Chapitre 12 (partie 2)
L'un comme l'autre, nous étions déçus de la trahison du commandant et nous voulions le lui faire sentir. Il comprit notre rancœur et voulut se justifier :
- Nous avons gagné.
- Vous avez perdu votre parole.
- C'était du chantage, un manque de loyauté de ta part.
- Une promesse réciproque. Laissez-nous. Ils ont besoin de repos. Nous nous verrons ce soir pour la fête de la constitution.
- Avant cela, il y a quelqu'un qui veut te demander pardon.
- Ne faites pas entrer Melchior ou je laisse Lucas lui vomir dessus.
- Quelle menace ! Rit-il avant de s'en aller. Une vraie tigresse !
Je restais longtemps immobile à la fenêtre. Lucas dans mes bras avait fini par s'endormir. J'étais soudainement perdue dans mes pensées, en plein doute. Le futur m'apparaissait encore plus obscur qu'il ne m'était apparu sur le chemin du mont Vinson, il y a un an, tout ennoyé de brume. Quelle confiance accorder à Guillaume ? Est-ce qu'il fallait le trahir ou au contraire conserver en dépit de tout ma loyauté à son égard ? Le compromis imaginé par François était-il réellement tenable ? Où partir si celui-ci était rompu ? Une menace pesait-elle sur moi, François et mes enfants ? La guerre qui éclatait et devait se diffuser lentement verrait-elle la participation de notre famille, et si oui quel rôle ? Et les questions continuaient de rouler sempiternellement dans cette grotte obscure qui me servait d'esprit en faisant monter l'angoisse et le stress.
Je redoutais une confrontation avec Melchior ou l'un de ses sbires. Je savais qu'il userait de toute son influence, qui n'était pas négligeable, pour réduire ma position en Adélie. Mais les solutions étaient limitées.
- Tiens, Agathe, j'ai réussi à trouver cela.
François me présentait une lame bien affutée, une espèce de poignard qu'il me conseilla de toujours emporter avec moi. Je le rangeais machinalement dans un pli de mon vêtement et je pris sa main pour me relever. Il était l'heure.
Une faible lueur disait la fin du jour. La pluie s'était calmée et je pus emmener les trois enfants. Je voyais toute la population adélienne se masser également vers le port où une sorte d'estrade avait été aménagée. Melchior et Guillaume étaient en plein conciliabule et je m'assis non loin d'eux. Les enfants serrés contre mon cœur me rappelaient que j'avais une raison forte de me battre pour la paix, la justice et l'honneur.
Lucas se mit à pleurer et le commandant se retourna vers moi pour me demander si je pouvais m'éloigner le temps que le bébé se calme. En retour, je le fusillais du regard : il comptait une fois de plus m'éloigner de la scène politique, mais cette fois-ci les choses avaient changé :
- Leurs pleurs sont là pour vous rappeler qu'il n'y a pas que la guerre.
Et Guillaume sourit, touché par la pique.
Les hommes du conseil constitutionnel, nommés il y a plus de neuf mois, juste avant que je parte explorer l'Antarctique avec François, s'avancèrent pour expliquer leurs débats et leurs décisions. L'assemblée retenait son souffle, car l'instant était historique.
Leur porte-parole expliqua comment ils avaient procédé. Ils avaient d'abord défini les enjeux auxquels devrait faire face le nouveau gouvernement (possibilité d'une guerre, reconstruction d'un territoire, troubles climatiques) et conclu que ce qui importait le plus était l'unité du groupe et la rapidité de décision. Ensuite, ils avaient parcouru tous les différents types de régimes pour déterminer celui qui serait le plus ajusté. Et enfin, ils avaient écrit les lois en fonction du bon sens. L'un d'eux avait eu une formation de juriste et s'était beaucoup inspiré du code civil. Voici ce qu'ils avaient décidé :
- Pour le régime, nous aurons une monarchie constitutionnelle, avec Guillaume à notre tête.
Il y eut quelques remous dans l'assemblée, mais ils précisèrent :
- Il faut un gouvernement centralisé et fort, qui pense le long terme, tout en laissant le champs ouvert à la démocratie. Si nous changeons régulièrement de chef d'Etat, nous risquons l'instabilité et nous ne pouvons pas nous le permettre. Vous trouverez au bureau central un exemplaire de toutes les lois qui ont été votées. La plupart suivent des principes simples : ne pas voler, ne pas tuer, ne pas trahir. Les peines sont variables : entre l'exil, la prison, ou un temps de travaux d'intérêt général. Pour le vol d'un bateau, la peine peut-être assez lourde (deux ans de travaux d'intérêt général). Nous avons aussi ressuscité une vieille loi grecque, l'ostracisme, qui exile ceux qui constituent un danger pour la démocratie, et de façon plus générale ceux qui risquent de trahir. Nous avons vraiment besoin d'unité... Je vous laisse pour le reste jeter un coup d'œil au code civil. Nous en avons laissé une version abrégée à la disposition de tous. Est-ce que vous avez des questions ?
Je levai la main.
- Qui a choisi Guillaume comme roi ? Aux dernières nouvelles, il n'était que président temporaire.
- Le conseil. Nous avions plein pouvoir pour le faire et nous l'avons fait.
Je devinais les pots de vin par derrière et les manœuvres politiques. Je murmurais à l'oreille de François :
- Nous ne serons pas pris au dépourvu par l'ostracisme. Nous serons prêts.
C'était comme s'il était évident maintenant que l'issu serait fatale. Mais il me répondit :
- Et avant cela, il y a un coup à jouer. Laisse-moi faire.
La réunion se termina et François s'approcha de Guillaume pour lui demander un entretien privé. Hanna m'aida à ramener les trois enfants à la maison et je m'assis à la fenêtre pour donner à boire à la petite Eve. De tous, c'était la plus calme, mais elle vous regardait avec de grands yeux bleus intelligents qui révélaient déjà un caractère affirmé.
La porte s'ouvrit sur Melchior. Je sursautais et lui lançais un regard noir.
- C'est vous qui avez gagné. Je me suis rendu. Tu as eu trois enfants et tu as donné à Guillaume les moyens de nous battre. C'est une belle victoire pour toi. Je venais te féliciter et m'excuser pour ce que nous t'avons fait.
- Tu n'en crois pas un mot.
- J'essaie d'arranger les choses. Pourquoi me compliques-tu la tâche ?
- Vous êtes comme le serpent qui susurre de belles promesses pour mieux vous attaquer dans le dos.
- J'ai des enfants aussi. Une petite Ambre qui est née le mois dernier, et Aloïs l'aîné. Je sais que c'est le plus beau trésor...
François poussa alors le rideau et eut un sursaut en apercevant Melchior. Soudainement furieux, il l'attrapa et le jeta dehors en le menaçant :
- Tu ne t'approches pas de ma femme ! Si je te vois encore une nouvelle fois seul avec elle, je t'envoie en première ligne du front le plus dangereux.
Je fronçais les sourcils, perplexe, et je vis dehors Melchior agir de même. François se calma un peu, recula d'un pas et s'expliqua :
- Je suis nommé ministre des Armées. C'est moi qui décide ce genre de chose.
Et il revint à l'intérieur pendant que je pestais intérieurement : il n'avait pas eu le poste de ministre des Affaires étrangères. A ce poste, il aurait moins de marge de manœuvre.
- Pourquoi tu as accepté ? Demandais-je. Tu ne seras qu'un pion à ce poste.
- Pas tout à fait. Fais-moi confiance.
Je rêvais toujours de mon monde idéal, mais les perspectives se dessinaient peu à peu en lui donnant la couleur du réel, teintée d'échecs et d'imperfections.
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