Chapitre 13 (partie 2)
- Mesdames...
Il s'arrêta et adressa un petit signe de menton en ma direction, comme si, entre toutes, j'étais la plus distinguées des dames présentes au congrès.
- Messieurs. Braves et aventuriers, héros et survivants. Soldats, libres et forts. Oui, déjà, vous avez vaincu.
Le vent se levait lentement. Il venait non pas couvrir la voix, mais lui donner une profondeur et une gravité naturelles. Une pénombre menaçant enveloppait l'assemblée de sorte qu'on ne voyait qu'une silhouette noire se découper sur l'herbe rase.
- Vous faites partie de l'élite, car seuls les meilleurs ont pu survivre aux pires dangers jamais affrontés par l'humanité. Il n'y a plus d'hommes. Comme le Neandertal est devenu homo sapiens, nous sommes tous des surhommes. Et nous avons le droit au meilleur.
Combien de temps avions-nous avant que les armées du tyran ne déferlent sur le continent pour tout soumettre sous un même joug ?
- Vous faites partie de l'élite.
Des applaudissements répondirent et des cris d'encouragement. Je souriais : un autre monde...
- Est-ce un monde de guerre que nous voulons ? Faut-il s'entretuer les uns les autres pour quelques parts de gâteaux ensanglantées ? Devons-nous nous disputer les portions de territoire convoitées par les autres ? Non.
Son regard se porta vers Tom Anderson et un sourire triste se dessina sur ses traits. Le silence fut accueilli dans un frisson, tandis que la foule buvait ses paroles avec inquiétude.
- Vous avez le droit au meilleur : et ce sera la paix.
Je me tournais vers François, ironique :
- Dis-moi, cher ami, ministre de la Guerre, depuis quand les plans de Guillaume ont-ils été pacifiques ?
- Mais c'est la paix pour faire la guerre... En vue de faire la paix. Guerre et paix pour abrutir les plus intelligents.
La voix de Guillaume gagna en intensité :
- Vous avez, aux jours de la Transition, justifié tout ce qu'on attendait de votre intrépidité. Vous vous êtes couverts d'une immortelle gloire. Des cyclones et des raz-de-marée par centaines de milliers sont venus s'écraser, ravager, détruire, sans que vous y trouviez la mort. Les virus se sont répandus et ont poussé à l'agonie un monde déjà affaibli, et vous y avez survécu. Les mers les plus dangereuses de la planète formaient devant vos vaisseaux indomptables un barrage infranchissable, et vous l'avez franchi.
Il fit une pause, stratégique. Le suspense était réel et Eve s'était tue.
- Les derniers hommes, jaloux, ont voulu vous emporter dans leur tombe. L'Américain Guenimer...
Je sursautais et François le sentit. Il crispa sa main sur la mienne, comme pour me rassurer.
- A brisé les sommets tempérés capables d'accueillir les derniers naufragés. Les hommes dans leur folie meurtrière ont voulu participer au carnage général et des guerres ont éclaté. Le nucléaire a achevé ce que la nature avait si bien commencé. Mais nous ne sommes plus des hommes. Nous sommes désespérément épris de paix.
Combien de temps avions-nous ? La question continuait à courir dans ma tête. Et la réponse : aucun. Désespérément épris de paix.
- Allons-nous nous battre pour quelques portions de territoire ? Saurons-nous nous élever au-dessus de ces folies ? Aventuriers, survivants. Lorsque les Adéliens ont placé sur ma tête la couronne royale, je me confiai à eux pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de la gloire qui passait seul par la paix. Mais dans le même moment, l'ennemi Indépendant pensait à détruire et à avilir ce continent qui nous avait accueilli. Projet téméraire, insensé, que je m'efforçais dès lors d'anéantir. J'ai brisé la menace et j'ai inscrit mon nom du côté de ceux qui recherchent la paix.
On amena l'homme qui avait voulu le tuer une heure auparavant. Il tomba au pied de Guillaume qui le releva et posa une main sur son épaule :
- Aventuriers, survivants. Je ne suis pas naïf. La paix ne sera acquise que lorsque toute menace sera définitivement supprimée et la stabilité gagnée. Seule l'unité peut nous offrir ce dont nous rêvons tous. Je ne vais pas punir les Indépendants pour ce qu'ils ont fait. Je crois en l'unité plus que tout. Cet homme sera libre d'intégrer la base de son choix, de choisir le métier qu'il fera, de suivre le chef qu'il voudra. Mais je vous le redis : il faut cesser de s'entretuer.
« Ce n'est pas à lui de décider, pensais-je. Cet homme est citoyen de Providence. Ce n'est pas à lui de faire la justice... ».
- Et moi, votre protecteur, j'offre ma lame et mes services. Ecoutez, soldats, braves, aventuriers, héros, survivants. Vous avez le pouvoir de changer le monde et d'en créer un meilleur. Ecoutez et choisissez. Je prône l'unité antarctique : chaque cité s'unira pour fournir hommes ou vivres à l'armée fédérale qui se chargera des menaces du système. Chaque cité qui voudra faire la guerre aux autres sera immédiatement combattue par l'union de toutes les autres au sein de l'armée fédérale. Toute cité dangereuse risquera l'annihilation pour garantir la sécurité des autres micros-sociétés trop faibles encore pour assurer leur propre protection. Et nous aurons ainsi une paix garantie par la loi du plus fort. Braves, aventuriers, héros, survivants... Lorsque tout ce que nous avons entrepris en ces jours instables ouvrant le nouveau monde nous auront conduit au bonheur et à la prospérité, vous aurez avec vous vos descendants. Là, vous serez l'objet des plus tendres sollicitudes et il vous suffira de dire « j'étais au mont Vinson », pour que l'on réponde : « voilà un brave ».
J'étais sidérée. Je vis que François à mes côtés avait le visage tout aussi tendu. Parce que ce discours qui sonnait si bien en apparence accordait en réalité à Guillaume à la fois le charisme du pacificateur et les motifs juridiques pour entrer en guerre chaque fois qu'il le voulait et contrôler tout l'Antarctique.
La foule se montra euphorique. Elle se leva comme un seul homme à la fin du discours du roi d'Adélie et je vis quelques chefs d'Etat des petites sociétés se précipiter vers le vainqueur des Indépendants pour le remercier de prendre si à cœur leur sécurité.
Le discours de l'empereur... L'homme se taillait la part du lion et l'empire naissait sur les ruines d'un monde affaibli. Il manœuvrait subtilement pour gagner et le soutien présent et la postérité.
Les hommes d'Etat s'approchèrent autour de lui. Certains hésitaient à signer l'accord proposé par Guillaume. Tom Anderson me chercha du regard et dans nos têtes résonnait : « aucun ». Je vis que certains allaient refuser, que cela pourrait dégénérer, ici-même, au mont Vinson. Mais je sous-estimais l'importance de la force.
Les quatre cavaliers apparurent autour du roi d'Adélie. Leurs visages fermés, leur allure militaire et leur réputation sanglante rappela aux chefs d'Etats les plus réticents que c'était la puissance qui parlait en diplomatie et non les beaux sentiments. « Aucun » ... Il ne s'agissait pas exactement d'une soumission puisque les accords devaient créer une organisation supra étatique, mais pour tous cela revenait au même.
Guillaume était venu en roi ; il repartait en empereur sans que le mot n'ait été prononcé. L'Adélie avait triomphé.
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