Chapitre 3

Du haut de ses vingt-deux ans d'existence, le Th'Axe représentait pour Axe un havre de paix – loin des problèmes et des agitations de la vie réelle – depuis presque toujours. Depuis petit, le brun avait pris l'habitude de se réfugier dans les aventures des autres, le nez dans des boutiques et la tête dans les nuages. Lorsque l'accident survint à ses cinq ans, emportant avec lui ses deux parents biologiques, il ne fit alors que cela, s'abreuver d'histoire jusqu'à s'épuiser, oubliant même de manger. Pourtant, aucune larme ne coulait, même durant ses innombrables nuits d'insomnies. Ses songes se peuplaient de cauchemars en tout genre. Trop cruel pour un enfant de son enfant. Alors, il fit ce qu'il prit l'habitude de faire dans ce genre de situation ; il fuit. Loin de ses pensées, de ses démons et de la réalité.

– Axe, tu m'écoutes.

Non.

– Oui, bien sûr !

– Prends-moi pour une conne pendant que tu y es ! Qu'est-ce que j'ai dit à l'instant alors ?

Il haussa les épaules. Pixie disait tout un tas de truc. Impossible de s'en souvenir.

– Que tu as largué un de tes conquêtes ? Tenta-t-il.

Elle changea de petit ami autant qu'il passait du temps à broyer du noir. C'est-à-dire souvent.

– Non, ça, c'était il y a une dizaine de minutes ! Tu ressembles à un mort vivant !

Merci Pixie, tout ce que j'avais envie d'entendre. Tu sais complimenter les hommes toi !

Nouveau haussement d'épaules.

– Tu dors au moins ?

Non.

– Bien sûr !

Enfin il avait bien fermé les yeux pendant trois heures. Bien plus qu'il ne l'espérait. Son amie le détailla de la tête au pied. Surtout de la tête. Ce qu'elle vit ne devait pas lui plaire puisqu'elle fronça les sourcils.

– Tu mens ! Tu as une mine de cadavres et des cernes longs comme mon bras.

Pour approuver ses dires, elle tendit son membre. Voyant qu'il n'esquissa pas une ébauche de sourire, elle reprit son sérieux.

– Encore des cauchemars hein ? Je savais que ce vendeur mentait... des tisanes... mon œil ouais... si je le revois il va m'entendre celui-là.

Puis, elle continua son monologue. Axe laissa son esprit dériver. Il se rappela avec netteté la première fois qu'ils s'étaient rencontré.

Il venait tout juste de fêter ses vingt ans et avait insisté pour surveiller la boutique pendant que son oncle vérifiait une commande. Anxieux, il ne cessait de tourner en rond et ébouriffait sans cesse sa tignasse. Lorsqu'une masse verte – qui se teignait les cheveux en verts ? l'inconnue devant lui visiblement - lui fonça dessus, il faillit tomber dans les pâmes. Puis un flot de paroles – incompréhensible – l'envahit et le noya dans une mer de détresse. Il saisit cependant l'essentiel. Donc cette jeune femme voulait qu'il joue le rôle de son nouveau petit ami devant son ex. Fastoche. Sauf qu'ils étaient deux inconnus et Axe n'était sorti qu'avec une seule fille de sa vie. Devant l'insistance de Cheveux Verts – Elle avait omis de se présenter et il était trop poli pour la reprendre – et à cause de sa gentillesse à toute épreuve, il n'eut d'autre choix que d'accepter. La suite était assez floue, comme si ses souvenirs s'enroulaient autour d'un épais brouillard. Mais dès lors, la jeune fille le collait comme une sangsue jusqu'à pénétrer dans la tour de glace lui faisant office de cœur. Il fallait dire qu'avec l'ardeur et la chaleur émettait Pixie, ses défenses ne pouvaient que tomber.

– Tu es vraiment prêt à tout faire pour ton oncle ?

Hein ?

– Quoi ? s'offusqua-t-il. Évidemment !

- Alors pourquoi tu ne publies pas tes manuscrits ?

Parce que je ne pourrai pas le supporter, parce que je ne veux pas devenir comme ma grand-mère ni ma mère, parce que je suis incapable d'arrêter d'écrire tout en ayant peur de ce que j'écris. Parce que j'ai peur. De ça. De ce pouvoir. Cette malédiction. De moi-même.

Sans lui laisser le temps de répliquer, la jeune fille continua sur sa lancée :

- Tu ne me laisses même pas profiter de tes écrits ! A moi ta meilleure amie !

Tu sais ce qui est le plus ironique ? Ce que moi-même je refuse de relire mes écrits, pourtant j'en suis l'auteur. J'ai peur du monstre qui pourra en surgir ! Tu le comprends non ? Toi, ma seule amie, pensa le brun.

- Je suis sûre que le monde rate un artiste.

- Je ne me définirais pas comme un artiste et puis des artistes, ce n'est pas ce qui manque.

La ville volante comptait par milliers des artistes bourrés de talents, ces personnes privilégiées par la société.

- Je ne pense pas que publier va changer les choses. Au contraire, ça va les empirer. Je n'ai pas envie et je n'ai pas la force de me créer d'autres problèmes, Pixie.

Elle se pinça les lèvres.

- Tu penses à tes parents ?

Il bouda.

- C'est Alt mes parents.

- Tu te voiles la face.

- Sûrement, mais ça me va. Au moins je ne souffre pas.

Bon d'accord, il mentait, mais son amie n'était pas obligée de le savoir. Et puis, c'était un demi-mensonge puisqu'à force de se convaincre qu'il n'avait pas mal, la blessure s'était refermé. Hélas, malgré tous ses efforts, la cicatrice resterait à vie. Mais les cicatrices, il en avait tellement qu'il pourrait bientôt les collectionner.

- En quoi faire ce qui te passionne te fera souffrir ? Je pense que tu te fais du mal tout seul avec cette privation.

- Pixie, tu parles comme si je n'allais jamais écrire. Je n'arrête pas de faire ce qui me passionne, au contraire, j'essaye de me trouver du temps pour m'y atteler, mais je ne pense que le monde est prêt à ce que je m'ouvre à lui.

Sans compter qu'il avait tenté une fois d'invoquer un personnage pour guérir son oncle, il faut dire qu'il ne maîtrisait pas totalement ses pouvoirs – ils semblaient si indépendants de ses volontés – et c'était la première fois qu'il les utilisait à escient personnel. Surtout si ces manuscrits renfermaient toute son âme. Ses faiblesses, ses doutes et ses démons. Le temps n'était pas encore venu pour qu'il se mette ainsi à nu.

Pixie était une personne très extravertie, d'où cette incapacité à le comprendre. Elle pouvait s'ouvrir à un inconnu - ce qu'elle faisait d'ailleurs - mais ce n'était pas son cas.

Ils étaient très différents tous les deux. Si opposé qu'il en venait à se questionner sur les liens de leurs amitiés. Si différents. Lui qui avait si peu de confiance en ses écrits était une énigme pour la téméraire Pixie. Ses cheveux violets – Pixie adorait les teintures, il lui semblait qu'elle ait fait toutes les couleurs de l'arc-en-ciel depuis qu'il la connaissait – en démontrait. Lui qui n'aimait pas se faire remarquer serait tout bonnement incapable de faire un tel acte, sortir autant du lot. Pourtant, à Aviyr il en existait des excentricités, mais à Terra, la norme était la simplicité et le confortable.

Le simple fait d'exister le gênait.

Sa grande taille qui se démarquait trop à son goût des autres terras. Sûrement sa part de gène helh. Et cette maigreur qui l'entravait !

Axe n'était pas aussi fort que le croyait Pixie, il avait succombé. Elle avait aussi une si forte d'estime de lui qui le désespérait au plus haut point ! Il n'avait pas lutté, il avait subi et quand il s'était rendu compte que sa bulle avait éclaté, c'était trop tard : il se noyait déjà.

– N'oublie pas, tu n'es pas comme tes grand-parents ni comme tes parents. Tu ne vas succomber comme eux tous. Tu vas lutter et tu vas vaincre ; j'ai confiance en toi.

Tu es bien la seule ! Je ne pourrai jamais résister tout seul, et, cette personne qui pourrait m'aider n'existait pas. Ou du moins, n'existe plus. Je l'ai tuée Pixie. Tuée. De mes mots.

- Et puis c'est la seule solution.

– La seule solution, murmura-t-il plus pour lui-même que pour son amie.

Était-ce vraiment la seule solution ? Allait-il fuir encore une fois, se cacher derrière une excuse ridicule ?

– Je te laisse réfléchir.

Elle se leva et déposa un objet sur la petite table basse.

– N'oublie pas de manger. La nuit porte conseil comme on dit.

Elle partit. La porte claqua. Il ouvrit les yeux, qui tombèrent sur un petit manuel de poche. « Comment avoir confiance en soi en dix étapes », un sourire fleurit sur ses lèvres. Sacrée Pixie, elle avait pensé à tout.

Dehors, les ténèbres reprenaient leurs droits, pourtant, ici et là, quelques points de lumières brillaient au milieu de cet océan d'encre.

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