3. Genesis - première partie

Le Nomade s'arracha à l'hyperespace en secouant ses deux occupants qui restèrent de longues secondes immobiles et silencieux, comme s'ils s'attendaient à exploser d'un instant à l'autre. Mais rien ne se produisit.


-On y est arrivé! triompha Bellis Humbrey en tendant les bras aussi haut que le permettait son harnais.


Il paraissait plus heureux de leur réussite que de leur survie, contrairement à sa copilote qui souffla de soulagement. Après tout, s'ils étaient morts, ça aurait été un peu à cause de ses calculs hyperspatiaux. Et beaucoup à cause de la propension de Bellis à choisir des jobs trop dangereux.


D'une commande, elle largua trois sondes qui filèrent comme des missiles. Elle gardait la quatrième en réserve, au cas où.


-Aucun signe de civilisation, détailla-t-elle, le nez sur ses écrans. Pas de transpondeurs ou d'échanges radio. Système mono-étoile. Une géante gazeuse, des astéroïdes, on va en avoir pour deux ou trois jours à tout cartographier... Plus longtemps s'il y a d'autres corps derrière l'étoile.


Bellis lui secoua gentiment l'épaule, souriant de toutes ses dents.


-Profite de la vue Jal, conseilla-t-il en poussant doucement les réacteurs. On aura tout le temps pour bosser plus tard.


Jalen Fenrol soupira, mais l'ombre d'un sourire étira ses lèvres alors qu'elle levait les yeux. L'ordinateur de bord avait automatiquement assombri la verrière pour qu'ils puissent regarder en face la majestueuse étoile bleue. C'était magnifique.


Sans même consulter les instruments, elle pouvait déterminer grossièrement la composition et la température de la surface de l'étoile. Après tout, elle avait passé six ans à étudier l'astrophysique à l'académie la plus prestigieuse d'Osilius... Malheureusement c'était aussi la plus chère, et sa bourse lui avait été brusquement retirée quand la corporation qui la finançait avait choisi de réduire ses activités.

Jalen n'avait pas d'argent, ni de famille pour l'aider à payer. Les banques lui avaient ri au nez; le type louche qui lui avait finalement prêté ce dont elle avait besoin avait vite exigé des intérêts exorbitants. Et ce n'était pas des huissiers qu'il avait envoyé réclamer son dû...

Bref, elle avait dû fuir la planète avant même d'être diplômée, à bord du premier vaisseau venu. Ça avait été le Nomade, cargo-explorateur ayant connu des jours meilleurs et fraichement devenu propriété de Bellis Humbrey, ex officier navigateur impérial reconverti dans le privé.


Ils travaillaient ensemble depuis un an, cartographiant des routes stellaires éloignées. Une activité dangereuse qui payait à peine les frais du vaisseau. Jalen ne comptait plus les fois où ils avaient échappé à des pirates ou à des patrouilles d'impériaux... Mais avec un peu de contrebande et de débrouille, ils arrivaient à continuer à faire voler le Nomade.

Cette vie l'avait endurcie et considérablement assoupli son sens moral; ainsi même la certitude que leur employeur comptait faire de ce système reculé l'étape d'une route de contrebande ne suffisait pas à la faire culpabiliser. Ils avaient plus besoin de la prime que les Empires du coin, qui se gavaient de taxes commerciales. Du moins c'est ce qu'elle se disait pour apaiser sa conscience.


Pour être tout à fait honnête avec elle-même, Jalen aurait dû chercher un meilleur vaisseau et un meilleur capitaine. Un type capable de fournir des jobs mieux payés, plus légaux et moins risqués. Mais Bellis l'avait aidée au moment où elle en avait vraiment besoin, et c'était un partenaire loyal, à défaut d'être avisé.

Et puis elle avait un faible pour son sourire.


Parvenir jusqu'ici en l'absence de coordonnées hyperspatiales pré-enregistrées avait nécessité des calculs savants et une bonne dose de chance. Ils auraient pu finir au fin fond de l'espace ou émerger en plein cœur de l'étoile qu'ils visaient; mais ils étaient finalement arrivés à destination comme espéré. 

Il y avait quand même des compensations à tous ces risques; cette étoile bleue, qu'ils étaient sans doute les premiers humains à voir sans utiliser de télescope. Jamais elle n'aurait connu ce genre d'expérience en restant sur Osilius.


L'ordinateur contredit ses pensée d'un bip pressant. Elle enfonça des commandes pour afficher un visuel.


-Une des sondes détecte quelque chose derrière l'étoile, signala-t-elle en fronçant les sourcils. On dirait...

-Et merde, jura Bellis en changeant soudainement de trajectoire.


Les capteurs s'affolaient. Une intense activité se déroulait de l'autre côté de l'étoile, dans son ombre radar. Une station massive, des docks orbitaux, des mineurs d'astéroïdes et même une flotte de dizaines de vaisseaux de guerre... L'ampleur de cette opération donnait le tournis; plus inquiétant, les bâtisseurs de ces installations avaient pris soin de les dissimuler aux yeux de tout vaisseau qui se contenterait de traverser le système. Or le Nomade venait de leur balancer une sonde à la figure. 


-Tirons-nous avant qu'ils nous fassent notre fête, conclut Bellis en poussant les réacteurs, arrachant une protestation outrée à l'ordinateur de bord.

-Je calcule les nouvelles coordonnées pour un saut d'urgence, mais je ne sais pas si le moteur va bien vivre deux sauts aussi rapprochés...


Une roquette guidée vaporisa la sonde derrière l'étoile avant qu'elle ne puisse faire demi-tour.


-Il vivra encore moins bien après avoir ramassé un missile, conclut Bellis. Et nous aussi.

-Vaisseau non identifié, cracha la radio de bord branchée sur un canal ouvert. Vous vous trouvez dans une zone militaire à accès réglementé. Coupez immédiatement votre propulsion ou vous serez abattus.


Jalen fit la grimace.


-Bof, répondit Bellis avec mépris sans même décrocher le micro. Merci mais non merci.


Sa copilote simulait déjà des trajectoires d'interception avec une aisance qui trahissait leur habitude de ces fuites précipitées. La flotte derrière l'étoile ne parviendrait pas à les atteindre avant une bonne heure, ils auraient sauté bien avant...


-Qui sont ces types et qu'est-ce qu'ils font là? questionna Jalen.

-Vu l'arrogance je mise sur des impériaux. Mais aussi loin des hyperoutes... Aucune idée. En tout cas ils veulent pas être déran...


Bellis jura et changea à nouveau de trajectoire.


-On ne fait pas demi-tour? s'alarma Jalen.

-On est sur le seul vecteur de fuite évident, rétorqua le pilote. Si c'est pas des tocards complets, ils auront anticipé et...


L'ordinateur le coupa en bipant hystériquement. Un vaisseau furtif venait d'abandonner son camouflage, poussant sa propulsion à fond. Comme Bellis l'avait pressenti il les attendait à la limite du point de saut, prêt à les abattre d'une seule salve.


-On arrivera jamais à les semer avant de sortir du puits de gravité, constata Jalen après de nouveaux calculs.

-Pas en ligne directe. On pourrait atteindre la géante gazeuse avant qu'ils nous rattrapent?


Jalen entra les nouveaux paramètres.


-Peut-être, lâcha-t-elle en s'abstenant de mentionner le pourcentage peu encourageant. Tu as une idée?

-Peut-être.


Bellis pianota sur son terminal, affichant les relevés préliminaires capturés par une leur sonde. Helium, ammoniac, hydrogène, tempêtes magnétiques... Un féroce sourire passa sur ses traits alors qu'il simulait des vecteurs.

Sa copilote lui lança un regard inquiet en suivant les trajectoires qu'il explorait.


-Oh, lâcha-t-elle seulement.

-On devrait s'en tirer, commenta Bellis. Le Nomade est assez petit, mais leur traqueur se ferait mettre en pièces par les tempêtes. On va utiliser les deux sondes survivantes pour les surveiller sans sortir de l'atmosphère et calculer un vecteur d'évitement... Le temps qu'ils réagissent on sera loin.

-Vaisseau non identifié, ceci est votre dernier avertissement, s'agaça la radio. Coupez votre propulsion ou vous serez abattus!


Bellis saisit le micro.


-Navré les gars, notre radio a des souci, on ne vous reçoit pas, les gamins à bord ont joué avec les câbles. Mais ne vous inquiétez pas, on sera bientôt partis, navré du dérangement.

-Partis vers un monde meilleur dans une belle explosion, ironisa sinistrement Jalen.

-Vaisseau non ide... 


Le pilote coupa la radio. Peut-être que son bluff à propos de gamins à bord les dissuaderait de tirer. Vieux truc de contrebandier...


Poussé à vitesse maximale en dépit des protestation du logiciel, le Nomade filait en direction de la majestueuse géante gazeuse baignée de la lueur bleutée de l'étoile. 

Mais sur l'écran radar, leur poursuivant gagnait peu à peu du terrain. Le traqueur était un vaisseau de guerre en forme de lame, un tueur impitoyable conçu pour ce genre de chasse; s'il arrivait à portée de tir, ses lasers lourds ne les rateraient pas.


Jalen avait peur, mais en même temps l'adrénaline fouettait agréablement son sang. Ils avaient trop peu de chance de s'en tirer pour qu'elle gaspille les prochaines minutes à se taire.


-Pourquoi tu ne m'as jamais offert un verre? demanda-t-elle d'un ton un peu hésitant.

-Qu'est ce que tu racontes? Je t'ai déjà payé des verres, rétorqua Bellis, concentré sur son pilotage. La dernière fois cette station... Comment elle s'appelait déjà?


Sa copilote secoua la tête, agacée.


-Pas ce que je veux dire, Bellis. Je voulais dire m'offrir un verre dans le sens... Euh... Tu vois quoi.


Elle rougit violemment, mais sans se détourner.


-Ah, ouais, je vois, coupa Bellis, l'air embarrassé. C'est que...


Il ne termina pas sa phrase et Jalen fut presque contente quand l'ordinateur signala que leur poursuivant venait de larguer deux chasseurs, offrant une distraction bienvenue.

Le Nomade plongea vers la boule bleutée qui occupait déjà toute la verrière. Les tempêtes massives agitant les masses gazeuses étaient désormais bien visibles, nouant l'estomac de quiconque doté d'une once d'instinct de survie.


-Je le sens bien ce plan, lança joyeusement Bellis alors que les frictions avec l'atmosphère embrasaient la carlingue, secouant l'habitacle dans un vacarme terrifiant.

-L'angle d'approche...

-Ça va le faire.


Sa copilote aurait voulut lancer quelque chose de spirituel, mais rien ne vint. À sa décharge elle contemplait un spectacle fascinant. Après quelques secondes de turbulences ils venaient de pénétrer la première couche de la géante gazeuse et volaient dans l'œil du cyclone, au dessus d'une mer de nuages parcourues d'éclairs. Des rafales d'un vent puissant bousculaient le vaisseau, mettant les talents de pilote de Bellis à rude épreuve.

Les instruments de bord perdaient la tête, perturbés par l'orage magnétique. Mais l'écho radar des chasseurs continuait à apparaitre par intermittence. Loin au dessus d'eux, les rapaces de métal plongeaient vers leur proie... Ils seraient bientôt à portée de tir.


-On va les semer dans la tempête! décida Bellis.


Jalen n'eut même pas le temps de protester contre l'idée; ils plongèrent à la verticale.

Les vagues qui agitaient la mer de nuages d'ammoniac et d'hydrogène mesuraient des centaines de mètres de haut, se déplaçant avec une nonchalance trompeuse. Une tempête faisait rage à une échelle gigantesque, produisant des conditions infernales et des vents de fin du monde. Malgré son harnais, les deux contrebandiers étaient méchamment secouée et s'accrochaient aux commandes du vaisseau. Les compensateurs d'inertie peinaient à encaisser les sursauts d'accélération causés par les turbulences.



L'ordinateur décida de la distraire avec une alerte, agrémentée d'un visuel de la caméra arrière. Le profil menaçant des deux chasseurs apparassait au travers des nuages, horriblement proches.


-Ils sont toujours là! signala Jalen. 

-Ces pilotes sont de grands malades, commenta Bellis d'un ton appréciateurs. Ou des drones.


Il manœuvra pour éviter une rafale d'éclairs, surfant sur une vague de nuages avant d'y plonger complètement.

Tout était sombre. Même les instruments étaient perdus dans ces ténèbres trop denses. Des cristaux de glace d'ammoniac crépitaient contre la verrière.

Ils émergèrent quelques secondes plus tard, et Jalen vit un chasseur apparaitre juste derrière eux, si proche qu'elle pouvait voir les canons de ses mitrailleuses entrer en rotation. Elle n'eut pas le temps de crier un avertissement; un éclair surgit par dessous et frappa le frêle appareil; le vaisseau triangulaire s'enflamma et partit en vrille, sombrant dans les nuages.


-Un de moins, déclara la jeune femme d'une voix blanche. Mais je ne vois pas le deuxième.

-Il a peut-être abandonné, suggéra Bellis. Ou il s'est fait exploser dans le nuage.


Une série d'éclairs forma soudain un sourire grimaçant devant eux, reliant deux énormes masses nuageuses comme pour leur faire barrage. Bellis tenta d'éviter le phénomène, mais un trait de lumière transperça leur bouclier énergétique, frappant le Nomade avec autant d'efficacité qu'un canon laser. Les deux partenaires crièrent alors que l'impact se répercutait dans la coque et que les bips hystériques de l'ordinateur se muaient en une plainte continue.


Les rapports d'avarie s'affichèrent avec un temps de retard, signalant une perte de puissance sur un des propulseurs et la défaillance de la plupart des systèmes. Le Nomade tombait en chute libre et Bellis ne contrôlait plus rien; les tourbillons déchaînés de la tempête les projetait selon ses caprices. Tout devint sombre alors qu'ils plongeaient dans un nuage.


-Sors nous de là tout de suite! ordonna Jalen en coupant le propulseur endommagé avant de redistribuer la puissance.


La manoeuvre grilla la moitié des processeurs de l'ordinateur de bord, mais elle fonctionna. Bellis tira sur les commandes de toutes ses forces; les instruments étaient incapables de trouver le haut et le bas, mais il avait toujours eu un excellent instinct kinesthésique.

Le Nomade remonta en trébuchant comme un boxeur sonné, uniquement propulsé par ses réacteurs auxiliaires.

Après quelques secondes terrifiantes ils émergèrent de la tempête, glissant entre les énormes vagues de nuages. Les vents violents de la haute atmosphère ressemblaient à une douce brise après le chaos qu'ils venaient de traverser; leur trajectoire se stabilisa. Parcouru d'éclairs, le maelstrom de nuages en dessous d'eux ressemblait à la gueule d'une bête furieuse d'avoir laissé sa proie s'échapper.


-C'était moins une, commenta Bellis.



L'ordinateur de bord choisit cet instant pour détecter le second chasseur qui piquait droit sur eux. Jalen comprit qu'il avait dû survoler la tempête et les attendre... 

Cette fois c'était la fin.


Le chasseur cracha une longue rafale de balles traçantes qui filèrent devant le vaisseau avant de se perdre dans les nuages en dessous d'eux.


-Il nous a raté? s'étonna Jalen alors que le chasseur décrivait une large courbe pour mieux revenir à l'attaque.

-Tir de semonce, corrigea Bellis. On pourrait replonger dans la tempête avant qu'il se remette en position mais... Je doute qu'on y survive. On devrait se rendre.


Jalen hocha gravement la tête et il saisit le micro; alors qu'il enclenchait l'émission, l'objet lui grilla dans la main en vomissant des étincelles.


-Merde! jura-t-il.

-La radio est morte, constata sa copilote en consultant le rapport d'avarie.


C'était trop bête! Ils ne pouvaient plus se rendre et ils n'avaient pas d'armes. Rien qu'une unique sonde...

Avant de trop réfléchir, Jalen mit en œuvre le début d'idée qu'elle venait d'avoir. Ses mains pianotèrent sur son terminal pour entrer la commande.


-Décroche à gauche! ordonna-t-elle à Bellis.


Elle n'avait pas le temps de s'expliquer, mais son coéquipier ne lui demanda rien et exécuta aussitôt la manoeuvre.

Le toit du Nomade cracha sa dernière sonde, verrouillée sur une trajectoire de collision avec le chasseur en train de se remettre en position de tir. L'appareil tira une nouvelle rafale une fraction de seconde avant que la sonde ne le percute et les deux engins disparurent dans une puissante explosion.


Mais le chasseur n'avait pas manqué sa cible; le Nomade fit une embardée alors qu'un de ses propulseurs auxiliaire était touché. Les balles explosives ouvrirent un trou béant dans la coque. Le vent se mit à hurler dans le cockpit avant que le sas séparant le poste de pilotage du reste du vaisseau se ferme automatiquement.


Leur dernier propulseur toussa puis se coupa et le Nomade tomba comme une pierre. Bellis sentit la gravité disparaitre. Il balaya le rapport d'avarie, cherchant une improbable solution.

La brèche avait dépressurisé l'arrière du vaisseau, empêchant l'impulseur à deuterium de fonctionner correctement. Les redondances avaient sauté à cause de l'éclair. Autrement dit, il fallait colmater la brèche en espérant que la coque tienne le coup jusque là...

Sans perdre une seconde, le pilote dégrafa son harnais, flottant en apesanteur à cause de la chute libre.


-Qu'est-ce que tu fous?! cria Jalen pour couvrir le vacarme.

-Équipes-toi et tiens-toi prête à remettre les gaz à mon signal, ordonna-t-il en extirpant son casque du casier à côté de son siège avant de sceller sa tenue en quelques gestes familiers. Je vais réparer.


Leurs combinaisons légères n'offraient qu'une vingtaine de minutes d'oxygène. D'un autre côté s'ils survivaient assez longtemps pour mourir d'asphyxie ce serait déjà une réussite.


-Je viens, annonça Jalen en enfilant son casque.

-Reste ici, j'ai besoin que tu nous sorte de là dès que l'impulseur sera reparti. Ordre du capitaine.


Bellis verrouilla ses bottes magnétiques au plancher.

L'ouverture du sas fit s'engouffrer un vent puissant dans le cockpit. Bellis se mit en marche d'un pas lourd, s'aidant des aimants dans ses gants pour avancer le long du couloir. Il dépassa les portes de leurs cabines, traversa le quartier de vie, une sorte de salon cuisine exiguë mais confortable. Les turbulences cherchaient à le projeter contre les cloisons, mettant ses muscules à rude épreuve.


Jalen et lui avaient vécu pas mal de choses à bord du Nomade. Ils avaient appris à s'apprécier et à s'appuyer l'un sur l'autre. Ils avaient risqué leurs vies ensemble, ri ensemble, vécu ensemble.

Bellis aimait se dire que le Nomade était son vaisseau, mais à la vérité c'était devenu leur vaisseau depuis déjà un moment. Elle était courageuse, brillante et définitivement trop bien pour lui. Voilà pourquoi il ne lui avait jamais "offert un verre"; il avait trop peur de foutre en l'air leur partenariat. Mais à cet instant, il regrettait de n'avoir jamais essayé. Peut-être que ça aurait pu marcher, en fin de compte...


Bellis descendit la petite échelle le séparant de la soute. Il s'avança difficilement entre les caisses de fret, observant les dégâts. 

La brèche formait une fenêtre aux bords dentelés d'un mètre de diamètre à l'arrière du vaisseau. Il pouvait voir la tempête et le ciel étoilé à travers. Le vent essayait de l'agripper, le faisant tituber malgré les attaches magnétiques.


-Tout va bien? demanda Jalen à travers le communicateur du casque.

-Impec, répondit Bellis en décrochant le kit de réparation du mur. Ventilation et vue panoramique... J'adore la nouvelle déco.


Une nouvelle secousse le projeta contre la cloison et il grimaça. Le vent faillit lui arracher le kit des mains, mais il résista, sécurisant le pistolet injecteur sur sa ceinture. Retenant une floppée de jurons pour ne pas inquiéter Jalen, il entreprit de déployer le bouclier d'urgence.

Tout s'assombrit subitement, et il alluma la lampe de son casque. Ils étaient retombés dans la tempête. La gravité semblait changer de direction au gré des courants aériens, variant brutalement d'une apesanteur totale à une pression insupportable. Des cristaux de glace d'ammoniac pleuvaient dans la soute.


Trébuchant un pas après l'autre, Bellis s'avança vers la brèche. Sans ses bottes magnétiques il aurait percuté les murs comme une balle rebondissante. 


-Ça va?

-Super, grogna Bellis. Jamais connu mieux.


Le vent hurlait de rage et les éclairs zébraient le ciel alors qu'il atteignait le trou béant. L'ouverture ressemblait à une gueule aux crocs effilés. Il plaqua la première section au dessus de la brèche et dégaina le pistolet injecteur, qui produisait un gel épais et métallique se solidifiant instantanément.

Plus qu'à...


Un nouveau changement de pression le tira brutalement en avant. Sans ses semelles magnétiques il aurait été aspiré dans la tempête; mais il ne put empêcher sa tête de venir cogner les bords de métal dentelé qui entouraient la brèche. L'impact le sonna, dessinant des fissures dans la visière renforcée de son casque.


-Et merde, jura Bellis en reconnaissant le symbole affiché sur sa visière lézardée.


Il perdait son oxygène, mais il ne pouvait pas s'en occuper maintenant. Si un éclair frappait le vaisseau maintenant ce serait fini... Il entendit Jalen lui parler, mais le vacarme était tel qu'il ne comprit pas un mot.


-Ça va, répondit-il d'un ton qu'il espérait rassurant.


Il se baissa, soudant la seconde partie du bouclier à la cloison avec l'injecteur de nanites. Il fit ensuite de même à droite et à gauche, créant un rectangle grossier. Il connecta ensuite la batterie, activant une barrière bleutée et repressurisant instantanément la soute.

Son niveau d'oxygène avait atteint des niveaux critiques, mais il n'avait pas le temps de s'en soucier; il s'assit et verrouilla ses gants à la cloison.


-C'est bon, sors nous de là Jal! ordonna-t-il.


Il grogna alors que l'accélération le plaquait au sol. Ils remontaient, enfin.

Mais c'était une maigre consolation. Écrasé par l'accélération, il sentait son air se raréfier. La pression était revenue, mais pas l'oxygène...

Il entreprit de ramper vers l'échelle.


-Hé, Jal? lança-t-il d'une voix enrouée.

-J'essaie de nous sortir de là, mais les propulseurs... 

-Si on s'en sort, je t'offre un verre déclara-t-il.


Il n'entendit pas sa réponse, engloutie par le vacarme de son cœur affolé. Quelques mètres semblaient des années lumières; ses poumons brûlaient, ses articulations gémissaient mais il s'accrochait encore. 

Un voile noir recouvrit ses yeux alors qu'il atteignait la cloison où était logée le distributeur d'oxygène d'urgence. Sa main tâtonna sur le mur tandis qu'il suffoquait, cherchant le câble qui lui sauverait la vie; mais il sombra dans les ténèbres avant de l'avoir trouvé. 



Bellis se réveilla avec une méchante gueule de bois. Un torrent de souvenirs succéda à son mal de crâne. Il ne devait pas être mort, à moins que l'air de l'au-delà ait un goût de désinfectant.

Un profond soulagement l'envahit. Il ouvrit les yeux, et la lumière vive lui arracha une grimace. Battant les paupières, il parvint à distinguer un être sans visage qui le scrutait; il referma les yeux, espérant le faire disparaitre.


-Roupiller et me laisser faire tout le boulot, c'est plutôt nul comme attitude pour un capitaine, lui lança une voix familière.


Quand il rouvrit les yeux, Bellis découvrit une infirmerie aux murs blancs. Le droïde sans visage qui l'avait effrayé recula, laissant place au visage souriant de Jalen. Il grimaça un sourire, vite effacé par un éclair de douleur.


-Ouais, t'es trop bien pour moi, lâcha-t-il. T'as toujours été trop bien pour moi.


Elle fit la moue et lui prit la main.


-C'est vrai, mais tu vas quand même m'offrir ce verre que tu m'as promis capitaine.


Malgré le mal de crâne qui lui sciait la tête, Bellis sourit largement, serrant la main de la jeune femme dans la sienne. 


-Okay.


Il ferma brièvement les yeux. Il avait mal partout, mais il se sentait heureux.


-Qu'est-ce qui s'est passé? demanda-t-il.

-Je nous ai sorti de la tempête, et comme tu ne répondais plus, je suis descendue dans la soute. Tu étais mal en point, alors j'ai réparé la radio et j'ai contacté la Fondation... Les gens qui occupent ce système.

-Vos cinq minutes sont écoulées miss Fenrol, signala le droïde d'une voix artificielle. Le patient doit se reposer et être débriefé ultérieurement. Administration du sédatif.


La respiration de Bellis s'accéléra alors qu'il luttait instinctivement contre le produit qui pénétrait dans ses veines.


-Ils ont confisqué le Nomade et on est plus ou moins prisonniers, ajouta Jalen en lui tenant l'épaule. Mais à part ça ils sont plutôt corrects. Reposes-toi, on se verra plus tard.


Bellis sombra dans l'inconscience en lui souriant, incapable de répondre.


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