4. Exodus - deuxième partie
Chaque impact faisait tressauter le sac de sable sur lequel Red s'acharnait. Elle frappait fort, méthodiquement. Ça ne calmait pas sa rage, mais au moins elle se fatiguait.
Après quelques minutes, ses coups faiblirent; elle asséna un ultime coup de genou puis recula pour reprendre son souffle.
Les souvenirs encore frais de Ragnarok la poursuivaient, défilant devant ses yeux dès qu'elle fermait les paupières. Les somnifères ne lui épargnaient pas les cauchemars; elle y voyait toujours Varig, les yeux brillant du même rouge que cette étoile maudite.
Elle avait échoué à l'arracher à Appollyon. Et son échec avait condamné l'univers.
C'est du moins ainsi qu'elle voyait les choses.
Elle agrippa le sac de frappe et écrasa son coude à hauteur de tête avec un cri de rage. Elle recommença encore et encore. Trop essoufflée pour continuer, elle finit par asséner un dernier coup de poing avant de tituber en arrière, haletante.
C'est là qu'elle me remarqua, et je pus lire dans son regard qu'elle me reconnaissait. Rien de plus normal; après tout, c'était elle qui m'avait forcé à porter le casque qui couvrait mes traits.
Je m'approchais. À cette heure de la "nuit", la salle était déserte.
-Problèmes de sommeil? lançais-je poliment.
-Allez... Vous faire... Foutre... articula-t-elle entre deux bouffées d'air.
Elle se détourna, récupérant une gourde en métal, posée en bordure des tatamis qui occupaient le centre de la salle.
-Demain, le convoi d'évacuation quittera Genesis, poursuivis-je. Il y a des choses que vous devez entendre avant le départ.
La jeune femme prit une dernière gorgée et referma méthodiquement sa gourde.
-Dès que j'aurais repris, mon souffle, je vais vous péter la gueule, déclara-t-elle entre deux inspirations.
Je fronçais les sourcils sous mon casque. Ça s'annonçait difficile.
-Je suis venu parler, répondis-je. Pas me battre.
-Dommage.
Elle me jeta sa gourde au visage. Ma main frappa le projectile par réflexe, le projetant au loin; la jeune femme courait déjà sur moi, armant le poing. J'esquivais le coup de justesse; mais elle enchaîna aussitôt.
Je déviais une autre frappe avec mon avant-bras mais l'attaque me déséquilibra; Red en profita pour balayer ma jambe d'appuis, m'envoyant au sol. Je roulais sur le côté, alors qu'elle abattait son pied là où se trouvait ma tête une fraction de seconde.
-Debout! exigea-t-elle en reprenant sa garde. Debout!
Elle voulait vraiment se battre. Mais après tout, c'était un moyen de communication qui en valait un autre.
-Delta, verrouille l'accès à la salle et renvoie la sécurité, ordonnais-je en me relevant.
Je retirais mon casque, et le posais à côté de moi avant de lever mes poings.
Red n'attendait pas d'autre signal pour se précipiter à l'attaque. Je bloquais un coup de pied en levant ma jambe et parait un coup de poing avant de répliquer d'un revers. Elle se baissa pour esquiver et me frappa au torse, m'arrachant une grimace de douleur. Je reculais et m'efforçais de mieux bloquer ses coups. Le temps jouait pour moi... Elle était déjà fatiguée. Il suffisait que je fasse durer pour trouver une ouverture...
Un crochet un peu trop lent fut tout ce dont j'avais besoin; je me baissais en plaçant une main au sol et lui assénait un coup de pied au thorax qui la fit chuter lourdement en arrière. Elle tenta de se lever mais retomba sur le tatamis, grognant de douleur et de rage.
-Techniques militaires, fis-je observer en me redressant avant de croiser mes mains dans mon dos. Efficace, mais prévisible. Comme vous n'avez rien de mieux à faire que m'écouter pendant que vous retrouvez votre souffle, je vais parler.
Elle se mit péniblement sur le côté, sur un coude. Si ses yeux avaient pu tirer des balles, je serais mort.
-Vous avez beaucoup de raisons d'être en colère. Des millions de gens sont morts, et ce n'est que le début... Nous vivons des temps de changement qui...
-Fermez-la.
Elle se remit sur pieds, redressant sa garde en avançant sur moi d'un pas mal assuré.
Je reculais en évitant aisément sa première frappe, mais ce n'était qu'une feinte; elle bondit et tacla mes jambes. Je tombais à mon tour, amortissant la chute avec mes mains. J'étais sans défense quand le coup suivant percuta ma tempe.
La douleur explosa comme un flash aveuglant. Sonné, j'eu le réflexe de protéger ma tête et mes côtes; je sentis un premier coup de pied frapper mon bras. Au deuxième, j'agrippais le pied de mon adversaire et le tordit si fort qu'elle tomba à son tour.
M'appuyant sur le tatamis, je lançais mon pied qui la percuta au milieu du torse, lui coupant le souffle.
Je me redressais, groggy. Red, elle, resta au sol.
-Vous frappez dur, observais-je en essuyant un peu de sang de mes lèvres.
-Pas... Assez, répliqua-t-elle.
Elle manquait d'air, m'offrant un peu de répit. Je m'adossais au sac de frappe.
-On peut continuer ainsi et terminer la nuit à l'infirmerie, lâchais-je. Mais ça ne changera rien.
Red s'assit difficilement, grimaçant de douleur et levant les yeux au plafond.
-Paige vous a sûrement expliqué mon rôle, ajoutais-je. Je suis le protecteur de la Fondation, son gardien.
-Vous êtes un salopard, corrigea-t-elle. Une ordure qui envoie les autres se battre et crever à sa place mais qui s'en sort toujours...
Elle planta ses yeux dans les miens, pleine de haine.
-J'aurais dû vous tuer quand je vous ai ramassé, ajouta-t-elle.
-Mais vous ne l'avez pas fait. Quoi qu'il en soit, je suis venu vous dire que je ne partirais pas avec vous demain. Je resterais ici.
Elle plissa les yeux.
-Je ne vous crois pas.
Prévisible. Je souris faiblement.
-Cette station contient toutes les données sur Andromeda que la Fondation a pu rassembler, exposais-je. Paige en emporte une copie, mais cet endroit est la mémoire de ce que cet univers a été. L'installation est autonome et Delta en contrôle la maintenance, mais toutes les simulations prévoient qu'une intervention biologique sera nécessaire tôt ou tard pour prolonger sa fiabilité. J'ai été le protecteur de la Fondation jusqu'ici; désormais j'en serais l'archiviste.
Red fit mine de se lever, puis renonça.
-Et où va partir votre station? demanda-t-elle.
-La Fondation a développé un générateur dimensionnel, un dispositif capable de créer un univers séparé d'Andromeda. Une bulle qui survivra à l'apocalypse et préservera la mémoire de notre univers.
Elle et moi avions déjà visité une telle dimension, le Panoptique. Elle existait depuis de nombreux cycles, et se connectait à plusieurs univers.
Une des entités qu'elle abritait m'avait fournis des indications, des schémas, des théories fruits de millénaires de recherche. Mais l'application restait dangereuse; une chance sur deux, pour les calculs les plus optimistes.
-Et vous, vous allez devenir quoi? releva Red.
-Je serais placé en cryo, attendant que la station ait besoin de moi. J'ignore quand et où elle rejoindra un autre univers, mais ce jour là je pourrais témoigner de ce qu'a été Andromeda.
Elle sembla sur le point de dire quelque chose, mais se tut. Peut-être que m'imaginer perdu dans les limbes hors de l'espace et du temps lui semblait être un châtiment approprié.
-Vous êtes une guerrière, Caldred D'Arca, poursuivis-je. Et vous avez vu au plus près ce que nous affrontons; je ne vous demande pas de me suivre, ni de pardonner mes choix. Mais je vous demande de protéger la Fondation. Aidez Paige.
Elle resta silencieuse, même quand je me détournais et ramassais mon casque.
-Le choix vous appartient.
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