Chapitre 1 Comment tout a commencé
C'était une très mauvaise idée.
De cela, Lauren en était persuadée.
Tout d'abord, cette idée de voyage en Angleterre. Et puis quoi encore ?
On disait qu'en Angleterre, il pleuvait tout le temps. Rumeur qui avait été largement vérifiée.
Lauren aurait donné n'importe quoi pour rester tranquillement à San Francisco.
Ce n'était pas à cause du voyage scolaire. Non, ça, à la limite, elle pourrait le supporter. C'était plutôt à cause du fait que les troisièmes, les secondes, les premières et les terminales partaient ensemble ! Tout le lycée. Et, tout le lycée, ça comprenait Ted.
De plus, ils étaient censés visiter Londres, et faire des « excursions ».
Passionnant.
Quoique... jusque là, ça avait été plutôt agréable. Margo Gable, la meilleure amie de Lauren avait été ravie de découvrir ce pays, et avait pris plein de clichés avec son nouvel iPhone.
Son rêve était de devenir photographe professionnelle. Elle postait déjà les photos qu'elle prenait sur son blog et sur Instagram. Elle prenait ça vraiment au sérieux, ce qui faisait souvent sourire Lauren.
Deux classes avaient été sélectionnées par « niveau ». La 3ème 3 et 6, la 2nde 2 et 3, la 1re 1 et 4 et la Terminale 5 et 7.
Lauren et Margo étaient en 2nde 2. Et, en 2nde 3, il y avait Matthew...
Les deux jeunes filles étaient en admiration devant lui depuis le début de l'année. Elles n'étaient d'ailleurs pas les seules. Les trois-quarts des lycéennes de Mount Washington craquaient devant ce sportif, au sourire si ravageur.
Il ne leur avait toutefois jamais accordé un tant soit peu d'attention.
Mais, comme toutes jeunes filles amoureuses, elles ne désespéraient pas.
Cette journée était décidément mauvaise pour Lauren. Elle avait très mal dormi, dans une auberge réservée pour les élèves.
Ensuite, ils étaient allés visiter Ewashin. C'était un petit village anglais, très porté sur le tourisme.
Pour « mieux le visiter », les professeurs en charge des près de deux cent cinquante élèves avaient décidé de séparer leurs effectifs en plusieurs groupes distincts, dont l'un d'eux serait responsable.
Il avait donc fallu que Lauren soit dans le dernier, heureusement accompagnée par Margo, qui n'était géré par personne, faute d'effectif. Mais, il avait aussi fallu que Ted y soit également !
Ted était le frère ainé de Lauren. Chez les Finn, les relations étaient assez tendues. Leurs parents n'étaient presque jamais là, et, quand c'était le cas, ils évitaient de s'interposer dans les disputes, parfois violentes, de Ted et de Lauren. Ceux-ci ne s'entendaient pas, mais pas bien du tout.
Ted méprisait cordialement Lauren, cette petite sœur de seconde énervante. Elle, elle ne supportait plus ce frère ainé insupportable, qui, parce qu'il était en terminale, se croyait tout permis, et trainait toujours dans les sales coups.
Il sortait, en ce moment, avec une jeune fille provocante nommée Maureen.
Ted, Maureen, et un autre élève de terminale, Andrew, avaient tout naturellement pris la tête du groupe.
Lauren ruminait sa colère, tout en marchant.
Ils étaient neuf, en tout.
Il y avait elle, Margo, Ted, Maureen, Andrew, Matthew, pour lequel elle remerciait le ciel, un couple de première et une petite troisième, qui n'avait pas décroché un mot du trajet.
Maureen sourit soudain.
Lauren détesta instinctivement ce sourire.
La jeune femme commença, mielleuse :
« Eh, dit, puisqu'on est tous seuls, on peut faire ce qu'on veut... »
Lauren planta ses yeux dans les siens :
« On suit ce que nous ont dit les profs. On traverse les rues jusqu'au parc, où on doit y être d'ici une heure.
-Mais c'est juste à côté ! Si on fait quelque chose en attendant, personne ne va s'en rendre compte...
-On fait ce qu'on nous a dit ! »
Maureen leva les yeux au ciel :
« Ted a raison qu'est-ce que t'es... coincée, comme fille... »
Matthew avait suivi l'échange avec intérêt, et regardait à présent étrangement Lauren.
Celle-ci rougit.
Elle était en colère. Comme ça, Ted, disait à ses amis qu'elle était coincée, et ses amis le répétaient devant Matthew, pour une fois qu'elle avait la chance de l'éblouir ?!
Elle serra les dents, mais n'ajouta rien.
Maureen comprit qu'elle avait gagné. Elle termina :
« Allez ! J'ai vu que c'était l'endroit le plus touristique de ce village... »
Elle rejeta en arrière ses longs cheveux rouges. Elle commença à marcher, rapidement, vers sa destination.
Margo posa sa main, compatissante, sur l'épaule de Lauren.
« Ne t'inquiète pas... ma sœur m'en a parlé... elle est horrible avec tout le monde, de toute manière. »
La sœur de Margo était, elle aussi, en terminale. Mais, sa classe n'avait pas été sélectionnée pour le voyage. Dommage. Elle était vraiment adorable.
La petite troisième, aux cheveux blonds se rapprocha doucement. Elle était habillée classiquement et, à première vue, rien ne la différenciait d'une autre. Elle se plaça devant les deux amies.
Elle murmura, en regardant le sol :
« Enchantée. Je m'appelle Lisa Honeycutt... »
Lauren se renfrogna encore plus. Elle n'était pas d'humeur à discuter.
Toutefois, Margo, elle, sourit avec gentillesse :
« Moi, c'est Margo Gable, et, elle, qui fait la tête, c'est Lauren Finn... »
Lisa plissa des yeux, comme si elle tentait d'imprimer ces noms dans sa mémoire.
Elle désigna Maureen :
« Est-ce que vous savez où nous allons ? »
Margo et Lauren haussèrent les épaules en même temps. Le couple de première se rapprocha à son tour. La fille était blonde, et avait des lunettes. Elle était tenue par la taille par un garçon blond, tout comme elle. Le garçon présenta :
« Je m'appelle Milo Sparks, et elle, c'est ma petite amie, Annie Kincald. Enchanté. »
Margo donna soudain un coup de coude à Lauren, désignant Andrew. Elle murmura :
« C'est un ami à ton frère ? Parce qu'il est vachement canon, dit donc... »
Lauren hocha la tête négativement. Elle n'avait jamais vu Andrew à l'une des innombrables fêtes qu'avait organisé Ted.
Il était vrai qu'Andrew ne manquait pas de charme. Il était pâle, très pâle. Il avait des cheveux sombres, relevés sur sa tête. Des yeux bleus très clairs, qui lui avaient sans doute valus des tonnes de compliments.
Oui. Andrew était beau.
Mais, pour Lauren, pas aussi beau que Matthew, l'exemple même du surfeur hawaïen, avec sa peau de jade, ses cheveux d'une couleur presque grise, son apparente fragilité et ses tatouages compliqués sur son torse, pour lesquels les filles étaient prête à passer une heure à la piscine aérée du lycée juste pour les entrapercevoir.
Matthew dégageait une sorte d'aura, il y avait quelque chose chez lui.
Maureen murmura :
« On est arrivés... »
Elle désigna une maison en pierre, qui semblait très ancienne.
Lauren leva les yeux au ciel :
« L'endroit le plus touristique d'Ewashin... bien sûr... »
Mais, ça avait piqué sa curiosité.
Ted s'avança et appuya sur la poignée. C'était bloqué.
Margo chuchota :
« C'est peut-être habité... »
Maureen haussa les épaules :
« Bien sûr que non ! Ce lieu n'est pas réputé d'être hanté pour rien... »
L'effet sur le groupe fut immédiat.
La jeune femme sourit, ravie de son effet.
Elle posa sa main sur l'épaule de Ted :
« Vas-y... »
Il se jeta contre la porte, la défonçant.
Elle s'ouvrit dans un grincement sourd.
Ils entrèrent, doucement.
A l'intérieur, l'obscurité était prenante, contrastant avec la lumière de fin d'après-midi du dehors.
Maureen alluma son briquet.
Annie se serra un peu plus contre Milo.
La petite Lisa se mordit la lèvre.
Andrew ne disait rien, mais il avait l'air perdu dans ses pensées.
Il n'y avait pas d'ampoules, ni rien.
Mais, ils finirent par trouver plusieurs bougies, posées sur le côté.
Plusieurs d'entre elles avaient déjà fondu, prouvant qu'elles avaient été utilisées.
L'odeur de renfermé était horrible.
Matthew soupira :
« Vous êtes sûr que ce n'est pas illégal ? »
Maureen lui jeta un regard méprisant :
« Bien sûr que si ! Et c'est justement pour ça qu'on le fait... Mais, personne n'osera nous dénoncer... »
La porte se referma brutalement, en claquant violemment. Tout le monde sursauta.
Même Maureen.
La lumière des bougies, allumées avec le briquet en devient encore plus inquiétantes.
La pièce était trop sombre pour être visualisée dans son entier.
Toutefois, Lauren avait comprit qu'ils se trouvaient dans une sorte de grande entrée.
Ils s'assirent, d'instinct, à même le sol.
Maureen murmura, sa voix était devenue un soupir à peine audible :
« Il est arrivé quelque chose de terrible, ici, dans cette maison... C'était il y a près de deux cents ans...
-Comment tu sais ça ? l'interrompit Lauren.
-J'ai fait des recherches sur internet, qu'est-ce que tu crois... Il y a eu un grand incendie. Une famille riche habitait cette maison, un peu la suzeraine du reste du village. Ça s'était fait d'instinct. On se référait au chef de cette maison pour toutes les décisions importantes à prendre. Il avait une fille. Une belle jeune fille. Elle avait seize ans. Elle était en âge de se marier. Elle était très douée au piano. Elle était amoureuse d'un de ses jeunes voisins. Mais, son père la fiança à un jeune homme riche, d'une ville voisine. Le petit ami de la jeune fille en fut si désespéré qu'il se creva les yeux, se coupa une main, avant de s'attacher sur une sorte de poteau, de s'entourer de toutes les lettres que la jeune fille lui avait envoyées, et d'y mettre le feu. Il est mort vivant.
-Ce n'est pas très crédible, soupira Lauren. Comment aurait-il pu s'attacher lui-même sur son bûcher ? Avec une seule main ?
-Tu vas la fermer, oui ? »
C'était la première fois depuis le début du séjour que Ted s'adressait à sa sœur.
Margo murmura :
« Je veux savoir la suite, moi... »
Maureen reprit :
« Sa petite amie en fut horrifiée. Elle tenta de s'enfuir. Mais, son père la retint enfermée dans sa chambre jusqu'à la date du mariage. Là, elle fut vêtue de sa robe de mariée. Son visage était sec de toute larme. Le marié, qui la voyait pour la première fois la trouva éblouissante. La jeune femme se mit au piano. Quelle musique joua-t-elle, personne ne le sut vraiment. Toutefois, alors que tous les couples valsaient sur la musique, une odeur de brûlé vint interrompre les réjouissances. La maison brûlait ! Un liquide inflammable avait été répandu tout autour de la maison, puis on y avait mis feu. Personne ne pouvait sortir. La maison entière brûla de l'intérieur. On dit que les rires incessants de la mariée, contrastant avec les gémissements des invités du mariage résonnèrent dans tout le village. »
Annie, réfugiée dans les bras de Milo, murmura :
« Et alors ? Ce n'est qu'une horrible vieille histoire... cela n'a aucun rapport avec...
-Ce n'est pas terminé. La maison brûlée laissa un trou dans le village. Tout le monde contournait soigneusement ce lieu. Toutefois, un couple venant de Londres arriva, et fit reconstruire une nouvelle habitation. Ils avaient une petite fille de six ans. Ils découvrirent, un jour, par hasard, en creusant dans le jardin, un piano à queue étrangement bien conservé. La petite commença à y jouer. Elle mourut, quelques semaines plus tard. Elle s'était pendue. Comment une enfant de six ans peut-elle seulement songer à se pendre ? Ses parents furent retrouvés, le lendemain, tous leurs membres tranchés. Les meubles de la maison furent vendus. Le piano revint à une vieille femme, vivant avec un homme très jeune qu'elle entretenait. Après l'une de leurs nombreuses parties de plaisir, ils s'y mirent. Ils furent retrouvés, morts par strangulation, le cou entouré de cordes de piano. Le piano noir en question avait disparu. Le lendemain, on le redécouvrit dans la maison-là, comme narguant les gens. Tous ceux qui y ont touché ont trouvé une mort horrible et ne sont plus ici pour en parler...
-Je trouve que c'est n'importe quoi. »
Cette fois, c'était Matthew qui s'était exprimé. Il fixait Maureen.
Andrew, lui, dans son coin, notait quelque chose sur un petit carnet.
Lisa tremblait de tout son corps, seule, dans un coin.
Maureen pinça les lèvres :
« Explique-moi pourquoi ?
-Je ne vois pas pourquoi on accorderait foi à une vieille légende, inventée de toute pièce sur internet...
-Tu crois ça ? »
Elle se releva, et se dirigea vers une pièce adjacente. Ils la suivirent tous, presque obéissants.
La première chose qu'ils aperçurent fut cet immense piano planté dans un coin. Il paraissait si vieux... Mais, en même temps, il était intact, rutilant.
On aurait dit que quelque chose ou quelqu'un en prenait soin.
Maureen fit crisser son piercing qu'elle avait sur la langue sur ses dents.
Le bruit que cela produisit fit frissonner tout le monde.
Elle éclata de rire.
Elle se pencha au-dessus du piano et appuya, sans hésiter, sur plusieurs touches. Leur son résonnait dans l'obscurité, lugubres.
Annie murmura, comme subjuguée :
« C'est le début de « Prélude », de Bach...
-Tu t'y connais », approuva Maureen.
Un grand silence suivit.
Maureen appuya soudain sur son portable en éclatant de rire :
« C'est bon ! Tout y est ! Vous avez été mortels ! J'ai tout enregistré ! »
Lauren fronça les sourcils :
« Pardon ?
-Vous avez marché. Vous avez tous pissé dans votre froc, je suis sûre... Je ne me suis jamais autant éclatée.
-Tu veux dire que tout est faux ?
-Oh, non. C'est une vraie légende. Mais, je ne m'attendais pas à ce que vous y croyiez... Je suis déjà venue en vacance ici. Je savais qu'il y avait un piano ici. Je ne l'avais jamais testé. Genre, terrifiant, il est excellent... »
Lauren serra le point.
Ted fronça les sourcils :
« Maureen, ça se fait pas...
- Oh, ne fait pas chier... C'était marrant, quoi... avoue...
-Non, ce n'était pas marrant. On se casse, maintenant...
-T'es sérieux Ted ? C'est toi qui veux qu'on s'en aille ? Alors que je commence juste à m'amuser ?
-Maureen... »
La lumière des bougies se fit brutalement tremblotante.
Maureen tomba soudain à terre, suivie de peu par Ted. Annie et Milo les suivirent dans leur chute.
Lisa cria, et, en même temps que Andrew, sombra.
Lorsque Lauren détourna la tête, Matthew avait disparu à son tour dans la partie non éclairée de la pièce.
La trop faible luminosité ne permettait pas de voir quoi que ce soit.
Lauren se tourna vers Margo. Elles échangèrent un coup d'œil paniqué.
Margo disparut brusquement à son tour.
Lauren sentit la peur l'envahir.
Qu'est-ce qu'il se passait ?
Est-ce qu'elle rêvait ?
Elle sentit un coup contre sa nuque.
Elle tomba à genoux.
Elle cracha une gerbe de sang.
Avant de s'évanouir, elle crut entendre du piano. Mais, peut-être n'était-ce qu'une hallucination.
En tout cas, par contre, elle fut presque sûre, bien qu'elle soit dans un état semi-comateux d'entendre une voix froide et claire murmurer, juste avant qu'elle sombre dans les ténèbres :
« Bienvenue dans mon enfer ! »
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