20 | Nous sommes des étoiles - seconde partie

— Expliquez-moi tout, expliquez-moi ce que ça veut dire. Expliquez-moi c'que c'est que ce cirque. Expliquez-moi, putain ! me surpris-je à hurler, paniquée.

Je me levai en laissant tomber mon bol plein de pitance sur le sol. Tant pis. Je n'en avais plus rien à faire. La seule chose qui me taraudait en cet instant, c'était de comprendre le sens de l'énorme blague dans laquelle je m'étais laissée entraîner. Car ça ne pouvait être que ça. Une blague énorme. Monumentale. Rien qu'une blague. Juste une blague.

Et pourtant. Ça me paraissait si évident.

Tout me paraissait être une telle évidence que je me sentis stupide de ne pas y avoir songé avant. Tout ce que j'avais oublié jusque-là revint me percuter avec une telle violence que je sentis mes genoux se dérober sous moi. Toutes les conséquences me paraissaient si... les mots m'échappaient, comme la cohérence de mes pensées. Les questions affluaient, affluaient, incomplètes, sitôt remplacées par de nouvelles réponses, puis de nouvelles questions, et de nouvelles réponses... un cercle sans fin.

Plusieurs instants se passèrent avant que ma conscience ne se décide à revenir à elle-même.

— Pourquoi... pourquoi est-ce que vous ne m'en avez pas parlé avant, bande de... putain ! Putain ! jurai-je sans plus prêter attention au caractère misogyne de ce mot.

Alors que j'apaisai petit à petit ma respiration, les explications commencèrent à arriver. Aries et Élios firent preuve d'une patience infinie face à ma réaction, répondant à chacune de mes questions, aux interrogations de Lou et de la Colombe. Alors se tissa un plan, d'abord abstrait, puis de plus en plus clair.

J'avais peur. J'étais perdue.

Mais mes amis étaient là.

— Cassiopée, tu sais, il y a une multitude de moments de ton histoire personnelle qui viennent de retrouver un semblant de sens. Tu as toujours cru être orpheline, mais la vérité, c'est que tu viens des étoiles. C'est pareil pour nous.

— Et ta mère, Aries ?

Le chemin sur lequel j'avançais s'était brutalement effondré sous mes pieds, et je me devais d'en reconstruire un le plus vite possible. Après tout, notre survie dépendait de notre capacité à savoir garder la tête froide, et je m'en serais voulu jusque dans la mort de pénaliser mes amis. Respire, Cassiopée, respire.

— Elle m'a adopté, Cassiopée. Elle m'a adopté. N'avais-tu pas compris ? Et nos bracelets... à nous aussi, ils font partie intégrante de notre corps, de notre cœur, même. Et sais-tu ce dont ils sont capables ? Ce dont nous sommes capables ?

Je secouai la tête en me rasseyant avec mille précautions sur le sol. Je tremblais.

— Si on les combine – et on peut se servir de ça une fois avant de retourner à l'état d'étoiles, comme le dit la plus ancienne version de cette légende, on peut réduire quelqu'un à néant. Et pas que matériellement. On peut l'effacer de la ligne du temps. On peut s'en servir contre Aquila, Cassiopée. On doit s'en servir contre lui. On peut reconstruire un monde meilleur, on peut emmener tous les habitants des terres d'Eques à s'éveiller de leur hébétude et qu'on se relève tous les manches pour offrir une chance d'enfin vivre à tout le monde.

— Mais... mais...

Les questions se bousculaient sur ma langue. Je ne savais plus vraiment où donner de la tête, à vrai dire.

— Pourquoi ne pas me l'avoir dit avant ? Ce n'est pas comme si nous n'avions pas passé trois mois et demi à se côtoyer vingt-quatre heures sur vingt-quatre !

— Est-ce que tu nous aurais écouté si tu ne nous connaissais pas aussi bien qu'après ces mois passés ensemble ? argua Élios. On avait trop peur que tu fuies, Cassiopée. On n'aurait pas voulu perdre toutes nos chances de te faire comprendre notre histoire parce qu'on se serait trop précipités, Aries et moi. Tu comprends ? Et... et vous ? continua-t-il en reportant son attention sur un·e Lou sous le choc et une Colombe fébrile. Vous comprenez ?

Je secouai la tête. Trop d'informations en même temps pour moi. Je détestais cela. Ça allait beaucoup trop vite. Et pourtant, n'était-ce pas ce que je voulais en fuguant de mon ancienne maison ? Une solution à tout ? On me l'offrait enfin, et sur un plateau d'argent.

Et pourtant, d'après ce que mes amis m'avaient dit, si l'on s'en servait, on retournerait à l'état d'étoiles. Autrement dit, je ne verrais jamais ce monde meilleur que j'avais tant espéré, que j'avais rêvé jusqu'à m'en faire mal.

— Et c'est ce que vous voulez faire ?

D'autres se seraient demandé s'il ne valait pas mieux emprisonner le dictateur pour lui laisser une deuxième chance, mais je n'y croyais pas. Je n'y croyais plus, à vrai dire. Ma foi en l'humanité avait été trop impactée : j'avais soif d'amélioration de l'existence.

— Entrer dans le palais et réduire Aquila en poussière. Maintenant, il faut juste trouver comment entrer dans le palais sans se faire capturer. C'est de ça dont il est impératif de discuter.

— Et il est inutile de se prendre la tête là-dessus. Je connais une entrée. Une entrée cachée.

Les voix qui commençaient à proposer des plans farfelus en s'élevant graduellement s'évaporèrent en un claquement de doigts : tous les yeux étaient à présents rivés sur la Colombe, attendant une explication rationnelle à cette déclaration inattendue et balancée et comme une bombe au beau milieu d'un volcan en éruption. Je bougeai vivement la tête en levant les sourcils, incertaine d'avoir bien compris.

— Pardon ?

— Je connais une entrée du bâtiment que les gardes ne connaissent pas – personne d'autre que moi et une autre personne, une personne de confiance. On peut passer par-là : on se retrouvera dans le palais.

— Comment tu sais ça ?

La brusque intervention d'Élios nous pétrifia tous, la Colombe inclue : sa voix était dure, et teintée d'un mélange d'incrédulité et d'une méfiance malvenue en ce moment. Son visage s'était fermé. La jeune fille prit une grande inspiration ; sa poitrine se souleva plusieurs fois de suite, et on avait tous compris qu'elle cachait quelque chose.

Mais comment savoir ce que c'était ? Peut-être nous avait-elle menti depuis le début et n'était pas celle qu'elle affirmait être à grand renfort de mots alambiqués ? Pire encore, avait-elle grandi entre les murs du palais ? Était-elle une traîtresse ? Non, cela ne faisait pas sens, ce n'était pas possible. Cette pensée était beaucoup trop incohérente, contrairement à ce que m'avaient révélé Aries et Élios au sujet de nos bracelets et de nos origines communes – qui était d'ailleurs une chose que j'avais vite décidé d'enfouir au fond de moi pour ne pas avoir à me torturer l'esprit. Non, décidément, les révélations de cette soirée étaient du grand n'importe quoi. Mais surtout, pourquoi avoir attendu autant de temps pour les faire ? Je ne comprenais plus rien.

Nous étions tous un peu hébétés, et nous ne réalisions pas vraiment le poids et les conséquences des paroles que nous prononcions à l'instant.

— Comment tu sais ça, la Colombe ? Comment tu sais ? insista Élios, la voix de plus en plus teintée d'amertume.

Je ne savais pas si le voile se levait enfin sur ce que l'on gardait encore pour nous-mêmes ou si, au contraire, nous ne faisions que déposer encore plus de nuages noirs et de nappes de brouillard devant. La Colombe secoua la tête. Je sentais, même si c'était impalpable, les chances de réussite de notre plan s'effriter. Mais nous étions tous trop têtus pour nous montrer tout à fait honnêtes, pas vrai ? Personne ici ne voulait que le projet de renverser le pouvoir capote officiellement ; si ce n'était qu'officieux, cela n'existait pas, pas vrai ? Je commençai à me remplir d'amertume.

— Je ne peux pas vous le révéler maintenant. Pas maintenant, s'il vous plaît. Je ne vous demande qu'une seule chose. Une seule chose. Faites-moi confiance, je vous en prie. Moi, j'ai une confiance aveugle en vous : est-ce réciproque ? Je sais quoi faire. Mais si je vous disais tout... sans doute un autre monde n'aboutirait-il jamais, et les terres d'Eques se noieraient dans la dictature durant des années, puis des décennies, puis des siècles, et même des millénaires.

— Et on est censés gober ça ? ricana Lou, prenant pour la première fois la parole après un grand silence.

Iel était aussi choqué·e qu'agressif·ve dans ses paroles. Iel se sentait sans doute aussi trahi·e que nous, voire plus. Ce n'était pas tous les jours que l'on apprenait que la personne que l'on aimait nous cachait des secrets de cette importance.

Pourtant, personne n'insista. Nous étions tous bien trop perdus et sur les nerfs pour communiquer sainement. Personne n'annula pour autant l'application du plan. Ce fut plus anxieuse et plus inquiète que jamais que j'allai m'endormir ce soir-là : je dus tourner durant des heures avant de trouver le sommeil. Celui-ci fut léger et désagréable. Que venait-il de se passer, au juste ? Mais surtout, qu'allait-il se passer ?

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