18 | Coucher de soleil - deuxième partie

Ce fut sur ces quelques mots que je m'assoupis, mon sommeil aussi lourd qu'une pierre. J'avais besoin de me ressourcer : mon esprit appuya sur off le temps que passent quelques heures. La Colombe montait toujours la garde, les sourcils froncés, assise en tailleur sur sa pierre, une pierre tranchante à la main en cas de danger. Elle était en intense réflexion, pleine de doutes, pleine de craintes, et son esprit moulinait, moulinait, moulinait. Qu'allait-elle faire ? Que valait-il le mieux pour elle, dans cette histoire ? Fallait-il que... oh, et puis, c'était assez ! Elle avait encore du temps pour y réfléchir, inutile de se torturer l'esprit maintenant. Autrement, elle ne trouverait pas le sommeil quand son tour de garde prendrait fin.

Sans autre compagne que ses pensées pour voir passer le temps, les secondes s'égrainaient lentement, très lentement, elle entendait presque les battements de son cœur résonner à l'unisson. Le soleil allait bientôt se lever. La Colombe observa avec une minutie sans précédent les couleurs que prirent le ciel et les nuages progressivement.

Le noir épais de la nuit se mua peu à peu en bleu marine, avant de virer au jaune, à l'orange. L'entièreté de l'horizon ressemblait à une nuée de papillons pris dans une fumée multicolore. Jamais elle n'avait encore observé un tel spectacle.

Elle avait l'impression que les minutes passaient, se confondaient, s'étiraient, devenaient des heures.

— Eh, la Colombe.

La jeune fille sursauta. Une main venait de lui pousser légèrement l'épaule.

— Oui, Élios ?

— J'vois que t'es crevée. T'es immobile et perdue dans tes pensées, mais je vois qu'tu vacilles d'avant en arrière. Va te coucher, vraiment. Ce que tu viens de vivre a dû t'affecter, et tu as le droit de te reposer. Je prends ta place, j'ai pas vraiment sommeil de toute façon.

— T'es sûr ? la questionna-t-elle.

L'ancien chef de la Guilde des Bannis de Gladius opina du chef. Oui, c'était beaucoup mieux. Il n'y avait aucun danger immédiat, pas de bruit suspect, il fallait reprendre des forces avant de continuer le voyage. Le jeune homme s'installa à la place de la Colombe, un léger sourire aux lèvres. Bien qu'entraîné dans cette histoire complètement dingue, il avait du mal à toujours rester focus sur leur objectif. Il y avait bien ce secret, dont il faudrait parler à Cassiopée tôt ou tard. Et puis, il y avait bien une autre personne qui prenait trop de place dans sa tête. Beaucoup trop de place.

Penser à Aries lui crevait le cœur, et gérer ce sentiment alors même qu'il le côtoyait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, maintenant, dans cette fuite, était devenu encore plus compliqué. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, lorsqu'ils avaient quatorze ans, dans une réunion de la Guilde – sa mère en était membre et souhaitait lui faire passer le flambeau –, ils étaient inséparables.

Oui, ses sentiments envers lui s'étaient lentement intensifiés, jusqu'à devenir une présence constante, là, quelque part au creux de son ventre, de sa poitrine, de ses pensées. Et même si les sentiments d'Aries étaient réciproques – ce dernier avait essayé de le cacher mais était un bien piètre menteur –, aucun des deux n'avait vraiment osé foutre un grand coup de pied à une relation amicale qui ne connaissait pas de vagues. Se montrer honnête sur ce qu'on ressentait, et exposer ses sentiments de manière brute, se mettre à nu, c'était quelque chose dont on ne pouvait ignorer le courage. Peut-être était-il plus facile de ne pas prendre de risques.

Mais aujourd'hui, aujourd'hui, en regardant ce coucher de soleil, Élios hésitait. Et s'il perdait la vie, au cours de cette fuite, et durant leur tentative de soulever une révolution ? L'idée de mourir sans avoir pu partager un rêve avec Aries lui était insupportable.

Les couleurs miroitantes du lever de soleil s'estompaient peu à peu. Le ciel était un dégradé de feu. Bientôt, l'astre solaire commencerait à apparaître, et la chaleur les écraserait tous sans pitié. Mais pour l'instant, le spectacle continuait.

Élios se mordit la lèvre dangereusement fort, sursautant juste avant que le sang ne commence à couler. Mince. Ça piquait.

Il ne servait à rien de tenter de se distraire : chaque réflexion le ramenait vers Aries. Et un poème qu'il lui avait écrit, une nuit, au milieu de ses insomnies agitées d'angoisses, sans jamais vraiment imaginer lui donner un jour. Élios l'avait encore au fond de son sac à dos, écrit sur une feuille blanche arrachée à un roman, bien dissimulé sous le poids de ses utopies et de sa peur de l'avenir.

Et dans l'aube étalée sur ta peau
Et dans ces coups de tonnerre et de foudre
Et dans les histoires qu'tu traînes dans ton p'tit sac à dos
Et dans ce vague dans les yeux, qui a quitté ton âme
Et dans ces doux mensonges qu'on se murmure tout bas
Et dans la résistance, et la révolution ardente,
Dans les moqueries des hirondelles,
Et dans tout l'amour du monde
Dans ce saut de l'ange
Qu'est la mise à nu de soi,
Il y a mes pensées qui me ramènent
sans cesse
vers toi.

Un poème bien à l'image de la facette de lui qu'il dissimulait soigneusement : sans talent aucun pour les mots, vulnérable, ridiculement désespéré, avec une touche de niaiserie touchante.

En réalité, Élios était épuisé. Physiquement, il pouvait encore tenir, mais moralement parlant, il était à deux doigts que tout pète, que tout s'écroule. Le jeune homme était épuisé. Il ne supportait plus toute cette pression. Et le plus ironique, dans l'histoire, c'est qu'il se la mettait toute seule. En tant que meneur de la Guilde, il était persuadé que son devoir était d'organiser le groupe et de se montrer toujours à l'affût pour que ses acolytes ne se tuent pas à la tâche. Et tant pis s'il négligeait sa propre fatigue. Et qu'il se faisait du mal au cœur en intériorisant tout. Tant pis. Tant pis. Tant pis.

Tant pis.

— Eh, Élios, ça va ?

Le brun ne fit aucun mouvement brusque, et il se contenta de hocher la tête alors que son meilleur ami venait s'asseoir à ses côtés.

— Je n'arrivais pas à dormir. Désolé. Je sais que ce n'est pas très sympa pour le groupe, que je vais vous ralentir à cause de ma fatigue, mais je n'y arrive vraiment pas. Je réfléchis trop.

Élios tourna la tête vers Aries. Celui-ci avait les yeux rivés sur l'horizon, le menton posé sur ses bras, eux-mêmes posés sur ses genoux. Son attitude était faussement nonchalante, alors même que deux gros cernes gribouillaient le dessous de ses yeux et que son ventre grondait de faim.

— Tu réfléchis à quoi ? le questionnai-t-il, hésitant.

Il tourna lentement son regard vers celui qu'il aimait, le cœur au bord des lèvres. Trop de craintes en ce moment.

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