De crocs et de sang
De retour dans le salon, les deux délégués sont préparés à toute éventualité là-bas, déterminés et Dante Stein les couve d'un regard d'aîné, ce genre d'attention que les anciens ou les parents portent aux plus jeunes. Adaline a bien conscience que, malgré la guerre interne entre les élèves et les difficultés de leurs études, Yezajia s'est constitué abri et toit au-dessus de leurs têtes, les séparant des conflits entre Aerador et Fedgarth. Ce n'est pas pour rien que les familles sont soulagées à chaque début d'année de laisser leurs enfants dans l'enceinte de ce château. Elle distingue aussi la lassitude et le poids qui pèse sur cet homme. Qui qu'il soit et quoi qu'il ait vécu, il a souffert, il est tombé, il a échoué, mais il s'est relevé et il est ici, dorénavant entre les mains de la Princesse qui n'abandonne jamais personne derrière elle.
D'une main, elle propage une sorte d'ombre invisible et de l'autre, elle ouvre un portail. En d'autres termes, elle fait en sorte que Steros ne soit pas avertie par ses protections magiques de leur départ. Tout le monde s'y engouffre les uns après les autres et ils atterrissent dans une forêt sombre et lugubre, où la pluie s'abat avec fracas. En moins de trois secondes, ils sont trempés, tremblants et les apparences pas moins pittoresques que des chiens mouillés. Adaline remarque en un éclair que Wanda, elle, paraît ne pas subir les dégâts de l'eau. Ses cheveux noirs se fondent sur ses épaules rigides et elle avance avec dignité, le menton haut et droit. Elle ne bat même pas des cils et laisse les gouttes s'y déposer sans que cela ne la contrarie. La jeune femme est foudroyée par un constat : pourquoi la Générale serait-elle contrariée d'un peu de pluie, quand elle a sûrement combattu dans des tempêtes et des ouragans ?
Elle prend les devants et les guide par-delà cette forêt sinistre, à l'orée, vers une cité de plus différentes des leurs, en Aerador. Ils n'observent pas des amas de maisons, ni des établissements à trois ou quatre étages, ni pavés au sol, ni odeurs de viandes rôties et de légumes grillés.
Ils admirent plutôt une douzaine de cercles entourant un château. Devrait-on dire le château. La demeure millénaire du Roi Soran. Adaline a lu des faits à son propos. Horribles. Des crimes et des actes qui datent de plusieurs centaines d'années, bien avant la création de l'Aerador ou de Fedgarth, un peu avant l'installation des Faes là où ils vivent aujourd'hui, près des frontières des Sorciers. Elle connaît la géographie du monde sur le bout des doigts et sait donc exactement où ils sont. Le territoire de ces immortels est localisé au centre du continent principal, sur une île piégée par un immense lac. Impossible d'y accéder à pied. Pas de pont. Il faut prendre un bateau ou se téléporter. Mais, dans les deux cas, si l'on ne vous veut pas ici, vous ne réapparaîtrez jamais.
Cette île, nommée le Havre Brumeux, égarée sur le Lac du Beau Minuit, est le repère des Vampires. Elle est suffisamment grande pour tous les accueillir. Ils se reproduisent peu et vivent des millénaires ; par conséquent, il n'est pas nécessaire pour eux d'étendre leurs terres et ils n'en ont pas l'envie. Eux peuvent travers les eaux sans pont, n'ayant pas l'utilité de respirer et pouvant marcher sous la surface ou courir si vite qu'ils l'effleurent à peine. Le château de Curdingham est le cœur de toute cette structure symétrique, une bâtisse des pierres les plus anciennes de ce monde, sur une dizaine d'étages, avec plusieurs annexes et rajouts qui lui donnent des airs de colosse. Autour de lui, une douzaine de cercles parfaits aux manoirs alignés.
Curdingham, du nom du premier monarque. Soran, le nom du dernier monarque en vie, le fils de Curdingham. Deux générations qui règnent depuis toujours sur le Havre Brumeux. Il pleut souvent dans le coin, une raison pour laquelle ils ont sélectionné ces terres pour y exister. Le soleil est masqué le plus clair de l'année. Ils franchissent le Lac du Beau Minuit que pour attaquer et se ravitailler. Ils ont signé des traités avec la plupart des peuples. Grâce à eux, les Vampires ont juré de saigner les êtres vivants d'autres espèces, sans les tuer. Ils débarquent avec des gourdes, des bassines parfois. Ils toquent aux portes des mortels et prennent ce dont ils ont besoin. Contrairement aux croyances, l'Histoire a démontré qu'ils ne massacrent pas et n'aiment pas les tueries. Ils boivent goutte après goutte le sang acquis, et avec modération afin de tenir plusieurs mois sans ressortir. Les Sorciers sont une des rares exceptions. Ce qui n'interdit pas aux suceurs de sang d'attaquer Fedgarth autant qu'ils le désirent.
Wanda ne dégage aucune peur et les Vampires au flair affûté le diront également. Elle transpire la confiance, en se rapprochant d'un château de Curdingham. Se glissant entre deux manoirs, elle remonte l'allée dessinée. Dante souffle plusieurs fois de frustration, pas le moins du monde rassuré, et le Dahlia Noir colle à sa Princesse, sur ses talons, prête à intervenir en cas de besoin. Il ne fait aucun doute parmi eux que la seule personne à pouvoir les protéger et les sauver de ces créatures, c'est la Princesse et sa facilité à créer des portails. Adaline a l'air angoissé, tout à coup. Non seulement elle s'apprête à rencontrer des êtres immortels et terrifiants, dont les légendes sont mitigés quant aux bonnes volontés et à la gentillesse face aux intrus sur leurs terres, mais, en plus, elle n'a jamais voyagé si loin de chez elle. C'est son premier pas hors de l'Aerador. Soudain, chassant l'humidité de la pluie torrentielle, Caedmon saisit sa main et entrelace leurs doigts, lui insufflant chaleur et consolation.
Cinq paires de bottes s'enfoncent dans la boue que la pluie nettoie. Les Vampires ne leur font pas l'affront de descendre dans les rues. Dante croise les doigts pour qu'ils passent inaperçus, mais il sait bien que ce serait un espoir fou et vain. Tout le Havre Brumeux a été alerté de leur arrivée d'une part avec l'encre magique incrustée dans l'air par le portail de Wanda et d'autre part à cause de leurs odeurs fortes qui envahissent toute l'île. En revanche, ils se gardent de leur coincer le passage, et Dahlia adresse un clin d'œil satisfait à sa Princesse. Les deux ont joué à un jeu dangereux et elles ont parié leur vie. Ces créatures n'attaquent que Fedgarth, ils n'auront aucun motif valable pour s'en prendre à la souveraine d'Aerador, ce qui les préserve du danger en cet instant. Toutefois, elles présagent que leur droit de passage est en sursis et le Roi Soran prononcera son verdict final.
Le gigantesque château, dont la pierre blanche et anthracite brille sous les assauts de la pluie et sous les rayons de la pleine lune, ne dispose pas de grille ou de rempart de quelque sorte, ouvert et accessible au reste du Havre Brumeux. Les Vampires logés dans ces manoirs sont fidèles à leur Roi. Adaline fouille dans sa mémoire et se remémore les coutumes locales. Les familles importantes, celles qui ont rapportés gloire et paix à leur peuple, celles qui sont autorisés à quitter l'île pour voyager, prendre du sang ou tuer leurs ennemis, celles qui partent en guerre pour le Roi Soran, ces familles-là ont droit à leurs demeures personnelles et vivent dans ces douzaines de cercles superposés.
Dans le château de Curdingham, perdurent les moins nobles et les moins anciens, ceux qui ont perdus de la famille et qui ne peuvent remplir tout un manoir, des êtres qui abhorrent la guerre et les conflits et qui ne se sont jamais éloignés du Havre Brumeux afin d'éviter toute tentation avec le monde extérieur, l'appel du sang et de la violence, des créatures qui sont tout le contraire des légendes horrifiques sur leur peuple et qui s'assimileraient à des agneaux au milieu de loups, à en croire les récits. En réalité, ce sont tout bonnement les Vampires qui ne veulent vivre nulle part ailleurs que dans la demeure de leur Roi et sa Majesté Soran ne leur refuse pas une place à ses côtés. Ils sont loyaux et proches les uns des autres et même ceux qui possèdent leur propre foyer ne s'en servent que de décoration ou de lieu de réception, car ces créatures sont attirés par leur monarque. Ils ressentent un besoin insatiable de s'agenouiller devant lui, de jouir de sa présence, de participer à sa Cour. Ils sont heureux de leur servitude volontaire et honnête.
— Ils sont fascinants, murmure Adaline à Caedmon aux portes du château, si les récits ne mentent pas à leur propos, en tout cas.
— Ah oui ? Prions pour que tes livres historiques ne se trompent pas sur leur caractère.
Caedmon serre un peu plus sa main, mais il discerne aussitôt la légèreté dans ses orbes pétillants. Apparemment, peu importe ce dont elle se souvient, cela la comble d'insouciance et elle s'en remet aux récits de la bibliothèque de Yezajia.
Personne ne patiente à l'entrée. Personne ne quémande d'explication quant à leur arrivée hâtive et sans annonce au préalable. Et les portes s'ouvrent tout de même. De lourds battants en pierre massive qui grince et craque et hurle lorsque deux mains les tirent. Deux mains qui appartiennent à un seul Vampire. Il les pousse, une à droite, une à gauche, comme s'il donne un coup à une feuille. Il s'agit d'un homme brun aux reflets roux, mis en lumière par les centaines de bougies postés haut au plafond sur les dizaines de lustres. Son visage est paralysé par le temps qui passe, qui coule et qui continuera de filer au travers de ses yeux pour des siècles et des siècles. Dahlia se tend quelque peu à côté de Wanda, constatant à quel point ces créatures sont différentes des Faes. Ceux-ci se déplacent avec souplesse et grâce, le temps n'a pas d'emprise sur eux et ils affichent toute leur sagesse dans leurs mouvements ou leurs mots. Eux sont ravagés par les décennies, elles sont ancrées dans leurs traits creusés par les sillons des âges. Jeunes éternellement, mais vieux et las. Ils ne s'amusent pas à danser ou à chanter. Leur divertissement provient d'autres sources. Les plaisirs charnels décuplés dit-on par leurs sens, la dégustation de sang semblable à la dégustation de vin chez les mortels, les histoires à se raconter au coin d'un immense feu.
Immense feu qui se profile déjà à leur vue. Le Vampire s'efface, et ils pénètrent dans l'antre du Roi Soran. L'entrée débouche immédiatement sur un hall ainsi qu'ils n'en ont jamais vu. Haut et profond, contenant au moins un millier de ces créatures, assis sur de longs fauteuils, appuyés contre des colonnes, avachis sur les marches de nombreux escaliers, allongés sur les tapis, ou réunis autour des flammes. Ils meurent pour atteindre l'immortalité. Leur corps froid ne répond ni à la chaleur humaine, ni à celle du soleil, mais un brasier...un brasier leur donne une illusion, une chimère de chaleur. Un doux rêve qu'ils peuvent caresser du bout des doigts. Les hommes sont tous drapés dans des costumes en tissu léger ou dans des vêtements de cuir qui leur moulent le corps, et les femmes portent de somptueuses robes aguicheuses.
Ils fonctionnent sur la base d'âme sœur, un concept qui n'est pas du tout le même que chez les Faes. Une autre différence notoire entre leurs deux peuples. Les Faes naissent avec un partenaire fait pour eux, béni par le destin pour les escorter tout au long de leur immortalité, pour rendre les âges moins éprouvants et lassants. Les Vampires, eux, choisissent leur compagnon et cela leur prend quelquefois une centaine d'années pour trier leurs sentiments. La mort et l'immortalité engourdissent leurs émotions et ils ont du mal à différencier la luxure du véritable amour. Mais, une fois qu'ils se marient, ils ne se séparent plus. Cela explique pourquoi certains sont assis, bras dessus bras dessous, jambes entremêlées, par deux et se dévorent des yeux avec passion et tendresse, tandis que d'autres s'embrassent en se dévorent les lèvres. Littéralement. Adaline tressaille en voyant un homme planté ses crocs sur la bouche de son amante et celle-ci gémit de plaisir. Leur baiser prend fin dans la seconde et ils se tournent vers elle, braquant un regard lubrique sur la jeune femme. Pour l'inviter à se joindre à eux ou pour la narguer ? Un peu des deux.
Caedmon entraîne la jolie brune à sa suite qui ne se remet pas totalement de ces effluves exagérées de sexe. Aucun des cinq intrus ne doute de ce qu'il se produit habituellement entre ces murs. Les Vampires sont sages. Pour le moment. Ils se contiennent un temps, pour leurs invités. Wanda n'attend pas davantage et se fraye un chemin jusqu'au feu, certaine d'y trouver le monarque. Elle slalome entre des corps enchevêtrés, des bras étendus tenant encore une coupe de sang frais, des jambes dénudés. Dahlia la talonne de près et Dante se positionne derrière les deux élèves, fermant la marche. Il préfère maintenir le contact visuel avec Delarosa et Nox. Tout arrive si vite avec ces créatures. Ils détruisent les tapis touffus et propres de leurs hôtes avec l'eau et la boue, et, par ailleurs, la Princesse formulera d'abord des excuses en se courbant en deux pour saluer le Roi Soran et sa Cour.
— Noble monarque du Havre Brumeux, la descendante mortelle des Creighton, régents du royaume d'Aerador, vous salue. Veuillez pardonner notre arrivée inattendue, ainsi que les dommages faits à vos beaux tapis. Je vous fais mes compliments, Majesté. Je n'ai jamais mis un pied dans une demeure plus splendide que la vôtre.
Et elle est sincère. Wanda adore les vieilles pierres et ce château a été construit avec les plus anciens matériaux de ce monde. Dahlia pose un genou à terre, Adaline et Caedmon imitent la courbette de leur Princesse, et Dante incline la tête en mimant les rictus séduisants imprégnés sur les visages immortels. La Cour se met instantanément en mouvement. Les hommes se plient de respect et les femmes agitent leurs robes dans un ballet synchronisé. Ils ne proposent cette politesse qu'à la Princesse d'Aerador, dont ils reconnaissent le titre et le sang. Elle ne se détend pas entièrement, mais son fardeau s'amenuise de seconde en seconde.
Le Roi Soran est égal aux rumeurs qui le précèdent. Un teint pâle, une mâchoire rectangulaire taillée dans la pierre de sa demeure, une cuirasse surmonté d'une cape noire, toute en élégance, moulant le moindre de ses atouts, des cheveux aussi blonds que le blé, coupés court et plaqués en arrière. Les Faes, les Elfes et les Vampires partagent tous des caractéristiques communes et parmi elles, l'attraction. N'importe qui pourrait se laisser séduire en une attention. Wanda se ferme à cette attirance, mentalement résolue à l'affronter, ce qui n'est pas le cas de Dahlia ou d'Adaline qui effectuent un pas en avant, malgré elle. La Princesse dresse une main impérieuse qui les fait revenir sur terre, mais le désir brutal et primitif les tiraille.
Dante mentirait en prétextant que les femmes ici ne lui plaisent pas et une trop longue minute, il se visualise par terre au cœur de ce château, chevauché par l'une d'elles, et il rencontre une paire d'yeux et s'en détourne sans mal. La Vampire en est déboussolée, presque certaine de l'avoir agrippé dans ses filets. Elle fait un pas dans sa direction, mais un autre la coupe net dans son élan. De toute évidence, le demi-Fae l'a offensée en contournant son pouvoir et il se contente de l'ignorer, fixant le mur droit devant lui. Il rejette toutes les images sensuelles et terriblement scandaleuses que les prédatrices tout autour de lui tentent de lui imposer, et il les remplace toutes par Wanda. Wanda uniquement, elle et son corps, elle et son intelligence, elle dans une armure ou elle dans une robe. Qu'importe. Wanda, c'est tout ce qu'il lui faut pour tenir le coup.
Elles se rabattent, en hyènes fiévreuses, sur Caedmon et s'il ne lisait pas le calme sur les visages de Dante et Wanda, il se sentirait oppressé, attaqué par ces femmes. L'une d'elle brutalise les portes de son esprit et se disperse dans ses fantasmes. Une blonde à la robe rouge écarlate fendue jusqu'en haut de la cuisse, la rondeur de ses fesses apparente, la poitrine mise en valeur par un corset brodé. Pulpeuse. Délicieuse. Elle l'appelle. Il résiste. Elle insiste. Il la cherche des yeux, même s'il ne le souhaite pas réellement. Il la repère dans la foule, près de l'âtre vaste et crépitant. Elle lui fait signe d'approcher, sa langue humidifiant sa bouche où perle une goutte de sang. Il panique en perdant le contrôle de lui-même et jette une pièce en l'air, testant sa chance. D'un coup, il lève la main d'Adaline à ses lèvres et embrasse ses doigts un à un. Le contact les fait frémir tous les deux et déconcentre pour de bon la jeune femme des hommes dans la salle. Ils s'accrochent ainsi l'un à l'autre et subitement, le rire du Roi Soran, originaire des cavernes et des gouffres, retentit dans le château.
— Votre passage dans ma demeure sera bref et éphémère pour nous autres, mais je pense bien qu'il nous aura diverti avec succès. Une Princesse qui n'a d'yeux que pour son royaume et sa guerre, une ombre et un homme qui n'ont d'yeux que pour cette Princesse, et deux enfants qui n'ont d'yeux que l'un pour l'autre. Bons Dieux que les mortels sont sentimentaux, j'avais oublié.
À son peuple, il ordonne d'une voix suave :
— Assez de ce petit jeu.
À Wanda, il assure :
— Cela va de soi que nous pourrions vous faire plier à nos charmes, mais je ne voudrais surtout pas offusquer la souveraine des Sorciers pour un simple jeu auquel nous nous adonnons par ennui. Vous pouvez être fière de votre Cour, si je puis me permettre. D'autres auraient cédé à leurs pulsions en un battement de cœur. Vous n'êtes que des enfants, même pour votre race, mais votre pouvoir vous sauvegarde des tentations futiles.
— Il n'est pas question de notre pouvoir, corrige Wanda, mais elle ne peut finir sa remarque que Soran l'interrompt.
— Façon de parler. J'avais oublié que vous ne jurez que par votre magie. Il existe des pouvoirs bien plus cruciaux pour votre survie que la magie, jeune Sorcière. Le cœur et l'esprit font partie des meilleurs pouvoirs à entretenir et à développer. Sans eux, vous ne seriez rien. Mais, je ne vous apprends pas grand-chose, si ? Vous êtes consciente, j'en suis convaincu, que votre magie n'a pas sauvé votre peuple ces mois de guerre passagère. Enfin, de votre point de vue, la guerre dure depuis une éternité, n'est-ce pas ?
Son emphase sur ce mot souligne un sarcasme d'immortel dont les Faes l'avaient épargnée. Wanda ne prétend pas que leur guerre soit à la hauteur des critères de durabilité des Vampires. Soit il les termine en un jour, de par leurs forces et leurs ravages, soit leurs conflits durent des siècles et des siècles. Pas de juste milieu... Or, elle ne répond pas tout de suite, obnubilée par un terme qu'il vient d'utiliser. La souveraine des Sorciers. Il ne reconnaît pas Fedgarth. Ou alors, il dissocie les deux royaumes et estime plutôt que Mabel règne sur un ramassis de diverses créatures inférieures et répugnantes. L'un des deux. Les deux à la fois, pour sûr.
— Vous venez négocier la réquisition de mon peuple pour votre guerre.
Pas une question.
— Qui comptez-vous parmi vos alliés, Princesse d'Aerador ?
— Les Faes ont accepté de garder nos frontières à l'ouest. Les trois-quarts des Fées se retrouvent dans notre cause après leur conflit avec les Gnomes et prêtent main-forte de temps à autre.
Le Roi Soran dresse un sourcil interrogateur que Wanda interprète par un violent jugement envers sa situation. Oui, Aerador est plus ou moins seule au monde face à Fedgarth.
— Je n'ai pas l'habitude de condamner d'autres races à ma guerre, Majesté. J'ai imploré la protection des Faes, parce que je savais qu'ils ne verraient pas d'objection à se protéger eux-mêmes de Fedgarth. Je n'ai jamais demandé l'aide des Fées, ce sont elles qui m'ont trouvée.
— Aujourd'hui, vous voilà en ma demeure. Pourquoi nous demander notre aide, et pas aux autres ? Valons-nous moins que les Faes ?
— Ce serait le contraire, Majesté. Par soucis de réalisme et de géographie, je n'irai pas dans les contrées du Grand Nord, Sud ou Ouest. Les Elfes, les Humains, les Nécromanciens, les Néphilims et les Démons habitent si loin de l'Est. Ces grandes races n'auraient pas de raison de prendre part à notre conflit. Je sais que les Faes n'agiront pas physiquement. Ils renieront la guerre au profit de leur paix ancestrale et je ne les forcerai pas avec des négociations à briser les serments établis avant la naissance de mon royaume. Je pourrais rassembler les tribus humaines éparpillées dans l'Est. Ils ne seront pas d'une utilité capitale pour remporter la guerre et ils mourront pour rien. Je ne les sacrifierai pas. Je ne m'abaisserai pas non plus à lier à mon royaume les races inférieures, ainsi que l'Impératrice de la Nuit le fait sans scrupule. Hors de question de guerroyer avec des Géants ou des Lycaons dans mes troupes. Quant à vous, noble Roi, vous n'avez signé aucun traité avec les Sorciers et vous ne semblez pas porter Fedgarth dans votre cœur. Je ne veux pas des Vampires dans mon armée. Je veux remporter cette guerre au prix de ma sueur et de mon sang, et non parce que j'aurais supplié les bonnes personnes.
— Alors, je ne comprends pas votre présence ici.
— La guerre est déjà gagnée.
L'affirmation lance un froid, non pas dans l'âme frissonnante des Vampires, mais dans celles troublées de ses compagnons. Le Roi Soran se penche en avant sur son siège de velours.
— Ah oui ? Dites-m'en plus.
— Non, cela gâcherait la surprise. Je sais que la guerre sera gagnée par Fedgarth, parce que je ne laisserai aucune autre alternative, quoi qu'il m'en coûte. Ma stratégie est aboutie et les rouages de ce terrible dénouement tournent déjà. Mais, quand j'affirme que mon royaume remportera la guerre, je ne précise pas que, dans le meilleur des cas, je serais en mesure d'anéantir Mabel et son palais. Pas d'annihiler intégralement son oeuvre et les conséquences de sa tyrannie. J'aurais besoin...
Elle ne parvient pas à mettre un mot sur-le-champ à sa vision, et Soran s'en charge pour elle.
— Un service de nettoyage.
— Vous pourrez ramener au Havre Brumeux autant de corps chauds que vous le souhaiterez, tant qu'ils seront du camp de Mabel et qu'ils ne seront pas innocents.
— Cela signifie ceux qui continueront de se battre, malgré sa défaite.
— Oui, ceux qui n'abandonneront jamais le combat et feront tout pour que Mabel et ses idées immondes vivent à travers eux. Vous laisserez le peuple meurtri en paix et l'Aerador aussi, bien sûr. Vous ne raffolez pas du sang des créatures inférieures, mais vous ne renoncez jamais à en massacrer quelques régiments. Je vous accorderai aussi les Géants, les Lycaons, les Elfes Noirs, toutes les bêtes crapuleuses de Mabel.
— Autre chose ?
Son ton se fait ironique. Quelques-uns gloussent par ci, par là. Wanda ne se démonte pas et rétorque :
— Encore une requête, en effet. Nous signerons ce soir un traité qui stipulera toutes les clauses de cette proposition. Les Sorciers ne vous ont guère soumis leur amitié à l'époque où vous avez commencé à signer ces traités pour faire la paix avec vos voisins. Il est temps que cela change.
— Et j'adhérerai à ce traité, parce que...?
— Vous haïssez Fedgarth plus que moi.
Le Roi Soran dénote une faible stupéfaction qui s'éclipse dans la foulée.
— Quelles informations disposez-vous à propos de ma haine à l'égard de Fedgarth.
— Aucune.
La sincérité de Wanda plaît autant qu'elle déplaît. Certains parmi les Vampires l'admirent, elle et sa bravoure, de débouler ainsi dans un château rempli de suceur de sang, vulnérable et à l'agonie, des tactiques de guerre plein la tête. D'autres la traitent sûrement d'idiote désespérée. Elle est tout cela en même temps. Seulement, le Roi Soran lui fait un cadeau inestimable en décidant de lui avouer l'origine de cette haine, signe qu'il est favorable au dialogue avec elle.
— Cette garce de Mabel s'est donné pour objectif de réaliser des expérimentations.
Wanda jette un œil à Dante. Il a mentionné des expérimentations en tout genre, effectivement.
— Elle a envoyé des Géants marcher dans les eaux pures du Lac du Beau Minuit pour m'arracher mes semblables et les traîner dans son effroyable palais de tueuse où elle les a déchiquetés pour en faire des sujets de sa science. De ce que j'ai ouï dire, elle entreprend ce genre d'enlèvements dans tous les peuples qui l'intéressent. Le but final ? Je parierai sur l'amélioration d'elle-même et de ses troupes. Incarner l'être supérieur, une mixture dégoûtante de toutes les races, aux pouvoirs innombrables et innommables. Au début, j'ai attaqué pour récupérer les miens. Par la suite, elle a renvoyé ses sbires. J'ai mis un point d'honneur à le lui faire regretter. Jamais dans mon existence je n'avais compté le jour. Désormais, je compte les jours un à un jusqu'à sa mort.
— N'avez-vous pas réclamé sa vie ?
— J'ai essayé.
Soran se confond en une grimace emplie de haine et de dédain. Une femme s'écarte de la foule, puis un homme et un autre. Une dizaine se dégagent de leurs semblables, et relèvent leur manche. Leurs bras sont brûlés, certaines parties de leur visage aussi, la peau est striée de blessures qui ne cicatriseront pas. D'un même doigt, ils désignent tous Dante et son sang se glace. Wanda ne réussit pas à pivoter dans sa direction, s'imaginant déjà qu'elle devra échanger sa vie contre le traité signé, et elle le ferait peut-être...ou peut-être qu'elle rentrerait en Aerador sans l'aide des Vampires. Au final, elle n'userait d'eux que pour exterminer les restes de l'Empire de Mabel, pas pour éliminer Mabel en personne. A-t-elle besoin à ce point de ce traité ? Mais si elle les vexe en leur refusant cet homme, s'attaqueront-ils à l'Aerador ? Elle ose le dévisager et il est aussi pâle que la mort, aussi pâle qu'eux. D'un pas boiteux, raide et mortifié, il dépasse la Princesse et tombe à genoux du Roi.
— Je panserais personnellement chacune de ces blessures si cela pouvait les apaiser. Or, je suis parfaitement au courant de la douleur que procurera toujours mon poison sur leur chair, et j'en suis navré. Pour ce que cela vaut, j'ignorais que je...torturai les vôtres. Mabel m'ôtait mon masque et mes fers, et je devais souffler sur les peaux tendues de ses prisonniers, ou mourir de ses flammes.
Le Roi Soran ne bouge pas et l'on croirait que Dante s'apprête vraiment à se relever pour baiser chacune des blessures et supplier pour le pardon. Il ne tremble pas. Il salue la mort, telle une vieille amie à laquelle il s'est habitué, incertain de son sort mois après mois entre les griffes de Mabel. Et puis, les doigts se baissent et le monarque lui sourit pour réponse première avant de décréter :
— Si vous étiez digne d'un quelconque châtiment, si vous deviez payer la dette de ces tortures, vous n'auriez pas mis un pied dans ma demeure, empoisonneur.
Il scrute à présent l'une des femmes et elle parle à cet ordre muet.
— Nous avons tous flairé ses réticences, sa haine envers Mabel et ses larmes silencieuses qu'il ne s'autorisait pas à verser. Nous excusons et oublions.
Ils regagnent tous leur place initiale, certains se blottissant dans les bras de leurs compagnons, réjouis d'avoir survécu. Mais, Dante est électrisé par l'émotion, si bien que Wanda s'agenouille pour empoigner doucement sa main et le redresser. Il s'incline devant le Roi et cette histoire est déjà derrière Soran.
— Et si je ne réclamais pas la vie de votre empoisonneur, mais celle de cette fille ?
Il pointe Adaline et pour la première fois, elle croule sous le poids de tous ces regards de chasseurs à proie. Caedmon se place instinctivement entre eux, son épaule frôlant la sienne en guise de soutien inébranlable qui fait ricaner le monarque.
— Elle n'est pas à vendre dans notre marché, navrée.
Soran hausse les épaules, plus amusé que jamais depuis leur arrivée.
— Avez-vous rédigé ce traité ? Ou dois-je signer ?
Le dos de Dahlia se relâche à ce timbre léger. Bon sang. Tout s'est bien déroulé. Le Roi Soran se met à se mouvoir avec la rigidité d'un cadavre et l'élégance des plus belles créatures de ce monde, une femme déjà pendue à son bras, sa compagne à n'en point douter. Ils s'éloignent déjà dans une autre pièce, par-delà l'âtre, et Wanda leur emboîte le pas. Son ombre la suit, tandis que Dante veille sur les deux élèves. Les Vampires ne s'appliquent plus à s'emparer de leurs désirs ou de leurs esprits et vaquent à leurs occupations, ce qui consiste en majorité à boire, s'embrasser ou se porter aux étages, dans les chambres où ils feront l'amour toute la journée pour esquiver le peu de soleil qui transpercera dans le ciel brumeux.
— Alors ? Première expérience en dehors de Yezajia.
Caedmon se tend à l'attention particulière d'un Vampire sur son Adaline qui saisit cette occasion pour se coller à son bras, ce qui les calme tous les deux. Le blond pouffe à la question de Dante.
— C'est à vous que nous devrions le demander. Vous avez risqué cher en débarquant ici.
— Je suis le servant et l'homme de Wanda Creighton. Elle peut disposer de moi comme bon lui chante et m'assujettir autant qu'elle le voudra. Je sais qu'elle ne le fera pas, et cela me donne encore plus envie de la servir.
— Wanda ne vous a jamais évoqué lors de nos cours Sentinelles, ni vous, ni la guerre, en fait. Pas un mot sur la moindre personne au Palais d'Argent.
— Elle se concentre sur l'essentiel et le présent, commente Adaline de sa délicate voix basse. Pourquoi s'ennuyer à nous livrer des détails de sa vie au Palais d'Argent ou sur sa Cour, quand elle est missionnée par Steros pour nous donner des cours ?
— Oh, pourquoi pas afin de se décharger de son fardeau ? Ce qu'elle ne fait pas, bien évidemment, raille Dante. Cela la tuerait certainement de se délester de ses poids. Vous avez entendu ? Elle a une stratégie pour gagner la guerre. Mon intuition me souffle que ses moyens ne me conviendraient pas, ne conviendraient à personne et c'est pour cela qu'elle se tait et agit seule.
— J'ai foi en elle, susurre Adaline. Elle nous mènera à la victoire.
— À quel prix ? marmonne Caedmon. Je suis ravi, quoi qu'il en soit, d'avoir pu assister à cette conversation. Si l'on m'avait dit un jour que j'accompagnerai mon ennemie jurée de Yezajia, ma Princesse et la cheffe de ses espions, ainsi qu'un empoisonneur de Fedgarth chez les Vampires du Roi Soran... J'aurais ri et je me serais évanoui à cette perspective.
— Parce que tu n'étais qu'un vulgaire voyou, stupide, pleurnichard et couard.
Dante explose d'un rire incontrôlable et cherche à le dissimuler sous une toux virulente, trop tard. Il se distance quelque peu et capte les sourires distraits de certains Vampires qui épient, involontairement et inconsciemment, leur discussion. Caedmon fronce les sourcils.
— Cela ne t'a pas empêchée de me tirer des ennuis à quelques reprises. On m'a notamment cité les fioles de venin de Narok ou cette crapule du niveau neuf.
Adaline s'immobilise un instant contre lui, comme si sa réplique lui avait coupé le souffle, et elle fait un pas de côté, sans lâcher sa main de peur de rester affaiblie contre cette marée de Vampires. La plupart se mordent les uns les autres dans un jeu sexuel macabre. La danse de la volupté et de la mort.
— Qui t'a...? Seth. Oui, il a tendance à trop parler. Je t'ai épargné des ennuis pour épargner ma conscience, je te signale. Du moins, concernant cette histoire de fioles. Narok était un voyou autant que ta bande. Il y a une raison pour laquelle Steros l'a éjecté de son école. Pour ce niveau neuf... Je l'ai fait avant tout pour Manon. Tu as criblé ce garçon de clous magiques avec tes arts mystiques qui se sont enfoncés dans ses épaules, dans son front...
Elle frémit de dégoût, les Vampires frémissent d'extase à ces souvenirs.
— J'ai cru dans un premier temps que ce crime avait été commis par un fou furieux, une ordure de la pire espèce. Et puis, j'ai découvert que c'était ta bande et toi, et votre motif, et j'ai soulevé des détails que je n'avais pas notés au début. Le fait que ces clous et vos coups auraient pu le tuer ou le défigurer à vie, mais, non, vous avez fait en sorte que cela puisse se guérir tôt ou tard et vous l'avez maintenu vivant, l'avez conduit aux mages de l'école avant que les dommages ne soient irréparables. Vos méthodes...me révulsent, soyons d'accord là-dessus. Mais... Je ne me serais pas supportée si je vous avais dénoncé. Steros vous aurait puni en vous privant de toute chance de trouver une école qui vous accepterait et vous offrirait un diplôme, et cette crapule du niveau neuf se serait réveillé indemne, en pleine forme pour tyranniser d'autres élèves. Hors de question. Je l'ai fait également pour Manon. Je n'aurais pas pu la regarder en face après avoir sorti d'affaire son harceleur et son bourreau, et condamner son sauveur. Elle qui n'a pas appelé à l'aide, qui a souffert dans son coin. Tu as fait ton possible pour l'extirper de sa souffrance sans qu'elle n'ait l'impression de faiblir ou de trahir son caractère bien trempé. Et... Je me suis aussi dit que, puisqu'elle s'était ralliée à ta bande malgré vos comportements, elle avait sûrement jugé l'un de vous méritant de son amitié. Puisqu'elle était souvent avec toi, j'ai commencé à m'interroger. Elle décrypte les émotions et les motivations mieux que quiconque. Elle avait fait remonter quelque chose de valeur en toi et je ne l'aurais pas avoué à cette époque, mais j'aurais aimé savoir. Savoir pourquoi tu terrorisais certains élèves et en sauvais d'autres. Où étais ta limite ? Je comprends tout mieux, à présent.
Bras contre bras, main dans la main, yeux dans les yeux, Caedmon s'égare à nouveau et se penche sur elle, envoûtée par ses lèvres tentatrices et par ses mots plein de sens, d'affection et de tendresse. Adaline ne se décale pas, mais ses orbes de biche le font hésiter une fraction de seconde, assez longtemps pour qu'il recule, batte en retraite et se racle la gorge en s'excusant :
— C'est sûrement la magie sensuelle des Vampires. Je perds pied, ici.
— Moi aussi, répond-t-elle, la poitrine soulevée par l'émotion et le regret brutal de ce baiser absent. Il fait chaud pour une aube pluvieuse au milieu d'un lac. La magie des Vampires fait tourner la tête, je l'ai lue dans les livres.
Il saute sur l'occasion et acquiesce avec vigueur jusqu'à ce que Dante glousse, près de l'âtre.
— C'est vrai. Mais, dans votre cas, je ne crois pas que ce soit la magie des Vampires.
Il n'en dit pas plus, mais a déjà semé sa graine en eux. L'incertitude. Pour une fois, Adaline a au moins la satisfaction d'entrapercevoir des rougeurs sur les joues de Caedmon, et pas uniquement sur les siennes, lorsqu'il se rapproche du feu pour mettre de la distance entre eux. Les Vampires sentent tous cette pointe de tristesse dans le cœur du jeune blond, identique à la pique éternellement plantée dans le torse de Dante Stein dès que ses yeux se posent sur Wanda. La douleur sourde et discrète d'un homme qui court après une femme inaccessible. Certains s'échangent des paroles muettes ; cela les divertirait grandement d'intervenir dans ces relations de mortels compliquées, mais la Princesse d'Aerador réapparaît avec son ombre à sa suite.
Elle a expliqué les clauses du traité. Il tient sur une page, précis et efficace. Le Roi Soran n'a opposé aucun objection, ni gaspillé leur temps à signer le papier de son propre sang, immortalisant sa promesse à la manière de son peuple. Il déteste Mabel. Il apprécie d'écouter les histoires de ses éclaireurs sur cette Générale souveraine d'Aerador, dont la famille s'est battue contre Fedgarth sans relâche. C'est aussi simple que cela. Il a cédé une cinquantaine de ses Vampires, sur fond de volontariat, bien qu'il n'aura pas de mal à rassembler ces soldats le moment venu, le jour où l'Impératrice de la Nuit tombera. Et le voilà ami avec les Sorciers. Quelle soirée. Pour Wanda et sa race, cela s'implantera dans leur histoire comme l'un de plus grands pactes jamais rédigés et approuvés, alors que le monarque n'y songera plus dans une minute, dans les bras de sa compagne. Il s'en souviendra en commandant à ses hommes de rester au loin des frontières de l'Est ou à la chute de l'Empire, c'est tout. Il oubliera les Creighton et cette rencontre, dans quelques siècles. Ils ne seront que poussière dans le récit de sa vie à lui.
— Caedmon, viens.
Le blond renvoie une surprise authentique à l'interpellation de Wanda. Il obéit. De son côté, Dante salue d'amples signes de la main les Vampires autour de lui, s'incline devant le Roi et attrape le bras de Nox pour l'attirer à l'écart de ce nid de suceurs de sang. Inutile de s'éterniser. Dahlia leur emboîte le pas. Elle détaille le dos de cette jeune élève d'un regard d'acier, inflexible. Caedmon et la Princesse marchent en retrait, non sans se courber une dernière fois. Avant de quitter le château de Curdingham, ils profitent quelques secondes de la chaleur de ce feu immense.
— Je dois rentrer au Palais d'Argent pour acter le traité avec les Vampires et participer à mon Conseil. Toi, tu retournes à Yezajia avec Adaline. Vous avez une heure, peut-être deux pour faire vos affaires.
— Comment ce...quoi ?
Son couinement force Wanda à lui infliger un léger coup dans le bras pour qu'il baisse d'un ton.
— Laisse-moi terminer. J'ai confirmé une hypothèse ce soir, grâce aux Vampires. Le Roi l'a validé, en privé. Vous êtes tous les deux en grand danger. Faites vos affaires et préparez-vous à vivre au Palais d'Argent sous la garde de Dahlia jusqu'à nouvel ordre. Pour être honnête, il ne me faut que Nox, à mes côtés. C'est elle que je souhaite éloigner de Steros. Mais, je prédis que tu n'aimerais pas être séparée d'elle et tu seras suffisamment insupportable pour poser trop de questions, puis t'attiser la colère de Steros. Mieux vaut vous extraire tous les deux de Yezajia. Je te laisserai le soin de lui expliquer la vérité. Après tout, j'ai le sentiment qu'elle trouvera plus de réconfort en toi qu'en moi... Vous écrirez des missives à vos parents pendant cette heure ou deux. Je leur ouvrirai des portails une fois que vous serez en sécurité.
— Attendez une minute.
Caedmon se permet de l'arrêter à quelques pas des lourds battants du château.
— Soyez plus claire, je vous prie. Qu'avez-vous confirmé ?
Wanda inspire longuement. Cette vérité lui pèse, et cela ne rassure pas du tout le blond.
— Dis-moi, Caedmon Delarosa, à quel point tiens-tu à Adaline Nox ?
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