15 | Avant de changer le monde - seconde partie
— T'es vivante, t'es vivante...
Je retrouvai Lou en suivant le son de ses murmures étouffés, et je me précipitai alors vers le corps qu'iel tenait dans ses bras.
— La Colombe, soufflai-je sans parvenir à masquer l'émotion qui prenait peu à peu le pas sur mon étonnement et le choc de la révélation. Je te croyais... mais t'es vivante. T'es vivante. Putain, t'es vivante !
Je ne pus contenir un éclat de rire et rejoignis en deux grandes enjambées l'étreinte formée par mes deux ami·e·s. La Colombe n'était pas morte. Elle n'était pas morte. Elle n'était pas morte. Elle n'était pas morte ! Mais comment ? Je croyais que... Pendant combien de temps était-elle restée là ?
— Ouh, Cassiopée, fais attention, rit-elle gauchement avant de gémir de douleur. J'ai... je suis blessée.
Blessée. J'aurais dû m'en douter. C'était déjà un miracle qu'elle ait survécu à l'attaque : elle était sauve, mais saine, ç'aurait été impossible. Je me dégageai et l'interrogeai du regard. Elle soupira en me désignant son bras.
— Une balle m'a touché l'épaule. J'ai réussi à l'enlever – je sais comment faire, bien sûr, j'ai déjà soigné d'autres personnes –, mais... je saigne. Beaucoup. Regarde, je me suis fait un bandage, mais... ah, fais attention, ça saigne, c'est douloureux !
— Tu permets que je t'en refasse un ? la questionnai-je. On doit vérifier qu'il ne reste rien, et puis, ce sera plus propre. Je peux ?
Elle hocha la tête, et Lou l'aida à se rasseoir. Je cherchai dans mes poches le rouleau de tissu que j'avais emporté et le posai à côté de moi. À l'entrée de la pièce, Élios et Aries venaient de se manifester. Je détachai le bandage de la Colombe et tressaillis lorsque je vis la plaie béante qui se dessinait sur plusieurs centimètres le long de son bras. Prenant mon courage à deux mains, j'essuyai tout ce que je pus de sang à l'aide d'un morceau de tissu, l'occasion de vérifier si tout allait bien.
— Le muscle n'a pas été trop durement touché, et, à en juger par l'aspect extérieur, aucune trace de balle. Bon travail ! Tu devras attendre quelques temps avant que ça guérisse. Ça va ?
Elle hocha la tête et lâcha un bref hurlement lorsque je lui refis un bandage autour du bras avant de lui maintenir la main sur la côte pour lui faire une écharpe. Il ne fallait pas que ça puisse bouger. Concentrée sur ma tâche – je ne devais pas être trop brusque –, je n'écoutai que d'une oreille distraite la tonne de questions qu'Aries, Élios et Lou posèrent à la blessée.
Y avait-il d'autres personnes en vie ? Elle ne savait pas, elle était restée cachée dans cette armoire depuis la fin de l'attaque. Les soldats l'avaient-ils trouvée avant ? Comment s'en était-elle sortie ? Non, elle avait été la seule à réussir à se camoufler, et elle était restée cachée par crainte qu'il reste encore des gens malintentionnés dans l'immeuble, jusqu'à ce qu'on arrive. Mais alors, cette balle, lui avait-elle été destinée ? Non, le soldat visait une autre Bannie, Lisa, mais tellement mal que c'était elle qui avait reçu le missile. Elle avait couru et était passée de pièce en pièce, chaque fois que les soldats en quittaient une. Et ç'avait été horrible, elle était persuadée qu'elle était la seule qui restait, ou que les survivants l'avaient abandonnée.
— On est là, maintenant, t'inquiète pas, lui murmura Lou.
— J'y croyais plus, je te jure...
Une telle effusion d'émotions avait beau me paraître lointaine – j'étais loin d'être une bonne référence en termes de relations sociales –, je fus touchée par les paroles qu'échangèrent mes amis. Je dus probablement en murmurer quelques-unes moi, sans doute pour moi-même, pour me rassurer, mais j'étais un peu déconnectée. L'investissement émotionnel causé par l'attaque et toutes les actions qui s'étaient déroulées depuis m'avait complètement épuisée. Je ne tenais debout que grâce à l'adrénaline, mais je ne doutais pas que le temps m'était compté avant que je ne m'écroule de nouveau de fatigue.
— On a pris le sac d'urgence, déclara finalement Élios au bout de nombreuses minutes brumeuses.
Sa voix était claire et ne tremblait aucunement ; la maîtrise extrême dont il faisait preuve transparaissait dans les tics nerveux qui agitaient de temps à autre ses mains.
— C'est le sac « au cas où » : quand on est une organisation rebelle, il faut toujours prévoir l'extrême urgence. En l'occurrence, l'attaque d'hier soir l'était.
Il nous montra le bagage en question, un immense sac en toile rempli à ras-bord.
— Il n'est plus question de rester ici, c'est bien trop dangereux.
— Et que contient ce sac, exactement ? le questionna Lou en aidant maladroitement la Colombe à se remettre sur pied. Il est intact ?
Aries hocha la tête comme un automatisme.
— Oui, on a vérifié. Là-dedans, tu trouveras des provisions pour... voyons... trois jours pour nous cinq personnes si je fais le calcul, du papier et des stylos, des lampes torches, ainsi qu'une carte du pays. Le strict minimum à emporter, il ne s'agirait pas de nous faire remarquer par les gens. Les rues que nous avons traversées pour revenir jusqu'ici étaient vides étant donné que nous n'avons eu à traverser que le quartier abandonné, mais il faudra désormais faire attention.
☆☆☆
Lorsque nous ressortîmes de l'immeuble détruit, puis, quelques minutes après, du quartier inhabité, nous resserrâmes tous les bretelles des sacs à dos que nous avions pris dans la planque, et commençâmes à raser les murs.
Nous ne parcourûmes pas plus de quelques mètres avant de nous arrêter en face d'un mur décrépit où avaient été collés à la va-vite des avis de recherche : nos cinq visages en file indienne, avec, à la clé, une grosse récompense. « Mort ou vif : individu dangereux et déséquilibré, ennemi de la Nation » pouvait-on lire sous chacun de nos portraits.
— Comment peuvent-ils savoir que c'est nous ? Ton nom, la Colombe, et le tien, Cassiopée, et... Que s'est-il passé, bordel ? Et les photos ? D'où sortent-elles ?
— Les soldats ont dû fouiller dans nos affaires personnelles. Des photos, des lettres... peut-être dans des livres qui vous ont été offerts ? Et toi, Cassiopée, tu es la seule dont le portrait soit un dessin...
— Peut-être qu'on a interrogé le soldat qui m'a interrogée avant que je ne rentre dans Gladius, suggérai-je, tétanisée devant ces affiches.
Le temps nous était désormais compté, il était impératif que nous sortions de la ville sans être repérés. Ennemi de la Nation, cela signifiait que notre nom était désormais affiché partout. C'était une nouvelle atroce, mais une touche de lumière vint en éclairer la noirceur : cela signifiait qu'Aquila – ou, du moins, les pantins de son gouvernement – prenait la menace d'une rébellion au sérieux. Cela ne faisait que démontrer qu'il avait des choses à cacher, et que le pouvoir était quelque chose de fragile, infiniment fragile, comme les ailes d'un papillon.
Mais les ailes d'un papillon sont, disait-on, responsables des plus grands tsunamis, des plus grandes catastrophes, et c'était aussi ça, la dictature donnée aux mains d'un être cruel. Fragile mais dévastateur tant qu'on ne l'arrêtait pas.
— Passons par la forêt et marchons uniquement dans les collines, suggéra Aries.
— Et où allons-nous ? s'inquiéta la Colombe, dont les yeux s'embuaient déjà de larmes. Je ne veux pas voir ma tête placardée sur tous les murs en étant désignée comme une personne à abattre...
— Je sais où aller, déclara Élios. L'endroit où les soldats ne nous attendront pas.
Nous nous retournâmes tous vers lui. Il eut l'embryon d'un sourire, profitant de son petit effet. Toutes les occasions étaient bonnes pour dédramatiser les horribles évènements qui nous tombaient dessus.
— Rendons-nous dans la capitale des terres d'Eques. Étincielle.
— Là où se trouve le château d'Aquila ? Tu te paies ma tête, c'est ça ? s'exclama Lou, croyant sans doute notre leader complètement dérangé de proposer une destination pareille. Et à pied ? Tu sais combien de temps ça va nous prendre ?
Je laissai les éclats de voix monter, inquiète à l'idée d'être repérée, je laissai pourtant le soin à Élios de donner des explications. Aussi fou puisse-t-il paraître, son plan n'était pas bête, bien au contraire.
— Étincielle se trouve au nord. Nous aurons les montagnes à traverser, et, si nous marchons globalement en ligne droite vers la capitale, nous aurons un chemin d'environ un gros millier de kilomètres, parce qu'il faudra faire des détours pour éviter les villes, bien entendu.
— Ça va nous prendre des centaines d'heures ! Et puis, Élios, c'est le pire endroit où nous rendre !
Je relevai les yeux.
— Bien sûr que non. C'est l'endroit le plus dangereux, mais, bien évidemment, le plus sûr. Ma phrase est paradoxale, certes, mais réfléchissez ! Personne ne nous attend là-bas ! Si nous faisons attention, nous serons tranquilles !
Élios, ravi d'avoir du soutien et de la compréhension, écarta grand les bras pour donner de la contenance à son discours. Il prit d'ailleurs l'intonation claire et forte d'un discours, un peu inquiet à l'idée de ne pas réussir à persuader ses comparses de ce qu'il avançait.
— Avant de tenter de changer le monde, on va s'assurer de notre sécurité. Au vu de l'attaque dont on a été victimes, c'est ce point qui nous a fait défaut, alors on va s'en préoccuper avant toute chose. Quoi de mieux pour cela que se jeter dans la gueule du loup ?
Incroyable mais vrai, ces paroles firent leur chemin dans la tête d'Aries, Lou et la Colombe, et c'est avec ça qu'il finit par tous nous convaincre de suivre son plan complètement fou.
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