Chapitre 8 (partie 1)

Ils avançaient à vive allure, comme s'ils ne voulaient pas être rattrapés par quiconque. Pauvre François, ce n'était pas lui qui allait les rejoindre. Je savais qu'il était débrouillard, mais j'avais peur pour lui. A raison.

Celui qui était à ma droite, sur un cheval roux, fit soudainement demi-tour, et revint vers le lieu de ma capture. En me retournant pour le regarder disparaitre derrière quelques rochers, je vis sa silhouette svelte serrer fermement l'une de ces étranges épées.

Et je murmurais : « souviens-toi, ô très miséricordieux souverain, que je me suis abandonnée entre tes mains sur les flots tempétueux de la mer australe. Daigne exaucer ma prière, s'il te plait ». Comme un cri du cœur. Je n'étais pas sûre de la personne à qui je m'adressais, mais je me rappelais l'être formidable qui avait accompagné mon passage d'un monde à l'autre en envoyant cette fabuleuse tempête.

Plus nous nous enfoncions au cœur des montagnes et plus mon pouls s'accélérait. La montée d'adrénaline avait eu le mérite de soulager mes nausées, comme mon esprit était désormais focalisé sur de plus immédiats dangers. Je continuais, soit par instinct de survie, soit par habitude, à relever les distances, les reliefs, les passages stratégiques ; mais ceux-ci se multipliaient à mesure que nous nous approchions du camp des indépendants. « Ils sont malins ». Et cela augmentait encore mes craintes.

- Ça va ? Finit par me demander le cavalier blanc qui me tenait fermement entre ses bras.

- Ça va mieux. Pourquoi vous n'avez pas pris François avec vous ?

Il eut un rire moqueur et ne me répondit pas. Cette fois, je dus retenir une larme. J'étais habituée à la solitude, Bretagne, Patagonie, océans. Mais cette solitude était la pire de toutes. Instinctivement, je me cramponnais un peu plus fermement au cavalier blanc qui parut adoucir sa prise. Je frémis.

Les premières maisons apparurent. Des escaliers taillés dans la roche noire conduisaient aux masures troglodytes. En bas, des étables et des écuries laissaient deviner de massives richesses. Et la foule, quoique réduite et exclusivement masculine, à l'allure sportive et en bonne santé, aurait fait trembler toutes les sociétés embryonnaires d'Antarctique.

Mon cavalier m'aida à descendre et je soufflai :

- Merci.

Je jetai régulièrement des regards en arrière, anxieuse à l'idée de voir revenir le cavalier roux la lame ensanglantée. Mais celui qui montait le cheval noir m'entraina le long des escaliers pour me soustraire à la foule et m'enfermer dans une petite maison obscure. Là, je m'assis sans pleurer, ni trembler, mais rongée par l'angoisse. Il se passa peut-être une heure, où je ne cherchais même pas à sortir, trop apeurée par ce qui se trouvait hors de la pièce. Je devinais qu'on discutait de mon sort, et pour rien au monde j'aurais voulu l'entendre à l'avance.

Au moment où les nausées reprirent et où je me remis à cracher la tête pleine de vertiges, les trois cavaliers revinrent. Ils m'observèrent un instant et murmuraient entre eux :

- Est-ce que c'est le virus ?

- Non, ce ne sont pas ces symptômes-là. Je pense qu'elle a juste faim et il faut qu'elle se repose. Elior, donne-lui un peu de pain.

- On n'a pas grand-chose. Tu veux qu'on fasse quoi ? Qu'on jeûne, nous, pour lui sauver la vie ?

- Tu sais qu'elle est plus précieuse que nous.

Elior, c'était celui qui m'avait enfermée dans cette maison. Il avait les traits tirés et les yeux rouges de fatigue. Sa morphologie squelettique lui donnait un air de chien battu, loin de la vigueur de mon cavalier.

Je tentais de calmer mes nausées pour me redresser. Ils se turent et se tournèrent vers moi. Il fallait que je leur demande :

- Qui êtes-vous ? Pourquoi vous m'avez emmenée ici ?

De nouveau, le cavalier blanc prit la parole de sa voix chaude et rassurante :

- Nos noms de code, c'est Melchior, pour moi, Victor celui qui a fait demi-tour et que tu as à peine vu, Elior, et Hector celui qui montait la pauvre carne qui avait du mal à nous suivre. Tu n'avais pas l'air bien. On sait que c'est une période difficile, mais nous avons les moyens de t'aider. Tu as pu le voir, Agathe, nous sommes assez riches. Et ça, tous l'ignorent.

- Vous ne me laisserez pas repartir, alors ?

- Pourquoi voudrais-tu repartir ? Je t'ai dit : nous avons tout ici.

- Et François ?

De nouveau, un rire moqueur. C'est Elior qui me répondit avec un sourire que je n'aimais pas trop :

- On a trop d'hommes. On manque de femmes, pas d'hommes. Il trouvera sa place ailleurs... S'il est encore en vie.

Mon sang afflua brusquement dans ma tête et je protestai :

- Vous êtes...

- Apporte-lui à boire, Elior, me coupa le cavalier blanc. Je veillerais à ce qu'on lui fasse un vrai repas pour ce soir. Demain, elle sera calmée. Elle le connait à peine, ce gamin. Je sais qu'elle vient de débarquer en Antarctique.

Au diner, pour la première fois depuis des mois, j'avais eu droit à quelques tomates, des pommes de terre fraiches, accompagnant quelques œufs de cormoran. Mais tout me paraissait insipide. Je me forçais simplement à manger. Mon moral était au plus bas.

Je dormis très mal cette nuit. Je n'avais qu'une peur : que quelqu'un rentre et me fasse du mal. Et puis, je m'inquiétais pour François. Je n'avais eu aucune nouvelle de Victor, celui qui avait fait demi-tour.

Le lendemain, il parut qu'on m'avait oubliée. Mais je n'osais pas sortir de la maison. Je m'y terrais tristement, attendant que le temps passe, jetant parfois un regard à mes croquis... Si les cavaliers les trouvaient, ce serait une catastrophe pour l'Antarctique, quoiqu'il ne me parût point que l'absence de cartes leur ferait défaut dans leur conquête du nouveau monde. Ils avaient la détermination, l'énergie, les moyens de ravager toutes ces terres, et cela me faisait peur. Avisant dans la roche troglodyte un conduit étroit qui se perdait je-ne-sais-où, j'y glissais les précieux documents et revins m'assoir près de la fenêtre.

A ce poste, je pouvais voir sans être vue le spectacle du village. Je comptais les femmes sur le doigt de la main. Les hommes se montraient particulièrement respectueux avec elles, mais elles baissaient le regard et avançaient rapidement en silence.

Quelques hommes s'entrainaient à l'arc, sous les conseils avisés de Melchior. Je vis quelques combats d'épée, assez étonnants. Pour un peu, je me serais crue dans quelque jeu de rôles du Moyen Age. Mais ces hommes ne connaissaient pas les secrets de fabrication d'un pistolet et ne disposaient pas des matériaux nécessaires pour en construire un.

C'est alors que j'aperçus Victor. Il s'approchait à cheval de Melchior, la mine fatiguée, l'allure nerveuse. Il lui murmura quelques mots à l'oreille et le cavalier blanc acquiesça gravement. Moi, je serrais les poings. Où était François ?

En fin de journée, je vis Hector pousser la porte, avec à sa suite les trois autres cavaliers qui portaient chacun des armes. De tous, Hector était sans doute le plus renfermé, presque mutique, mais il émanait de lui une puissance dangereuse qui me rendait mal à l'aise. Je tâchai de lui sourire. Je leur dis bonjour et on me demanda comment j'allai.

- Mieux.

C'était un mensonge. Mais j'étais terrorisée.

- Putain, elle est vraiment belle, siffla Elior alors que je sentais mon cœur s'accélérer.

- Si t'es d'accord, ça sera plus simple, me dit Hector. C'est pour le bien de la communauté.

Et il poursuivait :

- Il faut des gosses, la relève.

Je pouvais lui faire une prise de judo et le mettre à terre en moins de deux. Mais les trois autres ? Et comment quitter le village ? Et puis, j'étais beaucoup trop faible.

- Oui, je suis d'accord.

Je n'étais absolument pas d'accord, mais je ne pouvais rien dire d'autre. Il était marrant à me regarder avec ses yeux de chat doucereux, comme s'il était vraiment amoureux de moi et qu'il ne s'apprêtait pas à me faire du mal.

Alors les autres s'en allèrent, et Hector enleva ma veste, ma chemise. J'ôtais mes bottes et mon pantalon en tremblant. Il y avait un lit derrière moi, sur lequel je m'allongeais. Et je fermais les yeux. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top