Encombré par son long fusil, Varig se frayait un passage à travers la jungle dense de Maridun en se demandant comment la créature massive qu'il traquait pouvait laisser aussi peu de traces de son passage. Sans doute était-elle bien mieux adaptée à cet environnement que lui.

Red ouvrait la marche en taillant un chemin à la machette; elle écarta puis relâcha brutalement une branche chargée de fleurs à l'odeur entêtante, qui vint fouetter le casque du chevalier dans un déluge de pétales.

-Eh fais attention, râla-t-il.

-Arrête de grogner et avance plus vite, répliqua-t-elle sans même se retourner. Si tu veux qu'on arrive en premier, il faut se bouger.

Varig grogna, mais sourit sous son casque. Red avait l'esprit de compétition; en ce moment rien d'autre ne comptait pour elle que la chasse. Heureusement il pouvait aisément la suivre, profitant d'un métabolisme nettement plus performant depuis ses aventures au contact du fragment du Nihilithe.

Tout en avançant il repensa à ce qui l'avait amené ici.

Il commandait la flotte d'expédition depuis déjà trois mois, et une certaine routine s'était déjà installée. Son groupe de combat avait mené pas moins de sept expéditions dans l'espace inconnu tandis que le commandant Frallon faisait de même dans d'autres secteurs de l'espace. Leurs trouvailles avaient enchanté l'empereur.

La logistique parvenait à suivre la croissance régulière de la flotte. Celle-ci comptait désormais plus de trois cent vaisseaux de ligne, allant du croiseur au destructeur. Les océans de Maridun fournissaient du deutérium en abondance tandis que les mines de métal et de cristal creusaient sans cesse plus profondément la surface en quête de ressources. Les chantiers spatiaux produisaient de nouveaux vaisseaux chaque semaine, et la population profitait largement de cette industrie, augmentant rapidement. En bref, tout fonctionnait parfaitement.

C'était ce qui avait mené Varig dans cette jungle. Depuis sa prise de commandement il avait été assez occupé par la gestion de la flotte pour esquiver les mondanités; mais à mesure que les choses se mettaient en ordre il avait finit par ne plus trouver de raison valable pour décliner les invitations du gouverneur de Maridun, Sigel Vao. Après tout, l'amiral était le militaire le plus haut gradé de l'empire dans ce secteur; fréquenter les autres responsables faisait partie de ses obligations.

Le chevalier avait craint de se retrouver coincé à une assommante soirée remplie d'officiels en costume, mais il était loin du compte.

La faune de Maridun était plutôt inamicale, et de longues clôtures électrifiées protégeaient les zones peuplées. Malgré ces protections certains grands prédateurs parvenaient parfois à s'infiltrer dans le périmètre, menaçant les fermes et les colons isolés; il fallait alors les éliminer. Le gouverneur avaient fait de ces chasses un divertissement.

Bien sûr vu la dangerosité du "gibier" ils prenaient aussi leurs précautions; un soldat expérimenté devait accompagner chaque chasseur, et une sonde en orbite s'assurait que leur cible ne quitte pas le périmètre, sans relayer sa position aux chasseurs. D'après Carlsson certains avaient tenté de la pirater pour obtenir l'information malgré tout, mais le cryptage militaire résistait à leurs efforts. Varig avait refusé que l'agent tente sa chance lui aussi.

Toutes ces mesures de sécurité n'avaient pas empêché un responsable local de l'industrie minière de finir dans l'estomac d'un lézard géant cracheur de feu, des prédateurs locaux surnommés les "dragons de Maridun". Toujours d'après Carlsson cette mésaventure avait beaucoup amusé le gouverneur Vao.

Plusieurs officiels avaient cherché à le décourager d'organiser de nouvelles chasses, mais il avait refusé. Il estimait qu'elles permettaient aux responsables de la colonie d'affronter les dangers de leur nouveau monde et donc de prouver qu'ils y méritaient leur place. À la suite de cet épisode de nombreux invités à ses chasse avaient trouvé des excuses pour ne pas s'y montrer, mais nombre d'ambitieux en avaient aussi fait un moyen de se faire remarquer. Tout cela créait une concurrence acharnée et parfois dangereuse.

Pour Varig c'était surtout l'occasion de passer un moment seul avec Red. Fidèle à elle-même la jeune femme ne voulait pas d'une simple ballade "romantique" dans la jungle fleurie de la planète, pourtant magnifique. Elle voulait trouver et abattre elle-même la bête qu'ils traquaient depuis déjà des heures. Ça convenait au chevalier; ce côté sauvage lui plaisait.

-Une trace, signala-t-elle en s'arrêtant. Le dragon ne doit plus être très loin. Il va vers les clôtures, ça va le coincer.

Le chevalier consulta rapidement l'écran de sa visière. Les autres chasseurs avaient prit du retard sur eux et ils étaient isolés dans la jungle.

-Sois prudente, lâcha-t-il. On est seuls et d'après les Xenobiologistes cette bestiole est assez intelligente pour nous prendre en embuscade.

-Bah, tu couvre mes arrières, répliqua-t-elle. Et puis je suis toujours prudente, tu me connais.

Varig observa la trace de patte griffue profondément enfoncée dans le sol boueux. Rien que la taille de l'animal incitait à ne pas le sous estimer. La créature aurait pu facilement leur échapper, mais malheureusement, les dragons étaient férocement territoriaux et très agressifs.

-Justement, je te connais, lâcha-t-il.

Ils continuèrent à pister leur cible pendant près d'une demi-heure, et finirent par s'arrêter au sommet d'une colline. De là haut ils pouvaient apercevoir la grande clôture électrifiée qui balafrait la forêt. Les machines impériales avaient dégagées de larges bandes de végétation autour des protections, traçant même une piste pour faciliter la maintenance; des deux côtés la jungle s'étendait à perte de vue.

Varig se perdit quelques instants dans le paysage verdoyant, levant les yeux jusqu'au ciel où se détachait la lune artificielle. C'est là que se trouvait la base de ravitaillement de la flotte; vu d'ici il était difficile d'imaginer qu'il s'agisse d'une construction humaine. Elle semblait au contraire toujours avoir été accrochée dans le ciel de Maridun.

Le jeune homme avait passé si longtemps dans l'espace qu'il en oubliait presque que les paysages d'une planète étaient si beaux. Ce monde faisait résonner en lui des souvenirs qui n'étaient pas les siens. Dans leur chair, les humains n'étaient pas fait pour vivre dans des vaisseaux mais pour des endroits comme celui là.

Il se surprit à envier les colons qui pouvait voir ce spectacle et respirer cet air pur chaque jour.

-Par-là, signala Red en le tirant de ses pensées.

Le chevalier suivit la direction dans laquelle elle pointait son arme et le vit aussi. Le "Dragon" était descendu dans le lit d'un ruisseau; c'était un reptile aux écailles sombres, mesurant de plus de deux mètres de haut et évoluant à quatre pattes, balayant les airs de sa queue pour garder son équilibre.

Red épaula pour le viser, mais la créature disparu soudain dans une cavité.

-Merde, lâcha-t-elle en baissant son fusil. Suivons-le.

Les deux thrawniens mirent quelques minutes à retrouver la grotte où leur cible s'était engouffrée. Les bottes dans l'eau fraîche de la rivière, Varig observa l'entrée sombre d'un œil circonspect.

-Tu es sûre de vouloir le suivre là-dedans? lâcha-t-il.

-Est-ce que je suis avec le seul chevalier qui a peur d'aller affronter un dragon dans sa tanière? répliqua-t-elle sur un ton de défi avant d'allumer sa lampe.

Pour toute réponse, Varig passa devant elle et s'enfonça dans la grotte.

À mesure qu'ils progressaient dans la galerie, la température diminuait. Sous la pierre, les bruits de l'eau semblaient résonner à l'infini, remplaçant les murmures de la foret. Les deux thrawniens avaient l'habitude d'évoluer ensemble les armes à la main, et n'avaient pas besoin de se concerter; ils avançaient rapidement et avec un minimum de bruit, rasant les murs.

Bientôt le boyau s'élargit, et la lampe du chevalier accrocha les restes carbonisés d'un gros animal. Ils avaient bien trouvé la tanière du dragon.

Ils finirent par déboucher dans une vaste grotte, éclairée d'une sorte de phosphorescence végétale bleutée qui venait s'accrocher à la roche. Des spores lumineux flottaient dans l'air, et le ruisseau souterrain coulait entre les rochers aux formes polies par le temps et l'érosion. Les lampes n'étaient même pas nécessaire dans ce décors et les deux humains les éteignirent.

L'endroit était magnifique, mais des carcasses brûlées et déchiquetées gisaient ça et là, rappelant ce qui s'y tapissait, quelque part.

Varig et Red s'avancèrent prudemment entre les formes rocheuses, armes brandies. Ils ne voyaient aucune issue, ni aucune trace de leur cible, mais la grotte offrait de nombreuses cachettes...

Le chevalier perçut soudain un mouvement à l'extrême limite de son champ de vision.

-Attention! cria-t-il en plongeant sur Red.

Un instant plus tard un torrent de feu se déversait sur eux.

Une violente fusillade sous les voûtes de la grotte, se mêlant aux hurlements du dragon dans un vacarme assourdissant.