C. Discipline
Après sa remise de grade, Varig et le commandant Nile s'étaient isolés dans la salle de conférence pour échanger entre officiers supérieurs.
-Avant de commencer à évoquer la situation de la flotte, j'aimerais vous parler d'homme à homme, attaqua le chevalier. Ma nomination a été une surprise, et je comprendrais que vous n'appréciez pas que quelqu'un d'extérieur prenne le commandement de ce qui était votre flotte. Sachez que je respecte votre expérience, mais j'ai besoin que vous me disiez si nous allons avoir un problème.
Il avait passé un moment à réfléchir, et cette confrontation franche en privé lui semblait de nature à instaurer de bonnes bases pour l'avenir. C'est ce qu'il aurait fait à n'importe quel autre échelon hiérarchique qu'il avait traversé; pourquoi ne pas essayer?
-Permission de répondre franchement, amiral? demanda raidement le commandant.
-Accordé.
-Vous me semblez très... Jeune pour occuper un tel poste, et je n'ai jamais entendu parler de vous. Mais quoi que j'en pense j'ai reçu des ordres et je suis un professionnel; vous ne rencontrerez aucune opposition de ma part. Tant que nous en sommes à parler de discipline et de respect de la hiérarchie, il y a un dossier que j'aimerais évoquer avec vous...
Varig saisit la balle au vol. De toute façon il n'obtiendrait sans doute pas mieux.
-Celui du capitaine Frallon, du croiseur l'Arbane j'imagine?
L'officier sembla surpris qu'il l'ait deviné, et le chevalier sentit qu'il venait de marquer un point.
-En effet amiral. Le capitaine Frallon a enfreint mes ordres directs au combat et mit son vaisseau et son équipage en danger pour rechercher une gloire personnelle. Je demande à ce qu'il soit passé en cour martiale et sanctionné lourdement pour insubordination.
-J'ai cru comprendre à la lecture du rapport que les actions du capitaine ont permis de sauver de nombreuses vies au sol, releva Varig.
Le commandant Nile acquiesça à contrecœur.
-Il a eu de la chance, mais ce ne sera peut-être pas le cas la prochaine fois. Combien de vies seront perdues alors? Et si un officier se met en tête de l'imiter à la prochaine bataille? On doit réagir avant que la flotte ne perde toute discipline au profit de l'ambition personnelle et de l'individualisme.
Le chevalier remarqua que le commandant avait utilisé le "on", comme pour l'inclure dans son camp, et cela lui déplu. Heureusement sa formation lui avait appris à s'imposer en douceur face à ce genre d'affirmation.
-Je parlerais au capitaine Frallon avant de prendre une décision, trancha-t-il. Bien, passons à l'état de la flotte.
Le sujet était refermé, ne laissant aucune chance au commandant de discuter son point de vue. Il ne s'y risqua pas.
-D'ici une semaine maximum, tous nos vaisseaux seront pleinement opérationnels et prêts pour un nouveau voyage d'exploration. J'ai reçu ordre de l'empereur d'augmenter substantiellement notre force de combat; le Quartier Général de la Marine nous fournira du personnel, mais nous reposerons entièrement sur les installations de Maridun pour construire et financer nos nouveaux vaisseaux. L'approvisionnement en deutérium n'est pas un problème vu la production planétaire et nos consommations actuelles, mais le cristal nécessaire à l'électronique des vaisseaux va vite manquer.
Suivirent une bonne heure de considérations épuisantes sur la logistique de la flotte. Financements, armement, ravitaillement et équipages furent passés au crible.
-Le colonel Maxus et son seizième bataillon de choc devraient aussi voir des effectifs augmenter, indiqua négligemment Nile au détours de la discussion. Mais heureusement nous n'aurons pas à les armer; ces unités dépendent directement du QG.
Le chevalier se traita intérieurement d'abruti. Comment avait-il pu ignorer l'officier commandant les fusiliers de sa flotte? Il s'était tellement concentré sur les vaisseaux et leur chaîne hiérarchique qu'il en avait négligé ce rouage essentiel de sa nouvelle affectation.
-Dites au colonel que je le recevrai dans la journée pour qu'il me fasse son rapport sur son bataillon, indiqua-t-il comme si ça avait toujours été son intention.
Quand le commandant Nile prit enfin congé, Varig se rendait mieux compte de l'ampleur de la tâche qui l'attendait. Il savait désormais qu'il devrait déléguer une partie de cette administration s'il ne voulait pas se retrouver enseveli sous les rapports. Delta pourrait gérer certains éléments de la logistique.
Il soupira. Avant même de planifier la moindre mission, il était déjà confronté à des défis de taille et éprouvait un violent besoin de se retrouver un peu seul pour réfléchir.
L'amiral contacta la passerelle pour ordonner qu'on ne le dérange pas pendant la demi-heure à venir et il s'enferma dans la salle de conférence avant de s'affaler sur un des bancs capitonné de la pièce.
-Dure journée? s'enquit une voix féminine.
Sans surprise, le chevalier vit la silhouette imposante d'Appolyon émerger des ombres de la pièce, comme si elle avait toujours été là.
-J'ai connu pire, se borna-t-il à répondre.
-C'est un jour important Varig Atorias, lâcha l'Inquisiteur en s'avançant au centre de la pièce. Une autre étape dans ton voyage vers ta destinée.
Ces derniers temps, le spectre de la femme qui partageait son esprit employait souvent cette expression.
-Que sais-tu de ma destinée? demanda-t-il rudement.
-Il n'est pas encore temps de te le révéler, éluda-t-elle. Mais l'heure approche.
-Ben voyons. J'imagine que ce serait trop facile si tu me donnais un compte à rebours, railla Varig.
Elle se tourna vers lui.
-Tu aurais tord de te moquer du destin. Les dieux ont des projets pour toi...
-Tu sais que je ne crois pas à eux.
-Mais eux croient en toi, et ils t'ont choisi pour remplir une mission. Plus tard, tu comprendra.
Varig décida de ne pas poser plus de questions à ce sujet. Les réponses confuses et mystiques de l'Inquisiteur le mettaient toujours mal à l'aise. S'il ne croyait pas aux "dieux" d'Appollyon, il avait été témoin des pouvoirs qu'avait possédé la femme de son vivant. Une force terrifiante et surnaturelle, dont seule une fraction était passé une lui.
La relation qui le liait à l'Inquisiteur était finalement assez simple, reposant sur un pacte; il lui avait promis une vie en échange de son aide et de ses conseils. Pour le moment, elle respectait le marché sans rien demander, comme si elle était sûre qu'il remplirait sa part. Songeant au prix qu'elle exigerait tôt ou tard, Varig se sentait inquiet. Que pouvait-elle vouloir qui justifiait un tel désintéressement?
-J'imagine que tu es venue me donner un conseil? demanda-t-il pour changer de sujet.
-D'autres que moi remplissent déjà cette tâche, indiqua-t-elle.
-Le capitaine Arius pense que sanctionner Frallon découragera les autres officiers. Au contraire, Carlsson pense que ne pas le faire saperait la discipline et me mettrait le commandant Nile à dos. J'ai besoin d'un œil neuf.
-Alors voici mon conseil. Tu es l'amiral de cette flotte; écoute les avis, mais à la fin impose ta volonté. C'est ce que ton empereur veut. C'est pour ça qu'il n'a pas réglé ce problème lui même.
-C'est... C'est sûrement vrai. Mais je ne sais pas...
Il s'interrompit, soudain pensif. Un souvenir lui revenait en mémoire. Il n'était alors qu'une recrue parmi d'autres à l'académie impériale de Nirauran, apprenant la discipline à la dure.
Oui, ça pouvait marcher.
Le chevalier pianota sur l'interface holographique de son ordinateur de poignet. Autant régler cette question au plus vite.
Il n'était pas encore très bien habitué aux fonctions complexes d'un amiral, et mit plusieurs minutes à vérifier que son idée était faisable. Entre-temps Appollyon avait disparu, comme à son habitude. Elle pouvait revenir dans quelques minutes comme ne plus se montrer pendant des semaines.
Une fois sûr de son fait, il initia une communication vers le capitaine de l'Arbane.
-Ici Frallon, indiqua sobrement ce dernier, manifestement installé dans son fauteuil sur la passerelle de son vaisseau.
-Capitaine, je suis le chevalier Atorias, nouvel amiral de la flotte d'exploration, se présenta-t-il avec une assurance tranquille.
L'officier se leva et rectifia sa tenue avant de saluer. Insubordonné peut-être, mais la discipline thrawnienne lui avait au moins appris à mettre les formes.
-À vos ordres amiral. Que puis-je pour vous?
Loin de l'image énergique que Varig s'était faite, Frallon semblait plutôt déprimé. Il avait un peu de surpoids et n'était pas beaucoup plus âgé que lui. Pourtant il avait bien affaire à l'officier qui avait jeté son croiseur dans l'atmosphère toxique de Polème, menant une charge épique pour sauver les soldats au sol.
-On m'a informé de vos actions sur Polème capitaine, lança-t-il. Et vous me posez un sacré problème.
L'homme ne répondit pas immédiatement.
-J'ai fait mon devoir amiral, lâcha-t-il enfin. Et je suis prêt à en assumer les conséquences.
-Heureux de l'entendre. Vous ne passerez pas en cour martiale pour insubordination uniquement parce que votre manœuvre a réussi et sauvé de nombreuses vies, mais ne vous croyez pas tiré d'affaire pour autant. Vous et votre vaisseau ne participerez pas à la prochaine mission d'exploration de la flotte; je vous met sur la touche.
L'officier se crispa, mais eu la sagesse de ne pas discuter. Après tout il s'en tirait à bon compte même si l'humiliation d'être écarté devait lui brûler la gorge.
-Bien, amiral.
-N'espérez pas profiter de cette affectation pour vous tourner les pouces, poursuivit Varig. Durant notre absence, je vous confie le commandement d'une force réduite, constituée des vaisseaux les plus endommagés de la flotte et de quelques cargos lourds. De nombreuses installations minières abandonnées jalonnent ce secteur; je veux que vous y récupériez un maximum de ressources pour permettre à l'industrie de Maridun de produire des vaisseaux au maximum de ses capacités. Ne prenez aucun risque; contentez vous de récupérer ces ressources et de réparer les dommages.
S'il était surpris, Frallon n'en montra rien. Il ne faisait pas non plus preuve d'un enthousiasme débordant; en fait il semblait presque indifférent.
-À vos ordres Amiral.
-Je ne vous le cache pas, cette mission n'est pas une promotion. J'attend de vous que vous obéissiez strictement aux ordres cette fois, et j'espère que vous ferez preuve de la même efficacité pour remplir cette tâche ingrate que sur Polème.
Varig attendit d'avoir coupé la communication pour se départir du masque sévère qu'il avait endossé.
Des années plus tôt, il avait transgressé les ordres d'un instructeur de l'académie sur le terrain pour gagner du temps, et était arrivé premier de l'exercice. En guise de punition déguisée, on lui avait assigné des corvées supplémentaires puisqu'il "arrivait à finir plus vite que les autres".
La leçon était restée, même s'il l'avait largement adaptée à la situation. Ceux qui font mieux que les autres en piétinant les règles attirent l'attention des supérieurs et doivent aussi être capable de se charger des corvées.
À la moindre imprudence dans l'exécution de sa tâche, il saurait qu'il ne pouvait pas se fier à Frallon. À l'inverse s'il réussissait à être à la hauteur, il pourrait lui confier un rôle plus important.
Peut-être que cette décision ne satisfaisait pas entièrement le commandant Nile, mais Varig la trouvait équilibrée. De plus laisser les vaisseaux les plus endommagés à Frallon allait lui permettre de gagner du temps et de lancer rapidement une nouvelle mission d'exploration à travers l'espace inconnu.
Pour l'heure il devait encore faire venir le colonel Maxus et informer le commandant Nile de sa décision. De nombreux préparatifs allaient l'occuper dans les jours à venir...
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