D. Saut dans l'inconnu - deuxième partie
La flotte avait voyagé près d'une journée à travers l'hyperespace avant d'émerger dans les territoires inconnus, loin de toutes les routes explorées d'Andromeda.
Depuis son fauteuil, Varig leva les yeux du rapport qu'il consultait pour observer la vue panoramique qu'offrait la passerelle.
Le système où ils étaient arrivés possédait une étoile brillante, enveloppée d'un nuage de gaz et de matière. Aucune planète ne s'affichait sur les scanners; c'était un spectacle magnifique et désolé, que les membres de l'expédition étaient probablement les premiers à contempler.
-Sortie de l'hyperespace réussie, tous les vaisseaux sont au rapport, indiqua l'officier de navigation. Triangulation de la position grâce à la carte stellaire. D'après les relevés, nous nous trouvons...
Il s'interrompit, et un silence de mort tomba sur la passerelle. Le capitaine Arius fronça les sourcils.
-Alors, où sommes nous? insista-t-il.
-Je... Je cherche monsieur. Nous nous sommes enfoncé bien plus loin que prévu dans l'espace inexploré.
-Comment est-ce possible? demanda sèchement Arius.
-Cette étoile supermassive n'avait pas été détectée par nos relevés monsieur, et son puits de gravité a modifié la courbe de l'hyperespace autour d'elle. Ce qui a altéré notre route.
-À quel point? intervint Varig.
-Euh... Le calcul est en cours amiral.
Un silence épais régnait dans la pièce. Tendu, le navigateur scrutait son écran.
-D'après le logiciel, nous pouvons rejoindre l'espace impérial en un peu moins d'un mois en procédant à plusieurs sauts successifs de système à système, indiqua le navigateur avec soulagement. Nos réserves de deutérium seront tout juste suffisantes, mais on peut y arriver en baissant le régime des moteurs au minimum.
Un poids sembla soudain quitter les épaules de tous les hommes et les femmes sur la passerelle.
Se retrouver perdu à jamais dans l'espace était le cauchemar commun à tous les spationautes depuis que l'humanité voyageait au delà de l'atmosphère. On avait beau construire des vaisseaux sans cesse plus perfectionnés, des combinaisons de survie presque indestructibles, l'immensité du vide restait aussi inhospitalière et mystérieuse qu'avait dû être l'océan pour les premiers humains. S'y perdre signifiait mourir seul, loin de tout.
-Bien, préparez une trajectoire pour la flotte, lâcha Varig.
Et faites ça bien cette fois, se retint-il d'ajouter.
Durant la préparation de l'expédition, il avait appris que ce genre d'accident pouvait se produire; lors de voyages si lointains, les calculs intégraient toujours une marge d'erreur pour en tenir compte, normalement prévue pour permettre à la flotte de rentrer. Ils avaient joué de malchance, voilà tout.
Loin d'être paniqué, le commandant Nile sembla très bien prendre la nouvelle.
-Au moins nous allons traverser plusieurs systèmes, et peut-être y trouver quelque chose d'intéressant, se borna-t-il à déclarer après que son supérieur l'ai informé de la situation.
Varig s'efforça de se calmer. Ce contretemps avait secoués tout le monde à bord; aucun n'était habitué aux hasards des expéditions dans l'inconnu.
Mais si un vétéran comme Nile était capable de gérer la situation avec philosophie, il devait pouvoir le faire aussi. Cela rassurerait tout le monde.
-Trajectoire calculée monsieur, annonça le navigateur alors que la flotte faisait route vers les limites du système à vitesse réduite pour économiser son carburant.
-Merci Jetro, lâcha le capitaine Arius. Au moins nous aurons le temps de profiter de la vue.
La plaisanterie détendit un peu l'ambiance de la passerelle. Le voyage vers le point de saut durerait une bonne demi-journée; Varig décida d'en profiter pour faire le tour du vaisseau, ce qu'il n'avait pas eu le temps de faire depuis sa promotion.
-Je vous laisse la passerelle capitaine, annonça-t-il en se levant.
La nouvelle de leur incident de parcours s'était mystérieusement répandue à travers le vaisseau. Les spatiaux avaient un terme pour décrire ce phénomène: "radio coursive", comme si chaque conduite du vaisseau colportait les nouvelles.
Le calme dont Varig tâchait de faire preuve rassura vite les plus inquiets. Après tout si l'amiral prenait le temps de se balader à travers le vaisseau, c'était que l'affaire ne pouvait pas être bien grave.
Profitant de ses nouveaux instruments, le docteur Leroy travaillait à plein régime. Les ingénieurs de bord avait carrément abattu une cloison et muré toute une coursive pour servir de laboratoire et abriter les nouveaux équipements sans surcharger l'infirmerie, mais même comme ça la place manquait cruellement.
-Vous arrivez encore à travailler là dedans Nigel? s'enquit Varig en enjambant précautionneusement un gros câble électrique tout en baissant la tête pour passer sous un tube transparent.
-Travailler? Mais qui parle de travail! lâcha le scientifique en levant à peine le nez de son écran. Ces étoiles supermassives sont très difficiles à approcher; je ne pensais jamais pouvoir en observer une d'aussi près de toute ma vie! Combien de semaines restons nous?
-Une demi-journée, répondit impitoyablement Varig.
-C'est... Peu, lâcha-t-il, dépité. Je vais faire un maximum de relevés dans cette période et je les étudierais une fois rentré. La physique fonamentale n'est pas mon domaine premier, mais votre cas m'a poussé à beaucoup plus m'intéresser à l'énergie. Savez-vous que cette étoile a le même type de rayonnement que...
Le chevalier battit en retraite vers la sortie avant d'être embarqué dans une longue explication technique.
-Je passais juste voir si vous alliez bien, lâcha-t-il précipitamment. Je vous laisse travailler...
-Ce n'est pas du travail, c'est de la science pure! lui cria Leroy tandis qu'il retraversait l'infirmerie.
Le "cabinet" de Paige se trouvait juste en face de l'infirmerie. C'était un ancien espace de stockage, plutôt exiguë mais que la jeune femme avait su rendre assez accueillant, ajoutant des paysages animés aux murs qui formaient autant de fausses fenêtres. Elle avait aussi une machine tournant avec du vrai café, ce qui avait beaucoup fait pour sa popularité.
Elle se leva quand Varig entra, interrompant ce qu'elle tapait sur son ordinateur holographique. Comme le docteur Leroy elle ne portait pas d'uniforme, mais une combinaison spatiale confortable en dessous de vêtements civils.
-J'ai entendu dire que notre expédition allait être rallongée, lança-t-elle. Si les gens sont inquiets, ça va me donner du travail.
Varig ne fut même pas surpris qu'elle soit déjà au courant.
À la base les concepteurs du Spectre ne semblaient pas avoir pensé qu'une psychologue puisse être utile sur un vaisseau des opérations spéciales; mais Paige avait su s'intégrer, et devenir un précieux atout pour surveiller la santé et le moral de l'équipage. C'était la seule à appeler tout le monde à bord par son prénom, quelque soit son grade ou sa fonction.
-Un mois et nous serons de retour si tout se passe bien, lâcha Varig. S'il y en a qui sont anxieux, essaie de les rassurer.
-Je suis là pour ça, releva-t-elle. Tu as un moment? On a pas eu vraiment l'occasion de discuter depuis ta promotion. J'imagine que ces nouvelles responsabilités, ça doit peser.
Elle s'assit, et le chevalier en fit autant.
-Honnêtement je ne m'y attendait pas, mais c'est le bon côté de ce travail; entre les rapports, les didacticiels et la logistique, je n'ai pas beaucoup le temps de penser. Pour le reste j'essaie juste d'être à la hauteur.
Elle l'observa quelques secondes.
-Prend aussi le temps de te reposer, lâcha-t-elle finalement. Et de penser. Comment va Red?
Il hésita sur ce qu'il allait dire, ce qui n'échappa pas à la psychologue.
-Bien, je crois, lâcha-t-il. C'est difficile à dire en fait; depuis ma promotion j'ai peu de temps pour parler.
-Et elle te le reproche?
-Non, non, corrigea-t-il précipitamment. Enfin je ne crois pas. En fait j'ai l'impression que quelque chose la travaille. Elle ne t'as rien dit j'imagine?
-Si c'était le cas, tu sais bien que je ne t'en parlerais pas.
Une fois qu'il eu fait le tour du Spectre, Varig décida de suivre le conseil de Paige et d'aller se reposer un peu. Il se déshabilla puis programma son réveil pour pouvoir retourner sur la passerelle avant que la flotte ne quitte le système. Assis sur son lit, il ouvrit le sous programme réservé à ses conversations privées avec Red.
Merci d'être venu tout à l'heure, tapa-t-il.
Il referma le logiciel et entra dans les draps, fixant le plafond en cherchant le sommeil.
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