07 | Est-ce que c'est ça, grandir ? - seconde partie
— Hé !
Je relâchai la prise sur la corde mais gardai les bras pliés, les genoux légèrement tournés vers l'extérieur, et plissai les yeux. J'entraperçus une porte s'ouvrir, et trois silhouettes sortir de l'ombre. La première appartenait à un jeune homme qui devait avoir mon âge, ou quelques années de plus. Quoiqu'il en soit, il était grand et large d'épaules : sa grande chemise à carreaux avait les manches retroussées et lui tombait jusqu'à mi-cuisses. La seconde silhouette était celle d'une personne à l'air inquiet, et je ne m'attardai pas dessus : je ne les connaissais pas, après tout. Et puis Aries s'avança. Il n'avait pas l'air menaçant, comme je m'y étais attendu, l'air de me dire « tu es bien trop naïve. Tu es bien trop naïve, bien trop bête, et maintenant je vais te faire payer tes rêves. ». Mais il osa me regarder dans les yeux. Comment pouvait-il le faire sans ciller ? Comment ?
— Aries, fis-je avec un dédain non-dissimulé, les sourcils hauts, la voix posée, alors qu'au fond de moi j'étais morte de peur.
Si la rage ne m'avait pas fait voir rouge, j'aurais compris que l'expression plaquée sur son faciès ne voulait que me transmettre le message qu'il était désolé pour le traitement que lui et sa bande m'avaient infligé.
— Tu es Cassiopée Durand, c'est bien ça ? me demanda le premier garçon, celui à la grande chemise à carreaux et au pantalon large et poussiéreux.
Il avait une voix très grave.
— Ce n'est pas mon vrai nom de famille, sombre crétin, répondis-je à l'adresse d'Aries. Es-tu bête à ce point ?
— Cassiopée, répéta la seconde personne, la moitié de son visage anguleux encore dans l'ombre.
Le premier garçon, celui qui semblait être le chef, me toisa de haut en bas en fronçant les sourcils.
— Cassiopée, redescends. Tu ne vas pas te libérer alors que nous sommes ici, et il est très malpoli de converser avec les gens alors que l'on se trouve à un demi-mètre au-dessus de leurs têtes.
Je laissai nerveusement échapper un rire, et, opinant du chef, je me laissai retomber sur le sol en grimaçant lorsque mes pieds s'y reposèrent. Le choc sembla traverser l'entièreté de mon corps. Des centaines de répliques cinglantes me brûlaient la langue, et je me forçai à les ravaler. Sans succès.
— Il est vrai qu'enlever quelqu'un après avoir gagné un semblant de confiance de sa part avant de l'attacher les deux bras en l'air dans un lieu inconnu est très convenable, vous êtes très bien placé pour me faire la morale.
Un soupir échappa à Aries, et je crus entendre « pas maintenant, attends ». Pas maintenant de quoi ?
— Je te prie de nous excuser pour ce mauvais traitement, reprit le chef, le plus sérieusement du monde. Nous devions simplement nous assurer de la sincérité de ce que tu avais pu dire à Aries – Aries que tu connais déjà, bien évidemment. Une promesse de ta part de ne pas nous mentir et des explications, c'est tout ce que l'on te demande. On t'expliquera après.
— C'est une blague ?
J'étais tellement sidérée par sa proposition que les mots pour lui tenir un discours de six pieds de longs restèrent bloqués dans ma gorge. En cet instant, la seule chose que je voulais était de leur cracher à la gueule, tous les trois autant qu'ils étaient, de les insulter, d'exiger des explications. Après tout, je n'avais strictement rien demandé, moi ! C'était Aries qui m'avait enlevée, et, à cause de lui, je me retrouvais ici, dans cette pièce, en face de ce garçon auquel il manquait clairement une case de bon sens et de raisonnement logique. C'était moi qu'on attachait après m'avoir menti et c'était lui qui exigeait des explications ?
— Vous êtes des soldats infiltrés, c'est quoi cette histoire ? Vous allez me livrer à Aquila ? Sérieusement ? Vous n'avez pas passé le stade de la vengeance pure et dure se basant sur des mots et de l'espoir prononcé à voix haute ? Je n'ai que quinze ans, bientôt seize, et vous vous sentez menacés par moi à tel point que vous m'enlevez ? Ça ne fait que traduire la fragilité du gouvernement pour lequel vous travaillez. Le système est vacillant, il ne tient presque plus, mais au lieu de casser le mur pourri pour le reconstruire plus grand et plus fort, vous vous obstinez à repasser de la peinture dans l'espoir que ça fasse disparaître ce que c'est censé cacher ?
Je secouai la tête devant leurs visages fermés. Aries me fixait, et je plongeais mon regard dans le sien durant un instant : ses cheveux blancs étaient en désordre, et il tirait nerveusement sur les manches de sa veste pendant qu'un vent glacial s'infiltrait par les mailles des bâches.
— Elle a du caractère, ta copine, hein ? lança le garçon à la chemise à carreaux à son acolyte. C'est bien ça, les gens qui ferment leur gueule dans des moments inopportuns sont fades. Bien, Cassiopée. Je suis d'accord avec toi sur une partie de ton petit laïus aux tons de révolution, même si pas tout à fait après tout, mais je dois bien te dire que tu te trompes sur toute la ligne concernant ce que tu crois savoir de nous.
Bien évidemment. Et en plus il me prenait pour une dinde. Rien de tout cela ne faisait sens. Absolument rien.
— Alors vous pourriez peut-être commencer par vous présenter, vous deux, non ? Autrement, vous ne feriez que me prouver que j'ai raison.
— Promets-nous d'abord d'être sincère dans tes réponses aux questions que l'on te posera, Cassiopée, répondit l'autre. On a besoin de savoir quelles sont tes réelles intentions.
Je fulminais. Il lui manquait des connexions neuronales, ou quoi ?
— Mes intentions, c'est de trouver la Guilde des Bannis et de faire partie, voire de mener un groupe suffisamment grand pour s'infiltrer dans les failles du système et le renverser. Mon intention, c'est d'essayer de faire changer le monde, peu importe si ça paraît trop naïf à tous ceux qui se sont résignés. T'as besoin de quoi d'autre ? m'énervais-je. Que je te signe un contrat ? Une déclaration sur l'honneur ? Oh, non, j'oubliais ! Vous ne savez pas ce que c'est, hein ?
Le silence s'étira alors que je les foudroyais tous les trois du regard.
— Tu vois ? finit par murmurer Aries d'un air timide au garçon à la chemise à carreaux. Tu vois ce que je t'avais dit ?
Il hocha la tête avant de reporter son attention sur moi. La lumière qui brillait au fond de ses rétines et les plis qui venaient de se former sur son front semblaient traduire un intense débat intérieur. À quoi réfléchissait-il ? Et à quoi tout ceci allait mener ? Je ne comprenais plus rien, et ne savais plus comment réagir, qui était qui, et à quoi le monde rimait. Puis un soupir bruyant et bref s'échappa d'entre ses lèvres brunes, et il releva la tête pour me regarder en face.
— Très bien. Je m'appelle Élios. Je suis le chef de la bande.
J'aurais pu lui cracher mon mépris au visage, mais son changement radical d'attitude m'avait sonnée, prise de court. Toute mon attention était désormais focalisée sur lui, et je me taisais dans la crainte de laisser passer un indice important. Élios. Éli. C'était probablement la même personne. Il me désigna Aries en l'invitant à s'avancer à ses côtés.
— Tu connais déjà Aries, bien sûr. Il est mon bras droit.
Il fit ensuite signe à la troisième personne, qui se plaça à son niveau à son tour. Sa silhouette se découpa au fur et à mesure qu'elle apparaissait dans la lumière, et un sourire timide éclaira son visage.
— Voici Lou. Je sais que tu n'aimes pas que je te présente uniquement avec ton rôle, bien sûr, mais Cassiopée aura tout le loisir d'apprendre à te connaître plus tard, s'excusa-t-il à l'adresse de Lou. Voici donc Lou, comme je te le disais : iel est notre poète – ou poétesse, tu acceptes les deux, Lou, me semble-t-il – en chef. C'est ellui qui écrit une grande partie de nos textes, en réalité.
Lou m'adressa un hochement de tête, et ses cheveux bouclés semblèrent rebondir son crâne.
— Vos textes de quoi ?
J'aurais pu poser un million, voire un milliard d'autres questions, mais ce fut la seule qui franchit la barrière de mes lèvres. Pour toute réponse, Élios se mit à rire, et ses deux acolytes l'imitèrent.
— Aries, ta copine a du caractère, mais elle n'est pas très fut-fut, hein ?
— Élios, ce n'est pas ma copine, et puis la manière dont tu lui parles n'est clairement pas sympathique, ni empathique d'ailleurs. Excuse-le, Cassiopée, il peut être un peu cassant, parfois.
— Je m'en fous, Aries. Explique-moi. Qu'est-ce que c'est, tout ça ?
J'étais épuisée par toute cette mascarade.
— Tu n'as toujours pas compris, Cassiopée, vraiment ? On fait tous les trois partie de la Guilde des Bannis.
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