18 | Coucher de soleil - troisième partie

— J'ai peur, finit-il par soupirer en ramenant son regard sur la lueur du soleil qui se faisait de plus en plus proche de la cime des montagnes, de plus en plus ardente, de plus en plus vive. J'ai terriblement peur de ce qui va nous arriver, à tous. Regarde-les, renifla-t-il en désignant les trois autres membres du groupe. Quand je les vois comme ça, je me dis que je me suis tellement attaché à eux que je ne supporterais pas qu'il arrive quelque chose à l'un d'eux, et à toi non plus. J'ai peur de ce qui pourra nous arriver. Je ne comprends d'ailleurs pas l'ampleur que toute cette histoire a prise. On était un petit groupe d'idéalistes révolutionnaires, qui a été découvert, et maintenant, on est les ennemis numéro un, traqués au travers des terres d'Eques. Je n'avais jamais pris le temps d'y penser, mais c'est dingue, quand on y pense.

Élios hocha méticuleusement la tête, ses yeux oscillant entre son meilleur ami et le ciel qui semblait disparaître devant lui. Oui, quand on y réfléchissait, la réaction du pouvoir avait été légèrement disproportionnée. Il était impossible que la Guilde des Bannis de Gladius ait été le tout premier groupe de rebelles à être découvert depuis la fin de la guerre ! Si ?

— Et puis, je me dis que c'est une entreprise inconsciente, qu'on entreprend. Si on veut pouvoir entrer dans le palais d'Aquila et... je ne sais pas. Le tuer ? Le blesser ? on devra utiliser... nos étoiles. Et ça, ça veut dire qu'on devra mettre Cassiopée au courant. Comment tu veux lui dire un truc pareil, Élios ? Si ça se trouve, tout ce qu'on fera, c'est foutre en l'air ce que les membres de la Guilde qui ont perdu la vie ont mis tant de mal à ébaucher. Faire un doigt d'honneur monumental à un potentiel futur meilleur.

Aries semblait lancé pour parler pendant des heures. La fatigue poussait souvent à complètement vider son sac, sans que l'on ait aucun contrôle dessus.

— Tu sais, t'es pas obligé de penser à ça maintenant, tenta de le réconforter Élios, alors que lui-même n'y croyait pas, et pour cause : c'était se bander les yeux face à l'évidence ; c'était faux, entièrement faux.

— Arrête de mentir, Élios, cracha presque le garçon. Si on se tait, on sait qu'on court droit dans un mur, mais si on le lui dit, elle va nous prendre pour des dérangés. Sérieusement, tu te vois aller lui parler pendant qu'on marche et lui dire « oh, Cassiopée, au fait, les légendes existent. Nous sommes tous les trois les éclats de l'Étoile, et oui, nous aussi, on porte des bracelets qu'on ne peut pas enlever, comme toi, des putains de bracelets qui contiennent la puissance d'une putain étoile, et qui, si on les met tous les trois en contact, peuvent faire retourner une personne à l'état de poussière ! » ? C'est ridicule ! Au mieux, elle nous prendra pour des dingues, et, au pire, elle fuira !

— Tu te rappelles le temps qu'on a mis à s'en rendre compte et à en parler ? Bien évidemment, que c'est une histoire détonante. Mais il faut le lui révéler. Sinon, quel serait ton plan ? On est cinq contre un dictateur sanguinaire et son royaume matrixé à la propagande.

Ils n'étaient pas prêts. S'inventer des ambitions et un pouvoir influent sur le monde entier alors qu'ils n'étaient qu'une poussière dans l'univers parmi tant d'autres, tout ça pour fuir leur mal-être de grandir dans ce dit monde, ça paraissait parfois ridicule à Élios. Comment pensait-il commencer l'ébauche d'un avenir meilleur pour toute une population alors qu'il n'était même pas foutu d'avoir le courage de se montrer honnête envers Aries ? Il était couard. Le jeune homme se perdit dans sa flagellation mentale, le regard vissé sur les lèvres fines de son ami qui s'agitaient furieusement dans une réponse trouble.

Puis le silence revint. Alors, sans trop savoir pourquoi, l'urgence au bord des lèvres, peut-être, l'armure d'Élios se craquela.

— Aries, tu sais...

L'interpellé releva les yeux vers son ami. Cet ami qu'il n'aimait pas uniquement comme un ami. Mais un peu plus. Beaucoup plus. Tellement plus que son cœur qui tambourinait dans sa poitrine était douloureux.

— Oui ? l'encouragea-t-il, un embryon de sourire se dessinant peu à peu sur son faciès pâle.

— Ça fait combien de temps qu'on se connaît ? Deux ans ? Trois ans ? Pas beaucoup, en tous cas. Mais...

Mais je ne sais pas comment te dire tout ce que j'ai sur le cœur sans être incomplet ou ridicule.

— Mais quoi ? insista Aries après un nouveau silence lourd de non-dits.

— Je... j'arrive pas vraiment à mettre des mots sur ce que j'voudrais dire. J'aimerais bien te sortir un long discours empreint de mots poétiques, grandiose et émouvant, mais j'y arrive pas. Ça tient juste en une putain de vérité, Aries. Tu sais très bien ce que je veux te dire. Et je voulais te le dire avant qu'on crève : je suis amoureux de toi.

Une seconde, puis une autre. Et encore une autre. Celles-ci s'égrenaient, d'abord très lentement, puis dans une course folle. Et pourtant, le temps semblait être anesthésié. Élios expira brusquement, oubliant tout à coup qu'il avait oublié de respirer. Cette incontrôlable révélation n'était pas prévue.

Mais peut-être cela faisait-il trop longtemps qu'il la gardait pour lui et qu'elle pourrissait en son dedans, nichée bien au chaud dans ses envies et la cohue qui fourmillait dans ses veines. Aries avait reporté son regard sur le sol, les lèvres entrouvertes, légèrement perdu. Lui qui avait toujours cru qu'il allait passer leur attirance et leur stupidité sous silence pendant encore longtemps, il ne comprenait pas pourquoi de telles paroles.

Mais c'était sans doute mieux comme ça. À quoi bon faire semblant ? À force de trop souhaiter se protéger, on passait complètement à côté de ce qu'était réellement l'existence : quelque chose de risqué, quelque chose de dangereux, comme une flamme autour de laquelle on tourne pour tester à quel point on peut s'approcher sans se consumer.

— Et on sait tous les deux très bien c'qu'on ressent, continua courageusement Élios. T'as jamais eu besoin de mots pour que je comprenne que c'était réciproque.

Aries dodelina de la tête, avant qu'un véritable sourire ne vienne étirer ses lèvres.

Et que celles-ci ne viennent s'appuyer contre celles d'Élios, doucement, minutieusement, comme si l'instant risquait de se briser d'un instant à l'autre. Des mains virent se poser tout à tour sur des joues, des chevelures, des épaules, des dos, et l'univers vacilla. Un peu. Le temps de quelques instants.

Tous les murs d'un imaginaire bridé tombèrent, et le soleil finit par se lever sur ces deux âmes pleines de couleurs. Des rires se perdirent dans l'espace.

Enfin, pensèrent à l'unisson les deux jeunes hommes.

Enfin.

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