Le venin contre son maître
Wanda n'a jamais éprouvé un tel découragement. Passager et bref. Mais, dévastateur, qui ne cesse de la hanter. Elle a perdu environ mille soldats aujourd'hui. En moins d'une minute. L'heure suivante, elle a fait payer à Mabel sa violence. L'Impératrice a plié une montagne au nord-ouest pour que la roche enterre ses hommes ; en échange, elle a ouvert le sol sous les troupes impériales pour que la terre le dévore. En rentrant de la bataille, la Princesse s'est brutalement dit que...peut-être, oui peut-être, il faudrait que la guerre s'achève. Qu'elle se rende à Fedgarth et dépose les armes. Que son royaume, le bel Aerador, disparaisse dans les méandres du passé.
Et puis, elle s'est réveillée dans son lit, la jambe broyée. Les mages autour d'elle pour remettre en place tous ses os. Aithan penchée sur elle, Dahlia et son regard rassurant et... Dante ? Oui, au travers de la douleur, des craquements de ses os, du sang, elle se souvient de l'inquiétude palpable qui a émané de lui, adossé au mur face à elle, dans sa chambre. De toute évidence, elle a réussi à entrer dans ses appartements privés, parce que ses gardes sont obnubilés par sa blessure et tournent le dos au couloir. Quand elle soulève ses paupières à nouveau, guérie et déjà plus en forme, il s'est volatilisé et elle le convoque.
— Wanda, enfin ! rouspète Aithan. Dans l'ordre, tu dois te reposer, dormir, manger, et ensuite, participer au prochain Conseil, ce qui te laisse un certain temps pour oublier la douleur dans ta jambe.
Il arrive que les blessures ne guérissent jamais. Ou que la douleur persiste, un réflexe des muscles et des nerfs. Bien que la plaie soit refermée et que ses os aient repris leur place naturelle, elle tressaute et serre les dents, le mal rongeant encore son être profond.
— Non. La bataille d'aujourd'hui nous a prouvé une fois de plus que nous sommes impuissants en ce qui concerne les attaques éclair de Mabel. Elle a triplé le nombre d'assauts ces deux dernières années et, ne nous mentons pas, je ne tiendrai pas le rythme très longtemps. Je suis encore jeune et ma magie grésille d'impatience à l'idée de se retrouver sur un champ de bataille, mais cela changera bientôt. Je fatigue. La guerre doit être gagnée, ou perdue, mais elle ne peut durer. Nous devons tenter le tout pour le tout, tant que je suis d'aplomb. Dante Stein nous y aidera. Convoque-le. Immédiatement.
Aithan souffle bruyamment pour appuyer son désaccord, mais, en réalité, il ne pourrait pas davantage acquiescer. Il finit par tapoter sa main, en signe de réconfort, et s'éclipse dans le couloir à la recherche de ce diable. Les mages, puis les gardes, partent, ne laissant que Dahlia. Celle-ci jauge sa Princesse et Générale avec une lueur d'acier, et lâche sans ménagement :
— Tu as frôlé la Mort de près. Je sens son odeur sur toi. Elle a failli t'emporter.
— Ne sois pas dramatique, rétorque Wanda. Tu ne sens rien. En revanche, il est vrai et certain que cette bataille fut très rude. Plus rude que d'autres. Ce n'est pas facile de regarder des centaines de soldats écrasés sous une montagne.
— En effet. À chaque fois, tu répètes jamais plus. Jamais plus. Mais, le jamais se transforme en toujours, tout le temps. Je te soutiendrai quoi qu'il advienne. En tant que cheffe de tes espions, je vérifierai les informations que te transmettras Stein. S'il te dupe, je n'attendrai pas ta bénédiction pour lui trancher la gorge. Je te soutiendrai, murmure Dahlia, mais ne te mets pas dans des situations mortelles au point que personne ne puisse te rattraper et te sortir du danger.
— Je ne le promettrai pas. J'ai bien peur que ce soit exactement ce qu'il risque d'advenir de moi.
Dahlia secoue la tête, avec une fragilité qu'elle ne montre qu'à Wanda.
— Voilà ton problème, Wanda. Tu as essayé de la jouer collective, avec tes armées, ton Conseil et puisque tu te confrontes à des espions, des traîtres et des batailles meurtrières, tu sombres peu à peu dans la solution terrible de la solitude, celle où tu prends tous les fardeaux sur ton seul dos. Tu n'es pas toute-puissante, malheureusement. Mabel l'est. Une horreur avec laquelle tu dois composer tous les jours.
— Mabel est toute-puissante, vrai, mais il existe certains êtres qui pourraient la surpasser en pouvoir. Des êtres qui nous échappent à tous et qui ne nous viendront pas en aide, je le crains. Pas sans un coup de pouce.
Le chuchotement cryptique de Wanda lance un froid dans le cœur de Dahlia sans qu'elle n'en comprenne la raison. L'ombre s'enfuit sous le soleil d'hiver, offrant un peu de répit à la Princesse. Elle s'efforce à basculer ses jambes dans le vide, mais, dès que son pied touche le sol, elle grimace et se rallonge. Aucune magie ne peut atténuer ce genre de douleur. Elle souffrira ainsi pour les quelques prochaines heures. Les mages en ont profité pour laver son corps souillé d'un revers de main et même si elle ne renifle plus la senteur répugnante de sa transpiration, de la boue et du sang, elle rêve d'un bain. Plus tard.
Sa porte s'ouvre à la volée à la seconde où elle geint en s'asseyant sur son matelas. Il s'avère que la douleur se répand également dans son bassin. À croire que Stein a opté pour cet instant précis. Où son visage est tordu, ses mains cherchant l'oreiller le plus proche pour le glisser sous son genou. Il ne fait rien pour l'accompagner dans ses mouvements, mais ne commente pas non plus. Proche du mur, loin d'elle. À l'observer tout en maintenant une distance qui se veut sûrement respectueuse. Lorsqu'elle a terminé d'arranger son lit dans l'espoir de mieux faire passer la souffrance de sa blessure, Wanda pose des yeux tout à fait neutres sur lui.
— Vos chaînes contre les informations.
— Droit au but, susurre-t-il.
— Je vous tolère dans ce palais pour ce que vous m'avez promis. La liberté d'errer ici contre le nom des espions de Mabel. Maintenant, je vous propose ceci. Les chaînes contre toutes vos informations sur les défenses de Fedgarth. Tout ce qui sera utile.
Il étudie le plafond sans vraiment se concentrer dessus, pour réfléchir.
— Utile pour le grand final, n'est-ce pas ?
Elle opine du chef. Il inspire et se rapproche en marchant lentement.
— Cela ne m'étonne pas. Mabel a décidé de vous anéantir et elle a doublé ses ardeurs.
— Triplé.
— Hum, oui, et vous espérez la vaincre avant qu'il ne soit trop tard. Parfait. Seulement, je pense toujours que l'unique moyen de gagner est de l'affronter sur son territoire. D'habitude, n'importe quel crétin vous conseillerait l'inverse. Vous verrez dans ma suggestion une trahison ou une duperie, mais il n'en est rien. Rien d'autre que ma vérité. En Aerador, vous auriez certes l'avantage de connaître le terrain, mais elle le connaît aussi. Tout autant que vous. L'avantage ne tient qu'à un fil. Or, à Fedgarth, vous vous battriez contre ses différentes armées, oui, mais pas son peuple. Quelques-uns de ses soldats, s'ils constatent que vous prenez le dessus, pourraient même se ranger derrière votre bannière. Du moins, ceux qu'elle n'a pas assujettis.
Il marque une pause, incertain d'être pris au sérieux. Mais, Wanda hoche régulièrement de la tête, intéressée et focalisée sur le moindre de ses mots. Dante continue donc avec plus d'entrain et surtout plus de réflexion :
— Par assujettir, j'entends qu'elle a manipulé l'esprit des soldats pour les réduire en esclavage. Le sortilège est long et fastidieux, éreintant pour elle, mais Mabel préfère avoir la certitude de la loyauté que des serments au vent.
— La plupart des soldats au palais de Fedgarth sont liés à elle, impossible de désobéir à ses ordres, conclut Wanda.
— Notons que ses Cavaliers de la Mort sont particulièrement puissants et rôdent dans le palais à toute heure. Si deux quittent Fedgarth, deux autres restent forcément à ses côtés. Je vous parlerai plus en détails de ces aimables guerriers, si vous le souhaitez.
Elle relève le sarcasme amer et affirme :
— Nous reviendrons sur eux plus tard. Je possède tout un tas de renseignements à leur propos, mais mieux vaut en savoir trop que pas assez.
— Vous les avez déjà croisés sur les champs de bataille.
Sa voix se meurt. Il n'ose pas prononcer à voix haute ce dont ils ont conscience tous les deux. Ses parents ont été massacrés par l'un de ces misérables Cavaliers, les mains de l'Impératrice. Plus que tout, ce sont eux que Wanda désire tuer. Une juste rétribution.
— Qu'en est-il du palais en lui-même ? Elle a disposé des sortilèges un peu partout. Dahlia n'est parvenue à entrer et sortir qu'en partie grâce à son agilité et son sang qui n'appartient pas aux Sorciers.
Pour toute réponse, Dante se laisse choir sur le bord de son lit et malgré l'avertissement qui frémit sur ses traits délicats, il n'en tient pas compte. Wanda se doute que sa concentration a atteint ses limites, puisqu'il s'est détourné de son visage et de la conversation pour frôler du bout de ses doigts l'extérieur de sa jambe, du haut de son mollet à sa cuisse, couverte par son drap. Pour faciliter les soins, les mages lui ont ôté ses bas. Il a l'air intrigué par ce qu'il se trouve sous l'épais tissu, sous sa tunique. Et elle est prête à l'envoyer contre le mur.
— Pas tous les poisons permettent de faire souffrir ou de tuer. Je peux...vous souffler une bouffée d'air exaltante, de quoi vous détendre ou vous faire rire, vous plonger dans des rêves sans fond, et un puits de bien-être.
Ses doigts se posent naturellement sur le drap à côté de sa jambe. Ses yeux de braise. Cet homme l'appelle dans les déserts du sud de l'Aerador, chauds et bouillonnants, tendres et rudes, que l'on aime passionnément lors des nuits étoilées ou que l'on déteste par temps pénibles.
— Non. La douleur m'indique la voie à suivre. Poursuivez.
Elle ne s'évertue pas à le repousser de son lit, n'ayant pas l'énergie pour les entraîner dans une chamaillerie inutile. Dante accroche à nouveau ses orbes aux siens, et ne les relâche plus.
— La cité de Fedgarth est protégée par des soldats qui patrouillent constamment. Je vous dessinerai leurs rondes sur une carte. En plus des Sorciers, la cité est en forme triangulaire, et elle a posté trois Géants, un à chaque pointe. Ils effraient le peuple et grignotent un ou deux innocents par semaine. Des innocents, et des soldats, d'ailleurs. Ces gros balourds ne font pas la différence. Tout Fedgarth les hait. Ils ne détiennent pas une once d'intelligence. Ils cognent, grognent et se nourrissent. Mais, vous le savez déjà. Depuis un an ou deux, elle a revendiqué la garde des Lycaons. Ces créatures dégoûtantes sont rejetées dans tous les recoins du monde et ils considèrent Mabel comme leur sauveuse et leur bienfaitrice. Elle a enroulé une laisse autour de leurs cous pour éviter des débordements et quand elle est fâchée contre une personne de la cité, elle ne tire plus autant sur la laisse. Outre les Géants et les Lycaons à Fedgarth, elle en a placé dans toutes les villes et les villages de son Empire, avec les Orcs. Ces maudits Orcs. Elle les abhorre tellement qu'elle ne leur a pas autorisé l'accès à la cité de Fedgarth. Ils diffusent la terreur dans toutes les contrées impériales. Vous devrez les gérer, après avoir récupéré la cité de Fedgarth. Ils grouillent dans l'ombre, sur terre et sous terre. Un véritable fléau... Quoi qu'il en soit, une fois dans le palais, vous rencontrerez principalement des soldats. Elle n'invite aucune créature inférieure dans ses murs sacrés. Plus ils seront proches de Mabel, moins ils useront de leur magie. Elle adore se vanter, parader et être la plus puissante. Mabel bride volontairement son peuple et interdit à ses soldats de faire preuve de force devant elle. Ils se battront avec tout leur arsenal, mais pas la magie. Pas s'ils peuvent la contourner. Vos ennemis principaux ? Les Cavaliers de la Mort, bien sûr. Je vous coupe tout de suite dans vos stratégies, vous ne pénétrerez jamais dans son palais sans qu'elle ne le sache. Ne gaspillez pas votre temps et vos ressources à un but inatteignable. Elle a ancré un Bouclier Expansif dans le sol de son palais.
Il s'interrompt une seconde fois. Wanda paraît exténuée, la tête penchée en arrière, sa douce nuque dévoilée. Dante est foudroyé par sa beauté et sa grâce, mais également sur la fatigue sculptée sur son expression. L'écoute-t-elle ? Est-il en train de l'endormir ? Douteux, il bredouille :
— Un Bouclier Expansif ne sert pas à protéger, contrairement à ce que le nom informerait, mais à déployer l'énergie d'un Sorcier à tout moment du jour et de la nuit. Cela signifie que Mabel sera au courant de votre arrivée dans le palais. Aucun effet de surprise possible.
— Je connais le principe des Boucliers Expansifs.
Il confirme que tout ceci l'éreinte et l'agace, mais Dante remarque aussi qu'il n'y est pour rien. Elle croule déjà sous les idées, les stratagèmes, les possibilités. Tout ce qu'elle devra expliquer à son Conseil et le nombre de tactiques qui tomberont aux oubliettes. Toutes ces heures gâchées à théoriser sur cette bataille finale, alors qu'elle peut mourir en une fraction de seconde.
— Soit. Pas de surprise. Je m'annoncerai, dans ce cas-là. Ou bien, je ne combattrai tout simplement pas. Mabel chérit plus que tout le théâtre, le grotesque, les apparences. Je lui jouerai la meilleure pièce de toute son existence.
Et sous cette détermination sans faille, Dante perd pied et s'oublie l'espace d'un battement de cœur. Il ressent de la petitesse et de l'humiliation face à cette femme qui donne tout, sacrifie tout pour Aerador, pendant qu'il a enduré Mabel toutes ces années sans s'affranchir d'elle. Il aurait pu entreprendre une fuite plus tôt, rejoindre le camp de Wanda plus tôt.
— Elle peut faire courber les montagnes, exploser les étoiles, ravager des campements militaires entiers, fendre la terre, et lever mers et océans contre nous. Je forge mes pouvoirs trop lentement et elle persiste à devenir plus puissante. Je ne serai pas à son niveau. Pas avant qu'elle l'emporte. Il faut frapper dès à présent ou renoncer.
Elle s'exprime à voix basse et à elle-même, mais Dante n'en manque pas un mot, pendu à ses lèvres. Et puis, elle se rend compte de son attention et le pousse violemment du lit. Il trébuche, s'épargnant une chute douloureuse contre la pierre, et ricane volontiers. Près, il était très près de sa bouche. Wanda ne s'en est pas aperçue, et lui non plus, avant que sa respiration calme n'effleure son visage. Pour reprendre contenance, il fait ce qu'il sait faire de mieux. Il fouille et irrite les gens autour de lui. Notamment, il déniche des parchemins en ruines sur la petite table de son bureau et en commence la lecture.
— Posez ces parchemins, gronde-t-elle.
— Où les avez-vous obtenus ? Ils ressemblent à des écrits de la vieille époque, avant la création d'Aerador. Je reconnais cette calligraphie. Mabel dissimule d'anciens documents dans ses appartements privés. J'en ai lu certains, les jours où je m'ennuyais après qu'elle se soit endormie.
Il se pétrifie à ce souvenir et Wanda ne loupe pas l'épouvante dans l'ombre de ses yeux. La Princesse discerne nettement la vulnérabilité en lui, qu'il ne masque pas. C'en est touchant et désarmant. Derechef, elle ne résiste pas et baisse vite les bras avec lui.
— Venez ici, posez ces documents. Je vais vous raconter une histoire.
Dante hausse un sourcil stupéfait, puis une moue et finalement, il revient en sautillant jusqu'à son lit, s'allongeant de tout son long, la tête reposant sur son ventre. Wanda bégaie une menace qui s'évapore dans l'air. Quel crétin, quelle impudence, pense-t-elle, mais la Princesse renonce à la dispute et se racle la gorge, se remémorant le récit.
— Il fut une époque où les divinités marchaient sur terre en harmonie avec les créatures de ce monde. De toutes, trois demeurèrent auprès des Sorciers. L'une représentait le passé lointain et enfoui, celui que l'on admire et qu'on regrette, qu'on pleure et qu'on rêve, un passé qui a façonné les êtres que nous sommes désormais, qui fait jaillir les plus primitives de nos réactions et de nos envies. Une autre symbolisait un passé plus proche et pourtant, si distant, un passé sur lequel l'on a encore la possibilité d'influer, un passé qui nous tourmente et qui nous empêche d'avancer, celui qui nous brûle et nous déchire, qui dicte nos émotions immédiates et impulsives. La dernière incarnait le présent. Plus ou moins. Parce que, en réalité, ces trois divinités provenaient toutes du passé et ne pouvaient réellement agir que sur ce qui était déjà arriver. Nous ne vivons pas dans le présent. Quand une action se déroule, qu'une pensée est formulée, l'action et la pensée font d'ores et déjà partie du passé. Cette troisième divinité pouvait figer le présent fixe. Elle pouvait, disait-on, réparer aussi bien un vase cassé qu'un cœur brisé. Elle était celle des trois que les créatures de ce monde comprenaient le moins et craignaient le plus. Une tragédie, puisque c'était elle des trois qui aimait le plus ce monde. Mais, à quoi bon vous raconter cela ? Car ces divinités ne marchent plus depuis longtemps sur nos terres. Elles perdurent quelque part où l'on ne peut plus les atteindre. Pourquoi, me demanderez-vous, ont-elles quitté ce monde qu'elles chérissaient tant ?
Il remue quelque peu pour l'encourager à raconter la suite. Wanda lit l'intérêt et la fascination de Dante pour cette histoire. Comme s'il se plongeait dans ce monde ancien et s'imaginait ces trois divinités.
— Les créatures de ce monde les y ont forcées. En particulier les choses avec lesquelles elles s'étaient le plus liées. Les Sorciers. Elles adoraient leur façon de créer et de modeler la magie qu'elles leur avaient offerte, une magie à leur image : pure, infinie, indomptable. Les Sorciers comprirent vite que ces divinités les aimaient plus que tout, plus que l'amour qu'ils leur retourneraient. Au lieu de les prier, de les louer et de les vénérer, l'inverse se produisit. Il était devenu évident que les Sorciers les utilisaient à leur avantage. Ils en réclamaient toujours plus, jusqu'au jour où les divinités décidèrent de la limite à ne pas franchir. Limite que les Sorciers fracassèrent avec leur ego. Cela sonna la fin d'un partage et d'un amour au-delà de toutes les compréhensions. L'humiliation subie par les divinités les incita à se retirer, laissant à ce monde le soin de se réduire lui-même à néant.
— Je n'ai jamais entendu parler de ces divinités. Qui sont-elles ? Sont-elles nommées dans nos légendes ?
L'enthousiasme d'un curieux. Wanda en sourit, égarée dans ce récit qui la hante nuit et jour.
— Des créatures si maltraitées, déshonorées et ignorées que nous ne nous souvenons même plus de qui elles sont, et de combien elles sont. Car nous les avons nommées, oui. La Mort. Nous en avons fait un symbole unique, de trépas et de deuil, de malheur et de larmes, elles qui nous préservaient du mal autrefois et qui nous aimaient de façon inconditionnelle.
— Si je saisis bien, il existe en ce moment trois divinités qui ont choisies de nous répudier, mais qui pourraient regagner notre monde d'une minute à l'autre et nous anéantir ? Nous ramener avec elles dans le royaume du silence éternel parce que, jadis, nos fichus ancêtres ont jugé bon de les offenser ?
Il se hisse d'un bras pour s'élever à son niveau. Elle prend note de leur proximité, mais cela ne la dérange pas. Peut-être bien qu'elle aurait dû écouter Aithan et dormir. Ses paupières papillonnent, mais elle réussit tout de même à étirer ses lèvres en un sourire mystérieux. Dante en est obsédé. Il ne brise pas l'osmose fragile entre eux et attend qu'elle finisse son histoire :
— Ce ne sont que de vieux récits pour faire peur aux enfants, Dante Stein. Rien de plus, ne vous inquiétez pas.
Mais, il n'est pas convaincu. Dante n'insiste pas et se redresse d'un pas léger. Il a hésité à faire traîner sa bouche contre la sienne, contre sa nuque, mais elle le tuerait ou l'enfermerait dans une chambre étroite pour le punir.
— Je vous remercie pour cette histoire, Princesse.
— Au besoin, vous serez convoqué au Conseil pour ces fameuses cartes que vous préciserez pour nous.
Bien entendu, il s'incline. Il est à son service dorénavant. D'un vif geste de l'index, Wanda détache les chaînes à ses poignets. Dante semble étonné qu'elle ait tenu parole sans débattre ou rechigner. Il s'apprête à partir ; toutefois, il peut sans mal prévoir les futures attaques de Mabel et les jours à venir se révéleront horriblement stressants pour la Princesse. Il fait demi-tour à la dernière seconde et se courbe au-dessus de son front, tandis qu'elle s'applique à trouver une position confortable. Ses lèvres la caressent à peine, mais son souffle s'écoule sur elle. La propulsant dans un sommeil instantané et adouci par des rêves enjôleurs. Un maigre cadeau qu'il peut lui faire.
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