus d'une demi-heure d'agitation stérile je commençais à envisager de revoir ma position quant aux exécutions sommaires. Heureusement le Paladin réapparut soudain à sa place comme par magie.

Il y eut un instant de stupeur, puis le cockpit s'ouvrit et Varig descendit de sa machine, vivant et indemne. Des cris de joie et des applaudissements saluèrent son retour et sa sœur lui sauta carrément au cou. Jedora pour sa part était déjà passée à autre chose et téléchargeait avidement les dernières données de la mémoire du Paladin. À son grand déplaisir, la plupart des fichiers se révélèrent illisibles.

L'épée à lame écarlate qui avait fait son apparition dans les mains du mécha l'intéressait également, et ce fut à regret qu'elle me suivit dans un endroit plus adapté à un débriefing hautement classifié qu'un hangar remplit de scientifiques et d'ingénieurs noyés de soulagement.

Isolé dans le labo personnel de Jedora Varig fit son rapport détaillé des événements de Tercium, donnant une idée de la puissance de la machine sur laquelle il avait mis la main. Une arme qui serait capitale pour l'avenir de l'empire... Un poignard fait pour frapper les points faibles de l'ennemi au cœur de la bataille. Pour le broyer.

Je congédiais rapidement Jedora, qui arracha la promesse d'un scan complet à mon chevalier avant de quitter la pièce. Le jeune homme tomba dans un fauteuil; il semblait épuisé, ce qui était relativement normal après avoir livré une bataille aussi enragée.

-Je te félicite, lançais-je. Il est regrettable que la TTC connaisse désormais l'existence du Paladin, mais je m'y attendais de toute façon. Cette nouvelle arme sera un puissant instrument pour la flotte... Une arme qui arrive juste à temps.

-À temps pour quoi? demanda Varig.

Il était temps de le mettre au courant de la raison pour laquelle j'avais hâté ce test plutôt que de remiser plus longtemps le Paladin dans l'espoir d'étudier sa technologie.

-Ces derniers mois, les forces de la SOB évitent le combat direct, préférant multiplier les raids contre des empires riches mais moins bien armés tout en fortifiant ses bases, indiquais-je. D'après le BSI, piepie dispose désormais de complexes industriels rivalisant avec les nôtres, et ses pillages lui assurent un afflux constant de ressources. Sa renommée de chef de guerre lui amène aussi le ralliement de vaisseaux pirates et des recrues en nombre.

Je laissais le temps au chevalier d'assimiler ces informations avant de conclure.

-Le temps n'est plus un allié désormais, et la bataille finale de cette guerre approche. Je réaffecte donc la totalité de la flotte d'exploration au front contre la SOB, sous l'autorité de l'amiral Kress. Cela inclut naturellement le Paladin.