17 | J'aurais peint des mots - première partie

— Baissez-vous !

Certaines personnes sur cette terre possédaient la capacité de chuchoter en hurlant, et Aries faisait partie de ces personnes. Pour le meilleur ou pour le pire ? Dans notre situation actuelle, je n'aurais pas su le dire.

Nous n'avions pas dormi de la nuit, trop angoissés pour réussir à trouver le sommeil après l'arrestation brutale de la Colombe. Après que les piaillements incessants des oiseaux s'étaient arrêtés et que la lune s'était mise à briller dans le ciel d'encre des nuits d'été, nous étions descendus de nos arbres pour constater en quelques cris et quelques pas qu'il ne restait pas âme qui vive dans le périmètre de la forêt, mis à part un pauvre lièvre que nous avions réveillé en sursaut et qui avait détalé en nous offrant au passage la peur de notre vie.

Il ne nous avait pas fallu un trop long moment, à quatre, pour nous mettre d'accord sur une chose : il était hors de question d'abandonner la Colombe aux mains des gardes. La seule prison existante à des kilomètres à la ronde se trouvait à une dizaine de kilomètres au Nord, mais nous supposions que notre acolyte avait été enfermée dans le camp de soldats le plus proche pour être transférée dans deux jours – c'était, chaque mois, le moment où les prisonniers les plus récents intégraient les prisons, et où les plus dérangeants étaient menés sur les places publiques de leurs villages d'origine pour y être décapités : spectacle mensuel pour maintenir une population fanatisée dans un climat de peur ; rapide, simple, efficace.

Nous n'avions donc pas beaucoup de temps pour agir : il fallait nous introduire dans le camp de soldats le plus proche pour l'en libérer avant que cela n'arrive. La Colombe était une alliée précieuse, aussi agréable à vivre qu'à l'aise à l'oral, aussi aurions-nous besoin de son aide pour discours et bonne communication avec d'autres. Sans compter que, malgré sa discrétion, elle était une amie très sympathique. Le quotidien aurait été morne sans ses blagues nulles et ses remarques détonantes assez amusantes sur la nature qui l'entourait. Il fallait dire qu'elle avait passé la majeure partie de sa vie emprisonnée...

Je courbai l'échine pour avancer à la suite de Lou dans le petit couloir qui menait à la seule cellule du camp : nous étions tous les quatre en ligne, tâchant d'être le plus discrets possibles. Tâche qui nous paraissait quasiment impossible dans le silence total et pesant de la nuit. Chaque pas, aussi lent et léger soit-il, nous paraissait tellement bruyant que cela nous écorchait les oreilles. Nous avions peur, malgré nos faciès concentrés et résolus – ce n'étaient que des masques, rien que des masques. Non, il ne fallait pas que je pense cela, que je me laisse abattre, autrement, nous n'arriverions jamais à rien. Allez, Cassiopée, un peu d'espoir, regarde les étoiles qui trônent là-haut. Vas-y, regarde-les. Ne t'y sens-tu pas en sécurité ?

— Vas-y, passe devant, je surveille et vous préviens si jamais un garde arrive, murmura, plus discrètement, Lou, qui jetait des regards angoissés à droite à gauche.

Je lae dépassai le plus rapidement possible, tentant sans grand succès de maîtriser les battements affolés de mon cœur qui s'emballait face au doute qui me tordait les entrailles.

Après tout, nous nous étions organisés en catastrophe, et voler les clés de la cellule et des autres portes dans le petit cabanon des gardes n'avait pas été une mince affaire : trois soldats y montaient la garde, et, malheureusement pour nous, ils tenaient tous aussi bien l'alcool les uns que les autres. Nous avions dû guetter pendant trois heures au bas mot, prostrés dans l'ombre dans des positions plus qu'inconfortables avant d'entendre des ronflements émaner du minuscule bâtiment... après avoir été obligés de supporter les remarques grivoises irrespectueuses et les chansons paillardes qui sortaient de leur bouche, incontrôlables, pitoyables en y repensant.

Alors, nous nous étions précipités, remerciant les limites du cerveau humain face à des substances abrutissantes.

Et maintenant, nous étions proches du but, si proches du but, il ne fallait pas faire de bruit, aucun bruit, faire attention, ne respire pas trop fort, Élios, désolé, Cassiopée, passe devant moi, on te couvre, va ouvrir la porte, fais gaffe, la serrure est grande, ça fait du bruit, la porte est vieille, elle doit probablement grincer, fais moins de bruit, oui, c'est enfin ouvert, bravo ! tourne la poignée doucement, tout doucement, mets ton pied pour amoindrir le bruit...

Nous nous engageâmes tous dans le nouveau couloir qui s'ouvrait à nous : les murs en pierre étaient glaciaux, autant que l'ambiance de ce monde, autant que nos cœurs emplis d'appréhension et de stress.

Dans l'obscurité presque totale, je m'avançai à petits pas, en essayant de suivre les courbures du mur avec le plat de ma main – que je m'étais écorchée en la posant sur la dernière porte que nous venions de franchir : on ne se méfie pas assez des échardes, et c'est très douloureux. Je ne savais pas si je saignais, mais, en tous cas, une sensation désagréable de brûlure pulsait au creux de ma paume, me remontant dans le bras.

Le sol était inégal et je craignais de tomber, de m'étaler la tête la première dessus, et de tout faire rater. Respire, Cassiopée, s'acharnait à me répéter ma conscience. Respire, marche lentement, et tout ira bien. Je ne demandais qu'à le croire, mais, et si ce n'était pas le cas ? Si notre entreprise tournait au vinaigre, et que nous étions tous faits prisonniers ? Ce serait une véritable catastrophe, pensais-je amèrement. Comment savoir si notre mort éventuelle enterrerait nos espoirs de révolte, ou bien soulèverait le pays ? La première hypothèse était, malheureusement pour nous, le scénario le plus probable. Et tout l'espoir du monde ne suffirait certainement pas à changer les choses.

On peut dire tout ce qu'on veut sur l'espoir, me serinaient mes pensées, on peut en faire des poèmes, des œuvres d'art, des grands discours, des chansons, tout ce que l'on veut, même les choses les plus grandioses, seul, il ne servira jamais à rien. Tu ne pourras jamais changer le monde avec simplement de l'espoir. Il faut pouvoir le transformer en colère, en peine, en motivation, et alors, tu ne seras pas seule avec ça, tu seras plus que juste une voix au milieu de ce monde vaste et aveugle, parce qu'alors, derrière toi, il y aura des milliers, des millions d'autres personnes.

Et alors, l'espoir aura pris suffisamment d'ampleur.

Nous étions tous les quatre proches, si proches de la porte de la cellule. Et alors, nous n'aurions plus qu'à en libérer la Colombe. Mais était-elle là, seulement ? Et si tout cela n'était qu'un piège ? Étions-nous simplement sûrs de ne pas y foncer la tête la première ? Je tâchai de garder mes angoisses pour moi pendant que nous continuions notre trajet dans le corridor. Après tout, celles-ci étaient infondées. Je savais que je devais donner l'impression d'être anxieuse, que mes phobies n'étaient que des délires, mais les images de l'attaque des soldats à Gladius tournaient en boucle dans mes pensées. Chaque petit bruit me faisait sursauter. Et s'ils nous attendaient, dans l'ombre, pour achever le travail qu'ils n'avaient pas fini il y a quelques jours ? Cette idée m'était insupportable.

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