Dans le domaine des Faes
Dahlia ne cesse de fixer sa Princesse à la dérobée, parfois ses yeux de lynx dérivent sur l'homme à leur côté, tout sourire et fier de lui. Elle n'en revient pas que cette femme-là, celle qui porte des robes pour honorer la gentillesse de Frost à son égard, celle qui s'habille en majorité dans des tenues militaires ou des armures, cette femme se soit volontairement vêtue de ces habits révélateurs. Elle ne doute pas que Dante soit le véritable responsable là-dedans, puisque le créateur n'oserait jamais offenser la souveraine d'Aerador de la sorte sans le consentement de celle-ci. Elle retient un gloussement, quand Wanda tire une fois de plus sur son corset transparent pour masquer ses seins.
— Elle est ravissante, n'est-ce pas ? souffle Dante au Dahlia Noir sous le ton de la confidence.
— La ferme ! cingle Wanda. Ouvrez cette fichue Arche, qu'on en finisse. À l'intérieur vous vous tiendrez tranquille, vous ne parlerez pas, vous me laisserez négocier, vous vous effacerez. Compris ?
— Pourquoi le Dahlia Noir vous escorte-t-elle ? N'a-t-elle pas une mission plus urgente que de vous protéger là où personne ne vous attaquera au royaume des Faes ? Vous en êtes en sécurité avec eux.
— Elle n'est pas ici pour me surveiller, moi.
Seule et unique réponse de Wanda avant qu'elle ne le pousse vers la rangée de lourds rochers disposés en arc de cercle devant une Arche de pierres et de feuilles d'or, donnant sur un champ illusoire. Les Faes détiennent la faculté de modeler la réalité à leur guise. S'ils sont autorisés à pénétrer sur leur terre, alors un tout autre paysage se dévoilera sous leurs yeux ébahis. Dante grommelle, mais obéit. Il saisit le couteau tendu par Dahlia et pique le bout de son index avec la pointe. Puis, il trace un dessin complexe avec son sang. Probablement l'emblème de l'Automne.
Rien ne se produit tout de suite. Le Dahlia Noir rapproche ses doigts de ses longs poignards, prête à maîtriser le traître si ses mensonges sont prouvés. Elle regarde tout autour d'eux, s'attendant presque à voir débarquer les forces impériales. Wanda se contente de le toiser avec calme. Les prochaines secondes seront décisives. Soit l'Arche s'ouvre et il possède bien une part de sang Fae, confirmant qu'il ne peut pas mentir et qu'il est par extension digne de confiance. Soit ils demeurent bloqués ici et elle jure de l'égorger avant que le piège de Mabel ne se referme sur elle.
— Quoi ? Oh, bon sang, on dirait deux chiennes enragées ! peste-t-il. Une minute, voulez-vous ? Le temps que l'information arrive aux Faes. Vous a-t-on déjà dit Princesse que vous ressembliez à un éclair emprisonné dans un corps ?
Non, nul n'a tenté pareille offense...ou compliment, à en juger par le timbre charmant de sa voix. Brusquement, derrière lui, sur le rocher, le symbole dessiné avec son sang s'illumine et disparaît, se fond avec la pierre. La seconde suivante, par-delà l'Arche, leur vision s'altère bel et bien. Le champ tire sa renverse au profit des Hauts Bois des Faes, réputés dans le monde entier pour leur splendeur. Puisque l'automne est à l'honneur pour les prochaines années, les teintes de rouge, d'orange et de jaune prédominent avec des touches vives de vert dans les feuillages et du brun sur les troncs parfois tachés de points blancs.
Dante se décale en une pirouette exagérée, la laissant passer en première. Maintenant, vous êtes obligée de me faire confiance, a-t-il l'air de lui murmurer à son passage. Elle ne commente pas et traverse l'arche, à la manière d'une enfant d'Aerador qui pose pour la première fois ses petits petons dans l'eau chaude du sud. Ses orbes impressionnées se déplacent de long en large, scrutant les hauteurs où les troncs se fendent à de nombreuses branches parsemées d'or. Elle ressent le changement d'atmosphère, plus légère. Elle a l'impression de pouvoir flotter. En découvrant les chaussures de Frost, elle s'est encore plus énervée contre le créateur et l'empoisonneur. Des souliers en velours à la nuance de bronze, et à talons. Or, elle n'éprouve pas la lourdeur de la gravité, la pesanteur de ses pas sur le sol jonché de brindilles et de feuilles mortes. L'air est clairsemé de minuscules étoiles qui cascadent le long des arbres, rejoignant la terre.
Cela s'apparente au royaume des Fées, à la différence de cette sensation jouissive de faible pesanteur. Dante se glisse derrière elle et lui adresse d'étranges signes, comme s'il voulait d'elle que son corps bascule en arrière. C'est Dahlia qui obtempère la première. Elle fait mine de se laisser tomber à la renverse. Son dos ne touche jamais le sol. Elle est retenue par une force qui règne en absolue dans ces Hauts Bois. Le jeune homme appuie quelque peu sur ses épaules. Wanda s'offre à cette atmosphère saugrenue. Elle ne chute pas, ni ne vole vraiment, suspendue dans un entre-deux. Elle en lâche un rire émerveillé, ses pupilles luisants aux reflets des étoiles qui tournoient autour d'elle. Elle rencontre la mine attendrie de l'empoisonneur ; il ne la quitte pas des yeux. L'on croirait qu'il est heureux de lui faire expérimenter ce prodige de magie ancestrale.
L'aidant à se replacer droite, leurs regards s'accrochent un instant, avant qu'elle ne se détourne et qu'il se racle la gorge avec gêne. Dante se concentre alors à remplir son rôle de guide. Puisqu'il est déjà venu ici, il les conduira au cœur du royaume de l'Automne où patiente le Roi. Celui-ci a sûrement reconnu son sang et n'a point envoyé de serviteurs pour les mener au travers de ses Hauts Bois. Lorsque Wanda reprend ses esprits et commence à le suivre, elle se heurte aux ténèbres de Dahlia, un sourcil haussé. Que se passe-t-il au juste ? s'enquiert-elle sans avoir besoin de bouger ses lèvres. La Princesse l'ignore avec superbe. Ce doit être la magie de cette forêt, voilà tout. Elle s'est laissée décontenancer et adoucir l'espace de quelques minutes.
Ils marchent une longue heure dans un sentier découvert, accessible seulement par les invités. Wanda se surprend à distinguer des animaux très différents de ceux qu'elle connaît. Un cerf deux fois plus gros, aux ramures qui mesurent la largeur de certaines de leurs rivières. Un loup hurle au loin, à l'appel de la lune dissimulée par les feuillages. Son chant résonne contre les troncs. Par ailleurs, elle se rend compte qu'ils sont privés de la lumière naturelle de la nuit. Comment y voient-ils clairs ? L'or des feuillages éclairent leur chemin.
Les trois atteignent enfin les premières marches qui mènent au Roi des Faes. Dante s'incline devant les gardes et tout en s'exprimant tout bas, à moitié dans la langue commune des Sorciers et à moitié dans leur langue primaire, il désigne les deux femmes. Wanda se heurte de plein fouet à la beauté réputée de ce peuple. Les soldats la surpassent de trois à quatre têtes au moins, bien plus grands, musclés et élancés que leurs cousins elfiques. Des forces de la nature, que l'immortalité ne marque pas. Deux histoires divergent à ce propos : des spécialistes précisent qu'ils partagent ce trait caractéristique avec les Elfes et qu'ils vieillissent au ralenti, mais qu'ils deviendront vieux, en apparence, un jour ou l'autre ; d'autres affirment qu'ils cessent de mûrir à l'âge physique qui leur convient et qu'ils ne changeront plus jamais.
Les gardes reculent et une femme les remplace. Une robe soleil en mousseline qui ruisselle sur les courbes de son corps lascif. Elle décoche un long rictus à Dante qui baise sa main libre. De l'autre, elle tient un plateau chargé de deux coupes en bois. Le nectar des Faes. Délicieux, d'après l'opinion général, mais capable d'obtenir la vérité de n'importe quel rusé et menteur. Une obligation pour prétendre à leur Cour. Très bien. Wanda se plie à la règle sans ciller, ne voyant pas l'intérêt de s'en offusquer.
Effectivement, il s'agit du meilleur breuvage qu'elle boira dans toute sa vie, doucereux, perfide, l'alcool ne se déclare pas tout de suite, un goût délicat à l'arrière de la gorge, fruité et floral, à la saveur de miel. Il donne envie de s'en induire le corps, de s'y noyer. Un moment, sa vision se floute et elle voit le monde d'une encore autre façon. Une musique lui parvient à ses oreilles et elle désire sautiller à son rythme au bras d'une de ces magnifiques créatures. Il fut une époque, lointaine et oubliée, où les Faes et les Elfes se haïssent et se faisaient la guerre, car les premières souhaitaient asservir les mortels et les créatures vulnérables, comme les Sorciers. Les entraîner dans leur royaume pour les faire danser jusqu'à la mort. Une pratique abolie et punie si sévèrement que cette fantaisie n'existe même plus, parmi ce peuple. Néanmoins, le nectar produit cet effet-là sur elle, et sur Dahlia. Leur compagnon n'est pas contraint de subir ce sort et se charger de les tenir près de lui, le temps qu'elles passent au-dessus de ces volontés externes.
Quand la brume épaisse se disperse dans leurs yeux, la servante leur indique de la suivre. Dahlia secoue tous ses membres à la recherche de sensations habituelles. Wanda en est toute chamboulée. Elle sait que, désormais, un seul effet subsiste : l'impossibilité de mentir. Cela ne la dérange pas. Elle ne comptait pas prononcer le moindre mensonge, de toute manière.
La servante les escorte tout en haut de la centaine de marches où un vaste terrasse en bois s'étend à l'horizon. Wanda ne les repère pas sur le coup, mais elle entend les musiciens tout près. Ils doivent être perdus dans la foule de Faes qui dansent en rond dans une cadence régulière et soutenue, sans être essoufflés, sans se lasser. Tous vêtus dans des habits légers et compliqués, les mâles portent pour la plupart des hauts ouverts jusqu'à leur nombril, donnant une vue saisissante sur leur torse sculpté, et les femmes arborent des robes bien pires que la sienne en terme de révélation. Elle se sent presque embarrassée à leur vue, les joues roses. Dante ne manque pas sa gêne, et cela le divertit beaucoup.
— Alors ? Osez assurer que je ne possède pas la beauté des Faes.
— Vous êtes plus petits qu'eux.
— Et moins beau ?
Ses lèvres tremblent en essayant de retenir la vérité, mais le nectar délie sa langue et elle crache à contrecœur :
— Non, vous êtes charmant à un tel point que votre beauté naturelle m'agace.
Pour la forme, elle rajoute :
— Je comprends ce qui a séduit Mabel.
— Ne soyez pas aigrie, ma chère.
Elle grimace et il ricane en prenant les devants. Dante effectue une révérence grandiose sans que la Cour ne cesse de danser et de sautiller. Quelques femmes complètent la mélodie des musiciens en chantant un refrain entêtant dans leur langue. Le Roi des Faes, autrement appelé le Grand Seigneur de l'Automne, est à tomber à la renverse. Une chevelure aux diverses nuances de sa saison, des bois semblables à ceux d'un cerf en guise de couronne. À bien le détailler, il n'est pas question d'une confection déposée sur son front, non, mais d'une sorte de structure osseuse. Ses traits fins se confondraient, aussi séduisant que les autres mâles, aussi joli qu'une de ces femmes. Son regard lui procure un creux douloureux dans son estomac. Il lui rappelle combien elle est jeune, combien elle n'a pas existé du tout en contraste avec lui. Elle retourne en enfance, un bébé sans défense et inexpérimenté qui ne sait pas comment réagir.
La Princesse se positionne au côté de Dante et imite à la perfection la révérence, suivie par Dahlia. À celle-ci, la servante de tantôt lui réclame de jurer de ne pas user de ses armes ici et avec le nectar, elle le promet. Le Roi des Faes se redresse dans son siège de bois et d'or, et, sans être debout, elle note son immensité. Au minimum deux fois la taille d'un homme mortel moyen. Il courbe sa tête, signe de respect mutuel. Il n'a pas besoin qu'elle décline son identité pour reconnaître le pouvoir d'une régente en elle. Et puis, il doit probablement voir ses parents, ses grands-parents et tous ses ancêtres avant elle dans son expression figée et respectueuse.
— Nous recevons de plus en plus de visites de vos semblables, chantonne le Roi Fae de sa voix mélodieuse, bien que je ne pense pas que vous vous estimiez tous de la même espèce avec la guerre qui fait rage entre vos deux nations. Je n'aurais pas parié sur vous.
La sincérité des Faes.
— J'aurais prévu que Fedgarth écraserait Aerador aux prémices de la guerre, mais vous avez résisté. Je suis étonné de trouver en votre compagnie le messager du nord. Comme votre ennemie de Fedgarth, venez-vous chercher notre soutien ?
Dante baisse les yeux, comme brûlé par cette remarque. Il n'avait pas imaginé que le Grand Seigneur de l'Automne se souviendrait de lui, puisque les Faes ont tendance à vite oublier les créatures infimes.
— Tout dépend ce que vous jugez être du soutien. La guerre s'achèvera bientôt. Je vous remercie pour votre hospitalité. Je ne prendrai pas plus d'une soirée de votre temps éternel, votre Majesté. Vous avez toujours refusé de vous mêler de notre guerre et à juste titre. L'Impératrice de la Nuit a entamé une campagne ridicule pour récupérer des alliés ci et là, des créatures qui n'ont rien à voir avec notre guerre. Des Géants, des Lycaons, des Elfes Noirs... J'ai bien peur de devoir concourir à mon tour à cette compétition. En revanche, je n'attendrais jamais de quiconque une aide qu'il ne serait pas prêt ou désireux à offrir. Je sais combien vous abhorrez la guerre depuis que vous avez signé vos traités de paix, à une époque ancienne comme mon royaume. Cependant, j'ai entendu que Mabel vous rend souvent des visites pour exiger de franchir vos frontières pour nous atteindre, nous. Elle a dû jurer sous l'effet du nectar qu'elle n'attaquera jamais vos terres et vous seriez peut-être tenté de la croire, de lui accorder sa volonté, puisque son passage vous concernerait à peine, mais je viens vous...
Il fait durement claquer sa langue contre son palais et les cordes des musiciens vacillent. La danse s'interrompt une seconde avant de repartir de plus belle. Elle se tait, le teint vert. Le Roi des Faes se lève et comme prévu, il la dépasse de deux fois sa grandeur. Descendant les marches de son trône une à une, il se plante face à elle. Wanda doit se tordre le cou pour entrapercevoir ses yeux sombre sous l'épaisseur de ses cils roux. Il apparaît menaçant et pourtant, ne fait que frôler son menton du bout de son doigt. Pour sûr, la robe le distrait un instant et elle en remercierait Dante pour ce sordide avantage. Quand il s'intéresse plutôt à son visage qu'à son corps, sa voix digne des profondeurs de ce monde retentit dans son crâne :
— Dansez, Wanda Creighton du Royaume de l'Aerador. Dansez pour moi, ce soir.
Elle s'apprête à commettre une grave erreur en l'ignorant et en revenant sur le sujet principal, mais il la coupe.
— Je crains que vous ayez fait le déplacement pour rien. Du temps de mon règne, et de celui de mes consœurs et confrère, nous n'ouvrirons aucun accès à nos terres, que ce soit aux frontières ou dans des sentiers reculés, pour la paix ou pour la guerre. Notre décision est ainsi faite. Que votre petite Impératrice se heurte à nos remparts de racines et de pierres si cela lui chante. Elle ne parviendra qu'à se blesser. Par ailleurs, messager...
Il se penche vers Dante.
— Vous informerez votre Impératrice que nous n'accueillerons plus de messagers ici, qu'il soit Fae ou non.
— Par chance, je ne vous salue pas aujourd'hui en son nom, mais en celui de la Princesse d'Aerador. Je ne porte pas de message pour vous, votre Grandeur.
Le Roi des Faes hoche de la tête avec satisfaction, comme si cela le réjouissait de savoir Dante, un homme à moitié de son espèce, hors des griffes de Mabel.
— Vous danserez et vous dormirez sous nos feuillages, cette nuit. Vous serez libre de regagner vos terres dès demain, à l'aube.
Wanda ne s'y oppose pas, même si elle ne saisit pas sa raison. Pour lui interdire toute question qui irriterait la patience du Roi, Dante empoigne vivement la main de la jeune femme et la tire au centre de la foule des corps dansants. Ils ne les laissent pas passer, donc il avance à leur rythme pour se frayer un chemin. La Princesse ne pivote pas pour vérifier si Dahlia les a suivis ou non. Avec tous les arbres et les branches, elle cherchera une position en hauteur pour les surveiller. Elle ne dansera jamais.
— Vous lui avez tapé dans l'œil, Princesse. J'avais raison.
— Ne me dites pas que cette invitation à son bal est une conséquence de cette robe.
Dante rit aux éclats, enivré par l'ambiance générale. Il a assisté à cette soirée par le passé. Par conséquent, il n'est pas trop dépaysé et il connaît les danses. Sûrement a-t-il charmé une Fae pour qu'elle lui apprenne. Il se range en ligne avec les autres et incite Wanda à en faire de même. Il discerne sa gaucherie de loin et lorsqu'une nouvelle musique débute, il ravale un gloussement moqueur. Elle est douée en valse ; il l'a constaté le soir du bal des donateurs, mais elle est totalement inconnue aux coutumes de ce royaume. Il fait en sorte de la diriger de son mieux et si elle n'est clairement pas à son aide au début, elle se détend au fil de la soirée. Au bout de plusieurs danses, les étoiles dans l'air se sont collées à sa peau et la font scintiller.
Elle continue à boire sous le conseil du jeune homme. Le nectar met un certain temps à influencer sur ses actions. Au moins des dizaines de danse qui n'en finissent plus. Elle tourne et tourne, encore et encore, sans se fatiguer, sans en avoir assez, sans se plaindre ou avoir mal au pied. Elle ne sent même pas ses talons qui martèlent le bois. Elle ne prend pas réellement conscience non plus de qui est son partenaire, s'abandonnant dans les bras experts de Dante. La légèreté s'installe dans leurs cœurs. Il n'en profite et se focalise sur son bonheur. Elle ne doit pas sortir souvent de la guerre, ni s'amuser pour de vrai. Pas de mascarade, pas de masque de fausse joie. Cette nuit, ils sont eux-mêmes, rien de plus, rien de moins.
— Je voulais vous demander...
L'aube pointe à l'horizon, mais la nuit n'est pas terminée.
— Je présume que vous avez repensé à tout ce que nous nous sommes dits, puisque vous avez la preuve que je n'ai pas menti.
— Vous n'êtes qu'à demi-Fae, réplique-t-elle.
— Ma chère, ne rechignez pas devant la vérité implacable. Si j'étais en mesure de mentir, croyez bien que sa Majesté de l'Automne l'aurait compris et m'aurait noyé dans le nectar. Son absence de vigilance à mon égard prouve mon impossibilité de mentir.
— Très bien, très bien, je vous crois. Vous n'êtes pas un espion de Mabel, vous n'attenterez pas à ma vie à condition que je ne vous offense pas. Vous redoutez sincèrement pour votre vie, après votre trahison, et tout le reste... Très bien, je ne douterai plus. Vous êtes content ?
Sa bouche insolente s'étire en un sourire ravageur. Elle s'étoufferait avec sa salive, si elle ne contrôlait pas chaque parcelle de son corps. Il longe son dos, ses doigts le dos de ses reins, alors qu'il la renverse en suivant les mouvements des autres danseurs. Wanda met sa baisse totale de garde sur le compte du nectar ou de l'atmosphère, ou des deux.
— Oui, terriblement soulagé que vous voyez enfin qui je suis. Cela m'aurait ennuyé de vous quitter pour fuir loin de toute cette guerre. Puisque vous me faites confiance, nous pourrons collaborer facilement. Dans un premier temps, j'adorerais vous accompagner à un autre bal. S'il vous plaît... Non, ne refusez pas si vite. Je m'ennuie au Palais d'Argent et je n'ai jamais vu Yezajia de mes propres yeux. S'il vous plaît ?
Elle soupire en guise de réponse première et à sa moue, elle lui explique :
— Tout le monde escomptera de voir Rune Wyrm à mon bras. Mon fiancé. Vous ne l'êtes pas, donc vous n'avez pas ce droit. Navrée.
— Ne faites pas comme si vous vous sentiez désolée pour moi. Cela vous plaît de vous venger. Est-ce parce que j'ai bien failli vous abattre, le jour où...?
Elle lui écrase le pied pour le faire taire. Oui, Wanda a été piquée dans sa fierté de combattre le simple amant de Mabel et d'avoir manqué la Mort de près. En y songeant... Elle le repousse violemment, à deux doigts de le faire tomber de cette terrasse en hauteur. Dante se rattrape avec un regard outré pour elle. Sauf que la Princesse le pointe d'un doigt grossier et énervé :
— Vous étiez sur le point de me vaincre uniquement grâce à votre spécialité, n'est-ce pas ? Vous avez usé de poison contre moi, et je ne m'en suis même pas rendu compte.
Son rire lui répond. Elle réprime d'autres éclats de reproche et s'éloigne en se faufilant entre les danseurs, jusqu'à un colossale buffet tout en longueur où elle recherche autre chose que du nectar. En vain. Seulement, le soleil se dresse entre deux larges troncs. L'heure est venue. Comme des pantins obéissant aux astres et aux étoiles, les Faes diminuent la cadence et dès que la musique se ponctue par le sifflement agréable d'une corde, chacun se disperse, sûrement pour aller s'allonger à la chaleur des rayons ou à vagabonder dans les Hauts Bois.
Dahlia réapparaît dans son dos. Elle n'a pas l'air rigide habituel, comme si son plaisir était né de son observation silencieuse. Elle s'amuse bien plus en regardant qu'en participant, se nourrissant de la joie des autres. Le Roi des Faes invite les trois à se présenter une dernière fois au pied des marches. En fin de compte, ils n'auront pas dormi, mais quelque chose dans ses yeux affûtés souligne qu'il l'avait prédit.
— Mon cœur est apaisé d'avoir su divertir de nobles gens de l'Est. J'ai hésité toute la nuit à vous confier un bruit transporté par le vent et les oiseaux. Mais, puisque vous avez entretenu l'intérêt de mon peuple des heures durant et que vous vous êtes épuisée, je vous délivrerai cette information sans prix et sans que vous n'ayez posé la bonne question.
Les Faes n'en révèlent pas plus que nécessaire. Il faut donc anticiper les secrets dissimulés et les interroger avec les mots corrects. Wanda pressent la fatigue s'installer dans ses jambes, mais elle s'incline profondément. Elle le gratifie de nombreux remerciements, avant qu'il ne lève une main impérieuse et déclare :
— Le vent et les oiseaux nous ont rapportés des rumeurs de rébellion dans vos montagnes enneigées du nord. Votre peuple se lasse de la guerre. La réalité est toute autre. Des Sorciers ont alimenté cette lassitude, ils ont poussé vos gens à la colère et au ressentiment en ce qui vous concerne. Par Sorciers, j'entends des espions de l'Impératrice. Vos avant-postes ne sont plus sûrs. Elle attaquera par là et ses armées déferleront dans vos forêts avant que vous n'en ayez été avertie. Prêtez attention à ce problème, ou il vous volera la victoire... Vous savez que je ne peux mentir. Des années en arrière, j'aurais parié sur votre déclin, mais, dorénavant, j'entrevois un maigre espoir de remporter la guerre. Ne lâchez pas prise. Tenez bon, Wanda Creighton du Royaume de l'Aerador. Vous souffre et souffrirez encore, mais, si vous vous entourez des alliés nécessaires et si vous abattez les traîtres, si vous acceptez de fournir le plus terrible des sacrifices, alors vous vaincrez. Ainsi est-ce ma parole. Interprétez-la à votre souhait... Je vous souhaite un long règne et j'espère vous revoir un jour. À votre espèce, je dis ceci : dans le cas où l'Aerador demeure libre, j'ouvrirai mon Arche à vos gens, mais, dans le cas où vous perdrez et où l'Impératrice dévore tout, mon royaume restera clos à jamais pour les Sorciers. Ainsi est-ce ma parole.
Elle se confond en remerciements et en révérences, mais son esprit est emprisonné par un flot torrentiel de pensées chaotiques à propos de ces espions au nord. Elle doit prévenir Rune. Un regard pour Dahlia et celle-ci acquiesce. Elle joindra son cousin et investiguera avec lui. Dante n'en loupe pas une seconde et décrète tout sourire :
— Puisque votre fiancé sera trop occupé, je suis volontaire pour vous accompagner au bal de l'hiver à Yezajia.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top