Chapitre 14 (partie 2)

- Repli vers le port ! Immédiatement.

Ils coururent sur les quais et se regroupèrent avec une dizaine d'hommes, l'arme au poing, prêts à défendre leurs positions. François scrutait attentivement les soldats qui accouraient vers lui, pour y reconnaitre le visage de Tom Anderson. Il voyait derrière les Providentiens les forces de Perret déferler vers eux pour les prendre en étau. Leur situation était désespérée et ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne se rendent. Mais la dizaine de marins adéliens se trouvait également en situation périlleuse. Ils se resserrèrent à l'entrée du port, là où le quai commençait et formait naturellement un goulet d'étranglement facile à tenir.

- Défendez le quai, en formation serrée.

Et, comme il les sentait peu assurés :

- Tenez bon, les gars.

Les premiers Providentiens enfoncèrent la défense adélienne. Les quelques soldats durent reculer et l'un d'eux tomba dans l'eau. Ils opposèrent pourtant à la masse armée un mur infranchissable, tenant ferme leur bouclier, en rangs serrés et disciplinés. François vit les cavaliers opérer une manœuvre d'encerclement. Le sort de Providence était scellé, ce n'était plus qu'une question de temps...

Et François se retrouva tout-à-coup nez à nez avec Tom Anderson. Le président se battait avec la fougue du lion blessé pour tenter de dégager un passage à ses hommes. Le souffle coupé, mon époux eut un moment de stupeur, avant de le prendre par le bras et de l'entrainer avec force derrière les lignes adéliennes qui se refermèrent aussitôt derrière eux.

- Qu'est-ce que vous faites ? Lui demanda l'Américain.

- Je trahis mon roi. Mes capitaines ont pour instruction de vous laisser passer. Fuyez vite avant que Guillaume ne s'en aperçoive.

- Pourquoi ?

- Nous avons une autre vision de l'Antarctique que celle défendue par le commandant. J'espère que vous saurez vous rappeler de notre aide...

Anderson acquiesça avant de sauter dans la chaloupe et de prendre les rames. Il eut un moment d'hésitation, sachant qu'il abandonnait ses hommes et passa sa bague à François :

- Transmettez-la à mon second. Dites-lui de se rendre et expliquez-lui que je ne les ai pas abandonnés.

- Je le ferai, partez vite.

Le canot s'éloigna du quai et disparut dans la brume. Mon époux resta quelques temps à le regarder s'évanouir avant de revenir vers le front sur le quai. Il fallait maintenant que les combats s'arrêtent... Avant de courir au massacre. Et une seule personne pouvait les arrêter :

- Lieutenant Miguel !

La voix tonnante surpassa le brouhaha des combats et attira l'attention sur François qui brandit la bague :

- Votre président vous somme de vous rendre.

Et comme les hommes baissaient les bras, interloqués, il se fraya rapidement un chemin jusqu'au lieutenant pour lui répéter dans l'oreille ce que venait de lui dire Anderson. Miguel leva un bras pour signifier l'arrêt des combats et les hommes levèrent les mains en l'air.

L'Adélie avait gagné.

La bataille n'avait duré que deux heures. La supériorité technique et humaine de l'Adélie rendait la guerre inégale, malgré toute la bravoure des soldats de Providence. Et le pays s'aliénait ainsi toutes les autres micro-sociétés antarctiques en rendant la guerre inévitable avec tout le continent.

- Amiral !

La voix du roi tonna au-dessus du brouhaha et le jeune homme sursauta avant de s'incliner devant son souverain.

- Suivez-moi.

François eut un sourire malicieux avant de s'écarter loin des hommes. Il savait déjà que, quoi qu'il arrive, il avait lui aussi remporté une bataille : les marins étaient à sa botte et Tom Anderson devait se poser bientôt en chef de l'opposition.

- Amiral, où est le président de Providence ?

- Seigneur, il a pris la fuite.

- C'étaient pourtant vos ordres d'empêcher toute évasion.

- Et j'ai failli...

- Que s'est-il passé ?

- J'ai obtenu leur reddition en échange du départ de leur chef. Je voulais éviter un massacre...

- Ils étaient faits comme des rats ! Ils allaient se rendre ! Ce n'est pas à vous de juger ce genre de chose...

- Le combat a duré deux heures. Au lieu de se poursuivre sur les mers et de compter les pertes par dizaine, nous avons eu trois morts et ils ont compté une dizaine de pertes. Peut-être faudrait-il plutôt penser à me décorer...

- En remerciement de votre trahison ? Vous n'y pensez pas !

- Tous les hommes savent qu'ils doivent la fin de la bataille à mon intervention. Je leur ai donné la clé de la victoire : je suis loin d'être un traitre.

Mais Guillaume retira à François son portefeuille de ministre de la Guerre pour ne lui laisser que son grade dans la marine. Il ne lui adressa plus la parole du retour et tous les Adéliens notèrent le froid qui régnait entre les deux hommes. La fracture entre notre couple et le pouvoir royal ne cessait de s'élargir. Et tandis qu'à l'armée François gagnait des soutiens, j'avais au village terminé le sanctuaire et attiré les derniers civils sur les hauteurs. Le pouvoir adélien en s'élargissant se fragilisait également, et nous devenions des figures populaires aux yeux des rescapés de l'Antarctique.

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