3. Genesis - cinquième partie

Le trinôme progressait méthodiquement à travers le vaisseau. Les caméras internes passaient en boucle des images d'une rassurante banalité; elles ne relayaient ni les crachotements étouffés des fusils à silencieux ni les corps qui s'effondraient, leurs visages figés sur une ultime grimace de surprise et de douleur.

L'équipage du croiseur à quai était réduit; une douzaine de pirates, trahis par leur propre système de sécurité. Les tueurs capuchés savaient exactement où les trouver, semant la mort.

Les plus chanceux étaient partie se saouler et dépenser leur part de butin dans les bars et les bordels de Torguta.


Les tueurs bougeaient avec une fluidité de félins en chasse. Les quelques pirates de quart sur la passerelle avaient beau être armés, l'irruption de ces commandos déboucha sur un massacre à sens unique.


Blessé, le capitaine Harani tomba derrière une console. Il tenta de dégainer son pistolet malgré la douleur qui lui sciait l'épaule, mais un corbeau surgit et le désarma d'un coup de pied. Le casque de l'assaillant cracha un charabia crypté, seulement compréhensible de ses équipiers.


-Putain, vous êtes qui!? glapît le blessé, tentant de reculer en rampant. C'est un vaisseau de la confrérie, vous êtes morts! On va vous cre...


Le corbeau se pencha et le fouetta à la gorge avec un cercle de métal souple. L'objet mordit douloureusement la peau du pirate et enferma son cou avant d'engloutir son visage sous un voile opaque qui le rendit aveugle et sourd, étouffant aussi ses cris alors que le tueur le menottait puis le relevait sans ménagement. 


Entraîné à travers un monde de ténèbres sans fond, le prisonnier ignorait tout de ce qui se passait. La douleur et la peur de mourir menaçait de le faire exploser son cœur. Le temps lui-même perdait sa substance dans ce noir d'encre où régnait un silence anormal; on le traînait depuis des heures. Ou seulement quelques minutes? 

Tout son univers ce résumait à la poigne qui le forçait à avancer en trébuchant.


Quand on le jeta sur une chaise, ce fut presque une délivrance. La lumière revint, et le pirate découvrit une cellule puant l'humidité et la rouille. Son épaule le brûlait horriblement.


-Syrak Harani, lança un homme qui parlait juste assez fort pour être entendu en pénétrant dans la cellule, croisant un des corbeaux qui sortait.


Il portait un long manteau renforcé de servomoteurs aux bras, un plastron blindé et même une broche clinquante.  Tout dans son apparence criait qu'il était bien un pirate ou un mercenaire, deux catégories difficiles à discerner l'une de l'autre et la faune habituelle de Torguta. Mais quelque chose dans sa démarche et dans son maintien trahissait l'arrogance tranquille d'un impérial.

Il fixait Harani avec détachement, comme s'il n'était qu'un objet.



-On peut discuter, lança le pirate à son geôlier. Trouver un moyen de te garder en vie, si tu es utile à Piepie...


En réalité il n'en menait pas large, mais balancer le nom de son employeur pouvait toujours faire son petit effet.


-Vos promesses comme vos menaces m'indiffèrent, assura l'homme à la voix basse en posant sa main juste au dessus de sa blessure. Vous êtes un pirate monsieur Harari, et un des messagers de Piepie. Vous connaissez une partie de ses plans. Infime mais suffisante pour que votre vie vaille un peu plus que celle de vos compagnons. Pas assez pour que votre mort me vaille une vendetta menée avec les moyens adéquats.


Le pirate serra les dents. Et merde, il sait pour les plans.


-Fous toi en l'air direct connard, lança-t-il. Je dirais rien, à part que t'es un homme mor... AHHHHHHHHHHHHH!


L'interrogateur avait agrippé sa blessure, plantant son pouce dans la chair. La douleur manqua de faire défaillir Harari; quand l'inconnu retira enfin sa main d'un geste sec, le pirate bascula en avant, retenu par ses entraves et la chaise soudée au sol. Il haletait, murmurant des insultes.


-Piepie, ses plans? demanda l'interrogateur.

-Fils de...


L'homme au long manteau le gifla du revers, observant sa réaction.


-T'as aucune idée... De la tempête de merde qui va te tomber dessus, éructa péniblement Harari en crachant au sol. Jamais je balancerais, tue moi tout de suite.


L'interrogateur hocha lentement la tête.


-Je vous crois monsieur Harani, mais je dois quand même essayer. Ensuite seulement vous aurez le droit de mourir.


Carlsson sorti de la cellule. Les trois corbeaux l'attendaient à l'extérieur, armes au poing. L'un d'eux aiguisait un poignard dentelé.


-Torturez-le à mort mais enregistrez ce qu'il a à dire, ordonna l'agent.


Ses confessions ne l'intéressait pas vraiment, mais on ne savait jamais.


Le corbeau au couteau entra dans la cellule tandis que Carlsson montait un escalier rouillé. Les cris le poursuivirent, rebondissant sur les murs métal.

Une fois dans sa cabine, l'agent s'empara de l'injecteur caché derrière une plaque descellée du mur. Il y chargea une fiole jaunâtre et se l'administra avec un soupir de soulagement.

Le Prozium lui éclaircissait l'esprit, annihilant toute émotion, tout doute, et même la douleur résiduelle de la chirurgie qui avait remodelée son apparence. Sans ces foutues injections, il ne se sentait plus lui-même; les doses de plus en plus massive finiraient par le tuer, mais arrêter de prendre sa drogue lui semblait une issue pire que la mort.

Il en avait besoin pour continuer, pour ne pas disparaître comme une photo jetée au feu.


L'agent activa une sphère de discrétion et contacta sa patronne via une série de routeurs anonymes.


-Statut confirmé, déclara-t-il. Tout est en place.


Il coupa la connexion sans rien ajouter. Titania n'aurait pas besoin de plus.

L'informatrice l'avait lancé sur les traces de Piepie150, avec le soutien d'un réseau d'agents qui dépassait même celui dont avait disposé le BSI à la grande époque.

Manquant d'y passer plusieurs fois, Carlson avait décortiqué pour elle le fonctionnement interne de la SOB à travers des données achetées, volées ou rassemblées aux quatre coins d'Andromeda.


L'armada de Piepie se fragmentait en insaisissables flottilles qui se dispersaient sitôt leurs pillages menés. Sur son ordre, elles se rassemblaient comme une meute de loups qui déferlait sur sa proie.

Piepie n'avait pas de chaîne de commandement classique. Ses chefs de guerre recevait ses ordres via une estafette, un capitaine qui connaissait la position d'une seule flottille et ne savait même pas décrypter ses propres messages. Les escadres se regroupaient par sauts successifs, formant des groupes de plus en plus imposants à chaque bond sans savoir où elles allaient. 


Même si Harari parlait, il ne livrerait pas grand chose, rien que sa flottille de quelques centaines de vaisseaux. Cependant quand Piepie apprendrait l'interception d'un de ses précieux courrier et sa longue agonie, il changerait quand même ses points de rassemblement, par sécurité. C'est ce qu'il avait fait les deux dernières fois.


Comme une araignée dans sa toile, Titania scrutait ses activités depuis des mois, identifiant des cibles clés comme Harari, attentive à chaque frémissement... Et elle avait compris la façon dont Piepie choisissait ses points de rassemblement de repli. Tuer le coursier allait bousculer les plans du pirate, créer un changement de dernière minute que l'informatrice saurait détecter avec une implacable efficacité.


Des milliers de vaisseaux pirates allaient converger au même endroit, sûrs d'être insaisissables.


Ils allaient perdre pour avoir été trop prudent. Voilà qui ne manquait pas d'ironie.


Carlsson sourit malgré les hurlements de Harani. C'était la musique de la victoire.

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