Chasseur
Les battements métalliques des tuyaux et la dépressurisation des turbines qui envoient de la vapeur rythment le pouls de Nessa alors qu'un objet de fer lui presse la tête.
— Que tu sois humaine ou Nés-Dragons, nous ramènerons ta peau au comte de Bablon.
Nessa déglutit, lève les bras en l'air et se retourne, appuyant le fusil sur son front.
— Vas-y, tue-moi, je n'ai plus rien à perdre.
L'homme applique une pression supplémentaire, durcissant les traits de son visage.
— C'est un Spellcaster que je tiens dans ma main, il va te brûler et tu feras un joli repas pour le comte.
— Ça ? Je jouais avec des Spellcasters plus gros à sept ans. Peut-être que tu as un problème avec la taille de quelque chose ?
Il appuie sur la détente. Le déclic laisse une seconde à Nessa pour s'abaisser et lui taper dans l'estomac. L'arme, projetant des flammes vers le ciel étoilé, tombe sur le sol.
— Un vieux modèle, pas efficace tout ça, clame-t-elle, repassant par la petite ruelle pour récupérer le petit.
Un homme tire un coup de Spellcaster qui lui frôle la joue, la flamme lui brûlant l'épaule. À la sortie du chemin, un homme la lacère d'un coup de canif rapide, son sang sort de ses bras et elle veut s'enfuir plus loin. Le petit, choqué par la scène, se fait attraper par Nessa. Les yeux écarquillés, il constate la blessure, le sang sur ses mains, il déglutit.
Des ailes poussent dans son dos, vêtues de plumes et d'écailles. Elle pousse sur ses jambes et ses ailes la portent proche d'un bâtiment à la chaumière haute. Une usine. Mais elle perd l'équilibre et tangue dans le ciel en s'approchant ; elle s'échoue sur les tuiles de métal, le petit dévalant la toiture à une vitesse folle. Elle le rattrape avant qu'il ne tombe.
Sa douleur à l'épaule vient s'ajouter à la blessure de ses ailes écrasées qui tirent dans son dos comme si sa colonne vertébrale voulait casser.
Elle peine à le remonter, ses bras fins rassemblant toutes leurs forces ; son être est prêt à se déchirer.
Une pince s'attache au toit et un homme à grosses binocles se hisse en haut.
Avec toute la peur qu'elle ressent en dévisageant l'homme, elle peut ramener Petit sur le toit.
Il ne semble pas avoir d'armes, juste un grappin, mais il faut se méfier.
Nessa se relève péniblement, le souffle court, le corps en feu. Chaque mouvement lui arrache un gémissement, mais elle fixe l'homme avec détermination.
Le grappin pend à sa ceinture, et ses gros binocles réfléchissent les lueurs orangées des cheminées environnantes. Il semble calme, presque curieux.
— Tu es plus résistante que je ne l’imaginais, dit-il en ajustant ses lunettes d’un geste précis. Une Nés-Dragon, je suppose ?
Nessa ne répond pas, se plaçant instinctivement entre le Petit et l’homme. Ses ailes tremblent, gouttant du sang sur le métal froid. L’enfant s’accroche à elle, terrifié.
— Écoute, dit l’homme, je ne suis pas là pour te tuer. Pas comme eux. Je veux simplement discuter.
— Et tu te hisses sur un toit pour ça ? demande-t-elle en plissant les yeux, une main posée sur son épaule blessée.
Il hausse les épaules, un sourire énigmatique aux lèvres.
— Disons que je n’aime pas les imprévus. Et toi, tu es un très gros imprévu. Mais tu pourrais m’être utile.
Nessa gronde, une lueur reptilienne traversant ses yeux.
— Je ne travaille pas pour les chasseurs de primes ni pour le comte de Bablon. Alors dégage avant que je te pousse dans le vide.
L’homme lève les mains, toujours calme.
— Je ne travaille pas pour eux non plus. Mon intérêt est… scientifique.
Il pointe du doigt un groupe d’hommes armés qui commencent à escalader les murs en contrebas. Leurs torches jettent des ombres inquiétantes sur les façades noircies par la suie.
— Voilà le plan : tu me fais confiance le temps de t’en sortir vivante. Après, on verra.
Nessa hésite. Elle n’aime pas cet homme. Ses paroles doucereuses masquent quelque chose, une intention qu’elle ne peut encore deviner. Mais les ennemis approchent, et elle est à bout de forces.
— Très bien, mais si tu me trahis, je te jure que je te dévore.
Le sourire de l’homme s’élargit, comme s’il appréciait sa menace.
— Deal. Maintenant, suis-moi.
Il lance une corde qu’il a attachée à son grappin et descend avec une agilité surprenante. Nessa prend Petit dans ses bras et, malgré la douleur, se laisse glisser le long de la corde après lui.
En bas, l’homme les attend, une porte d’acier entrouverte derrière lui.
— Bienvenue dans mon laboratoire, dit-il, avant de disparaître dans l'obscurité de la salle.
Les deux passent la porte prudemment. Les murs sont garnis de vert émeraude, éclairés par des lampes à huile. Les étals, tous très bordéliques, donnent à voir des plans d'ingénieur et quelques phrases griffonnées dans des langues inconnues.
Le jeune homme —certainement dans la trentaine — prend une fiole rouge et ouvre le couvercle d'un Spellcaster de longue portée, version améliorée des petits flingues des bandits.
— Au moins, on est prêt à se battre.
— Se battre contre quoi ? Moi, j'ai juste fui, et ça me convient.
L'homme prend une sorte d'algue de son terreau fertile et arrache la partie rigide de la plante, révélant une texture mucilagineuse.
Il s'approche de la jeune femme et peigne d'un fin pinceau la brûlure de Nessa.
— Ça fait mal.
— Eh bien, je prévois de te donner de l'alcool pour désinfecter tes plaies. Je pense que je vais laisser tomber.
— L'alcool, je le bois, je le mets pas sur les blessures.
— Pas ce type d'alcool, stupide, dit-il avec un regard mort imprégné de douceur dans ses yeux ambrés.
— Gen, enchanté, et vous ?
— Nessa et lui, c'est Petit.
— Petit ? Tu n'as pas daigné lui donner un nom ?
Elle réfléchit deux secondes en croisant ses jambes alors que Petit la regarde.
— Donner un nom, c'est s'attacher. Je n'ai pas besoin de le connaître.
— Et toi, du coup, comment tu t'appelles ?
Nessa prend ses deux doigts et les enfonce dans ses oreilles pour ne rien entendre.
— Kudo.
Gen lui fait signe de déboucher ses oreilles.
— Bien, du coup, pour faire le topo, rapidement. Je suis le frère de celui qui contrôle Bablon dans l'ombre. Mon frère Najwell chasse les étrangers et poursuit tous les Nés-Dragons pour assouvir sa domination. C'est pour ça que je vous demande de vous battre. Je ne suis qu'un ingénieur et archéologue, mais tant que ce foutu Najwell ne relâche pas ses positions, je ne pourrai pas partir où je veux la conscience tranquille.
— Tu penses vraiment qu'on va t'aider, vocifère Nessa en le pointant du doigt avachi sur la chaise de bureau. Moi, j'ai quelqu'un à retrouver, ma sœur est perdue et je ne sais pas où ce connard s'est planqué, alors non merci.
— Je peux t'aider à le retrouver. Je suis ingénieur, et certainement que tu n'auras pas la chance de rencontrer quelqu'un comme moi. Je fais plein de recherches sur les Nés-Dragons, je pourrais t'aider à te développer et te donner les faiblesses de ce type.
Nessa lève un sourcil, intriguée. Des spasmes sur ses lèvres révèlent une attention agrandie. Elle se penche en avant, doigt au-dessus de la bouche, zieutant d'un coup de tête Petit qui acquiesce de la tête.
— C'est quoi ton vrai objectif ? Pourquoi voyager ?
— Je veux découvrir la vérité sur le siècle perdu. Il n'y a aucune mention de la guerre draconique d'il y a cinq cents ans, ça m'intrigue.
Nessa se rappelle le papyrus dans le temple et Gen réussit à piquer sa curiosité.
— OK, on te suit.
Ils procèdent en longeant les murs de la cité ; les quelques bâtiments ovales aux portiques ouverts leur laissent quelques touches de lumière indispensables pour leur infiltration.
Ils s'arrêtent devant un bâtiment. La façade verte et jaune est constellée de voûtes. Des obélisques géants tutoient les dômes de la place centrale, lieu d'une forme de culte. De grandes entrées ouvertes présagent un fort courant d'air et les vitraux dépeignent un homme avec un cœur à cornes dans de multiples couleurs chatoyantes.
Ils s'insinuent dans la cathédrale et y voient un homme, cheveux noirs, corps musclé, appréciant un bal dans la pénombre, des masques de dragons ornant les visages. Une femme, appuyée contre lui, saigne abondamment du cou ; elle tombe à la renverse, son expression froide simulant la mort.
— Venez vous joindre à la fête. Mon frère, tu n'as pas hérité de mes gènes, mais je t'accepte comme tu es, prononce-t-il solennellement. Et qui est cette jeune femme plantureuse que tu nous amènes là ?
Gen ouvre la bouche, mais Nessa le coupe d'un ton sec :
— Une humaine. Est-ce que vous me laisserez participer au bal ?
— Ici, toutes les humaines sont accueillies. Juste, prenez votre clébard d'enfant et mettez-le de côté, je ne peux supporter la vue d'une créature si innocente.
Kudo s'assoit sur une chaise en buvant un jus de fruits, Gen et Nessa dansent et la valse se conclut souvent par les pieds de Nessa écrasant ceux de son partenaire.
— J'ai pas de plan, on fait quoi ?
— Moi, je dis, j'ai une idée.
Elle lâche Gen et gravit les échelons menant à Najwell.
— Nous pourrions nous rejoindre dans la chambre, si vous le voulez bien, lui susurre-t-elle à l'oreille, comme un bonbon.
Najwell se lèche les babines et s'empresse de lui montrer la chambre.
Là, dans la salle tapissée de rouge, elle repère une dague.
— Fermez les yeux, j'ai une surprise.
Il s'exécute et elle compte son souffle, puis abat la dague sur son torse.
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