Chapitre 8


La nuit se révéla moins difficile que je le pensais, puisque je dormis comme un bébé. Un sommeil sans rêves permit à mon corps de récupérer un minimum. La lumière des soleils me réveilla en brillant à travers les vitraux, tandis que je pendais dans le vide, à moitié hors du hamac. Je n'eus pas à me creuser la tête pour me rappeler où j'étais en me redressant. Mon cerveau se restait en mode survie, même si je me sentais moins tendue que la veille. Je passai les doigts dans le scintillement multicolore qui inondait la cabine du capitaine.

Ce dernier était aux abonnés absents, à mon plus grand soulagement. Avec lenteur et prudence, je descendis du hamac. De toute façon, si j'avais voulu me dépêcher, je n'aurais pas réussi à cause de l'intégralité de mes muscles endoloris. Une pomme et un sandwich au poisson éveillèrent ma faim, posés sur le bureau. J'avalai ce petit déjeuner pour le moins étonnant, regrettant les œufs grillés de ma mère. Ensuite, je filai à la salle de bain. Une brosse à dents m'attendait à côté d'un morceau de savon neuf. Les deux n'ayant pas l'air d'avoir été utilisés, je considérai que Pan les avait laissés là pour moi.

De retour dans la cabine, je me trouvais toujours seule. Curieuse, je me dressai face à un grand miroir au cadre doré, fixé au mur. La fille à l'intérieur me toisait avec dureté, les traits de son visage tirés et bizarrement froids. Des cernes bleutés dévoraient ses yeux, tandis que ses iris gris trahissaient autant de désespoir que de fatalisme. Les vêtements qu'elle portait la faisaient ressembler à une véritable hors-la-loi. Avec un sourire désabusé, je me détournai de mon reflet. Je refusais de devenir comme ces hommes, là dehors. Il fallait que je retrouve mon frère au plus vite et que je quitte le Pays imaginaire.

J'enfilai mes grosses bottes encore mouillées, m'efforçant de ne pas me focaliser sur l'inconfort de la situation, et me rendis sur le pont. Je cherchai Pan parmi les nombreux matelots. J'en profitai aussi pour en détailler quelques-uns. Beaucoup, pour contrer la chaleur des soleils, se couvraient le visage et les cheveux. Je remarquai Gus, le mousse, occupé à nouer quelques cordes en compagnie d'un vieil homme édenté. Je les rejoignis, essayant d'afficher un sourire poli.

— Bonjour Gus.

— Ah ! La Wendy ! Comment elle va ?

Je le fixai un long moment, jusqu'à ce que les joues rouges, il baisse les yeux.

— Je voulais dire Wendy. Pardon. On ne croise pas beaucoup de filles en mer. En fait, tu es la deuxième.

Je m'installai sur une caisse, en face de lui, prétextant l'intérêt.

— Qui est la première ?

— Mary Foxy, m'avoua-t-il sur le ton de la confession. Elle arpente l'océan sur un vaisseau deux fois plus grand que celui-là. On raconte que son équipage est constitué de cadavres ambulants. Quand tu prononces trois fois son nom en avalant un verre de rhum, son navire apparaît. Elle découpe quiconque se met sur sa route.

Je haussai un sourcil en jetant un rapide regard au vieux pirate à côté de lui, qui ne réagissait pas à son histoire. Il se contentait d'entremêler une petite corde, de défaire le nœud et de recommencer. Il envoya un coup de coude dans les côtes du gamin.

— Je veux te voir les faire, allez ! Au lieu de raconter des balivernes.

— C'est pas des balivernes, s'énerva Gus. J'ai déjà aperçu le bateau de Mary Foxy au loin. Crois-moi que j'ai senti mon cœur geler.

Il se mit tout de même à imiter le pirate en nouant les cordes avec dextérité. Je compris qu'il apprenait.

— Mais tu l'as vu cette Mary ? insistai-je. En chair et en os, je veux dire ?

Son visage blêmit malgré la forte chaleur, et il secoua la tête.

— Par les sirènes mangeuses d'hommes ! Non, tu penses bien. Quiconque l'a croisé n'a pas survécu pour en parler.

— Alors comment sais-tu qu'elle existe ?

Il ouvrit la bouche, agacé par mes questions, s'apprêta à me répondre... et se battit des cils avec un drôle d'air.

— Je sais pas, admit-il. Mais n'empêche qu'elle est réelle, un point c'est tout. La Mary Foxy, faut rester loin d'elle.

J'opinai, me rappelant la raison pour laquelle j'avais engagé la conversation avec lui.

— Où puis-je trouver le capitaine ?

— Quelque part par-là, m'informa-t-il en faisant un vague signe de la main.

Je me rendis jusqu'au bastingage en ignorant les coups d'œil que me lançaient les matelots. Deux éléments m'interpellèrent. Le premier, on ne naviguait plus. Le roulis constant du Jolly Roger s'était arrêté, et je ne m'en étais même pas rendu compte. Ensuite, on se trouvait amarré au bord d'une plage. L'eau bleue, scintillante et parfois transparente, formait des vagues qui s'échouaient paisiblement dans le sable blanc. Quelques pirates creusaient le sol au loin, rejoints par leurs camarades. Je me demandai un instant ce qu'ils fichaient, puis réalisai que ça m'était égal, en vérité.

Des arbres immenses dévoraient le paysage, dont les feuilles violettes, argentées et orange luisaient au contact des rayons des soleils. Je n'arrivais pas à croire qu'un endroit aussi magnifique puisse dissimuler autant de pièges mortels. Je songeai à l'ombre de Peter Pan, quelque part sur l'île, désireuse de me voir morte. Simplement parce que la malchance m'avait conduite sur ce navire...

J'espérais qu'elle n'avait fait de mal à aucun des enfants londoniens. D'après le capitaine, elle se servait d'eux pour devenir plus forte et asseoir sa domination diabolique sur ce monde. Elle avait besoin de ces gosses vivants. Ça n'excluait pas la possibilité qu'ils soient maltraités. Un violent frisson remonta dans ma colonne vertébrale. Mike craignait le noir, et il détestait les insectes. Il pleurait quand la peur assombrissait son petit cœur. Pourvu qu'il aille bien. J'allais l'arracher aux griffes immatérielles de cette ombre, coûte que coûte. Mon regard se perdit dans cette immensité colorée, jusqu'à ce que quelque chose de doré attire mon attention. Là-bas, entre les arbres... comme un filament formé de paillettes ! Intriguée, je plissai les yeux, mais je me trouvais bien trop loin pour deviner de quoi il s'agissait.

Je me dirigeai vers une file de pirates qui descendait du navire par une passerelle, près de laquelle patientait une énième barque. Je fis la queue, comme eux, mais quand arriva mon tour, un gros type chauve aux tatouages affreux m'arrêta.

— Pas toi, m'dame.

— Quoi ? Mais je veux juste aller me dégourdir les jambes.

— Le capitaine a été clair sur le sujet. Pas toi.

Puis, il me poussa hors de la file. Je restai figée, interloquée par sa manière de me traiter, et m'éloignai de ce goujat. Tout le monde semblait avoir le droit de partir et de revenir à sa guise, sauf moi. Une idée me vint quand je remarquai un type méconnaissable à cause d'une sorte de cagoule sur son visage, qui passait à la barbe du gros pirate. Mais oui, voilà comment j'allais pouvoir quitter le Jolly Roger. Parfait !

Je retournai dans la cabine du capitaine, fouillai dans le coffre à ma disposition et tirai un long foulard, que j'entrepris de nouer autour de mon et de mes cheveux. Un autre s'imposa pour dissimuler mes formes, et voilà, le tour était joué. Je sortis de la pièce en prenant garde de ne pas être vue, et me mêlais aux matelots qui prenaient la mer. Cette fois, le gros homme tatoué en m'empêcha pas de passer. Je fis mon possible pour rester discrète, tandis que la minuscule embarcation se chargeait de types patibulaires. Heureusement, on ne me demanda pas de pagayer, tâche donnée au pirate assis juste à côté de moi. Quelques minutes plus tard, nous touchions terre. Je regrettai de devoir plonger mes bottes dans l'eau, mais je n'avais pas le choix. Une fois sur la plage, je me baissai pour cueillir quelques grains entre mes doigts. La terre ferme, enfin !

Puis, en retrait des matelots, je cherchai la lueur à l'orée de l'immense forêt. Peut-être l'avais-je imaginé ? Prudente, je m'approchai de l'endroit où je l'avais vu. Quand j'entendis teinter quelques clochettes, un son aussi pur qu'inattendu, je sursautai. Une traînée de poudre dorée m'entoura, plus vive qu'un insecte. Elle effectua plusieurs tours autour de moi, et s'engouffra dans la forêt.

Une fée ! Ça ne pouvait-être que ça ! Pan prétendait qu'elles avaient disparu, mais visiblement il se trompait. Peut-être qu'elles ne se montraient pas aux pirates, simplement. Ça me semblait même plutôt logique. Ces créatures bienveillantes n'allaient tout de même pas faire confiance à des hommes infâmes. Surtout que l'un d'eux se vantait d'avoir tué Peter Pan.

Sans réfléchir, je suivis la fée. Des arbres majestueux aux écorces chatoyantes se dressaient comme des piliers géants. Les soleils ne pouvaient percer la cime touffue au-dessus de ma tête. Les feuilles luisaient grâce aux fleurs phosphorescentes qui poussaient sur les branches, à proximité. Des éclats lumineux dansaient dans l'air et s'accrochaient à la végétation, créant un spectacle magique. Chaque pas que je faisais déclenchait un concert de sons : le froissement des feuilles, le chant des oiseaux, et le subtil murmure d'une rivière invisible environnante. Les couleurs projetaient une lueur douce et apaisante, rendant la forêt encore plus mystique. La fée tournoyait autour des troncs pour m'attendre, et s'éloignait dès que je m'en approchais.

Tout à coup, une mélodie vibra dans l'air. Je tendis l'oreille, intriguée. Je doutai qu'elle provienne des papillons lumineux en train de virevolter au-dessus de ma tête. Sans bruit, pour ne pas effrayer les éventuelles fées qui se trouvaient dans le coin, je passai sous un arbuste chatoyant. Une clairière apparut devant-moi. En son centre se dressait une plante extraordinaire sortie tout droit d'un conte de fées. Ses longues tiges fines battaient lentement l'air, couvertes de petites fleurs roses sublimes. Autour d'elle, des boules dorées de la taille d'une noisette dansaient en émettant une lueur douce et chaleureuse. La mélodie provenait de là, aussi magnifique qu'enchanteresse. Fascinée, je marchai en direction de la plante qui mesurait au moins trois mètres. Je tendis les mains, devant-moi, et annonçai :

— Je m'appelle Wendy Darling, je ne vous veux pas de mal. Je souhaite parler à l'une d'entre vous.

Les tiges ondoyèrent un peu plus fort, créant des mouvements dans ma direction. Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau. Toutes ces lumières, ces couleurs... on aurait dit un sapin de Noël vivant !

— Est-ce que vous m'entendez ? Non, restez !

Les fées s'engouffrèrent au cœur de la plante pour y disparaître. Je rejoignis l'une des tiges mouvantes, inspirant le parfum délicieux qui s'en dégageait. Étrangement, l'odeur me rappelait le pain carbonisé que faisait Mike le matin, au petit déjeuner. Je souris, le cœur pincé par le manque.

— Vous êtes là ? S'il vous plaît, j'ai l'air d'une pirate, mais je n'en suis pas une. Brindille ? Tu m'ent...

La fleur la plus proche de moi me cracha alors une poudre rose au visage. Je reculai, surprise, et le nez envahi par les spores. Je toussai, mais la plante continua de m'asperger, jusqu'à ce que je m'éloigne. Mes yeux pleurèrent un instant, mes narines me piquèrent, puis plus rien. Je demeurai en retrait, attendant de découvrir ce qui allait m'arriver, mais il ne se produisit rien. Ce devait sûrement être un système de défense pour tenir les étrangers loin de l'habitation des fées. Tant pis pour moi. Quelque chose me disait que je n'allais rien tirer d'elle aujourd'hui.

Je rebroussai chemin en essayant de me repérer à ce que j'avais vu en venant. Les plantes se ressemblaient toutes, les arbres aussi. Je marchai en imaginant tomber sur un psychopathe chaque seconde. Mais, comme si quelque chose m'avait guidée à mon insu, je débouchai bientôt dans une trouée assez large pour ne pouvoir contenir qu'une seule personne. Le capitaine Pan se tenait debout, bien droit, la tête inclinée vers le sol. Les fleurs lumineuses autour de lui éclairaient son visage aux traits d'une finesse remarquable. Sa beauté ténébreuse n'avait d'égale que celle de cette forêt. Les couleurs valsaient sur sa peau hâlée, mettant en valeur ses mâchoires carrées, et l'harmonie de son corps athlétique. Je restai cachée derrière un buisson épineux, curieuse. Le pirate ne faisait aucun bruit, je n'entendais même pas son souffle. Il demeura immobile un long moment, les lèvres animées par des paroles prononcées à voix basse. Une prière, peut-être ?

Mes jambes commencèrent à me faire mal, mais je n'osai pas bouger. Quand Pan décida de se glisser entre les arbres avec l'agilité d'un fantôme, je me redressai et me tins là où il se trouvait un instant plus tôt. À mes pieds, les restes d'un tronc creux et mort renfermaient un tas de petites fleurs lumineuses. Parmi elles, je remarquai quelques glands, ainsi que des bouts de tissu enroulés et fermés par de la ficelle. Je n'osai pas plonger ma main à l'intérieur. Ça ressemblait à une sorte de sanctuaire secret. D'ailleurs, maintenant que je me tenais devant, je n'entendais plus aucun son. Les insectes et même la végétation avaient cessé de bruisser. Il régnait une curieuse ambiance. Lourde, mystique. Je tournai le dos à cet étrange autel, et m'apprêtai à m'en aller, quand une voix claire et aussi pure qu'une cascade s'éleva :

— Attends.

Le cœur lancé à vive allure, je fis face à la silhouette, debout derrière le morceau de tronc. Ma mâchoire se décrocha quand la femme quitta la pénombre pour s'avancer vers moi. Gracile, et d'une beauté sans nom, elle me souriait avec tristesse. Dans son dos, de délicates ailes scintillaient d'une lueur argentée. Sa chevelure d'or semblait tissée de lumière, tombant en boucles fluides autour de son visage angélique. Ses grands yeux pétillants possédaient la couleur du ciel au crépuscule, d'un violet doux et profond. L'apparition portait une longue robe blanche et majestueuse. De minuscules clochettes dorées étaient cousues sur sa tenue, émettant un léger tintement à chacun de ses mouvements. Une paix intense me submergea, chassant ma peur.

— Vous... vous êtes...

— Clochette. Du moins, ce qui reste de son essence.

Moi qui imaginais les fées petites ! Je me trompais. Cette magnifique créature n'avait rien d'une boule dorée.

— Mais qu'est-ce que vous faites ici ?

— C'est là que mon cœur demeure, désormais.

Je mis quelques instants à saisir le sens de ses paroles.

— Attendez. Vous voulez dire que c'est votre tombe ?

Voilà pourquoi cet endroit trahissait autant de magie que de lourdeur. Clochette opina doucement. Ses iris, bien que sublimes, luisaient de peine.

— Que faisait le capitaine Pan ici ? Est-ce que c'est lui qui vous a tué ? Je regarde assez de documentaire sur les criminels pour savoir que les tueurs en série reviennent souvent sur les lieux de leurs crimes. Ou à défaut, sur les tombes de ceux qu'ils ont éliminés.

Un étrange silence tomba entre la fée et moi, et je compris qu'elle n'avait pas saisi le sens de mes paroles. Ici, il n'existait ni chaîne télé ni Netflix. J'émis un bruit de gorge gêné, et mon interlocutrice intervint :

— Wendy Darling, le Pays imaginaire se meurt. Tu dois retrouver Peter Pan.

— Mais il est mort !

— Ce qui est immortel ne peut périr.

Une vague d'espoir m'empoigna, et j'écarquillai les yeux.

— Vous voulez dire que le capitaine Pan ne l'a pas tué ?

— Retrouve-le. Oblige-le à rendre sa magie au pays imaginaire. Mais prends garde, car l'ombre te surveille. Elle souhaite ta mort. Tu es la seule qui puisse ramener Peter à la raison.

Je haussai les épaules, l'estomac en vrac à cause de ce que me demandait cette fée. Tant de responsabilité me mettait mal à l'aise.

— Mais comment je peux le lui mettre la main dessus ?

— Observe, demeure attentive aux signes et il t'apparaîtra.

— Mais vous ne pouvez pas juste me dire où il se trouve ? Ce serait plus simple...

Elle secoua doucement la tête et les clochettes tintèrent jusque dans mon âme.

— Même pas un petit indice ? piaillai-je.

— Le garçon qui ne grandit pas n'est plus. Cherche les signes et tu comprendras.

— Mais...

Trop tard, je parlais dans le vide. Clochette avait disparu comme par magie. Je poussai un soupir, avant de me forcer à voir le bon côté des choses : Peter Pan se trouvait quelque part sur l'île. Pan croyait l'avoir tué, mais il se trompait. Génial, au moins ça signifiait qu'il existait une lumière au bout de ce tunnel obscur.

Un craquement dans mon dos faillit me faire attraper une attaque. Je vis volte-face pour découvrir le capitaine, le visage plongé dans une pénombre terrifiante. Toutefois, ses yeux verts luisaient comme les fleurs et les plantes autour de nous. Il se tenait là, aussi tendu que la corde d'un arc. Enroulée dans sa main, son épée courbée me vola un frisson d'horreur.

— Je me suis perdue !

— J'avais dit à mes hommes de ne pas te laisser quitter le navire, gronda-t-il d'une voix traînante. Que fais-tu ici ?

— Je... j'ai...

Bien entendu, je ne comptais pas lui parler de la fée Clochette ni de ses aveux concernant Peter Pan.

— Wendy, part du principe que tout ce qui t'entoure cherche à te tuer. Le pays imaginaire est à lui seul un piège géant destiné à attraper les âmes pures comme toi, et à les briser. Comprends-tu ce que je te dis ?

J'opinai. La seconde d'après, Pan se tenait devant moi, son torse frôlant ma poitrine. Je voulus reculer, mais mes pieds restaient collés au sol. La totalité de mon corps me trahissait, devenu aussi lourd que de l'acier. Le pirate enroula la main autour du foulard qui pendait à mon cou, et tira dessus pour approcher mon visage du sien. Fascinée par sa beauté et l'énergie obscure qu'il émettait, je fus incapable de parler. Mes pensées s'embrouillèrent, le monde perdit ses contours. Il ne restait bientôt plus que lui et moi. Ce dangereux personnage, aussi mystérieux que trompeur, et qui possédait sur moi un étrange pouvoir. Je l'imaginai poser ses lèvres sur les miennes. Comme s'il lisait dans mon esprit, son regard tomba sur ma bouche. J'ignorais comment le capitaine parvenait à éveiller autant de contradiction autour de lui et en lui. Le sourire moqueur qu'il affichait en permanence s'effaça lentement, son souffle se suspendit. Le temps s'arrêta, et je me mis à espérer qu'il m'embrasse. Sa main s'entortilla autour de ma natte, ses doigts effleurèrent mon visage.

— Ne joue pas à ce jeu-là, Wendy.

— De quoi tu parles ? chuchotai-je, par peur de briser cette délicate bulle autour de nous.

Il approcha sa bouche de la mienne, la frôla. Je fermai les yeux, prête à accepter son baiser. Même si une partie de mon cerveau me hurlait de ne pas tomber dans le piège. Mais le magnétisme de Pan m'enlevait toute volonté. Ce type m'énervait autant qu'il me fascinait.

Ses lèvres ne s'aplatirent pas sur les miennes, malheureusement. Elles se frayèrent un chemin jusqu'à mon oreille, alors qu'une des mains de pan se glissait dans mon dos. Il me plaqua contre lui, et un gémissement m'échappa. Mon cœur affolé menaçait d'éclater dans ma poitrine.

— Pourquoi tu ne fuis pas ? murmura-t-il aussi légèrement qu'une brise.

Bonne question. Pourquoi ne luttais-je pas davantage contre cette attraction qui nous happait ? Qui me happait ? Après tout, je n'avais aucune certitude que Pan éprouve la même chose que moi.

— Pourquoi je te fuirais ? rétorquai-je.

Ses doigts sur ma taille trouvèrent ma peau juste sous la chemise ample que je portais. Son toucher m'envoya une puissante décharge, et mes doigts se refermèrent d'instinct sur la tunique de Pan.

— Parce que tu n'es pas assez forte pour m'affronter, mon trésor.

Sa remarque me blessa. La seconde d'après, le pirate me libérait de sa prise et s'engouffrait déjà entre les arbres précipitamment. Je repris contenance, jetant dans un coin de mon esprit ces émotions étranges qui me ceignaient un peu plus tôt.

— Dans ce cas, apprends-moi à me battre !

Le jeune homme s'arrêta net sous le feuillage lâche d'un sol pleureur doré. Sans même se retourner, il se contenta de rétorquer :

— Que j'apprenne à te battre ? Pour quelle raison ?

— Pour être assez forte pour t'affronter.

Il pivota la tête dans ma direction. Son regard me transperça de toute part, et la chaleur inonda mon corps. Je repris avec moins d'arrogance :

— Si tout ce qui m'entoure est aussi hostile que tu le prétends, et si ce monde et ses habitants cherchent à m'éliminer... Je veux pouvoir me défendre.

Une fleur rouge tapissait son visage d'une teinte sanglante, le rendant presque terrifiant.

— Vraiment ? ricana le pirate. Tu veux apprendre à utiliser des armes ?

— Oui. Pourquoi ça te surprend autant ?

— Tu es une femme.

— Je rêve ou quoi ? Capitaine de mes deux, je viens d'un monde où la femme n'est plus définie par les stéréotypes du passé. On peut être qui on veut et faire ce qu'on veut, pour peu qu'on s'en donne les moyens ! Alors tes jugements sexistes, tu peux te les mettre là où je pense.

Le Capitaine Pan m'observa avec une lueur d'intérêt, de surprise et de curiosité mêlée.

— Et puis, on parle de Mary Foxy ? C'est une pirate elle aussi, et elle terrifie tes hommes, visiblement, dis-je sans réfléchir.

— Ce n'est qu'un mythe.

— Dans mon monde, Peter Pan et le Pays imaginaire appartiennent à un conte de fées.

— Très bien, Darling. Tu souhaites apprendre à te battre ? Je me chargerai moi-même de ta formation. Il faut partir.

Je lui emboîtai le pas, contente d'être arrivée à mes fins. Je voulais réellement devenir plus forte et pouvoir affronter les obstacles qui se dressaient sur ma route. L'avenir de ce monde dépendait de ma capacité à retrouver Peter Pan. Et d'après ce que j'avais compris, ça n'allait pas être facile.

— Que faisais-tu ici ? demandai-je mine de rien, tandis que le capitaine donnait de grands coups d'épée dans la végétation pour nous frayer un chemin.

— J'essayai de percevoir la magie.

— Quoi ?

— L'endroit où tu te tenais... où on se tenait un peu plus tôt est une ancienne source de magie très puissante. J'espérais, en venant ici, pouvoir en ressentir la caresse.

Je passai par-dessus un tronc mort, contournai une plante vivace d'une jolie teinte bleue, et chassai un insecte de mon épaule.

— Et tu y es parvenu ?

— La seule chose magique que j'ai trouvée ici, c'est toi Darling.

Je m'arrêtai, en proie à des papillons dans le ventre. La manière bien trop séduisante avec laquelle il venait de prononcer ces mots me coupa le souffle. Mais je décidai de ne pas entrer dans son jeu, et me remis en route. On ne parla ni de la tombe de Clochette ni de ma propre présence ici. On regagna la plage et je me rendis compte que le ciel bleu immaculé avait viré au gris profond.

— Un orage ne va pas tarder à éclater, m'indiqua Pan. Tu devrais remonter sur le Jolly Roger.

* * * Bonsoir ! Désolée si les publications ne sont pas régulière, mais j'essaie de finir zel au plus vite en même temps ! Si vous avez aimé, n'hésitez pas à me le dire ♥ 

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