15
dix mois après leur premier baiser
Les doigts trainent une seconde sur sa joue avant que le lit ne s'affaisse à côté d'elle. Elle observe le blond qui quitte le lit, étirant son corps au passage. Quelques secondes plus tard, le bruit de l'eau s'écoulant de la douche la berce alors qu'elle s'enfonce dans son oreiller. Pourtant au plus profond d'elle, son ventre se tord.
Elle avait décidé qu'elle leur parlerait aujourd'hui. Cela faisait désormais des mois qu'elle les connaissait et elle ne voyait pas comment elle pouvait encore leur cacher la vérité. Pourtant, il était tellement plus aisé de vivre avec celle-ci. Ils n'avaient jamais fait de remarques, ni même cherché à creuser ce qui lui était arrivé. Peut-être même qu'ils avaient compris, elle n'en savait trop rien. Mais elle comptait bien aller avec eux au lac, même si elle allait devoir beaucoup prendre sur elle. Après tout, le seul avis qui lui importait était désormais celui de l'homme qui se tenait en cet instant dos à elle, sa serviette autour des hanches alors qu'il fouillait dans l'armoire en recherche de vêtements. Il en avait toujours qui trainaient dans le coin désormais.
Elle se lève et le rejoint. Elle récupère un T-shirt qu'elle lui tend tout en lui souriant. Et puis elle s'arme d'un bermuda bien assorti.
─ Et si je voulais pas montrer mes gambettes ?
Elle lève les yeux au ciel en retour alors qu'elle se sent être attiré quelques secondes contre lui. Elle inspire son odeur de savon toute récente. Ses mains glissent ensuite dans son armoire à la recherche d'un maillot de bain. Elle sait qu'il est en train de l'observer, elle peut sentir son regard fixé sur ses moindres faits et gestes.
─ Si tu voulais me faire une surprise ce soir, je suis désolé de t'annoncer que c'est raté. Mets le bleu, c'est mon préféré.
Elle le pousse plus loin et il s'écrase sur le lit tout en riant.
─ Je vais au parc aquatique avec mes amis cet aprem.
─ Ah.
Son air concerné et sérieux se pose sur elle. Ses doigts sont captés, la forçant à faire demi-tour. Elle est attiré par l'autre. Ses mains se posent sur ses hanches alors qu'il l'a amenée sur ses genoux. L'une d'entre elles se détache pour venir remettre une de ses mèches en place.
─ Alors mets plutôt le vert, il est assorti à tes yeux.
─ Une raison particulière pour que tu ne veuilles pas que je mette le bleu ?
─ Non...
─ Jaloux va !
Et elle se lève alors que ça rit derrière elle. Elle s'occupe d'autres choses pendant quelques secondes, cherchant des habits pour sa journée.
─ Rose.
La voix est calme derrière elle. Elle se retourne pour faire face au blond prêt à partir.
─ Je garde mon téléphone près de moi. Si tu m'appelles, je viendrai te récupérer.
Elle comprend les mots non-dits derrière ceux prononcés. Celle de cette peur qu'elle avait réussi à lui refiler. Celle que ça se passe mal. Mais aussi cette idée qu'il serait toujours là pour elle, que désormais elle était ce qu'il faisait passer en priorité, avant son travail, avant ses amis. Elle plaque ses lèvres contre les siennes, se pendant à moitié à son cou. Quand elle finit par s'éloigner, elle laisse ses doigts tracer le contour de sa joue.
─ Merci. Je suis sure que ça va bien se passer.
Elle sentait son estomac se serrer au fur et à mesure que le temps passait. Elle aurait tant aimé qu'il soit là. Il aurait forcément trouvé plein de façons de lui changer les idées ou de lui occuper l'esprit. Mais elle était obligée d'attendre, ne sachant pas vraiment quoi faire. La peur qu'elle avait pendant longtemps enfouie remontait alors que les minutes s'écoulaient. Et le temps passait bien trop lentement.
─ Salut Rose, je pensais pas que tu viendrais.
Le visage amical du brun qui attendait devant les lieux la rassure une seconde. Elle était arrivée tôt, espérant ne pas les faire attendre. Et puis elle avait fini par se souvenir que ses amis étaient plutôt du genre à arriver en retard, voir très en retard. Alors elle s'était laissée tomber sur un banc, pianotant sur son téléphone en les attendant. Elle y avait trouvé un message réconfortant de son petit-ami qui lui souhaitait une excellente après-midi. Un sourire niais s'était alors installé quelques secondes sur son visage, comme souvent lorsqu'il lui montrait par un geste, un mot ou un sms qu'il pensait à elle ou qu'il s'y intéressait.
─ J'ai hésité.
Et celui aux yeux sombres s'était contenté de lui sourire en réponse. De toute façon, ils avaient compris depuis le temps qu'il n'était pas forcément utile d'insister pour qu'elle vienne à certaines sorties.
─ Je suis content que tu sois venue. Tu vas voir, c'est cool.
Elle avait légèrement forcé son sourire. Parce qu'elle n'était pas si sûre que ça allait être aussi cool, qu'ils pouvaient le dire.
Ca faisait des années qu'elle n'était pas venue. Pourtant, elle adorait l'odeur du chlore quand elle était petite. Elle y venait si régulièrement qu'elle en avait les cheveux qui se décoloraient. Elle se souvient qu'à l'époque, il n'était pas rare de la voir doubler certaines personnes de son groupe ou de sa classe. Elle était toute fière quand elle s'était retrouvée avec les forts en CM2. Et puis elle n'avait plus supporté le regard des gens et elle avait tout abandonné.
Elle a le corps enveloppé dans sa serviette bleue nuit. Elle se dit que peut-être ainsi elle serait un peu protégée de la réalité. Elle inspire une immense bouffée d'air et elle ouvre enfin la porte de sa cabine. Devant elle se dresse les allées de casiers où elle pourra ranger ses affaires. Et puis, à quelques mètres d'elle, ses amis. Elle déglutit, faisant un effort surhumain pour quitter la petite pièce où elle s'était changée.
─ Dites rien d'accord.
Les regards se posent sur elle et elle a envie de fuir, de s'échapper de là en courant. Elle retient ses larmes qui menacent de s'écouler. Face à elle, les visages sont déformés par le choc, les yeux ne la quittent pas et elle attend un verdict qui ne semble pas vouloir tomber.
Un silence s'installe pendant quelques secondes que personne n'arrive vraiment à briser. Sa gorge se noue subitement. Et puis elle se sent être attirée quelques secondes dans les bras de la brune qui était là.
─ Je suis contente que tu sois là. Allez, on y va.
Elle se laisse entrainer alors que l'intervention a détendu l'atmosphère tout d'un coup, entraînant l'approbation par l'ensemble des présents.
Elle porte son regard vers le vide. Elle essaie de n'accrocher aucun regard. Elle finit par se laisser tomber sur une chaise à côté du petit bain où ils avaient déposé toutes leurs affaires. Ses doigts glissent sur la prothèse. Elle a l'impression d'être le centre de l'attention de tous. Et puis elle finit par faire un tour d'observation de ses yeux émeraude. Au loin, des enfants continuaient de jouer sans se soucier d'elle. Dans le grand bain, les nageurs continuaient de faire ce qu'ils faisaient de mieux. Peut-être que c'était juste elle qui se faisait des films.
Elle croise un regard. Il est bien rapidement détourné lorsqu'il est pris sur le fait. Elle n'aimait pas ça. Elle n'avait jamais aimé. Elle aurait préféré que les gens lui posent des questions plutôt qu'ils la pointent du doigt comme certains étaient en train de le faire un peu plus loin.
─ T'as besoin d'aide ?
Elle hoche négativement la tête. Elle se débrouillait seule quand elle avait neuf, elle devait bien pouvoir réussir maintenant qu'elle en avait vingt-deux.
─ Je... Je sais pas si je sais encore nager.
Un rire avait retenti. Elle avait d'accord cru à une moquerie et puis elle avait lu l'amusement dans les regards de ses amis.
─ La natation, c'est comme le vélo, on m'a toujours dit que ça s'oubliait pas.
─ Et puis, de toute façon, tu risques pas de te noyer dans le petit bassin.
Et ils n'avaient pas forcément tord.
─ Je sais pas faire de vélo.
─ T'inquiète que tu sauras en faire avant la fin de l'année.
Elle s'était mise à sourire. Un sourire immense qui avait étiré son visage jusqu'en haut de ses oreilles. Et alors qu'ils s'étaient tous jetés à l'eau par la suite, elle avait oublié tous ses doutes et ses complexes. Parce qu'apparemment, elle n'avait plus de raisons d'en avoir. Mais peut-être que ça avait toujours été le cas.
L'eau tiède avait recouvert son corps. Elle avait inspiré cette odeur si caractéristique qui lui avait tant manqué. Les jets d'eau tombent sur eux alors qu'ils se poursuivent par moment, se cachant en dessous. Elle avait oublié aussi ça, qu'une fois sous l'eau ça ne se voyait presque plus et que toutes les nouvelles personnes arrivant dans les lieux ne pourraient pas le voir.
Ils rient, crient, discutent.
Ils finissent dans un bar, les cheveux brièvement séchés et un chocolat chaud devant eux pour se réchauffer.
Alors tu t'es pas noyée ?
J'espère que t'as pas fait de shampoing, j'aime trop l'odeur du chlore.
A ce soir Manaudou.
─ Un message de ton dulciné.
─ Comment tu sais ?
─ Parce que t'as le même sourire débile que lui quand il s'intéresse à toi.
─ Très drôle.
Ils finissent par quitter les lieux.
─ Je te dépose ?
Elle n'hésite pas une seconde avant de monter dans la voiture de la brune qui habitait pas très loin de chez elle.
─ C'est vraiment cool... Que tu sois venue.
Et elle est contente que tout le monde le prenne comme ça, ou semble en tout cas.
─ On s'est moqué de toi avant pour que tu nous le caches aussi longtemps ?
Elle se contente de hocher légèrement la tête. Elle ne sait pas quoi penser du fait qu'elle aborde le sujet. Mais elle se dit que c'était certainement mieux que si elles n'en parlaient pas.
─ Les gens sont cons.
─ Ca me fait peur, pour trouver du travail après par exemple.
─ L'erreur ça serait bien de se passer de la meilleure historienne de la promo. Il a jamais fallu deux jambes pour réfléchir jusqu'à preuve du contraire.
Et même si ça aurait dû être évident, ça lui fait un bien fou de l'entendre de la part de quelqu'un.
─ Bonne soirée Rose. A demain.
j'espère que ça vous plait toujours. suite ce week-end normalement :)
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