Chapitre 6

A partir du moment où son père avait déclaré la guerre à la Chasse Sauvage, Ciara avait été sûre que ce serait une erreur fatale pour toute leur famille. Et elle avait eu raison. Quiconque s'en prenait à ce groupe, et plus particulièrement au Roi Fantôme, finissait invariablement par disparaître de la surface de la Terre. 

Edern Quinlivan était bien connu pour n'avoir peur de rien. Néanmoins, insulter un Dieu brisait une limite qu'il était impossible de rétablir.

Ciara l'avait supplié de ne pas cesser les offrandes annuelles. Bien qu'elle ne fasse pas partie des fanatiques religieux, elle avait suffisamment de bon sens pour savoir que se battre contre de telles forces était une cause perdue. Même s'ils étaient considérés comme faisant partie des familles de Fays les plus puissances du monde, la Chasse Sauvage n'était pas comparable. L'orgueil de son père et des autres les conduiraient à leur perte.

Depuis que la foudre s'était abattue sur l'autel du château, juste après ce grave manquement à la tradition, chacun avait l'impression de marcher sur des œufs. Même si Edern affirmait que leur pouvoir était assez grand pour faire face à n'importe quel événement, tout le monde attendait avec angoisse la prochaine action de la Chasse.

C'était pour échapper à cette atmosphère anxiogène que Ciara s'était accordée cette petite escapade dans les bois qui parsemaient leur domaine. Cela lui arrivait parfois de croiser des humains ici. Ils n'en revenaient que rarement et ceux qui y parvenaient propageaient toutes ces rumeurs sur des Fées comme ils les appelaient. Elle n'y faisait que peu attention. Ces êtres disparaissaient si rapidement.

Cela faisait maintenant plus d'une heure qu'elle se prélassait dans l'eau fraîche et claire du petit bassin d'une cascade. Depuis toute petite, elle aimait cet endroit caché et nager était une de ses activités favorites. A l'abris des regards, elle se sentait bien plus libre que lorsqu'elle était conviée à la table de son père. Elle priait afin de pouvoir continuer d'apprécier ces simples petits bonheurs. 

Le seul problème étant : qui prier quand ce sont les Dieux eux-mêmes qui sont en colère contre vous ?

Alors qu'elle se détendait, ses cheveux flottant et créant une auréole autour de sa tête, son ouïe aiguisée repéra un bruit non-loin. Elle se redressa brusquement dans une éclaboussure. Elle se jeta sans attendre sur sa dague qui reposait sur la pile de tissus que formaient ses vêtements. La Fay n'avait pas vraiment besoin de lame pour ôter la vie, néanmoins, elle trouvait cela plus propre. Elle en profita aussi pour se couvrir du mieux qu'elle put. C'était sans aucun doute un humain qui avait décidé de se promener au plus mauvais moment dans les bois.

« Montre-toi ! Je sais que tu es là ! »

Pas le moins du monde impressionné par son arme et ses menaces, l'humain sortit de l'ombre sans attendre et se rapprocha. Il ne dégageait aucune crainte. Mais ce n'était pas un humain. C'était un Fay. Un Fay qui lui était parfaitement inconnu pour couronner le tout. Ciara se raidit : son nouvel adversaire était trop confiant pour qu'elle ne se méfie pas.

« Qui es-tu ? Parle, étranger ! ordonna-t-elle d'une voix ferme afin de cacher son inquiétude. »

En un instant, il fut devant elle et d'une torsion du poignet, la désarma. Elle aurait dû pouvoir se défendre de cette attaque. Pour autant, cela avait été trop rapide. Et sa poigne était bien trop puissante pour ça. Ses longs doigts fins étaient aussi froids que la glace. Ciara craignait que si le contact se prolongeait, des brûlures n'apparaissent. Pour autant elle soutint son regard sans ciller. Peu importe qui était ce Fay, elle était avant tout la fille du seigneur Edern Quinlivan : on lui avait appris à ne pas se soumettre à ses ennemis.

« Les rumeurs disaient vraies : tu es une véritable beauté... songea l'inconnu à haute voix en lui attrapant le menton sans préavis afin de l'évaluer. »

En réponse, Ciara en profita sans perdre de temps pour se dégager. Elle avait l'habitude d'être jugée des pieds à la tête. Elle recevait bien sûr une éducation de premier plan depuis son enfance, néanmoins, c'était son apparence qui intéressait les gens. La Fay tenait sa beauté si particulière de sa mère, disparue quelques temps après la naissance de son frère.

Les cheveux d'argent, fins comme la soie, coulaient jusqu'à ses reins. Ils étaient retenus autour de son visage par diadème précieux. Ses oreilles finissaient en pointes très fines qui se trouvaient être du verre. Sa peau était elle-même d'une blancheur telle qu'on aurait pu la penser transparente par certains endroits : à l'intérieur de ses avant-bras, les veines bleues formaient une délicate arborescence. Quant à ses yeux, déposés au milieu de ses traits fins et réguliers, leurs iris étaient blanches avec un contour noir. Si de l'extérieur, elle pouvait paraître fragile, ce n'était pas le cas : Ciara était aussi solide que du diamant.

« Ne me touchez pas ! Qui êtes-vous ? Que faites-vous sur les terres des Quinlivan ? bredouilla-t-elle, tentant dans garder son calme. »

L'étranger arbora alors un sourire qui la fit frissonner. Elle ne savait pas qui était ce Fay mais il dégageait une aura de danger, de mort. Si elle s'était écoutée, elle aurait pris ses jambes à son cou sur l'instant. Il ignora une nouvelle fois ses questions.

« Dis à ton père, murmura l'inconnu à son oreille, qu'avant la prochaine pleine lune, le Roi Fantôme prendra la vie de son fils et emmènera sa fille comme compensation pour son manque de respect et de prudence. On ne défie pas la Chasse Sauvage sans en subir les conséquences. »

Irena jeta avec colère sont téléphone sur son bureau... avant de se précipiter quelques secondes plus tard afin de vérifier si elle n'avait pas pu l'abîmer d'une quelconque façon. Le bruit qu'il avait émis en heurtant le meuble n'avait, en effet, pas été très rassurant.

« Merde... jura-t-elle alors qu'elle constatait que la protection de l'écran avait reçu un impact. »

Un rapide coup d'œil sur sa table de travail, encombrée de papiers, lui apprit qu'il avait dû rencontrer un de ses presse-papiers en métal. Par chance, cette fois-ci, il faudrait juste remplacer le verre blindé. Cela n'avait pas été le cas pour sa tablette qu'elle avait envoyé voler par mégarde en même temps qu'un livre par frustration. Elle ne se remettait pas de la perte des quelques données qu'elle n'avait alors pas sauvegardées au préalable : peut-être lui auraient-elles été utiles un jour.

La tête de Ranjeet apparut dans l'entrebâillement de la porte. Il faisait partie de ces Fays qui se couvraient toujours entièrement de glamour afin de ressembler à un humain. Ce n'était pas tant qu'il avait honte de son apparence normale qu'elle n'était pas très pratique au quotidien. Après tout, le Fay News possédait ses bureaux, certes dans leur quartier de Londres, mais quand même dans une ville humaine.

C'était pour cette raison que Ranjeet paraissait toujours avoir entre quarante et cinquante ans. Ses cours cheveux noirs grisonnaient par endroit tout comme les poils de sa barbe qu'il portait assez longue. Sa peau très mate s'accordait à merveille avec ses yeux chocolat dont les iris prenaient parfois une suspicieuse teinte dorée. Une chemise, un pullover bordeau, un pantalon de toile sombre et des chaussures en cuir complétaient le tableau.

Peu importait quel fût leur âge, leur type ou bien leur origine, les Fays rivalisaient en beauté. Ils dégageaient quelque chose qui engendrait l'admiration de tous. C'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certains se sentaient supérieurs aux petites créatures rabougries qu'étaient souvent les humains.

Il était bien loin de toutes les considérations politiques qui pouvaient influencer les uns et les autres. Il n'avait pas un amour particulier pour les humains, néanmoins, il s'adaptait à leur compagnie. Ainsi, avec sa famille, il se rendait tous les ans à la fête des voisins et ses enfants étaient envoyés dans une école normale. Irena n'avait pas prévu d'avoir une progéniture sitôt, malgré la pression que pouvaient lui mettre ses parents, néanmoins si elle en avait eu une, c'est de cette manière dont elle aurait procédé. Après tout, ses études dans l'université Jagielloński de Cracovi ne lui avaient apporté que des choses positives, selon elle.

« Que se passe-t-il ? Encore un problème ?

- Oui ! répondit Irena en s'effondrant sans aucune grâce sur le fauteuil. Ça va faire quatre jours que le numéro spécial par rapport à l'incident en Allemagne est sorti et les retours sont catastrophiques ! Les gens ne cessent d'en rire !

- Je t'avais dit que ramener sur le devant de la scène le sujet de la Chasse Sauvage était une mauvaise idée. Tout le monde pense que ce sont des légendes, tu m'étonnes qu'ils prennent ça pour des bêtises. Même toi tu ne peux pas leur faire avaler une chose pareille.

- Ah oui ? Parce que je ne me souviens pas qu'ils riaient beaucoup lorsqu'on leur a présenté une semaine de dossiers sur la même affaire et bons dieux qu'on en avait réutilisé sous toutes les formes possibles des informations identiques à la base.

- Tu sais bien que ce n'est pas le même chose, soupira Ranjeet en s'adossant à la porte.

- Mon contact disait la vérité, je le sens ! Et jusqu'à aujourd'hui, mon instinct ne m'a jamais trahie.

- D'aucun dirait que cela marche peut-être pour les people mais pas pour des sujets aussi sérieux, rétorqua son interlocuteur. »

Irena refreina sa mauvaise humeur et maugréa :

« Bon... Sinon, quoi de neuf ? Tu es venu pour quelque chose en particulier, j'imagine ?

- Le patron veut te voir.

- Pour m'engueuler ? s'enquit la Fay. Il avait approuvé le numéro. Il ne peut pas entièrement me blâmer.

- Non, ça s'est bien vendu donc je pense qu'il est juste à moitié irrité par la réaction de certains. C'est autre chose. Je ne sais pas quoi, mais ça semble important.

- D'accord, merci de m'avoir prévenue, soupira-t-elle en se préparant déjà à subir une leçon pour une raison dont elle n'avait aucune idée. »

Alors que Ranjeet lui tenait la porte, il ajouta d'un ton beaucoup moins sérieux :

« Tu es libre demain soir ? On voulait t'inviter avec Chandana, et les enfants seront ravis de te voir.

- Euh... je ne sais pas, je te dis ça ce soir !

- Pas de problème, mais pas plus tard : il faut qu'on prévoie pour la nourriture. »

Lorsqu'elle entra dans le bureau de monsieur Smith – il mettait un point d'honneur à cacher sa véritable identité sans doute pour une raison totalement loufoque, celui-ci avait les pieds sur la table et mâchonnait le bout d'un crayon alors qu'il lisait un quelconque papier.

A l'inverse de beaucoup de ses employés, il ne cherchait pas à se fondre dans le monde des humains. Il paradait dans des tenues voyantes et une apparence plutôt louche. Cependant, c'était bien en en faisant autant que personne ne se posait de questions. Il était simplement pris pour le directeur excentrique d'un jour qui ne semblait jamais paraître mais qui, par miracle, persistait.

De plumes rousses pendaient à ses oreilles en compagnie d'autres boucles. Il était également possible d'en trouver dans sa chevelure de feu qu'il laissait lâchée et tressait tout de même par endroit. Il mettait une couche bien trop importante de khôl en-dessous de ses yeux de chouette jaune (par chance, l'excuse des lentilles était toujours valable) et n'hésitait jamais à ajouter une bonne dose de rouge à lèvres violet. Il gardait ses ongles de la même couleur.

Même ses oreilles pointues étaient visibles. Elles étaient trop longues et fines pour pouvoir ne paraître ne serait qu'un peu naturelles. C'était pour cette raison que lorsque les gens lui posaient la question, il répondait simplement qu'avec de l'argent et un excellent chirurgien, il était possible de faire tout ce que l'on souhaitait ou presque. Et les ignorants le prenaient alors pour un fan hardcore du Seigneur des Anneaux. Heureusement, il avait au moins camouflé ses dents pointues pour les remplacer par des normales.

Smith complétait le tout par un costume d'un orange vif qui aurait fait mal aux yeux de n'importe qui ainsi qu'une chemise vert pomme et une cravate prune. Un épouvantail sur pattes qui ne manquait jamais d'attirer l'attention ou bien de faire détourner le regard.

La Fay était persuadée qu'il était vieux, même pour la moyenne des membres de son espèce. Cette suspicion venait du nombre de contacts qu'il avait et faisait jouer régulièrement.

Lui qui paraissait toujours enjoué semblait à cet instant préoccupé. Ce n'était pas un bon signe. Pourtant elle attendit en silence que son patron reporte son attention sur elle. Il retira ses pieds du bureau.

« Ranjeet m'a dit que vous aviez quelque chose à me dire, monsieur.

- Ma chère, ma très chère Irena... J'ai une grande nouvelle à t'annoncer. Ton article a attiré l'attention de certaines personnes.

- Vous voulez dire qu'ils l'ont aimé ?

- Non. Mais toujours est-il qu'ils veulent te rencontrer. »

Le visage d'Irena se figea et la colère commença à monter petit à petit en elle. Elle voyait venir se profiler une situation qui ne lui plaisait pas du tout. Elle ne se laisserait certainement pas malmener par une bande de richards prêts à tout pour la regarder comme un animal curieux. Elle qui était connue pour son efficacité et la qualité de ses scoops, en particulier ceux concernant les célébrités, ne se laisserait pas marcher sur les pieds par quiconque. C'était très mal la connaître. Ils étaient toujours bien contents de la trouver pour qu'elle relance leur carrière en leur accordant une interview.

« Si c'est pour se foutre de ma gueule, c'est hors de question ! Je n'ai pas le temps d'aller amuser la galerie alors même que je suis convaincue que ce Fay disait la vérité ! »

Monsieur Smith soupira l'air désolé :

« Je crains, mademoiselle Kozlow, que vous ne soyez pas en mesure de refuser cette invitation... »    

Publié le 06/04/2018.

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