2. Bonus: O-51429
Écrit avec Vengeful-Noctis
-Je suis Orion Drakos, je suis Orion Drakos, répète le jeune esclave, caressant son crâne chauve avant de quitter son inconfortable couchette.
Les mots sont à peine murmurés, mais ils lui donnent de la force. La lumière blanche du plafonnier inonde le dortoir; les hauts parleurs crachotent leur sermon quotidien.
-C'est un nouveau cycle, travaillez dur et soyez reconnaissants, assène le prédicateur. Votre labeur est votre offrande aux dieux!
Orion n'y fait même plus attention. Il continue de marmonner silencieusement sa propre prière en rejoignant la file de ses compagnons d'infortune, privés comme lui de leurs cheveux et du moindre poil par les produits de désinfection. Impossible de savoir si c'est pour mieux leur arracher leur statut d'humain, ou si c'est simplement un autre moyen de réduire les frais.
Cette routine lui permet de ne pas oublier qu'il a été libre, qu'il a un jour porté un nom; mais il doit rester discret. Si un superviseur ou un gardien l'entend, la punition sera implacable. Ici, il est seulement l'esclave manœuvre O-51429, un matricule parmi des milliers d'autres. La lettre rappelle ironiquement son prénom alors qu'elle n'est qu'une obscure désignation administrative inventée par un clerc de la Tearkasten Teldra Corporia.
Un superviseur, esclave comme lui mais porteur d'un brassard bleu, parcourt les rangs d'un pas pressé. L'œil sévère, il compte ses travailleurs et fait taire les bavardages. Satisfait, l'homme les mène ensuite jusqu'à la décontamination quotidienne.
Après un peu de temps, les esclaves ne sentent même plus l'odeur irritante du nettoyant qui leur colle à la peau. Ils apprennent à supporter la promiscuité, et les tenues oranges qui les font ressembler à une armée de clones chauves. Des êtres dociles, inhumains, interchangeables.
Toujours en rang et en silence, l'équipe marche ensuite jusqu'au réfectoire, accompagnée par les prêches enregistrées. Elles les poursuivent sans relâche durant le cycle de travail qui leur tient lieu de journée. Le jour et la nuit n'existent pas ici, il n'y a aucune fenêtre.
Orion n'a pu voir l'installation qu'une fois, lors de son arrivée en transporteur; une des dizaines de ziggourats de métal émergeant d'un sol stérile. Ce coup d'œil furtif dans le hublot du transporteur lui a valu d'être électrocuté par le bâton d'un garde, mais ça en valait la peine. Cette vision lui rappelle qu'il existe un monde au-delà de cette prison. Que cet enfer n'est qu'un bout de métal posé sur un désert pollué, et pas la totalité de l'univers.
Le même brouet nutritif et insipide les attend au réfectoire, comme chaque jour. La nourriture doit être avalée rapidement et en silence. Des gardes armés patrouillent sur des passerelles au-dessus des convives pour s'en assurer.
-Gardiens nerveux, glisse le cuistot qui remplit son écuelle. Événement.
Chaque mot est précieux, mûrement pesé. Les raclements de cuillères offrent une des rares occasions de parler sans trop de risques de se faire prendre et les cuisiniers sont les seuls à rencontrer les deux équipes qui font tourner l'installation de jour comme de nuit. C'est par eux que voyagent les rumeurs.
Orion va s'asseoir à sa place habituelle, entre M-51333 et C-51734. Il ignore leurs noms, mais il sait que 734 est un esclave depuis sa naissance, un compagnon taiseux et appliqué. 333, lui, n'est là que depuis quelques cycles et il parle trop. Il raconte qu'il était un contrebandier, voyageant à travers les étoiles avant d'être arrêté. Mais comment savoir? Orion, lui, avait prétendu qu'il était un gamin des rues, envoyé ici après avoir fait les poches d'un prêtre. Ça valait mieux que d'avouer que son oncle archidiacre avait été arrêté pour hérésie et que toute sa famille avait été ensuite réduite en esclavage. La vérité lui vaudrait sans doute d'être étranglé dans son sommeil par d'autres travailleurs; ni les hérétiques ni les archidiacres ne sont populaires par ici.
-Y s'passe un truc, murmure 333 entre deux bouchées.
Comme pour lui donner raison, un garde court sur la passerelle, ses bottes frappant trop vite le métal. Lever la tête serait trop dangereux, mais Orion utilise sa cuillère et discerne un petit groupe de silhouettes pourpre se former autour du nouveau venu. Au bout de quelques secondes, le messager repart; 333 et le cuistot ont raison. Les journées se ressemblent trop pour que les esclaves ne remarquent pas le moindre changement de routine, aussi futile soit-il.
-Tout le monde au rassemblement, laissez vos repas, exécution! tonne soudain la voix d'un garde. Allez, au trot!
Une petite cohue s'ensuit, vite contrôlée par les aboiements des superviseurs. Ils n'hésitent pas à bousculer les plus lents. Les esclaves sont partagés entre la peur et l'espoir; comme un écho à ce dernier sentiment, 333 sourit à Orion avant de recevoir une claque du superviseur qui lui crie de se mettre en rang. 734, lui, est déjà à sa place. Il garde la même mine soumise et appliquée que d'habitude.
Ils rejoignent le hangar en courant à travers les couloirs de l'installation. Les autres équipes sont déjà là, des centaines d'esclaves rassemblés pour la première fois. Les gardes sont eux aussi présents en force, plusieurs dizaines d'hommes en armures pourpres et armés jusqu'aux dents. Ils scrutent la foule chuchotante d'un œil mauvais, incapable pourtant de les faire taire.
Trois mots circulent. Attaque. Bombardement. Guerre.
Mais qui pourrait être assez fou pour attaquer Lagarque 5, un monde béni sous la protection de la TTC, de ses dieux et de ses armadas?
Orion se rend soudain compte que les haut-parleurs de sermon se sont tus. Enfin.
-À genoux pour recevoir la parole du bienveillant Thanis Rhar! ordonne un officier aux insignes rutilants dans un mégaphone. Exécution!
Le dernier mot claque, martelé à chaque phrase par les gardes jusqu'à déclencher un réflexe de soumission chez chaque esclave. Tous tombent à genoux.
-Qui c'est? souffle 333.
-Gouverneur planète, répond Orion entre ses dents.
L'attente dure de longues minutes. Enfin, une voix vibrante emplit le hangar où chaque jour les esclaves s'épuisent à charger et décharger les trains de minerai.
-Habitants de Lagarque 5, en ce jour vous êtes bénis! assène-t-il. Des mécréants tombent des cieux et leur engeance souille le sol de notre monde sacré. J'ordonne à tous les croyants de prendre les armes et de repousser cette racaille impie qui vient piller nos offrandes! Combattez les ennemis des dieux, gagnez votre rédemption!
Un silence de sépulcre tombe sur le hangar.
-Les superviseurs vont recevoir des pistolets, tonne la voix de l'officier dans le haut parleur. Les travailleurs auront des outils. Ceux qui combattront avec bravoure seront libres; les autres seront abattus. Montez une barricade face au quai; debout et au travail, exécution!
Un premier superviseur réagit, se levant et criant des ordres. Les autres suivent, et les travailleurs se mettent en mouvement. Orion, 333 et 734 reçoivent pour mission de placer une lourde caisse de minerai sur la barricade.
-S'ils arrivent au sol, c'est que les défenses planétaires sont débordées, indique 333 les yeux brillants. Ils viennent pour ce foutu métal! Et si les gardes veulent nous armer c'est que ça se présente mal...
-Parle moins fort, grogne 734.
Mais tout autour d'eux, les esclaves parlent sans plus se cacher. Les superviseurs crient en vain. Soudain une rafale crépite; Orion et ses compagnons lâchent leur caisse, se réfugiant derrière. Mais ce n'est pas l'assaut.
-Travaillez en silence, le prochain que je vois discuter je l'abat sur place! tonne l'officier dans son mégaphone, le canon de son arme encore fumant. Reprenez le travail, exécution! Exécution!
Les autres gardes crient à leur tour, et le travail reprend sous les coups de crosses.
-C'est notre chance de partir d'ici, insiste 333. Tenez vous prêts quand viendra le bon moment...
-Ferme-la, ordonne 734.
Orion reste silencieux, mais il observe les gardes tout en transportant les lourdes caisses. Certains font les cent-pas ou les surveillent de loin, les nerfs à vif; mais près de la moitié a disparu dans les profondeurs de l'installation. Il ne reste plus qu'un seul officier, reconnaissable aux galons sur sa tenue pourpre.
Une secousse fait soudain vibrer le sol. Puis une autre. Orion s'arrête, comme tous les travailleurs.
-Aux armes, aux armes! crie un garde dans un mégaphone. EXECTION!
Sa langue fourche, sa voix est paniquée. Pourtant son ordre est suivi; les travailleurs se précipitent vers l'espace où ont été entassés des soudeurs laser, des pioches, barres de fer et même les tuyaux de rechange en acier. Orion est bousculé par la foule et ni sa taille ni son âge ne l'aident à se frayer un passage. Il met la main sur une clé à boulon, rouillée mais qu'il estime assez lourde pour briser un crâne.
-Reste près de moi! lui lance 333, qui s'est emparé d'une des précieuses soudeuses laser.
Il lui sourit et ajoute, alors qu'ils s'entassent derrière la barricade:
-Je m'appelle Paltry Welbe. Et toi?
L'esclave O-51429 sent des larmes lui piquer les yeux en répondant.
-Orion. Orion Drakos.
-Suis moi et on va s'en sortir, Orion.
Des coups de feu claquent soudain derrière eux.
-Liberté! hurle un superviseur en abattant le garde qui vient de lui donner un pistolet.
Et c'est le chaos. Tout le monde tire; les gardes ripostent dans le tas, sans chercher à faire de distinction entre les révoltés et les autres. Les superviseurs sont décimés en quelques secondes, mais la foule des travailleurs se lève et se rue vers eux telle une vague impossible à arrêter. Orion crie et court avec ses camarades, sautant au-dessus des corps sur sa route. Il est tellement en rage qu'il en oublie d'avoir peur.
Les esclaves ramassent les fusils, tabassant à mort les hommes en pourpre blessés par les superviseurs et qui essaient de parlementer une fois leurs armes vides.
-Stop! crie 734 en attrapant Orion le bras, l'empêchant de suivre le flot furieux de révoltés dans les profondeurs de l'installation. Ils vont se barricader, ça va être un massacre. On doit rester ici.
Orion cherche Paltry des yeux, mais il l'a perdu lors de la charge. Le flot se tarit rapidement; une centaine d'esclaves sont restés en arrière comme eux. Il hésite.
-On doit dégager la barricade! lance 734 d'une voix assurée qu'Orion ne lui connaît pas.
-Il a raison! renchérit un superviseur blessé. Dégagez la barricade, exécution!
Le dernier mot claque comme un coup de fouet, mais il remplit son office. En quelques minutes, les révoltés démolissent le mur de caisse qu'ils viennent d'assembler.
Juste à temps. Une explosion fait voler en éclat la porte blindée par laquelle arrivent les trains de minerai. Des silhouettes armées émergent de la fumée, et elles ne portent pas l'uniforme pourpre des milices de la TTC.
-Ne tirez pas! crie le superviseur, imité par les autres travailleurs.
-Lâchez vos armes, à genoux! À genoux!
L'ordre est répété en boucle, et Orion comme tous les autres s'exécute. Il regarde le sol, puis décide de relever la tête.
Ils portent des uniformes dépareillés, frappés de crânes grimaçants. Des pirates...
Contrairement aux gardes, ils sont nombreux. En quelques minutes, ils ont rassemblé les travailleurs d'un côté du hangar et les armes de l'autre. Des dizaines de pirates s'enfoncent plus loin dans la structure.
734 est resté près d'Orion. Ce dernier cherche Paltry en vain. Il espère seulement que son ami ne fait pas partie des corps immobiles qui jonchent le sol près des portes, là où les gardes ont été pris d'assaut.
Un petit vaisseau cargo entre par la brèche ouverte par les pirates et se pose le long du quai, soufflant un air chaud sur la foule de travailleurs.
-Qui commande!? crie un pirate en retirant son casque. Je veux un responsable!
Ses cheveux et sa barbe tranchent avec les visages imberbes et chauves des esclaves. Aucun n'ose s'avancer, mais le superviseur blessé ne tarde pas à être poussé hors de la foule.
-T'es qui? demande sèchement le pillard.
-Superviseur ma... Matricule S-58641 honoré... Euh... Honorée excellence...
Le pirate fronce les sourcils, puis éclate de rire, imité par ses troupes.
-Allez, assez rigolé, décrète-t-il. Écoute mon pote, on a un timing à respecter. Toi et tes gars vous allez charger tout le minerai dans les vaisseaux qui vont se poser ici, et au trot.
Le superviseur hoche déjà la tête, mais un esclave crie depuis la foule.
-Vous devez nous emmener!
D'autres approuvent, d'abord timidement puis plus fort, cristallisés sur un mot.
-Liberté, liberté! scande Orion avec eux.
-Silence! aboie le superviseur paniqué d'une voix suraiguë. Au travail, exécution!
Le calme revient, mais les esclaves se regardent, hésitent.
-Excellence... bredouille le superviseur en se tournant vers le pirate.
-T'inquiète c'est toujours comme ça, répond l'intéressé.
Il tape sur l'épaule d'un de ses séides. Le pillard épaule son arme et abat le malheureux superviseur d'une décharge d'énergie en pleine tête. La foule d'esclaves panique, se bouscule, tenue en joue par les autres pirates qui leur ordonnent de se calmer.
-Au travail, ou vous êtes les prochains! conclut leur chef en remettant son casque.
Cette fois, l'ordre est suivi. Sous les cris des pirates, Orion et ses compagnons entament le chargement des vaisseaux à marche forcée. Dès qu'une soute est pleine, un autre cargo se présente. À travers la brèche, ils peuvent voir le ciel envahit de fumées et entendre le martèlement régulier des bombardements.
Il croyait que son quotidien était dur, mais ce cycle a tourné au cauchemar. Ils doivent travailler plus vite que jamais. Les corps des gardes et de leurs compagnons sont encore là; des coups de feu et des rafales claquent régulièrement pour les "encourager".
Après quelques temps d'un travail harassant, Orion voit arriver un groupe de pirate revenant des profondeurs de l'installation. Une douzaine d'esclaves en armes les suivent, portant des sacs d'équipements et des blessés sur les civières. Les rares survivants d'une lutte sanglante avec les derniers gardes de l'installation...
-Vos anciens compagnons, crie le pirate au casque-crâne aux nouveaux venus. Ils ont préféré rester ici pour nous attendre plutôt que de combattre vos maîtres avec vous. Ils ont choisi de rester ici, ils resteront ici! Ils ne valent même pas leur poids en métal.
Quelques esclaves s'arrêtent pour protester, mais des cris et des tirs d'avertissement les remettent vite au travail. Les pirates sont presque aussi nombreux qu'eux.
-Vous avez combattu, continue le pirate en parlant aux esclaves armés. Vous avez gagné votre place! Vous montez dans le prochain transport, ou vous restez ici. À vous de voir.
Orion sent son cœur étouffer dans sa poitrine en entendant la sentence. Il ne peut pas rester ici pour être massacré, reprendre leur vie d'esclave ou connaître un sort pire que la mort...
-Je voulais combattre! pleurniche-t-il. Je voulais y aller!
-Désolé petit, lâche 734. Je pouvais pas savoir...
-Fermez-la et bossez! aboie le pirate qui les surveille en agitant un fusil.
Orion crie, aveuglé de rage, et lâche la caisse. Il se jette sur le pirate, mais un coup de crosse le cueille en plein visage; il tombe, les oreilles sifflantes et la tête sur le point d'exploser.
Dans une demi-inconscience il voit 734 l'imiter, attaquant le pirate. Il entend des coups de feu. Des cris. Des tirs, encore. Quelqu'un le traîne; il veut supplier, mais il ne parvient pas à parler.
-Accroche toi Orion, l'encourage Paltry en le tirant.
On lui colle un fusil dans les mains. Il s'y accroche, comme si sa vie en dépendait. À travers le voile qui a envahit son champ de vision, il voit les pirates faire reculer une foule d'esclaves qu'ils obligent à se coucher à terre pour mieux rembarquer. Un travailleur tente de se lever, mais il est aussitôt abattu.
La révolte est finie. Le sol est jonché de cadavres et d'esclaves. 734 est parmi eux, mort ou vivant...
-Hé, pas lui! lance fermement une voix.
-C'est lui qui a tué le premier garde et lancé la révolte! ment crânement Paltry. On lui a dit de rester pour vous montrer la route, et vous n'en voulez pas à bord!?
Orion serre son fusil. La douleur martelle son crâne.
-Cette demi-portion? En plus, il est à moitié mort.
-Juste sonné, plaide le révolté. Vas-y, Orion, debout...
Paltry l'aide à se redresser. Il chancelle, mais il tient sur ses jambes.
-Mouais.
-Laisse-le venir, intervint l'homme au casque-crâne. S'il fait pas l'affaire, on le balancera par un sas.
Avec l'aide de Paltry, Orion parvient à se hisser à bord du vaisseau chargé de caisses de minerai. L'engin décolle et s'éloigne; comme dans un rêve, le jeune homme voit l'hideuse ziggourat de métal devenir minuscule avant que la soute se referme.
Paltry l'aide à s'asseoir.
-C'est terminé, lui lance-t-il les yeux brillants. On est libres!
-Encore mieux que ça, lance le pirate au casque-crâne d'une voix forte. Vous êtes avec la Space of Brothers maintenant; et tous ensemble on va conquérir Andromeda!
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