Partie unique



– Si tu veux mon avis, hyung, tu es stupide.

– Si tu veux le mien, je suis du même avis que Tae.

– Si vous voulez mon avis, les gars, j'ai pas vraiment demandé le vôtre.

Un soupir général traversa de part en part le petit groupe d'amis. Tandis que Namjoon et Taehyung s'échangeaient un regard lamenté, Yoongi, lui, s'était mis à grogner dans sa barbe, le poing contre la bouche et les sourcils bien froncés.

Ce n'était pas la première fois que ce débat animait leurs déjeuners et l'aîné des trois commençait à en être vraiment lassé.

– Quoi qu'il en soit, c'est peine perdue, alors autant ne pas me ridiculiser, maintint-il, souhaitant clore le sujet.

– Donc tu préfères continuer à le regarder de loin et le laisser te filer entre les doigts ? Je te rappelle que dans trois mois, le lycée, ce sera fini pour toi.

– Nam a raison. Tu vas vraiment le regretter. Regarde, si j'avais pas fait du rentre dedans à Kookie, je ne serais pas avec lui aujourd'hui.

Au fond, ils avaient tous les deux raison. Car si Taehyung n'était qu'en première année et Namjoon en seconde, Yoongi, lui, avait quasiment fini son cursus et partirait tout bientôt pour l'université. Cependant, il y avait une donnée que le benjamin ne semblait pas avoir prise en compte, un petit détail qui changeait tout.

– Tu oublies une chose, Tae : Jungkook est fou de toi depuis la crèche. Moi c'est pas pareil, il ne sait même pas qui je suis.

– Raison de plus pour aller te présenter à lui. Et puis forcément qu'il sait qui tu es ! T'es quand même le meilleur ami du petit-copain de son meilleur ami.

– Et celui de son délégué de classe ! ajouta Namjoon.

– Ah bah oui, ça change tout, ironisa Yoongi.

Chaque fois c'était pareil, ses dongsaeng usaient toute leur salive pour pousser le plus vieux à porter ses cacahuètes et à enfin aller voir celui pour qui son cœur battait depuis plus de quatre saisons déjà. Mais c'était sans compter sur le tempérament borné de Yoongi, qui s'entêtait à ne rien faire.

Honnêtement, ce n'était pas comme s'il ressentait rien qu'un mince filet d'espoir vibrer dans son corps. Il savait parfaitement qui il était et à quoi il ressemblait, mais surtout, il savait rester à sa place.

Car Park Jimin, lui, n'était pas n'importe qui et ne ressemblait pas à n'importe quoi. Voilà plus d'un an qu'il étudiait dans ce lycée, et sa popularité avait atteint son sommet en un temps record. Plus connu sous le titre de petit-prince du lycée, élu plus beau garçon et meilleur danseur de l'établissement, il était celui dont le nom passait dans toutes les bouches et sur qui les paires d'yeux s'arrêtaient. Tout le monde le connaissait, et nombreux étaient ceux qui faisaient de lui un invité d'honneur au cœur de leurs rêves nocturnes.

Seulement, ses prétendants pouvaient bien s'entasser devant sa porte, le jeune noiraud tant apprécié ne semblait pas décidé à l'ouvrir à qui que ce soit. Trop jeune, trop vieux, trop grand, trop petite, trop mal fringuée, trop peu aimable... Jimin les triait selon l'ordre de ses critères et les refoulait dès le moindre détail déplaisant. Il avait même rejeté Lisa et Hoseok, les deux autres élèves sur le podium de son cours de danse. Sans parler de Kim Seokjin, étudiant de dernière année et président du club de théâtre, reconnu aussi bien pour ses charmes incroyables que ses talents dignes des plus grands dramaturges.

Alors, si même le gratin du bahut se faisait recaler, il était clair que Min Yoongi, avec ses cheveux verts délavés, son mètre soixante-quatorze, ses jeans troués et ses manteaux trop longs, ne serait pas celui à qui l'on donnerait la couronne.

Taehyung, pourtant, était loin de partager cette opinion. Occupant fièrement la place d'amant de Jeon Jungkook, l'inséparable ami de Jimin, il se vantait souvent des quelques informations obtenues sur le petit-prince, toutes garanties comme « source sûre ». Selon lui, Yoongi faisait un bon prétendant. Il fallait juste qu'il se sorte les doigts du...

– Tu veux que je te dise ? Jimin n'en a pas l'air, mais il est en vérité très romantique. Il aime juste se faire désirer et voir jusqu'où les gens peuvent aller pour lui. Toi qui es doté d'une obstination sans faille, pourquoi ne pas la mettre à profit, pour une fois, et lui montrer de quoi t'es capable ?

Et peut-être que ce fut elle, la phrase de trop, celle qui poussa Yoongi à changer son fusil d'épaule.


➳ ♡ ˎˊ˗


Ça y est, il y était.

Les jambes légèrement tremblantes et le cœur lancé au triple galop, Yoongi se trouvait devant la ligne interminable des casiers scolaires. Plus particulièrement, il se tenait là, debout, devant celui appartenant à Park Jimin. Pas suspect du tout – du moins selon lui –, il se forçait à garder un air serein et une attitude tout à fait naturelle, bien loin de se douter que quiconque le verrait se mettrait immédiatement à penser qu'il préparait un mauvais coup. Sa tête s'orientait par intermittence à gauche et à droite, comme s'il craignait de se faire repérer, et ses bras fermement enroulés autour de son corps ne mettaient que trop en évidence l'une de ses mains plongée dans le revers de sa grande veste.

– Allez, tu peux le faire, Min. T'es pas une mauviette, murmura-t-il pour lui-même.

Il essayait tant bien que mal de se donner du courage, mais rien qu'à la vue de cette mince porte métallique lui venait une sensation de vertige. Ce n'était pourtant qu'un casier, et qu'une porte, et qu'un cadenas, et...

– C'est pas si compliqué que ça, bon sang ! Tu l'ouvres, tu lui fourres ta tige à l'intérieur et tu te casses.

Mais malgré cela, il était tout bonnement tétanisé en plein milieu de ce couloir complètement vide. Afin d'être tranquille, il s'était assuré de ne venir que lorsque tout le monde serait en cours, prétendant lui-même une migraine fulgurante pour pouvoir s'éclipser, soi-disant à l'infirmerie. En d'autres mots, oui, il avait séché. Et il commençait à le regretter amèrement.

Il y a une semaine de ça, Yoongi avait pris la décision, grâce ou à cause de ses amis – il ne savait pas encore quel terme employer –, de se déclarer au garçon qui nourrissait chaque jour ses pensées. Le problème, c'est qu'il n'était pas vraiment de ceux qui maîtrisaient l'art de la drague, il pouvait même dire qu'il était une brêle à ce jeu-là, comparant bien souvent son charisme à celui d'une banane. Alors, il avait opté pour une façon moins agressive et directe qu'un face-à-face.

Il avait choisi de prendre le chemin des plus grands romantiques et d'adopter un comportement de séducteur confirmé, après avoir bachoté pendant des heures toutes les techniques trouvables dans le b.a.-ba du gentleman, soit : les dramas et les manhua féminins.

Et quoi de plus efficace que des cadeaux et des petits messages secrètement glissés dans le casier ?

Voilà pourquoi il avait supplié son ami Taehyung de faire du charme à son petit-copain, afin qu'il lui confie le code du cadenas de Park Jimin. Cela n'avait pas été bien compliqué, Jungkook ne résistait jamais au sourire de son amoureux. En deux temps trois mouvements et quelques baisers baveux, le petit brun, encore pendu aux lèvres de l'autre, lui avait susurré les fameux chiffres à la façon téléphone rose.

Si l'image de cette scène lui avait donné des reflux, Min Yoongi avait désormais toutes les cartes en main, et pas que.

Voyant l'heure tourner dangereusement, il se donna une petite claque mentale pour se revigorer l'esprit et souffla un bon coup. Une dernière œillade autour de lui pour vérifier que personne n'errait dans les parages, et il sortit de sa veste une rose rouge comme le sang – ou l'amour –, tout en la gardant contre lui pendant qu'il déverrouillait le casier.

Avec rapidité, mais précaution tout de même, il déposa la fleur à la verticale, qu'il fit tenir à l'aide d'un livre de chimie, et y laissa à ses côtés un petit papier.


« Aimes-tu les roses ? Moi je les adore. Elles sont aussi belles que toi. »


Peut-être avait-il un peu abusé sur le côté mielleux de son message. Mais Jimin voulait du romantisme, non ? Il serait servi. De plus, il était bien trop tard pour le réécrire, alors Yoongi choisit de l'assumer jusqu'au bout, quitte à se pendre plus tard avec ses lacets.

Aussitôt fait, il se carapata tel une gazelle fuyant un lion, tout en priant pour que Park Jimin ne décide pas de l'humilier sur la place publique.

Bien qu'il n'y ait en vérité pas beaucoup de chances pour qu'il le retrouve ; Yoongi avait oublié de signer son présent, comme un abruti.


➳ ♡ ˎˊ˗


Ce ne fut que le surlendemain que le lycéen aux cheveux vert délavé et au manteau mangeur de corps osa retourner sur le lieu portant les traces de son secret. Avec la tête pleine d'appréhension, il se dirigeait presque à reculons vers la porte métallique dont il avait violé l'accès deux jours auparavant. Pendant ce laps de temps passé à réfléchir au fond de son lit, Yoongi s'était senti, comme qui dirait, un peu coupable de s'être procuré illégalement le code du propriétaire du casier. Il s'attendait donc à se faire incendier, d'une manière ou d'une autre, pour ce crime impunément commis.

La première chose qu'il remarqua en arrivant devant la fameuse plaque bleu électrique fut son post-it bravement scotché dessus. Il ne lui avait suffi que d'un coup d'œil pour le reconnaître : sa couleur flashy et sa propre écriture en pattes de mouche ne pouvaient aucunement le tromper.

Nerveux, il approcha son nez du papier pour mieux y voir, et son cœur manqua de s'effriter comme une vieille biscotte lorsqu'il lut, quelques millimètres sous son message, une réponse de Park Jimin.


« Les roses ça pique. »


Ouch ! Le petit-prince du lycée avait beau avoir une calligraphie aussi gracieuse que sa silhouette, les roses ne semblaient pas être les seules à posséder des épines. Et le pauvre Yoongi qui s'y était frotté d'un peu trop près saignait déjà à n'en plus finir.

Jimin n'aimait donc pas les roses.

Kim Namjoon allait l'entendre.


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– Comment ça il aime pas les roses ? s'interloqua Namjoon. Mais tout le monde aime les roses !

– Ouais, bah faut croire que t'as dit de la merde, parce que lui, il ne les aime pas !

– Techniquement, c'est pas moi qui l'ai dit mais ton manhua.

– Mais en attendant, c'est toi qui m'as rapporté l'idée en faisant confiance à ce truc débile ! Je fais quoi moi, maintenant ?

– Tu essayes autre chose ? suggéra le grand brun.

Yoongi retint de justesse l'insulte qui lui pendait aux lèvres et la ravala, prenant sur lui pour rester calme. Certes, cet échec avait foutu un gros coup dans les burnes de sa fierté, alors il avait eu besoin de vider sa colère sur quelqu'un. Mais dans le fond, il était le seul fautif, il n'avait qu'à pas déléguer la moitié du travail de recherche à son ami. La prochaine fois, il sélectionnerait lui-même les idées afin de ne pas se planter à nouveau.

Ou il changerait tout simplement d'ami.

Grognon et blasé, Yoongi se leva brusquement de sa chaise et balaya d'un regard l'ensemble du réfectoire dans lequel ils se trouvaient, avant de pousser une plainte venant du plus profond de ses entrailles.

– Raaah, où est Taehyung quand on a besoin de lui ?


➳ ♡ ˎˊ˗


« Il est scientifiquement prouvé qu'une consommation régulière de chocolat booste la mémoire, aide à la concentration et agit comme un anti-dépresseur. J'espère que cette petite boîte saura contribuer un tant soit peu à ta productivité et à ton bonheur. »


Relisant pour la sixième fois son texte, Yoongi fut pris d'un irrépressible doute. Et si Jimin se méprenait sur ses intentions, qu'il se mettait à penser que le message sous-entendait qu'il n'était pas assez concentré ou avait l'air déprimé ? La dernière chose qu'il voulait était de le vexer, car ce n'était pas de cette manière qu'il arriverait à lui déclarer sa flamme et obtenir sa sympathie.

Non, après mûre réflexion, tout était très bien. À aucun moment il n'était en train d'insinuer tout ça, alors ça irait. Il devait vraiment arrêter de se prendre le chou ainsi. Taehyung lui avait en plus de ça juré que Jimin adorait le chocolat, que c'était même son petit plaisir coupable après les entraînements de danse – dixit Jungkook. Son cadeau aurait son succès, de même que son mot.

Déterminé, il entra pour la seconde fois la combinaison du cadenas et ouvrit le casier pour y glisser le ballotin de sucreries, dissimulé tout ce temps sous son gros gilet. Il était tout de même heureux d'être aussi mince et aussi pâle, Yoongi. Grâce à cette morphologie, il pouvait facilement prétendre avoir une santé fragile et une tendance frileuse qui l'obligerait à bien se couvrir par-dessus son uniforme scolaire. Sans ça, bonjour le manque de discrétion.

Satisfait de lui et de son génie, il se rendit à l'infirmerie afin de donner du poids à son alibi.

Il ferait bien un petit somme !


➳ ♡ ˎˊ˗


« Le chocolat, ça fait grossir. »


Pouvait-on faire plus rude ?

Yoongi n'en était pas certain. Il ressentait une légère pointe d'amertume, et cela n'avait rien à voir avec le cacao.

Les épaules affaissées et les bras ballants, il soupira avant de reprendre le chemin menant à sa classe.

Jimin n'aimait donc pas non plus le chocolat, ou du moins il n'en consommait pas, comme on le lui avait juré.

Kim Taehyung allait l'entendre.


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– Quoi ? Comment ça il aime pas le chocolat ? s'insurgea Taehyung. Je te jure qu'il aime le chocolat !

– Ah, Taehyung ça suffit, arrête de jurer !

– Mais hyung, je te jure que-

– Tut tut !

Taehyung referma vivement sa bouche sous la menace du regard noir de son hyung. Depuis tout petit qu'ils étaient amis, l'un et l'autre, il avait donc appris avec le temps à se taire lorsqu'il le fallait. Non pas que Yoongi soit un sanguin, mais il avait vite fait de se retrouver submergé par ses émotions lorsqu'il était en état de panique, et mieux valait ne pas trop le chauffer.

Namjoon, en retrait, les observait d'un air songeur, assis sur le dossier de leur banc habituel. Ils aimaient bien se réunir là pendant leurs petites pauses digestion, cette place était celle parfaite pour observer toute l'étendue du jardin du lycée – bien que celui-ci ne soit pas non plus très vaste. En réalité, c'était Yoongi qui l'avait choisi. Car en face de ce banc, à l'autre bout de l'esplanade, se trouvait celui presque attitré de Park Jimin et de son acolyte Jungkook.

– Et si tu essayais de lui écrire une lettre, un peu plus personnelle ? conseilla le grand brun.

Aussitôt, les têtes des deux autres se tournèrent vers lui, piqués dans leur intérêt.

– Une lettre ? répéta Yoongi.

– Hm. La dernière fois, nous avons vu le genre épistolaire en cours de littérature, et Jimin m'a paru très à fond sur le sujet, expliqua le premier. Peut-être que ça pourrait lui plaire.

Taehyung frappa soudain dans ses mains, l'air enjoué.

– Oh, mais oui ! C'est une bonne idée. En lui exprimant tes sentiments, tu pourras lui montrer combien il te plait. Personne ne résiste à ça. Moi, en tout cas, quand Kookie l'a fait au collège, j'ai fondu comme une petite tour de chocolat sur une plage.

Un sourcil se redressa sur le visage du mentholé. Une lettre... Dévoiler explicitement ses sentiments...

Oui, il pouvait tenter le coup.

Mais Jimin n'avait jamais accepté la moindre déclaration rédigée, alors il faudrait absolument faire dans l'original pour se démarquer. Hors de question d'imiter tous ces ploucs qui se présentent à lui, les joues cramoisies et les mains tremblantes autour d'une enveloppe contenant certainement des mots bien crémeux.

Yoongi n'était pas stupide au point d'en devenir tarte.

Il était peut-être juste un peu trop amoureux. C'étaient deux choses bien différentes, non ?


➳ ♡ ˎˊ˗


La première chose qu'il fallait faire pour se déclarer à quelqu'un, ce n'était pas de lui décrire la puissance de ses sentiments mais de lui faire connaître les raisons pour lesquelles ceux-ci existaient. C'était un travail bien moins aisé qu'on ne pouvait le croire. Car si l'on savait généralement combien on aimait, expliquer pourquoi on le faisait demandait de la réflexion et de l'honnêteté.

Pour dire la vérité, Yoongi ne connaissait pas spécialement Jimin, enfin au-delà de la personnalité qu'il voulait bien montrer. Pourtant, il avait réussi à tomber amoureux malgré cela. Ce fut un incroyable coup de massue sur la tête, lorsqu'il l'avait croisé pour la première fois dans les couloirs du lycée. Une flèche tirée droit dans son cœur, de la poudre pailletée jetée dans ses mirettes et de délicats papillons lâchés dans son bidon.

Il s'était laissé séduire par son visage joliment dessiné, sa voix aux notes fraîches et acidulées, sa silhouette harmonieuse aux courbes généreuses, ses sourires débordants de gentillesse et ses rires enfantins qu'il pouvait entendre lorsque ce dernier se trouvait en présence de son meilleur ami... Et ce talent indéniable qu'il avait pour la danse, la manière dont il bougeait son corps ; c'était beau, enchanteur et magnétique.

C'était donc sur ça que Yoongi s'était concentré, sur ces doux souvenirs des moments passés à l'observer, caché dans un petit trou de souris en espérant que personne ne le verrait.

Après maints et maints essais, il avait enfin écrit la lettre parfaite. Du moins, à ses yeux elle l'était. Originale, unique, elle avait du caractère, on ne pouvait le nier.

Jetant une œillade au sol de sa chambre, jonché de papiers, le lycéen soupira. Il espérait vraiment ne pas s'attirer les foudres de Mère Nature, même s'il faisait son possible pour se convaincre que son génocide d'arbres servirait la bonne cause et ne serait pas vain.

C'était pour Jimin après tout.

C'était pour l'Amour.

Et quoi de mieux qu'un beau poème pour illustrer cette combinaison parfaite ?


➳ ♡ ˎˊ˗


Impatient, Yoongi se précipitait vers le casier du petit-prince, les pommettes délicatement recouvertes de sueur et de rougeurs, et les mèches folles de ses cheveux virevoltant à chacun de ses pas. Il avait à la fois hâte et à la fois peur de la réponse qui ferait suite à sa poésie. Alors, tout en s'approchant, les yeux rivés sur sa feuille glissée la veille par l'interstice de la porte et désormais scotchée dessus, il prit une profonde inspiration.

Ses pieds s'arrêtèrent enfin devant le mur métallique, et son corps se pencha vers l'avant tandis qu'il relisait ses propres mots et découvrait la belle écriture de Jimin juste en dessous.


« Les reflets dans tes cheveux noirs n'ont d'égal que la beauté d'une lune dans l'obscurité d'un ciel étoilé.

La délicatesse de ta voix, celle des chants cristallins des oiseaux.

L'éclat de ton sourire, celle des rayons de soleil frappant la surface d'un lac glacé.

La douceur de ton regard, celle d'une brise printanière aux senteurs de fleurs.

Et la saveur de tes baisers, je rêve d'un jour pouvoir la comparer. »

« Jolie plume mais, les poèmes, c'est un peu démodé, tu ne crois pas ? »


Il fallut quelques secondes à Yoongi pour percuter et digérer l'information. Attristé et en colère, il sentit les larmes lui monter. Il avait pourtant mis tout son cœur dans sa rédaction. Park Jimin était-il donc si insensible aux sentiments des autres ? Ou bien était-ce lui qui était bien trop nul pour réussir à les exprimer ?

D'un geste rageur, il essuya ses yeux avec sa longue manche et arracha la feuille pour la rouler en boule et la jeter au sol. Puis, d'une démarche de condamné, il prit le chemin vers la sortie de l'école, bien décidé à sécher tous les cours de la journée.

S'il s'était retourné, peut-être aurait-il vu son poème se faire ramasser.


➳ ♡ ˎˊ˗


– Yoongi, chéri, viens manger !

– J'ai pas faim, maman, cria-t-il depuis son lit.

Le moral dans les chaussettes, l'adolescent avait préféré s'enfouir dans ses grosses couvertures plutôt que d'aller dîner. Son troisième échec lui pesait encore sur la poitrine, il ne comprenait pas que l'on puisse être aussi insatisfaisable que Park Jimin. Qu'aimait-il donc ? Comment lui plaire ou attirer ne serait-ce que son attention ?

Namjoon et Taehyung avaient beau fréquemment le féliciter pour sa pugnacité, Yoongi avait ses limites, surtout lorsqu'il s'agissait d'envoyer son cœur au combat. Obstiné, il l'était. Mais sensible, il l'était d'autant plus.

Pourrait-il continuer cette quête du Graal si la flamme de sa détermination s'éteignait ?

Serrant fort contre lui son chat en peluche, il en gémit de frustration en repensant à la réponse qu'il avait reçue.

Quand soudain, un éclair de lucidité le frappa. Se redressant brusquement sur son matelas, il poussa une exclamation de joie en se souvenant :

– Il m'a fait un compliment !

Une « jolie plume ». C'étaient les mots précis qu'avait employés le destinataire du poème. Pourquoi Yoongi n'avait-il pas imprimé ça avant ? Les deux fois précédentes, les seules choses qui lui avaient été retournées étaient des semblants de reproches, sans rien de plus. Mais cette fois-ci, Jimin s'était adressé directement à lui en lui posant une question. Il lui avait même fait les louanges de son texte.

Peut-être que les cadeaux faits maison le touchaient plus ?

Cette hypothèse inattendue le combla d'un espoir, certes naïf, mais absolument bienvenu. Une nouvelle piste à explorer s'offrait à lui et il n'était pas à court d'idées.

Un sourire aux lèvres, il sauta de son lit, motivé comme rarement il l'avait été, puis se rua vers la porte de sa chambre pour l'ouvrir et crier :

– Maman, mets une assiette de plus, j'arrive !


➳ ♡ ˎˊ˗


Des sparadraps plein les doigts et des cernes sous les yeux, Yoongi trottinait gaiement dans les couloirs du lycée. Le couinement de ses baskets sur le sol résonnait contre les murs et lui renvoyait son écho à chacun de ses pas, tandis que dans la grande poche de son gilet, un petit paquet brillant frottait contre la laine.

Il avait veillé jusqu'à l'aube pour confectionner ce présent, mais il n'était pas peu fier de lui. Ce fut donc avec une certaine excitation qu'il rejoignit le casier de son bien-aimé trop exigeant.

Une semaine déjà qu'il ne s'y était pas rendu. Sa jolie création lui avait demandé beaucoup de travail en amont car il avait dû aller acheter le matériel nécessaire, tout en devant laisser passer le week-end pour se rendre au magasin spécialisé dans les activités manuelles de son quartier. Il redoutait un peu de s'être fait oublier par Jimin depuis tous ces jours d'absence, mais il ne désespérait pas, ce dernier se rendrait bien vite compte qu'il n'avait pas dit son dernier mot.

Et en parlant de mot, il n'avait pas omis d'en écrire un pour accompagner sa surprise, comme toujours.

Ça y est, il était devant ! Un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche comme avant de traverser une route, il s'assura de ne voir aucun élève à l'horizon avant d'entrer la combinaison du cadenas et d'ouvrir la porte. Puis, il plongea la main dans sa poche pour en retirer le paquet et le déposa soigneusement entre deux cahiers de cours, juste à côté de son message.

Un sourire sur sa bouille de chat, il revisualisa la belle paire de gants couleur crème qu'il avait tricotée et cousue jusqu'au petit matin, sur laquelle il avait même brodé un mignon poussin. C'était sûr, Jimin allait aimer.

Avec une douce émotion, Yoongi se souvenait de ce jour où il avait découvert Jimin. Ce visage à la fois angélique, délicat et rond comme celui d'un nourrisson, entouré de soyeux cheveux noirs de jais, il s'en était épris dès l'instant où il avait posé son regard dessus.

C'était peu de temps après la rentrée scolaire, il faisait encore froid pendant ce mois de mars. Jimin avait donc revêtu un gros pull blanc par-dessus son uniforme, ainsi qu'un bonnet assorti. Et sur les deux, on pouvait admirer un adorable poussin bien jaune et bien dodu. Son style avait fait mouche auprès des autres étudiants, qui avaient de suite craqué pour son côté homme-enfant. Enfin ça, c'était bien avant de voir le monstre qui se tapissait dans ce petit bonhomme et qui n'en sortait qu'une fois devant les immenses miroirs de la salle de danse.

Soupirant de nostalgie, Yoongi referma la porte et réenclencha la sécurité avant de partir pour son cours de chinois.

Derrière lui, un jeune homme souriait mystérieusement.


➳ ♡ ˎˊ˗


« Ces derniers temps, les températures continuent de chuter, alors tu dois penser à bien te couvrir ! J'espère que ces gants te plairont et que tu les porteras. »

« C'est mignon, mais mes mains sont bien plus petites que ça. »


– Mais c'est pas possible, mais quel con ! J'aurais dû demander à Taehyung de demander à Jungkook de demander à Jimin sa taille ! Min Yoongi, ta tête n'est qu'une passoire !

Il avait donc fait tout ça pour rien ? Se piquer les doigts avec ses épingles, manquer de s'éborgner avec ses aiguilles de tricot, se couper avec les ciseaux et le papier-cadeau... Il n'en revenait pas. En colère contre lui-même, Yoongi donna un léger coup de pied dans la structure métallique avant de brusquement faire volte-face, les sourcils froncés et les yeux plissés. En silence, il examina les alentours quelques secondes mais ne trouva rien d'anormal.

Il aurait pourtant juré avoir entendu quelqu'un pouffer.

Voilà que son cerveau troué lui jouait des tours, maintenant ! Secouant la tête pour se reconcentrer sur ce qui se trouvait devant lui, il arracha le mot et remarqua un petit détail qui lui avait échappé : une minuscule flèche indiquant le verso du post-it. Curieux, il le fit pivoter pour découvrir un post-scriptum.


« Si je te reprends à réduire en bouillie les cadeaux que tu m'offres, je ne te répondrais plus. »


Réduire en bouillie les cadeaux qu'il lui offrait... ? Mais de quoi parlait-il ? Du bout des doigts, il se gratta l'arrière du crâne, tout penaud. Quand il se rappela soudain le poème qu'il avait foutu en boule sur le sol. Jimin l'aurait-il donc ramassé ? Et il lui en voudrait pour ça ? Est-ce que cela voulait dire que ses cadeaux le touchaient rien qu'un petit peu ?

Le cœur gonflé d'euphorie et d'espérance, Yoongi fit un petit saut sur lui-même en poussant un cri victorieux.

Encore quelques efforts, et peut-être qu'il arrivera enfin à se déclarer correctement au petit-prince !

Confiant, il retourna en cours en gambadant, sans se douter un seul instant que, non loin de lui, un élève trouvait le spectacle bien amusant.


➳ ♡ ˎˊ˗


– Tae n'est pas là ?

– Non, il traîne avec son amoureux et le tien.

Aux dires de Namjoon, Yoongi manqua de recracher sa gorgée de Sprite.

– Encore ? grogna-t-il.

– Quoi, t'es jaloux parce que lui il peut approcher Jimin ? ricana le plus jeune.

– Bah un peu que je le suis ! Puis il fout quoi avec eux ? Un couple à trois ? Il peut pas voir son Kookie chéri en tête-à-tête, plutôt ?

Toujours installés sur leur banc fétiche, le grand brun soupira d'un air dépité tandis que l'autre s'entêtait à shooter dans le tas de feuilles mortes à leurs pieds.

– Yoon, t'es pas possible. Tu sais que toi aussi tu pourrais être avec eux ? T'as jamais fait l'effort d'essayer de lui parler.

– C'est facile à dire pour toi. Toi au moins, t'arrives à soutenir son regard quand il passe à côté. J'suis même sûr que tu pourrais lui dire bonjour sans bafouiller.

– Ah bah ça, y a peu de chances que l'inverse se produise, en effet. C'est pas moi qui suis mordu de lui. Puis c'est pas comme si je lui parlais pas déjà tous les jours en cours. Mais tu sais quoi ? Tu vas t'entraîner.

– M'entraîner de qu-

– Tae ! hurla subitement Namjoon.

Les yeux grands écarquillés, Yoongi porta son attention sur le trio qui venait de faire son apparition à l'autre bout du parc. Trio qui comportait son meilleur ami, le petit-copain de celui-ci et...

– Oh mon dieu, pourquoi t'as fait ça ? Oh putain, Nam, ils viennent par ici ! Je fais quoi, je fais quoi ? Cache-moi, s'te plait !

Devant la panique de son hyung, la seule chose que ledit Nam put faire fut de rire aux éclats. Ce qui lui valut bien entendu un regard meurtrier. Il ne fit cependant aucun commentaire et laissa le groupe les rejoindre, sans lever le moindre petit doigt pour sauver son camarade de l'embarras.

– Yo les potes ! lança Taehyung avec entrain.

À partir de ce moment-là, Yoongi déconnecta entièrement son cerveau. Il n'entendit donc pas Jeon Jungkook les saluer, ni Namjoon échanger quelques banalités avec le couple. L'esprit voguant vers d'autres contrées, la seule chose qu'il arrivait encore à percevoir était Jimin, à quelques pas de lui, ainsi que ses yeux en amandes reluquant sa personne sans la moindre discrétion.

De haut en bas, puis dans toute sa largeur, Jimin le regardait.

Park Jimin le regardait.

Pire que ça, même : Park Jimin le fixait. Lui. Min Yoongi.

Il sentit tout à coup la lourdeur de l'angoisse aplatir ses poumons et arrêta immédiatement de respirer. Aucune parole ne fut échangée, la bouche pulpeuse et légèrement maquillée du noiraud resta bien fermée, tout comme la sienne.

Quelqu'un avait-il mis la vie sur pause ? Parce que ce moment semblait s'étirer à n'en plus finir dans le temps.

– Chim, tu dis pas bonjour ?

Comme si la voix de Jungkook venait d'éclater la bulle de malaise qui englobait Yoongi, ce dernier sortit de sa transe pour dévisager tour à tour les trois garçons autour de lui, avant de revenir à sa place initiale.

L'expression de Jimin avait changé, passant d'une certaine neutralité à une sorte d'arrogance. Un sourcil ostensiblement levé et les lèvres avancées dans une moue suffisante, il vola un dernier regard à Yoongi avant de tourner les talons et de partir en déclarant d'un air fier :

– J'vais à la machine me prendre du chocolat. On se voit plus tard, Kook !

Ainsi, Jimin disparut, laissant derrière lui un long silence glacial qui fit frémir le mentholé. Si son corps n'était pas déjà tout paralysé, il se serait très certainement effondré au sol tant il était sur le cul. Venait-il réellement de se faire juger par celui dont il était raide dingue depuis des lustres ? De plus, tout le monde serait d'accord pour dire qu'il y avait une couille dans le pâté, n'est-ce pas ? Park Jimin, le même qui lui avait affirmé que le chocolat faisait grossir, partait s'en acheter pour le goûter ?

Il se foutait de lui, il n'y avait pas d'autres explications. La vérité, c'était que le petit-prince du lycée était bien au-dessus de tout le monde et n'avait que faire de ceux dont il avait capturé le cœur. Des cadeaux, des lettres, des déclarations, il en recevait à la pelle, alors il n'était même pas surprenant qu'il finisse par en être lassé et tente de s'en débarrasser avec un comportement hautain ou des mensonges.

Au fur et à mesure qu'il en prenait conscience, la mine de Yoongi se délitait. Il n'était sans doute qu'une gêne pour Jimin. Finalement, lui qui s'était plus d'une fois reproché de ne jamais avoir osé décliner son identité au cours de leurs quelques échanges, il était aujourd'hui soulagé de ne pas l'avoir fait. Car la manière dont le noiraud l'avait étudié laissait tout à fait supposer de l'avis qu'il s'était fait sur lui.

Yoongi ne lui plaisait pas.

Sûrement qu'il n'était pas à la hauteur.

Jimin devait les aimer plus grands.


➳ ♡ ˎˊ˗


Les jours passèrent et le lycéen évincé continua de se morfondre. Ce n'était pas faute d'avoir essayé de le réconforter et de lui faire retrouver son esprit compétitif qui lui collait autrefois au corps. Taehyung et Namjoon avaient bien tenté par monts et par vaux de lui faire comprendre que Jimin était juste Jimin, un gars plein de malice qui adorait faire tourner son monde en bourrique, Yoongi ne voulait pas y croire. Pour lui, il ne l'aimait juste pas et se foutait de ses gentilles attentions. Alors, chaque matinée, il passa devant le casier du petit-prince sans s'y arrêter.

Cela lui manquait cruellement, car jamais avant ça il n'avait eu la chance de pouvoir discuter avec lui. Et bien qu'il ne s'agisse que de simples mots pouvant se compter sur les doigts d'une main, il avait été heureux de lire ceux de Jimin. Car ceux-ci lui avaient été adressés, à lui, et à personne d'autre.

Au loin, il continuait de contempler, comme il l'avait toujours fait, ce beau noiraud un peu trop populaire et inaccessible. Ce rêve inatteignable pour quelqu'un comme Min Yoongi. Pendant les pauses déjeuner ou les récréations, il le cherchait du regard pour ne plus le lâcher jusqu'à ce que la sonnerie annonce la fin de la liberté. Il le voyait, accompagné de Jungkook, parfois de Taehyung, mais il le voyait également seul, recevant de temps à autres la visite de nouveaux concurrents dans la quête de son attention.

Qu'est-ce que ça le contrariait, Yoongi. S'il avait eu plus de cran, il se serait déjà tenu droit devant Jimin pour lui dire le fond de ses pensées et disséquer son cœur sous ses yeux. Mais à défaut de ça, il avait fallu qu'il se ridiculise à plusieurs reprises et se fasse passer pour un lourdingue, en plus d'un squatteur de casier.

C'était beaucoup trop la loose. Jamais plus il n'oserait remettre un pied près de cette stupide armoire métallique !

D'ailleurs, en y pensant... Qu'était-il encore en train de faire devant cette porte bleue qu'il connaissait maintenant dans son moindre détail ? Il n'avait même pas remarqué avoir marché jusqu'à elle. Était-il si désespéré pour y venir indépendamment de sa conscience ?

Tiens... Ça, c'était drôlement étrange. Il y avait un mot scotché dessus. Pourtant, il n'avait rien mis dans ce casier depuis plus d'une semaine. Par curiosité, Yoongi s'en approcha un peu plus, sans même se soucier des élèves autour de lui. Après tout, ce qu'il faisait n'était en rien suspect. N'importe qui aurait pu s'arrêter pour regarder ce bout de papier affiché de manière si évidente, n'est-ce pas ?

Décidant qu'il avait de toute façon raison, il secoua la tête et se pencha pour lire la douce écriture de Jimin.


« Tu abandonnes déjà ? Je te pensais plus tenace, mais il faut croire que tu te décourages vite. Tu es donc bien comme tous les autres ? »


Yoongi se gratta le menton et relut une deuxième fois. Ce message lui était-il adressé ?

– À qui d'autre, triple buse ? marmonna-t-il pour lui-même.

Dans tous les cas, il le rendait perplexe. Il n'arrivait vraiment pas à comprendre comment fonctionnait Park Jimin. On avait beau lui dire qu'il était une personne aimant jouer au chat et à la souris, il ne parvenait tout de même pas à saisir ses motivations et ses opinions par rapport à tout ça.

Premièrement, en poussant un peu la réflexion, il n'était pas certain au final qu'il se sente dérangé par ces multiples cadeaux. Si cela avait été le cas, n'aurait-il pas déjà changé la combinaison de son cadenas ?

Secondement, il prenait à chaque fois le temps de lui répondre, et il avait même remarqué l'absence de Yoongi ces derniers jours. Lui manquait-il ? Ou bien avait-il simplement perdu sa distraction entre les cours ?

Pour finir, pourquoi semblait-il déçu ? Et qu'entendait-il par « comme tous les autres » ?

Min Yoongi n'était pas comme les autres, il était comme personne. Alors ce message le touchait très profondément dans sa fierté. Depuis si longtemps qu'il était fou amoureux de Jimin, comment ce dernier pouvait-il croire un seul instant qu'il abandonnerait aussi facilement ?

Oui, certes, il avait voulu abandonner. Mais ça, c'était un secret. Après tout, lui et son égo pouvaient bien prendre quelques vacances, eux aussi, non ? Voilà, c'était sans doute ce qu'il rétorquerait à ceux qui diraient de lui qu'il avait fui la queue entre les jambes.

Remonté à bloc après avoir chuté aussi bas dans son orgueil, Yoongi grogna devant le bout de page.

– Moi, comme tous les autres ? Pff, c'est ce que nous allons voir, mon prince.

Toujours un poil vexé, il donna un coup d'épaule dans l'une des bretelles de son sac à dos pour le faire basculer devant lui et dézippa la petite poche externe pour y dénicher un stylo. Et pas n'importe lequel : un feutre bien noir, bien visible, indélébile. Aucune chance de le louper !

Les prunelles flamboyantes de courage et de défi, il usa de sa plus large écriture pour lui répondre.


« MOI, ABANDONNER ? C'EST MAL ME CONNAÎTRE. PRÉPARE-TOI ! »


➳ ♡ ˎˊ˗


– Ça m'soule... ruminait en boucle le mentholé au-dessus de son bol de nouilles.

Namjoon releva les yeux et dévisagea son ami, au travers de l'épais brouillard formé sur ses lunettes à cause de la vapeur de son bouillon.

– Qu'est-ce que t'as encore à miauler comme ça ?

– Rien... Mais ça m'soule.

Le grand brun retira ses binocles pour jeter un regard déconcerté à Taehyung, qui se contenta d'hausser les épaules. Depuis leur arrivée au réfectoire, Yoongi n'arrêtait pas de se plaindre toutes les cinq minutes, bougonnant dans sa barbe à qui voudrait bien l'entendre – ou pas d'ailleurs.

Ce dernier était tellement dans ses pensées grises-noires qu'il n'avait même pas remarqué la paire d'yeux vissée sur lui à l'autre bout de la salle. Des yeux aux couleurs de caramel liquide qu'il aurait sûrement reconnu de loin, dans le noir et même de dos.

– C'est encore Jimin ? demanda innocemment le plus jeune.

– Hm. Il m'a défié, alors j'ai décidé de donner tout ce que j'ai. Mais à chaque fois, je tombe à côté.

– Qu'est-ce que tu peux être têtu, Yoon, soupira Namjoon avant de compléter : Mais qu'est-ce tu te démotives vite aussi...

– Ah non, hein ! Je t'interdis de dire ça ! grommela le concerné. Je fais tout ce que je peux, mais c'est jamais bien !

– Bon, ok. Dis-nous tout alors. Quel est le dernier cadeau que tu lui as fait ?

Yoongi joua alors quelques secondes avec un morceau de viande flottant comme un naufragé dans sa soupe de pâtes, avant de planter ses baguettes en plein dedans pour le dévorer sans aucun scrupule.

– Ch'lui ai fait des bishcuits chans gluten, chans lactose et chans oeufs, expliqua-t-il la bouche pleine. Ch'me chuis dit qu'il aimerait vu qu'il chemble faire attenchion à cha ligne.

– Hyung, finis ce que tu manges avant de parler, c'est crado.

Le réprimandé leva les yeux au ciel avant de tirer la langue au benjamin de la bande.

– Franchement, j'me suis donné du mal pour les faire ! J'ai même pensé à mettre du yaourt à la place du beurre pour limiter la graisse, si c'est pas du génie, ça !

– Ouais, donc c'était pas sans lactose, souligna Namjoon.

– On s'en fout, c'est pas le plus important. Vous savez ce qu'il m'a répondu ?

Un court silence lui répondit à la négative. Il soupira et reprit :

– « Merci, mais je ne suis pas une poule. Essaye encore. »

Un bruit fracassant retentit soudain à leur table et se propagea dans toute la superficie de la cantine. Aussitôt, une ribambelle de têtes se tournèrent vers eux, peignant d'un rouge bien coquelicot les joues de Yoongi qui se ratatina sur sa chaise pour se faire tout petit.

– Tae, j'peux savoir pourquoi tu rigoles ? murmura-t-il. Baisse le volume, putain, c'est trop la honte !

Les bras autour de son ventre tant il riait fort, Taehyung ne prit même pas la peine d'écouter son ami. Au contraire, son hilarité redoubla, et il alla même jusqu'à se frapper la cuisse.

Il n'y avait pas plus discret dans le monde que Kim Taehyung.

– Ahh, j'reviens je vais pisser, déclara-t-il en essuyant les larmes perlant de ses yeux, tout en riant encore. Non mais lui alors...

Et c'est ainsi qu'il quitta la tablée, non sans avoir lancé une œillade amusée à celle du fond où se trouvait son petit-ami, et qu'il emporta avec lui le mystère de son fou-rire, laissant ses deux camarades dans l'ignorance la plus totale.

– Il est complètement allumé, ce gars, pensa Yoongi à voix haute.

– C'est seulement maintenant que tu le remarques... ?


➳ ♡ ˎˊ˗


La semaine qui suivit fut la plus éprouvante que Yoongi ait vécue de toute sa vie. Il était vrai qu'il avait cette tendance à se démoraliser rapidement, bien que sa ténacité le pousse à encaisser encore et encore sans jamais cesser d'avancer. Mais là, tout de même... Il pourrait bien décider de traverser un océan rempli de ses larmes en dos crawlé que personne ne le jugerait comme fou. À trop se prendre des portes au nez, on se retrouvait avec la tronche de Voldemort. Et pour séduire après ça, bonjour les efforts. Mieux valait avoir de sacrées qualités pour relever le niveau – ou bien un putain de coffre en banque – et Yoongi n'était pas persuadé d'avoir les compétences requises ni la richesse pour s'en sortir dans ce genre de situation.

Cette fois-ci, il avait misé sur les quelques talents dont la nature lui avait fait grâce : le dessin et la musique. Jouant le tout pour le tout, il s'était dit que, soit cela passerait, soit cela casserait. Si Jimin continuait de faire les insensibles, même après lui avoir offert de l'art à l'état pur, c'est que peut-être, il serait temps de lâcher l'affaire.

Alors pendant le week-end, le mentholé avait travaillé d'arrache-pied pour lui confectionner deux présents dans lesquels il avait inséré quelques morceaux de son âme. Park Jimin était sa muse, sa source d'inspiration au quotidien. Il se devait donc de le lui faire savoir.

Mais encore une fois, tout ne s'était pas passé aussi bien que Yoongi l'aurait souhaité. Non pas qu'il eut beaucoup d'espoir, car à force d'en consommer, l'espoir était devenu une denrée extrêmement rare. Seulement, il aurait aimé avoir d'autres retours que ceux qu'il avait obtenus.

Le lundi, il avait déposé un magnifique portrait qu'il avait fait de Jimin à l'encre et à la plume. Des traits d'une finesse remarquable pour un visage d'une délicatesse époustouflante. C'était ce à quoi il avait songé avant d'opter pour ce matériel-là. Pour reproduire le plus fidèlement possible la beauté du modèle dont les yeux du dessinateur ne pouvaient se lasser.

Accompagné de son œuvre, il y avait mis comme à l'accoutumée un petit post-it sur lequel était inscrit :


« Il n'y a pas plus belle inspiration que celui qui insuffle l'amour dans notre vie. »


Le mardi, une réponse l'attendait sur la porte du casier.


« Je suis soufflé. Tu as du talent, je l'admets. Malheureusement, je ne suis pas suffisamment narcissique pour l'afficher dans ma chambre. La prochaine fois, dessine-toi, ce sera plus intéressant. »


Pour la première fois, Jimin avait atteint un record en nombre de mots utilisés. Il avait même complimenté sa faculté à dessiner. Malgré cela, le petit amoureux transi ne pouvait s'en satisfaire. Car au fond, son cadeau était inutile, Jimin le lui avait bien fait comprendre. Et puis, se représenter lui-même sur une feuille de papier reviendrait à lui dévoiler son identité, et ça, c'était un coup à le faire fuir.

Il n'avait donc eu d'autre choix que de rentrer chez lui, tête baissée et épaules ramollies comme son énergie, avant de se souvenir de la deuxième surprise qu'il avait préparée.

Ce fut donc le mercredi qu'il se retrouva à nouveau devant son point de rendez-vous habituel, une petite clé USB en main. Celle-ci contenait un fichier audio qu'il avait enregistré dans sa chambre, près de son piano.

Dès tout jeune, Yoongi s'était découvert un amour inconditionnel pour cet instrument. Autodidacte, il avait commencé sur un petit clavier pour enfant, puis s'était amusé avec le synthé de ses parents avant de demander, le jour de ses treize ans, un vrai et grand bel instrument. Son plus proche entourage l'appelait « le petit prodige », Taehyung l'appelait « le Chopin des bacs à sable ». Ce dernier aimait se foutre de sa tronche, disant de lui qu'il avait l'art mais pas la manière. Alors certes, le plus jeune adorait s'incruster chez son aîné – qui habitait à deux maisons de la sienne – pour l'écouter pianoter pendant des heures. Mais selon lui, la musique, c'était fait pour choper, pas pour jouer les musiciens écorchés, seul dans sa chambre.

Ces derniers temps, Yoongi y avait repensé, aux conseils de son ami. S'il n'avait jamais osé jouer devant quiconque n'étant pas sa famille ou Kim Taehyung, il avait pris sur lui pour faire une exception. Réunissant toutes ses pensées autour du garçon de son cœur, il avait composé une mélodie en son honneur et avait prié pour que celle-ci émeuve le sien.

Dans chacune des notes l'on pouvait y retrouver un échantillon de ses sentiments, dans chacun des accords un bout de l'admiration qu'il lui portait, et dans son entièreté, le rêve que Yoongi entretenait en secret mais qu'il lui avait ce jour-là avoué.


« Mon rêve serait de pouvoir t'accompagner en musique le temps d'une danse. »


Ce cadeau était celui pour lequel il avait mis le plus de cœur à l'ouvrage. Il représentait son ultime chance. Après ça, il n'aurait plus d'idées. Il n'aurait plus l'envie, ni le courage.

L'esprit tourmenté, il était alors retourné en cours et avait attendu le lendemain avec une pénible impatience.

Puis le verdict était enfin tombé.

Ou du moins, l'absence totale de réponse avait eu le mérite d'être aussi claire qu'un énième rejet.

Les larmes aux yeux, Yoongi serrait les poings devant le casier de Jimin. Il avait abattu sa dernière carte, l'As caché dans sa manche, mais il fallait croire qu'à ce jeu-là, celle-ci ne valait pas grand-chose.

Empreint de tristesse, son visage s'abaissa vers son sac qu'il ouvrit devant lui. Il en tira un stylo au hasard et arracha négligemment une des pages de son cahier d'Histoire, puis, d'un geste faible et affecté, il rédigea quelques phrases irréfléchies, tirées au plus profond de ses tripes, puis s'en alla complètement déprimé.


➳ ♡ ˎˊ˗


« Si ton amour n'est pas quelque chose que je peux obtenir, alors que puis-je bien t'offrir pour attirer ne serait-ce que ton attention ? Tu diras sûrement que je suis comme tous les autres, peut-être que tu auras raison. Je m'avoue vaincu devant ton exigence et ton insatisfaction. »


En lisant le mot de son admirateur secret, Jimin soupira tristement.

– Bah ouais, t'as encore fait le con, Chim !

– Ferme-la, Kook, j'suis pas d'humeur, maugréa le noiraud.

– Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Ce n'est pas comme si on ne t'avait pas prévenu quinze fois avec Tae, qu'un jour ou l'autre il se lasserait.

Le papier entre les mains et le regard perdu dessus, Jimin garda le silence quelques instants, avant de prononcer avec déception :

– Ça veut dire qu'il n'en valait pas la peine.

– Raaaah, tu fais chier, hein ! gronda Jungkook. Je t'ai dit d'arrêter de tester les gens comme ça. Oublie le passé, tu sais bien qu'il est différent des autres. T'attends qu'il fasse quoi de plus pour te le prouver ? Qu'il vienne devant toi à bord d'une calèche et se mette à genoux en te disant combien il t'aime ?

Pendant un instant, Jimin caressa l'idée avec tentation. Ce serait très romantique en effet, et il était persuadé que son petit correspondant serait même capable d'y penser, tant il semblait prêt à tout.

Enfin « semblait » ... conjugué au passé, bien sûr. Car à présent, il avait surtout abandonné.

Peut-être que Jungkook avait raison, qu'il fallait arrêter de ressasser les peines du passé. Et peut-être aussi que ce qui manquait au petit-prince était un autre prince, qui s'assumerait jusqu'au bout. Un grand geste, un acte de bravoure, voilà ce qu'il attendait en réalité.

Un petit sourire naissant au bord des lèvres, il retourna la page déchirée pour la scotcher à son casier, puis annota sa réponse, sous l'œil attentif de son acolyte qui souffla d'exaspération.

– Sérieux, Jimin ? T'as rien trouvé de mieux ? C'est d'une telle condescendance.

Le concerné pouffa doucement tout en entraînant son ami vers leur salle de cours.

– Bah quoi ? répondit-il sur un ton malicieux. Faut bien que je fasse honneur aux clichés sur le p'tit prince du lycée.

– C'est pas un prince que t'es, c'est un tyran. Un tyran !


➳ ♡ ˎˊ˗


Yoongi avançait dans les couloirs de l'établissement qui menaient aux classes. Après avoir récupéré dans son casier les livres dont il aurait besoin pour les deux dernières heures de la journée, c'est devant celui de Jimin qu'il passa, plus par automatisme que réelle nécessité. Quand une feuille de papier plus que familière accrocha soudainement son regard. Une boule grossit dans sa gorge et son estomac se noua. Avait-il vraiment envie de lire ce qui était écrit ? Non, il n'était pas masochiste.

En revanche, il était de nature curieuse. Très curieuse. Ce pourquoi il s'approcha en grognant contre lui-même et parcourut les quelques lignes.


« Viens me déclarer tes sentiments de vive-voix, et à ce moment-là seulement, tu auras ma pleine attention. »


Il rêvait, n'est-ce pas ? Oui, il devait rêver. Ce n'était pas possible autrement. Par acquis de conscience, Yoongi se pinça la peau du bras et lâcha une plainte de douleur, avant de caresser doucement la zone sensibilisée comme pour l'apaiser.

Bah merde alors, il était bel et bien réveillé.

Lui déclarer ses sentiments en face-à-face ? C'était réellement ce qu'il attendait de lui ? Park Jimin devait avoir perdu la tête. Qu'avait-il fumé avant d'écrire ce mot ? Il pensait sincèrement que Yoongi puisse avoir le cran suffisant pour ça ? S'il l'avait, il l'aurait déjà fait.

Le mentholé avait beau l'aimer de tout son être, force était d'admettre que le petit-prince avait de sacrées carences intellectuelles. Et puis c'était quoi cette espèce de chantage digne d'un roi tyrannique ? Yoongi n'était ni son bouffon ni son esclave, nom d'une pipe !

Qu'est-ce qu'il était fou de ce mec, mais qu'est-ce qu'il avait aussi envie de lui tordre le cou. S'il l'avait eu devant de lui, il lui aurait offert la vue de son majeur. Peut-être que ce cadeau lui aurait plu cette fois, tiens !

Bon, en vérité, Yoongi savait très bien ce qu'il aurait fait s'il l'avait eu en face de lui : il aurait très certainement rougi, bafouillé, se serait tortillé sur place comme si lui venait une forte envie de pisser... puis éventuellement, il lui aurait fait savoir que son comportement était un poil blessant. Il imaginait déjà la scène, fidèle représentation des dramas purulents de niaiserie et d'amour baveux comme une omelette :

« Tu...Tu m'as blessé, Jimin... dirait-il en larmes.

– Je ne le voulais pas... Je suis juste terrible pour exprimer mes sentiments. J'ai perdu mes moyens et je t'ai fait du mal... répondrait Jimin, la mine coupable et le regard à terre.

– Oui... Tu m'as fait beaucoup de mal. Malgré tout, je n'arrive pas à t'oublier. Je t'aime !

– Oh, Yoongi... Moi aussi, je t'aime, si tu savais ! »

Ouais, puis après ils s'embrasseraient devant toute la populace, tandis que derrière, le staff ajouterait une musique bien sousoupe et le public lâcherait des « oh » alanguis.

Réalisant le ridicule de ses pensées cinématographiques, le lycéen s'ébroua pour les chasser. Les mains plongées dans le creux moelleux des poches de son gilet en grosse maille, il souffla d'exaspération. Ils n'étaient pas dans un drama, et rien ne se passerait comme ça.

Plutôt, Yoongi ne voulait plus se soumettre à la volonté de Jimin qui lui avait déjà trop mené la vie dure.

Il voulait qu'il se dévoile à lui et lui exprime l'ampleur de son amour ? Très bien, mais cette fois-ci, ce serait selon ses termes.

Décidé, il récupéra un feutre dans son sac et se mit à lui répondre.


« Trouve-moi. À ce moment-là seulement, je me déclarerai à toi. »


Aléa Jacta Est, comme on disait ; les dés étaient jetés.


➳ ♡ ˎˊ˗


Après une courte nuit de sommeil, l'adolescent à la chevelure verte passa les portes de son lycée, bien moins confiant que la veille. Quelle idée aussi d'avoir répondu ça ? Pas comme si Jimin avait la moindre chance de trouver qui il était. Yoongi s'était donc infligé lui-même la torture d'une attente infinie. D'un côté, ça l'arrangeait. De l'autre, ça l'énervait. Il était de toute façon convaincu que Jimin ne le chercherait même pas.

Depuis qu'il avait mis un pied en dehors de son lit, son humeur oscillait encore plus qu'une courbe de stat' après un krach boursier. Ses tartines au nutella lui avaient rempli l'estomac de joie. Le texto de Taehyung lui disant de partir à l'école sans lui car il s'était levé en retard l'avait déçu et agacé. Arriver à l'arrêt de son bus à la minute même où celui-ci venait d'ouvrir ses portes l'avait fait se sentir tout puissant, comme s'il contrôlait le temps et les évènements. Se rappeler le dernier échange entre lui et son béguin l'avait replongé dans la grisaille.

En trainant des pieds, il se rendit à son casier après avoir enclenché son mode pilotage automatique, afin de récupérer ses livres pour la matinée. Mais alors qu'il était sur le point d'entrer la combinaison de son cadenas – qui n'était autre que la date d'anniversaire de Jimin – Yoongi sursauta et manqua d'en perdre son sac.

Là, scotché sur la porte métallique qui protégeait ses affaires...

– Sa mère l'éléphant... jura-t-il dans un murmure.

Son cœur dansait la rumba et ses mains devinrent rapidement moites, alors que ses yeux écarquillés passaient et repassaient sur le post-it affiché devant lui, fier et rutilant.


« Trouvé ;) »


– Salut ! À ce qui parait, tu voulais me dire quelque chose ?

Un cri de surprise, puis un deuxième juron.

Cette fois-ci, Yoongi crut bien perdre son organe vital en même temps que son équilibre. Le souffle court et une paume posée sur sa poitrine, il se liquéfia sur place, tandis qu'à côté de lui se tenait Park Jimin adossé au mur de casiers, un sourire mutin aux lèvres et les yeux pétillants d'espièglerie.


➳ ♡ ˎˊ˗


– J'ai reçu une rose ce matin. Une rose avec un mot.

Pour Jimin, tout avait commencé ainsi.

Cela datait déjà du mois dernier, ou bien celui d'avant, le jour où il avait trouvé pour la première fois un cadeau directement déposé dans son casier. Non pas que cela soit rare qu'on lui offre des choses diverses et variées, mais ce qui avait dérangé le noiraud, c'était le fait que son cadenas ait été ouvert à son insu. La personne lui ayant fait parvenir la fleur devait sans nul doute connaître sa combinaison. Et le problème se trouvait bien dans cette déduction : le seul à avoir connaissance de tous ses codes et mots de passe était Jungkook, son meilleur ami.

Ce dernier avait pourtant insisté sur le fait qu'il n'était pas l'auteur du délit. Dans quel monde irait-il offrir une rose à son aîné ? Ce n'était pas du tout son genre. Alors Jimin avait dû se faire une raison : son casier avait bel et bien été squatté, certes au nom d'une jolie intention, mais squatté tout de même.

Mécontent, il avait donc retourné le mot à l'envoyeur en le scotchant sur sa porte, puis lui avait répondu le plus froidement possible, sans mentionner le fait qu'il ait en réalité mis la tige de rose dans un vase le soir-même pour l'exposer dans sa chambre. Il avait simplement désiré montrer à l'individu que ce qu'il avait fait était moyennement acceptable, espérant également réussir à le dissuader de recommencer.

Seulement, l'effet n'avait pas du tout été escompté.

Deux jours plus tard, voilà qu'il avait reçu une boîte de chocolats au lait, ses préférés. Là, Jimin n'avait pas réellement su déterminer la manière dont il se sentait. Il avait eu envie d'accepter ces sucreries qu'il aimait tant, et en opposition à cela, il s'était demandé si ça ne reviendrait pas à encourager sa voleuse de casier – ou son voleur, d'ailleurs.

Comme la première fois, il avait donc répondu sèchement, non sans avoir dégusté un ou deux petits bonbons cacaotés au passage, avant de ramener le ballotin chez lui. Après tout, il n'allait pas les jeter ! Ce serait un tel gâchis. Puis qu'est-ce qu'il adorait ça...

Cependant, il allait falloir que ça cesse. Nombreux étaient ceux qui se cassaient le nez en essayant de lui plaire. Il n'aimait généralement pas refuser des présents, pensant évidemment au temps ou à l'argent qui avait été dépensé pour lui, mais il était bien obligé de le faire. Car s'il commençait à dire oui à l'un, il devrait dire oui aux autres et se retrouverait avec la moitié de l'école sur les bras. Sans parler de ceux qui, bien trop naïfs, pourraient se mettre à penser qu'une fois leurs cadeaux acceptés, Jimin leur appartiendrait.

Et Jimin ne voulait plus ni appartenir, ni faire confiance à personne depuis sa grosse peine de cœur vécue il y a quelques années.

C'est au collège que les gens ont commencé à le considérer comme un garçon populaire, bien qu'il n'eût rien fait de particulier pour obtenir une telle réputation. Il n'avait jamais compris ce qu'on lui trouvait pour être honnête, mais en grandissant, il avait fini par s'y habituer et passer outre l'affection superficielle qu'on lui imposait en masse.

Seulement, à cette époque, c'était encore nouveau, alors le noiraud ne savait pas véritablement comment fonctionnaient ces choses-là et n'avait donc pu préparer la moindre stratégie pour fuir ce qu'il appelait aujourd'hui « le champ de bataille ».

Très vite, les nanas s'étaient mises à faire la queue pour lui demander de sortir avec elles, entre crêpage de chignon et coups bas pour mettre les autres prétendantes hors-jeu. Les chocolats à la Saint-Valentin s'étaient aussi entassés sur sa table de cours, à tel point que Jimin n'aurait eu assez d'une vie pour tous les consommer. Les p'tits mecs s'étaient donnés le mot pour se lancer dans un rabattage grossier afin de l'introduire dans les différentes activités scolaires. Mais Jimin ne voulait pas faire du tennis ou du basket, il ne voulait pas apprendre les échecs ou la flûte traversière. Lui, il voulait danser. Alors il s'était inscrit au club de danse, au milieu de toutes ces filles qui lorgnaient sur lui sans pudeur, décevant certains et comblant de joie certaines.

Puis il y avait eu cette fille, celle qui avait tapé dans l'œil du jeune noiraud, une sunbae de son cours de modern-jazz. Il se rappelait encore combien il était tombé fou amoureux d'elle. Yuna qu'elle s'appelait. Ils n'avaient jamais beaucoup échangé tous les deux, alors quelle ne fut pas sa surprise lorsque celle-ci était, un beau jour, venue lui déclarer ses sentiments ?

Jimin avait accepté immédiatement, bien trop heureux pour la rejeter. Et ce fut ainsi que le petit populaire du collège s'était vu au bras d'une des plus belles élèves de l'école. Dans les couloirs, on les admirait, on les jalousait, et le couple s'en fichait. Ils étaient heureux, ils l'avaient été pendant un mois entier.

Puis tout s'était effondré lorsque Yuna l'avait plaqué entre deux cours, prétendant un ennui et un manque d'épanouissement avec lui. Elle lui avait sorti quelques phrases du style « Tu n'es pas comme je l'imaginais », « je m'attendais à autre chose avec toi », puis s'en était allée, s'affichant dès le lendemain avec un sportif. C'était à ne rien y comprendre. C'était pourtant elle qui lui avait dit qu'elle l'aimait et avait demandé à se mettre ensemble.

Le pauvre noiraud, malheureux comme les pierres, s'était dès lors juré de ne plus accepter la moindre invitation de personne. Car qui, parmi eux, le connaissait réellement, mis à part son meilleur ami Jungkook ? Pas grand monde. Il ne croirait donc plus les soi-disant amoureux. S'ils voulaient de lui, alors ils devraient le lui prouver, afin qu'il ne s'attache plus aussi inutilement qu'à Yuna.

– C'est moi qui ai donné ton code à Taehyung !

Dès le lendemain de l'affaire des chocolats, Jungkook avait fini par cracher le morceau, après une énième menace indirecte de Jimin envers son voleur de casier. La tête baissée et les mains jointes devant son visage, il avait supplié son aîné de lui pardonner et de ne pas livrer la personne en question au directeur. Puis, lorsque celui-ci s'était mis à trouver ça trop suspect que le mec de son ami lui laisse des cadeaux en secret, le petit brun avait tout déballé sans même reprendre son souffle :

– C'est pas Tae qui t'offre ces cadeaux, t'es fou. Tae il est à moi, il t'aime pas ! Il m'a demandé ça pour son pote Yoongi, j'crois qu'il est amoureux de toi depuis longtemps. J'pouvais pas refuser, tu comprends ? C'est Taetae... Puis c'était pour son ami...

Yoongi...

Jimin avait tiqué à l'entente de ce nom familier. S'il était un ami de Taehyung, c'était certain qu'il l'avait déjà vu quelque part. Il ne lui avait donc pas fallu longtemps pour saisir que le visage allant de pair avec ce prénom n'était autre que le minois de chat au pelage vert-menthe qui traînait souvent dans le parc du lycée. C'était un élève qu'il avait déjà repéré. Fallait dire que ce dernier ne passait pas vraiment inaperçu – du moins selon Jimin. De ses pieds jusqu'à son cou, c'était un gars plutôt lambda qui nageait dans ses fringues. Mais dépassé le menton, cette espèce d'effacement volontaire s'envolait pour laisser place à quelque chose de plus singulier, de plus assumé.

À première vue, Yoongi ressemblait peut-être à quelqu'un d'un peu timide qui ne tenait pas trop à se faire remarquer, mais lorsqu'on observait mieux, on pouvait facilement voir un petit caractère trempé qui se révélait dans ses regards aussi sincères qu'insolents. Sans parler de ses cheveux colorés qui cassaient son côté sage et lui donnaient un look assez décalé.

En apprenant qu'il s'agissait de lui, Jimin s'était senti comme soulagé que le voleur de casier ne soit pas un pur inconnu. En contrepartie, il s'était retrouvé encore plus embêté que la veille. C'était bien plus délicat de recaler une connaissance qu'un tartempion sorti d'on ne sait où. Et puis, c'est qu'il était plutôt mignon. Très à son goût, même, alors ça lui facilitait pas la tâche. Car contrairement à ce que la majorité des lycéens pensaient, il n'était pas aussi difficile qu'il ne le laissait croire. Ces fameux critères n'étaient que des excuses à chaque fois pour éloigner les autres de lui.

Le petit-prince avait alors hésité à l'envoyer paître comme tous les autres, ne voulant pas créer de discordes entre Taehyung et Jungkook. Il s'était aussi dit naïvement que Yoongi finirait par perdre patience avant lui et arrêterait de lui offrir des roses ou des chocolats. C'était toujours comme ça de toute façon, les gens se lassaient. Personne n'aimait se faire rejeter une fois, personne ne supporterait se faire rejeter plus de deux. Ce type-là ne ferait pas la différence.

Il avait donc attendu passivement la suite des évènements afin de savoir si, oui ou non, il lui faudrait mettre le holà, ou si ses réponses suffiraient. Mais ce qu'il n'avait pas prévu, ce fut bien l'impact que le prochain cadeau aurait sur lui.

Yoongi lui avait écrit un poème. Mais pas le genre de poème ridiculement scolaire qu'il avait l'habitude de recevoir, non. Celui-là démontrait une grande aisance à manier les mots et à illustrer des idées. Certes, Jimin avait trouvé ça un peu cliché, mais il avait été sincèrement touché. Dans ces quelques bouts de phrases, il avait pu y voir toute la sincérité qu'il avait déjà aperçue dans les yeux du mentholé.

C'était un message écrit à l'encre d'un cœur, c'était certain. Malgré tout, Jimin ne pouvait pas le laisser continuer à espérer, le prenant soudainement en pitié. Il s'était alors fait violence pour ne pas laisser ses émotions transparaître dans sa réponse, bien qu'il n'eût résisté à l'envie de le complimenter par rapport à sa plume.

Ce à quoi il n'avait pas résisté non plus, fut de se rendre près de son casier pour observer la réaction de son admirateur pas si secret que ça. Pour s'être longuement remémoré les détails concernant les livraisons de cadeaux, il avait pu supposer que les deux premiers avaient été déposés chacun entre le dernier cours de la matinée et la pause du midi, juste avant qu'il ne s'y rende lui-même pour ranger ses affaires. Même chose avec ses réponses qui avaient toutes disparues vers cette heure-là. Yoongi devait avoir un timing bien précis. Alors, profitant de son temps libre dû à l'absence d'un de ses professeurs, Jimin avait tenté sa chance, priant pour ne pas s'être trompé dans ses hypothèses.

Après s'être dépêché de scotcher la feuille sur la porte en métal – il n'aurait pas voulu la laisser affichée trop longtemps et risquer que d'autres élèves la voient – il était parti se cacher à l'angle du couloir, là où le champ de vision était parfait pour sa session d'espionnage.

Avec une petite accélération cardiaque, il avait vu Yoongi trottiner rapidement en direction du casier. Le noiraud avait retenu son souffle, pris d'une excitation impatiente à l'idée d'enfin le voir abandonner gentiment, afin de ne pas lui compliquer la tâche.

Mais quand ce dernier essuya ses yeux avec sa manche et arracha son poème pour le jeter au sol tout chiffonné, ce fut au tour de l'estomac de Jimin de se froisser. Le garçon au museau de chat s'était enfui du lycée, et lui, était resté comme un idiot, le regard rivé sur la boulette de papier tandis que la culpabilité le rongeait.

Peut-être avait-il été trop méchant ? Il ne le pensait pas si sensible...

Avec un pincement au cœur pour le joli texte, il n'avait pu faire autrement que de le ramasser et le déplier, puis de le glisser précieusement dans un des tiroirs du bureau de sa chambre une fois rentré.

Pendant de longs jours après ça, Jimin n'avait reçu aucunes nouvelles de Yoongi. Cela avait fortement allégé sa conscience de constater qu'il avait lâché l'affaire avant que son cœur ne soit véritablement brisé. Ou peut-être l'était-il déjà ?

Qu'importait, au moins, le petit-prince avait réussi à l'écarter en douceur, sans faire d'esclandre au sein du couple de son meilleur ami, chose qui lui faisait le plus peur. Serein, il avait donc pu reprendre sa petite vie tranquille de lycéen, éconduisant de temps à autres de nouvelles personnes, comme il en avait l'habitude. C'était comme un manège qui ne s'arrêtait jamais de tourner ; les uns descendaient en cours de route tandis que d'autres prenaient la machine en marche.

Mais il n'y avait pas que le manège qui tournait et tournait encore. Ses pensées avaient cette tendance à se diriger vers un certain garçon aux pulls trop longs. Il n'arrivait plus à le sortir de son esprit. Son regard se portait de plus en plus souvent sur lui lorsqu'il le croisait dans le parc de l'école et ses oreilles se concentraient davantage sur les histoires que racontait Taehyung à Jungkook lorsque celui-ci venait leur tenir compagnie. Sans même s'en rendre compte, il en avait appris un peu plus sur Yoongi et avait ressenti une brève envie d'apprendre à le connaître plus amplement. Comme une petite étincelle fugace.

Peut-être qu'une part de lui était soulagée de l'avoir fait fuir, mais une autre était sans conteste déçue de la capitulation express de l'ex-concurrent. Finalement, il était bien comme tous les autres...

...ou peut-être pas.

La semaine suivante, Jimin avait découvert un nouveau cadeau dans son casier. Le petit-chat – comme il aimait l'appeler – était donc toujours bien dans la course et lui avait cette fois-ci offert des gants absolument adorables. La paire avait été tricotée à la main, ça ne faisait aucun doute, et Jimin n'avait pu s'empêcher d'imaginer Yoongi, dans son lit, s'emmêlant les pattes entre les multiples pelotes de laine.

Il les avait donc essayés sur le champ, mais malheureusement, les gants étaient légèrement trop grands pour lui, quoi que rien d'affolant. Il flotterait peut-être un peu dedans, mais ça ne l'empêcherait pas de les porter. Surtout qu'il y avait des poussins dessus, et Jimin adorait les poussins depuis sa plus tendre enfance. Comment Yoongi pouvait-il savoir ça ? Ce garçon le surprenait de jour en jour. Peut-être, finalement, qu'il était réellement intéressé par lui ?

Jimin avait du mal à le concevoir, il avait surtout peur de refaire la même erreur qu'avec Yuna et de s'attacher à quelqu'un qui n'en vaudrait pas la peine. Quelqu'un qui l'aurait mis sur un piédestal mais qui déchanterait bien vite après avoir gratté la couche de vernis que l'on avait allègrement étalée sur son image.

Alors, toujours un peu méfiant, il avait décidé de continuer sur sa lancée et de lui répondre comme d'habitude, sans réaliser que son message s'était fait bien plus doux, et que s'attacher, il le faisait déjà.

– Tu sais, Yoon est quelqu'un de très fidèle. Il n'aime jamais qu'à moitié, lui avait confié Taehyung un peu plus tard dans la journée. Tu devrais lui laisser sa chance.

Pendant la pause de l'après-midi, le petit-ami de Jungkook était venu le voir pour discuter avec lui. Il avait bien remarqué ses réticences à faire confiance aux autres, alors il revenait souvent à la charge, espérant faire pencher la balance du côté de Yoongi.

Jimin n'avait rien dit de particulier, il n'avait fait aucun commentaire, mais secrètement, toutes ses paroles avaient commencé à le travailler.

Le lendemain, il avait cédé à la tentation de revenir voir la réaction de son prétendant. Et qu'est-ce qu'il avait bien fait ! Lorsque Yoongi avait lu son mot, il s'était ouvertement grondé pour avoir oublié de demander sa taille de main avant de faire les gants. Il était d'une spontanéité rare et très rafraîchissante. Jimin était à chaque fois étonné de le voir passer de la détermination aux larmes, puis des larmes à l'agacement, pour finalement retrouver sa joie. C'était assez subjuguant.

Mais ce qui l'avait bien plus surpris encore avait été son premier face-à-face avec lui, quelques heures plus tard dans la même journée. En compagnie de Jungkook et de Taehyung, ils s'étaient tous trois faits alpaguer par Namjoon, le délégué de sa classe. Lorsqu'ils s'étaient approchés du couple d'amis, Jimin avait directement vu Yoongi se refermer comme une huître, le regard figé sur lui. On aurait dit un pauvre chaton effrayé devant un aspirateur allumé.

Le noiraud avait alors profité de son égarement et ne s'était pas gêné pour le dévisager, allant même jusqu'à inspecter son corps sous toutes ses coutures. C'était la première fois qu'il le voyait d'aussi près. D'ici, il pouvait apprécier les moindres détails de sa peau, de ses traits, de ses expressions. Il ne lui restait d'inconnu plus que sa voix, qu'il aurait bien aimé entendre, mais dont il n'avait pu en discerner le moindre écho, pas l'ombre même d'un miaulement.

Frustré, sans pour autant être capable d'en donner la raison, il avait donc décidé de se venger en l'embêtant. Empruntant sa plus belle expression arrogante, il s'était barré sans même dire bonjour, mais sans oublier de mentionner, en revanche, sa soudaine envie de chocolat qui, il le savait, ferait fulminer le matou.

Son comportement avait été extrêmement puéril. Il avait d'ailleurs manqué de faire abandonner Yoongi. Pendant une semaine entière, ce dernier n'avait pas mis un pied à son casier. Bien sûr, Jimin avait plus d'une fois surpris ses petits regards à distance, ce qui l'avait d'autant plus agacé. Alors comme ça, il lâchait l'affaire ? Aussi simplement ? À cause d'une seule taquinerie ?

La tristesse l'avait frappé sans prévenir. Et ce fut à ce moment-là qu'il eut été obligé de reconnaître qu'il avait placé un peu trop d'attentes dans ce garçon. À partir de quand avait-il commencé à attacher autant d'importance à Min Yoongi ? Serait-ce la fois où il avait lu son poème et avait senti son cœur s'emballer ? Serait-ce celle où il avait reçu les gants et qu'il l'avait vu, le lendemain, se réprimander comme un enfant ? Était-ce avant ? Après ? À force de le contempler dès qu'il le pouvait ? Ou peut-être tout bonnement parce qu'il lui semblait un tant soit peu différent ?

C'est vrai que Yoongi avait ce petit quelque chose en plus. Seulement, Jimin s'était juré de ne plus se faire amadouer. Mais à cause de Taehyung qui ne cessait de vanter les qualités de son ami à tout bout de champs, et Jungkook qui continuait nuit et jour de lui dire qu'il devait arrêter de faire son mec inaccessible, il s'était laissé distraire. Et cela avait été très dur pour lui d'admettre qu'il avait pris plaisir à recevoir tous ces cadeaux, qu'il avait aimé l'affection que lui montrait Yoongi, qu'il aurait bien voulu que ça continue.

Mais par-dessus tout, il avait ressenti un manque qui l'avait déstabilisé. Alors il n'avait pu s'empêcher de lui faire part de sa contrariété par le biais d'un message.

Il l'avait cherché, s'aidant des quelques connaissances qu'il avait sur lui, pour titiller directement sa fierté qu'il avait, selon les dires, de relativement présente. Il l'avait comparé à tous les autres élèves qui venaient se déclarer, il avait mis en lumière son absente persévérance.

Et ça avait fonctionné. Yoongi était revenu à la charge, pour son plus grand plaisir. Sans rien pouvoir contrôler, Jimin avait souri à s'en faire mal aux joues, devant l'écriture en capitale de son aîné qui semblait remonté à bloc. Il avait été heureux de revoir son entrain dans la cour, lui dont le visage avait été tout renfrogné pendant des jours. Plus encore, il avait été heureux d'avoir une chance de poursuivre leur petit jeu du chat et de la souris.

Parce que oui, si Jimin était satisfait que Yoongi s'accroche, il n'était toujours pas décidé à lui mâcher le travail, au contraire. Il s'était déjà avoué tant bien que mal avoir un certain faible pour lui. Hors de question de se jeter les yeux fermés dans une relation où l'autre serait capable de jeter l'éponge dès la moindre difficulté.

Il allait continuer de tester sa combativité, mais le but de la manœuvre avait changé. Il n'était plus question de le dissuader. Plutôt, il espérait le voir s'acharner et ainsi lui prouver qu'il ne faisait pas d'erreur en le laissant entrer dans son cœur.

Pas plus tard que le lendemain, le petit-prince avait retrouvé dans son casier un petit sachet de biscuits faits maison. Il n'avait pas tardé à les goûter, il en avait même mangé plus des trois-quarts tant il les avait trouvés bons. Le problème, c'était que cette fois-ci, il allait avoir du mal à faire une pseudo critique négative de son cadeau.

– C'est Yoon qui les a faits ? avait interrogé Taehyung en le croisant. Oh mon dieu, ça doit pas être terrible-terrible alors... Le pauvre est doué pour plein de choses, mais la cuisine...

Jimin lui en avait donné un pour lui prouver le contraire. Les biscuits étaient délicieux ! Mais son cadet avait mâchouillé, mâchouillé encore avec une mine dubitative, puis avait fini par tirer la langue en se raclant la gorge.

– Et t'aimes ça toi ? On dirait les mélanges de graines qu'on donne aux poules !

À cet instant, le noiraud s'était demandé comment Taehyung pouvait connaître un tel goût, puis il avait fini par se dire qu'il ne voulait pas vraiment le savoir. Il s'était contenté de sourire malicieusement, fier d'avoir, grâce à ça, trouvé le fond de sa future critique.

Le lundi qui suivit, un dessin était arrivé dans son casier. Un dessin de lui-même. Jimin avait été ébloui par la qualité du trait et par la ressemblance entre le portrait et son vrai visage. Yoongi dessinait vraiment bien, et comme toujours, on pouvait sentir toute sa douceur dans ce qu'il concevait.

Passant les doigts sur les courbes faites à l'encre noire, il réalisait qu'il tombait de plus en plus pour ce garçon. Il ne savait plus si c'était bien ou mal, dangereux ou sécurisé. Tout ce qu'il savait était qu'il n'avait de cesse d'être ému, et qu'il prenait un peu plus conscience de l'amour qui lui était dédié.

Alors, il lui avait retourné un compliment. Et un bémol. Sauf qu'il n'avait pas menti cette-fois. Il aurait vraiment aimé un dessin de Yoongi pour pouvoir le regarder le soir avant de s'endormir...

– Chim, qu'est-ce que tu as ?

– Je crois que je suis dans la merde, Kook...

– C'est-à-dire ?

– J'crois que je suis amoureux.

Ce fut le jeudi, le jour où il avait enfin posé des mots sur ce qu'il ressentait. Et encore, c'est qu'il avait donné la version courte. La veille, le noiraud avait reçu une clé USB accompagnée d'un message renfermant le rêve de Yoongi. Un rêve vraiment très joli, qui avait su devenir, le temps d'une écoute, celui de Jimin.

Une composition au piano, un tourbillon de sentiments.

Il avait été si bouleversé par sa beauté, que le lendemain, il avait été incapable de répondre quoi que soit à l'auteur du morceau. Il n'avait pu faire la moindre remarque, il n'y avait rien à redire, même en cherchant la petite bête. C'était juste si magnifique, si vrai.

C'est là qu'il avait vraiment pris conscience des choses, de ce qu'il éprouvait depuis un moment pour Yoongi. Jungkook l'avait alors écouté parler, il l'avait même réconforté quand il s'était mis à paniquer, mesurant la gravité de la situation – selon lui. Il avait encore si peur de se prendre un mur en pleine poire, s'il donnait sa confiance aveuglément.

Alors son ami lui avait encore répété les mêmes paroles que d'habitude :

– Arrête d'attendre qu'il te file entre les doigts. Si tu l'aimes, tu lui dis. C'est pas plus compliqué que ça. C'est tout ce qu'il attend, lui !

– Hum, je... Nan, j'peux pas faire ça, c'est trop tôt. Je vais attendre encore un peu, ça vaut mieux.

Jimin avait hoché la tête, convaincu. Jungkook avait levé les yeux au ciel.


« Si ton amour n'est pas quelque chose que je peux obtenir, alors que puis-je bien t'offrir pour attirer ne serait-ce que ton attention ? Tu diras sûrement que je suis comme tous les autres, peut-être que tu auras raison. Je m'avoue vaincu devant ton exigence et ton insatisfaction. »

« Viens me déclarer tes sentiments de vive-voix, et à ce moment-là seulement, tu auras ma pleine attention. »

« Trouve-moi. À ce moment-là seulement, je me déclarerai à toi. »


Le vendredi de la même semaine, tout s'était bizarrement accéléré. Et personne n'aurait pu prédire ce qui allait se passer. Yoongi lui avait laissé un message désespéré, Jimin y avait répondu, puis à nouveau Yoongi. Ceci était les derniers mots échangés.

Le noiraud avait véritablement craint de le perdre cette fois. C'est pourquoi il lui avait demandé de venir se dévoiler à lui une bonne fois pour toutes. Alors il avait peut-être été très condescendant, comme dirait Jungkook, mais cela représentait pour lui l'ultime test. Celui qui déterminerait si oui ou non, il serait prêt à se donner corps et âme à celui qui lui faisait la cour depuis plus d'un mois et demi maintenant.

Yoongi l'avait mis au défi, sans même savoir que cela serait un jeu d'enfant de le trouver. Jimin avait malheureusement dû attendre tout le week-end avant de pouvoir mettre en place la confrontation. Il avait été impatient, stressé, excité, il avait été tellement de choses en même temps.

Mais tout ce qui comptait désormais était d'entendre sa déclaration.

Et de voir la tête qu'il ferait en comprenant qu'il ne s'était pas si bien caché que ça.


➳ ♡ ˎˊ˗


– Salut ! À ce qui parait, tu voulais me dire quelque chose ?

C'est vrai, c'est là-dessus que les deux garçons s'étaient arrêtés...

Si le plus jeune adoptait une allure confiante et décontractée, le corps entier de Min Yoongi ressemblait actuellement à une discothèque. Son cœur enflammait les pistes dans sa cage thoracique pendant que ses tympans jouaient des platines et que ses muscles tremblaient au rythme des basses.

Park Jimin se trouvait devant lui.

Park Jimin lui avait adressé la parole.

Park Jimin l'avait trouvé.

Le DJ du jour devait franchement être mauvais, car le pauvre mentholé n'avait qu'une envie : fuir cet endroit le plus vite possible.

Ses yeux jonglaient entre ceux de son vis-à-vis qui ne déviaient pas, quant à sa bouche, elle s'ouvrait et se fermait à répétition comme une carpe hors de son bassin. Quelqu'un aurait-il l'aimable obligeance de lui apporter un respirateur ? Non, parce qu'il n'était plus très sûr de savoir comment fonctionnait un poumon.

– Youhou... T'es avec moi ? l'interpella le noiraud en agitant sa main devant lui pour le réveiller.

– Euh... Hum... Tu...

Yoongi chercha longuement ses mots, bafouillant comme un abruti. Et autant dire que Jimin était bien la dernière personne devant laquelle il voulait passer pour un abruti. Tentant alors de se reprendre, il déglutit avant de prendre un ton faussement détaché :

– On se connait ?

Pitoyable, c'était pitoyable. Pourquoi diable avait-il sorti un truc pareil ? Il était choqué de lui-même. Et il n'était visiblement pas le seul. Les sourcils du noiraud s'étaient redressés sur son front pour former de parfaits arcs de cercle, preuve de sa confusion – ou de sa consternation, le mentholé n'aurait su dire.

Mais cette expression se transforma très rapidement et laissa place à de l'amusement. Il vit alors le buste de Jimin se pencher vers lui, se rapprochant... se rapprochant... se rapprochant jusqu'à ce que son visage tombe en face du sien. Ses lèvres pleines s'étirèrent, ce qui fit plisser ses jolis yeux en amande, et c'est alors qu'il prononça doucement :

– Allez, arrête ça, petit-chat. Nous savons tous les deux qui nous sommes.

– Pe... Petit...

Le surnom peina à ressortir de la bouche de Yoongi et un éclair de surprise traversa le regard de Jimin, comme s'il avait lui-même été pris de court. Ce dernier se redressa soudainement, réinstallant une certaine distance entre eux, tandis qu'il se racla la gorge pour dissiper le malaise. Ce sobriquet lui avait clairement échappé. Il reprit cependant bien vite le dessus. Pas grand-chose ne semblait véritablement le décontenancer.

– Bon, ne perdons pas notre temps, les cours vont bientôt commencer. Tu m'as demandé de te trouver, je suis là, devant toi. J'attends donc ma part du marché.

Sa part du marché, ce qui sous-entendait bien évidemment une déclaration.

– Tu as quelque chose à me dire ? Une question à me poser ? insista-t-il.

Jimin n'en démordrait pas, Yoongi le voyait. La manière dont il s'était réadossé aux casiers, les bras croisés sur son torse, montrait qu'il ne bougerait pas tant qu'il n'aurait pas eu ce qu'il attendait, quand bien même ils devraient se rendre en classe. L'aîné se sentait légèrement coincé. Il essaya alors de trouver une issue de secours en balayant les environs d'un regard bref, avant de se rendre compte que les deux étaient loin, très loin d'être seuls.

– M-Maintenant... ? T'es sûr ? chouina-t-il d'un air suppliant.

Mais ses yeux de Chat Potté ne jouèrent pas vraiment en sa faveur, l'autre se contenta simplement d'hocher la tête, intransigeant. Raah, si seulement il avait pu être le chat d'Alice au pays des merveilles pour pouvoir disparaître à sa guise, pesta-t-il intérieurement. Il prit alors une très grande inspiration puis expira bruyamment pour se calmer.

– Très bien... Alors... Je...

– Hm ? Je ne t'entends pas très bien, le taquina Jimin.

Serrant fortement les paupières, Yoongi fit un effort incommensurable pour parler plus fort.

– Je-t'aime-s'il-te-plait-accepte-de-sortir-avec-moi.

Un silence naquit après sa piètre déclaration expéditive. Pourquoi avait-il tout lâché comme ça ? Il avait un train à prendre ou bien ?

– Tu... pourrais répéter plus lentement, s'il te plait ? demanda la voix veloutée du noiraud.

– Les gens nous regardent, je ne suis pas à l'aise. Et puis...

Et puis il l'était encore moins lorsque Jimin le dévisageait de cette manière. De quelle manière d'ailleurs ? Il n'était pas certain de pouvoir l'expliquer. Mais c'était bien trop doux, trop bienveillant pour pouvoir y survivre.

– S'il te plait... ? réitéra-t-il.

Yoongi se mordit la lèvre et osa enfin se confronter à ses prunelles caramélisées. Il plongea dedans pendant une poignée de secondes, son cœur désirant s'arracher à la prison qui le rendait captif.

Puis, avec un courage monstre, il répéta enfin, de façon plus claire, plus lente et surtout plus audible :

– Je t'aime. Je t'aime depuis un bon moment maintenant... Accepte de sortir avec moi.

L'ombre d'un sourire se dessina sur le faciès du noiraud qui ne répondit cependant rien. Alors Yoongi attendit, les poings serrés contre ses jambes pour contenir son stress.

Autour d'eux, les élèves allaient et venaient. La plupart s'étaient arrêtés pour les épier, sentant le drame arriver. Encore un qui allait se faire jeter comme une vieille éponge ! Le petit-prince n'allait sûrement pas dire oui à un type comme ça. Trop petit, trop spécial, trop insipide, trop...

– D'accord.

Le temps s'arrêta en même temps que les spectateurs retinrent leurs souffles. Le mentholé en fut tout retourné. Croyant avoir mal entendu, ce fut à son tour de lui demander de répéter. Ce que Jimin n'hésita pas à faire, trop heureux de pouvoir rabattre le caquet de toutes ces mauvaises langues qui jacassaient derrière eux.

– J'accepte de sortir avec toi.

Et sans lui laisser la moindre seconde de répit, il posa une paume contre sa nuque et captura ses lèvres avec une tendresse fougueuse. Un échange appuyé, chaleureux, mais trop chaste pour croire en sa réalité.

Yoongi pensait rêver. S'il dormait, il aimerait tout autant ne pas se réveiller et pouvoir continuer à en profiter. Se réfugiant derrière cette pensée rassurante, il sentit l'audace le prendre et le pousser à en redemander.

Jimin ne perdit pas une minute pour répondre à sa requête. Ses petites mains, habillées de jolis gants crème ornés de poussins, se posèrent sur les joues de son aîné, et il fondit à nouveau sur sa bouche pour lui offrir un autre baiser, bien plus profond cette fois.

Là, devant tout le monde, ils s'embrassèrent à en perdre haleine, tandis que l'on pouvait entendre les exclamations de rage et de désespoir des groupies désormais endeuillées.

Les gens pouvaient bien arrêter de faire la queue, à présent.

Le petit-prince avait enfin trouvé le sien, et il n'était pas près de reléguer la couronne à un autre que celui qui régnait aujourd'hui sur son cœur :

Min Yoongi, le petit-chat du lycée, petit-ami officiel de Park Jimin, et bien parti pour le rester.


➳ ♡ ˎˊ˗

Astëlya


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