Chapitre 11 (partie 2)

Au moment où je commençais à m'inquiéter pour François, après trois mois de séparation, on vint me prévenir qu'on l'avait vu arriver au loin. J'étais incapable d'aller à sa rencontre, mais je m'avançais à l'entrée du village, le cœur battant. Il ne regardait que moi.

Guillaume vint me rejoindre et m'expliqua qu'il aurait à lui parler. Immédiatement, les battements de mon cœur s'accélèrent, tandis que je me faisais la réflexion qu'il ne fallait pas que François parle. Ces croquis de géographie et le savoir qu'ils nous donnaient étaient la plus grande arme que nous possédions en ce monde et je ne voulais pas le gaspiller sans stratégie.

François arborait un large sourire communicatif et je le vis accélérer le pas, puis courir vers moi pour venir me prendre dans ses bras. Je m'avançais un peu à sa rencontre et il m'enlaça, avant de m'embrasser. Je le serrais un peu plus fort, pour qu'il ne me relâche pas, et je lui soufflais :

- Ne dis rien à propos des carnets.

Guillaume l'emmena dans son bureau et je rentrais me reposer. L'attente fut assez longue. Je croisais les doigts pour que cela se passe bien et que François comprenne ma méfiance. En posant mes mains sur mon ventre, je sentis qu'on s'agitait encore à l'intérieur et je lui dis :

- Papa arrive. Calme-toi.

La nuit était déjà présente. La journée avait été courte. J'étais allé chercher au potager du village de quoi faire un festin pour le héros qui revenait. Moi enceinte, et François grand voyageur, on me laissa prendre ce que je voulais. Les traitements de faveur avaient du bon. Aussi, quand il revint, ses yeux brillèrent à la vue de toute cette bonne nourriture qui l'attendait. Il vint m'embrasser à nouveau, et posa son oreille contre le ventre :

- Comment ça va, petit bonhomme ? Tu es content de retrouver papa ?

Peut-être l'enfant avait-il reconnu la voix de son père, mais il s'agita de nouveau. J'avais hâte de le prendre dans mes bras et de lui donner un nom.

- Comment ça s'est passé ?

- Je lui ai dit que j'avais perdu les carnets et que j'avais encore en tête tous les paysages. Il me faudrait du temps pour les réécrire.

- C'est vrai ?

- Les carnets sont dans mon sac. Pourquoi tu ne voulais pas que je lui en parle ?

- Je ne lui fais pas confiance. Il va semer la guerre partout si je ne fais rien pour l'en empêcher.

- Tu crois vraiment pouvoir l'arrêter...

- J'ai conclu un pacte avec lui, mais je garde les croquis en moyen de pression. Je lui ai déjà révélé tout ce que je savais sur le village des Indépendants.

François de retour à mes côtés, je reprenais de l'assurance. Guillaume tenta bien de lui soutirer son savoir, de lui offrir de précieux avantages et une place de choix au sein du gouvernement de l'Adélie, mon ami déclinait toujours poliment. Pour se soustraire aux tentations, il prit le parti de suivre Noah dans ses journées de pêche. J'aurais aimé les suivre et naviguer tout le jour avant de revenir me coucher, mais l'accouchement devenait imminent.

C'était devenu l'attraction du village. Tous les jours, on me demandait comment j'allais, si je pensais que c'était pour bientôt, comment j'allais appeler le bébé, si j'avais besoin de quoi que ce soit... En dehors de la petite Marine, il n'y avait aucun enfant à l'Adélie et cela rendait ma situation assez singulière.

Etonnamment, celui qui se montra le plus prévenant avec moi, ce fut Pierre, l'homme qui m'avait si mal accueillie à mon arrivée à la base. Sans doute éprouvait-il des remords sur son comportement, mais il prit de son temps pour m'apporter régulièrement quelque nourriture, de l'eau, une présence chaleureuse, quand François était en mer, fuyant les questions lourdes du commandant.

Ce n'était plus qu'une question de jours à présent. Des petites contractions préparaient déjà l'accouchement. J'avais mal au dos, à la poitrine, et mes jambes étaient lourdes. Je n'étais presque plus capable de faire ma balade quotidienne et je la finissais toujours essoufflée. Le ventre était si rond qu'il donnait l'impression que j'avais rajouté un coussin par-dessus le ventre déjà plein.

François cessa de partir en mer pour rester à mes côtés. Et je crus qu'il ne me restait plus qu'une épreuve avant de pouvoir serrer mon enfant dans les bras.

Mais un jour, un cri jaillit de l'extérieur :

- Les Indépendants ! Ils arrivent !

François blêmit aussitôt : notre maison était tout proche de l'entrée du village et j'étais enceinte de presque neuf mois.

- Le bateau de Noah, me dit-il. C'est l'endroit le plus sûr...

Et il me prit par la main pour m'entrainer à sa suite. Je voyais tous les hommes sortir de leur maison, attraper l'une des armes en fer tout juste forgées et s'organiser en petit groupe militaire. Guillaume Perret, le premier, organisait la défense, avec une assurance et un sang-froid impressionnant. Il nous vit filer vers le port et eut un petit signe approbateur. Mais déjà, les cavaliers pénétraient dans la base.

- Tant pis, on va se cacher là, Agathe, m'indiqua-t-il en me guidant vers une maison voisine.

Nous nous recroquevillâmes dans un coin et attendîmes. Des cris fusaient de l'extérieur et se rapprochaient inexorablement.

- Ça va ?

J'acquiesçai.

Et soudain, je vis entrer Hector dans la pièce. Il parcourut des yeux la pièce, s'avança vers le lit pour le soulever et secouer les draps, renversa l'armoire et finit par croiser mon regard, tapi dans l'ombre. Il eut un sourire ravi :

- Chère Agathe ! Comment se porte ton bébé ?

Il avisa François et cracha :

- Ce que tu as fait est strictement interdit. On ne vole pas comme cela les autres.

Alors, il nota le ventre arrondi, comprit que c'était imminent et leva l'une de leur étrange épée au-dessus de moi. Je mis pauvrement mes bras sur ma tête pour la protéger.

- Si seulement tu étais restée, tu aurais été une reine parmi nous.

- Je peux rentrer, lâchai-je subitement. Je peux revenir avec vous et mon enfant sera le vôtre...

J'essayai juste de gagner du temps, mais il y avait plus que ma vie en jeu. L'épée resta en suspens, François le regard fou cherchait désespérément une arme pour nous défendre et se mit entre l'épée et moi :

- De toute façon, c'est trop tard : elle a déjà tout révélé. Si elle n'est dangereuse, ce n'est qu'à cause de l'enfant qu'elle porte, et vous ne tuerez pas une femme enceinte...

Hector semblait hésiter. Mais il n'eut pas le temps d'aller plus loin. Trois hommes entrèrent derrière lui et l'attaquèrent. Il dut se défendre et j'en profitai pour m'échapper avec François.

Ils étaient une centaine à se battre dehors. Heureusement, les Adéliens en surnombre parvenaient à s'imposer peu à peu. Cachée derrière un muret, j'observais les combats, le cœur battant. Quelques corps reposaient sur le sol et je devinais la colère monter au sein des Adéliens. Ce n'était pas bon...

L'attaque fut repoussée. J'entendis de grands cris de joie, suivis d'exclamations féroces :

- Cette fois, ils sont allés trop loin ! Ils ont tué deux femmes et quatre hommes.

- Guillaume, tu ne peux plus retarder l'offensive. Il faut aller les punir.

Les hommes s'agitaient et réclamaient vengeance. Le raid indépendant avait provoqué comme une onde de choc qui troublait le fragile équilibre du village. Cette fois, les esprits secoués voulaient aller plus loin. Il fallait frapper vite et fort et les hommes feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour contraindre le commandant à les aider.

Je compris qu'il me faudrait intervenir et je demandais à François de m'aider à me relever. Je m'avançai dans l'allée principale. Il fallait rappeler, par ma simple présence, à Guillaume Perret sa promesse. C'était le seul moyen d'empêcher les Adéliens de prendre la place des Indépendants dans leur rôle de terroristes en Antarctique. Le commandant tourna la tête vers nous et eut comme une hésitation. Il fit un petit signe de tête pour me signifier qu'il avait la situation sous contrôle.

Et c'est alors que je perdis les eaux.

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