E. L'Inspiré - cinquième partie
La "flotte perdue" avait passé près d'une semaine à dériver dans le vide, rythmée par les heures de quart, les exercices et les manœuvres, virtuelles faute de carburant. Les journées de travail s'enchaînaient, si on pouvait encore utiliser ce terme au milieu de l'espace.
Même pendant ses temps de repos Varig ne relâchait pas sa vigilance. L'un des médecins du vaisseau avait indiqué que la mort de Nile avait tout d'une "crise cardiaque naturelle"; personne n'y croyait bien sûr, pas même le praticien qui se montrait très agacé de ne pas réussir à découvrir les causes réelles du décès du commandant. Carlsson penchait pour une neurotoxine télécommandée et s'étant auto-détruite après usage. Le genre d'armes dont ne disposait pas n'importe quel tueur...
Il y avait un assassin à bord, assez doué pour réussir ce meurtre sans laisser le moindre indice. En conséquence le chevalier dormait avec son arme chargée, et deux commandos du Spectre restaient en permanence auprès de lui. Devoir recourir à des gardes du corps à bord de son propre vaisseau était un aveux de faiblesse, mais c'était aussi un sérieux obstacle à quiconque voudrait s'en prendre à lui.
Bien sûr les rumeurs courraient dans les équipages de la flotte. Carlsson et ses collègues avaient tissé un réseau de surveillance étonnamment efficace, de sorte que Varig était informé de l'état d'esprit de ses hommes; beaucoup pensaient que c'était lui qui avait tué Nile. Certains approuvaient, d'autre se méfiaient encore de lui, remettant en cause la "version officielle".
Une rumeur prétendait même qu'il n'était qu'un sosie et que le véritable amiral avait quitté la flotte, mais ceux qui accordaient du crédit à cette théorie étaient peu nombreux, surtout parmi les officiers. Ces derniers travaillaient directement avec lui au quotidien. Malheureusement ils semblaient plus doués pour cacher leurs sentiments réels aux agents du BSI.
Le capitaine Arrow s'était révélé être un officier consciencieux, mais dépourvu de l'expérience de son prédécesseur ou de la moindre intuition; il faisait son travail, mais sans jamais s'éloigner des sentiers battus. Et il était loin d'être le seul; la plupart des officiers de la flotte étaient noté dans une fourchette assez serrée, allant de moyen à correct. Rien que cette normalité trop marquée aurait dû mettre la puce à l'oreille de quelqu'un...
Grâce au contenu du coffre du commandement Nile, Varig avait enfin compris pourquoi tant d'officiers de la flotte répondaient à ces standards. Cette répartition ne devait rien au hasard; on s'était assuré que la flotte dispose d'officiers compétent, mais écarté les plus brillants et les plus ambitieux.
Frallon semblait avoir été l'exception qui confirmait cette règle; peut-être parce qu'il avait dissimulé cette facette de sa personnalité aux évaluateurs. Et s'il l'avait fait, combien d'autre y avait réussi? Cette question avait de quoi perturber le repos, surtout quand le lit qu'on occupait était celui d'un mort.
Varig dormait d'un sommeil léger quand une alerte l'avait brusquement tiré du sommeil.
-Amiral, le Spectre est de retour avec une trentaine de transporteurs, annonça Arrow.
-J'arrive, répondit simplement le chevalier avant de refermer la communication.
Il se prépara rapidement, mais prit le temps de contacter directement le Spectre. Il n'avait pas douté qu'il reviendrait, mais savoir que le vaisseau était bien là était hautement rassurant.
-Content de vous voir capitaine Arius, lança-t-il avec un sourire. On vous attendait avec impatience.
-Content d'être là amiral, répondit ce dernier. On vous apporte le deutérium et les munitions pour ravitailler la flotte.
Enfin une bonne nouvelle. La flotte sera bientôt de nouveau au maximum de ses capacités.
-Le Leviathan ne vous a pas causé de problème?
-On a pu passer devant lui en furtif à l'aller, et recueillir pas mal de données. Les communications aliens reposent sur un langage complexe à base d'émissions chimiques et d'odeurs. Les xeno-biologistes ont réussi péniblement à transmettre un message de paix et ont traduit leur réponse; quelque chose comme "partez". Tant qu'on contourne largement la planète habitée, ils ne tentent pas de nous poursuivre.
-Parfait, je n'ai de toute façon aucune intention d'affronter ce monstre. Qu'en est-il du capitaine Frallon et de ses préparatifs? A-t-il suivi les ordres cette fois?
Arius pianota sur un écran invisible.
-À la lettre. Je viens de vous faire parvenir les données. Grace aux délais supplémentaire, il a pu rassembler de grandes quantités de ressources, tout en évitant de concentrer trop de matières premières par prudence; résultat les chantiers de Maridun tournent à plein régime. Le QG commence même à rechigner à nous fournir des équipages.
-Je réglerais cela à mon retour, lâcha Varig. Autre chose?
-Quand comptez vous revenir à bord du Spectre?
Le chevalier croisa ses mains dans son dos, observant la trajectoire du vaisseau sur les fausses baies vitrées de sa cabine, réparée depuis la brutale perquisition menée par Carlsson.
-Juste après notre retour dans l'espace impérial, lâcha-t-il enfin. J'avoue que quitter l'Inspiré sera un soulagement, mais je veux rester avec son équipage jusqu'à la fin de ce voyage.
-Je comprend amiral. Ça renforcera votre autorité sur la flotte.
-J'ai surtout promis à ces hommes de les ramener chez eux, et c'est ce que je vais faire.
Quand Varig arriva sur la passerelle, le ravitaillement était déjà bien entamé. Les hommes qu'il avait croisé dans les coursives semblaient tous gonflés à bloc; ils avaient tous hâte de rentrer après un long mois perdu dans les profondeurs de l'espace. Leur moral était plus haut encore qu'avant le départ.
-Capitaine Arrow, préparez notre trajectoire, ordonna le chevalier en s'installant dans son fauteuil. Il est temps de rentrer.
Traverser le système Leviathan fut étonnamment simple. Le gigantesque vaisseau gardien des insectes locaux se contenta de suivre leur progression de très loin, au cas où un vaisseau déciderait de piquer sur la planète. En moins d'une journée de voyage, la flotte pu rallier sa base en orbite de Maridun. Ils étaient enfin de retour.
La planète émeraude était fidèle à elle-même, mais près d'une centaine de vaisseaux lourds évoluaient désormais dans son orbite. Les renforts de la nouvelle flotte d'exploration, fraîchement sortit du chantier spatial...
Varig avait eu le temps d'étudier ses forces. Les équipages avaient besoin d'entraînement, mais il disposait maintenant d'une puissance de feu redoutable pour remplir la mission confiée par l'empereur; sillonner l'espace inconnu d'Andromeda en quête de savoir et de ressources.
Le chevalier contacta le capitaine Frallon. Ce dernier semblait avoir encore pris du poids depuis leur dernière conversation.
-Bon retour dans l'espace civilisé amiral, lança l'officier d'un ton plat. Je remet mon groupe de combat sous vos ordres et j'attend vos instructions.
-Vous n'avez pas chômé en notre absence, releva Varig. Le décès du commandant Nile a laissé un trou dans sa hiérarchie, et tous ces nouveaux vaisseaux vont avoir besoin d'officiers compétents pour les encadrer. Je vous confie l'Inspiré, et vous mènerez bientôt votre propre groupe d'expédition. Félicitations commandant Frallon.
Un autre appel beaucoup moins agréable attendait le chevalier, mais il choisit de quitter la passerelle pour le passer discrètement depuis sa cabine.
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