Chapitre 15 : Une seconde chance


BONJOUR !

Merci pour les votes et commentaires de la semaine dernière ! Je vous annonce que finalement cette fanfiction, que j'ai finie d'écrire, fera 19 chapitre (j'ai dû couper le dernier chapitre) et un épilogue !

Bonne lecture ! (avec un personnage connu ....)

Chapitre 15 : Une seconde chance.

Ce fut sans surprise ou presque Connor qui me trouva, assis au pied de l'arbre, une larme roulant le long de mon nez et reniflant pour ne pas laisser couler les autres. Il m'avait alors appris que Clopin venait de partir, presque l'intégralité des enfants de la Cour à sa suite, et qu'il avait vu Dylan les rejoindre au bout de la rue. Faits qui lui avait fait dire « Toi, t'as dû vexé Aphrodite », mais il avait vite compris que je n'étais pas d'humeur à rire et s'était assis à mes côtés, dans la boue, silencieusement, à attendre patiemment que les larmes se tarissent dans mes yeux.

Je n'étais pas le seul affecté par le départ de Dylan pour le Canada. En l'apprenant, Camille avait passé ses nerfs sur un plateau de McDo, qui avait fini en charpie sur le sol, traitant la fille de Perséphone d'idiote, d'inconsciente et Nico avait failli se prendre un coup de Mary Poppins dans le visage. Alice n'avait rien dit, se contentant de laisser sa sœur extérioriser sa frustration, mais Pollux et Katie nous avaient tout deux contemplé, médusés. Devant l'émotion apparente et la fébrilité qui s'était emparée de notre groupe, la fille de Déméter consentit à nous prendre dans le van qu'elle avait emprunté à son père pour son déménagement pour Aurora si on l'aidait à achever d'y entasser ses cartons. Nico ne vint pas avec nous – le cerveau était vraiment une chose étrange, car ce fut dans cet état de détresse que je trouvais les prémisses d'une solution pour tous les enfants amassés chez moi. Il partit en vol d'Ombre de son côté et nous montâmes dans le van de Katie pour rentrer à la maison.

La route jusque Denver ne fut jamais si facile – et si vide.

Camille faillit pleurer lorsque nous nous arrêtâmes à Las Vegas pour la nuit et j'étais resté une partie de la nuit éveillé en me remémorant la soirée que j'avais passée avec Dylan, sur le lit bancal de l'hôtel de Las Vegas, cette nuit même où j'avais senti les choses vaciller entre nous. Mais bientôt, nous retrouvâmes les monts escarpés des Rocheuses puis les vastes plaines du grand Ouest qui m'avait vu grandir et les paysages furent comme un baume sur mon cœur.

Malgré tout, contre vents et marées, je rentrai chez moi.

Retrouver les routes de Denver m'anima également et pour la première fois du voyage retour, je me sentis sincèrement sourire lorsque le restaurant de ma mère fut en vue. Il était midi et je proposai charitablement à Katie et Pollux de leur payer le trajet en un repas. La cloche tinta lorsque je passai la porte le premier, suivi d'un Connor qui se cachait presque derrière moi, à l'affut de la moindre vision de notre mère armée d'une casserole. Mais la première chose qui fut sur lui fut une jeune fille blonde qui lui sauta au cou, de façon totalement inopinée qui le laissa pantois. Puis la fille s'écarta et s'écria :

-Ah non, ce n'est pas toi que je voulais !

Et sans crier garde, elle repoussa Connor et se jeta sur moi de la même manière. J'enlaçai Chelsea avec un gros soupir, rassuré de la voir saine et sauve, pendant que Connor nous lorgnait l'air mauvais.

-Bah ça fait plaisir, cette affaire ...

-Oh tais-toi, répliqua Chelsea, avant de glisser ses mains jusque les miennes. Qu'est-ce qu'il t'ait arrivé ?

Sans attendre ma réponse, elle effleura les bandages, avant de prendre mes mains dans les siennes. Elle se mit à murmurer en grec ancien et ses paumes s'illuminèrent. Presque aussitôt, une partie raideur qui persistait dans les doigts depuis que j'avais tenu le caducée s'évapora et je les pliai avec un soupir de soulagement. Ce n'était pas parfait, mais cela me permettait de bouger les mains sans grimacer à chaque fois.

-Merci, Chelsea.

-De rien, répondit-t-elle avec un sourire. Alors ? Tu as retrouvé ta sœur ?

Elle contemplait les jumelles apparues derrière nous, suivie de Pollux et Katie. Puis son beau regard bleu s'assombrit et elle fronça les sourcils.

-Où est Dylan ?

Un long silence accueillit la question, durant lequel nous échangeâmes tous des regards gênés. Je pris alors conscience du monde qu'il y avait dans le restaurant en ce service de midi, et qui observait l'air curieux et réprobateur – nous n'étions pas dans le meilleur des états. Je voulus expliquer à Chelsea, mais les mots s'étouffèrent dans ma gorge et avant que je ne puisse ouvrir la bouche, Camille posa une main sur mon bras.

-Je vais lui expliquer. Vous, allez voir votre mère.

-Vous ? couina Connor.

J'adressai un « merci » silencieux à Camille et ils allèrent tous s'installer à une table de libre pendant que je prenais mon frère par le col pour l'amener dans les cuisines. En passant dans la salle, je croisai une table d'adolescent qui jouaient aux cartes et qui m'adressèrent un sourire : les enfants de la Cour. J'ébouriffai les cheveux du petit Danny qui avait tant mendié devant le restaurant avant de passer la porte de la cuisine, tirant Connor dans mon sillage. Je faillis heurter Johny, le serveur, qui venait en sens inverse, les bras plein d'assiettes qui furent à deux doigts de valser si le jeune homme n'avait pas été si réactif.

-Travis ! se réjouit-t-il en me souriant. Tu es revenu de chez ton grand-père ? Et ... Ah.

Il toisa Connor l'air sombre. Je ne m'étonnai pas que ma mère ait choisi ce genre d'excuse pour masquer mon absence, ni que Johny, qui appréciait beaucoup sa patronne, soit aussi critique envers mon frère. Il soupira en secouant la tête, et cria par dessus son épaule :

-Holly ! Prépare la casserole ! Et toi (il m'adressa un clin d'œil) N'oublie pas de filmer.

-Merveilleux, gémit Connor en se retranchant derrière moi.

Mais je l'attrapai par le col pour le passer devant moi, sous les ricanements de Johny qui passa en salle. Ma mère sortit alors de la réserve, une charlotte couvrant ses cheveux châtains striés de fil gris, une botte de carotte dans les mains. Pendant quelques secondes, nous nous fixâmes en chien de faïence avant qu'elle ne laisse tomber ses carottes et ne s'empare d'une casserole cuivrée qui pendait à ses étagères.

-Le quel de vous deux se la prend le premier ?

-Lui, répondîmes-nous en même temps en nous pointant mutuellement.

Holly Alatir plissa ses yeux gris, la casserole toujours brandie, mais finit par nous laisser une chance en se tourna sèchement vers l'évier pour la remplir d'eau. Je poussai Connor vers elle, et il me jeta un regard noir. Il finit toutefois par s'avancer, prudemment pour être sûr qu'elle ne changerait pas d'avis et lui assène la casserole sur le crâne. Il prit une grande inspiration et déclara :

-Maman ... Je suis désolé.

Ma mère se figea face à l'évier, la casserole à moitié pleine entre ses mains crispées. Un long moment de silence s'en suivi, pendant lequel Connor se dandina et me lança des regards anxieux. Puis, sans crier garde et avec la force que lui donnait la colère, ma mère fit prestement volte-face et lui jeta sèchement le contenu de la casserole au visage. Connor poussa un cri d'épouvante et j'explosai de rire, me retenant au plan de travail pour ne pas tomber. Un sourire frémit au coin de la bouche de ma mère, pourtant ce fut d'un ton grave qu'elle déclara :

-Excuses acceptées. Maintenant je veux des explications. Et qu'on appelle Daisy pour qu'elle me remplace en cuisine. Et peut-être la petite Chelsea pour la seconder, cette gamine est adorable – pourquoi je n'ai pas eu une fille comme elle au lieu de vous avoir vous deux ?

-On t'a ramené Pollux si tu veux un commis, lui appris-je en essuyant une larme que l'hilarité m'avait arraché.

Le visage de ma mère s'éclaira. Pollux était déjà venu au restaurant et c'était elle qui lui avait trouvé un don pour la cuisine. Connor tordit un pan de son tee-shirt, à présent trempé, et secoua ses boucles, comme un chien, ce qui lui valut le regard noir maternel. Elle ouvrit la bouche pour lui faire une remarque, mais au même moment la voix de Chelsea retentit depuis la salle :

-Elle a fait QUOI ?!

Mon sourire se fana instantanément sur mes lèvres et mon cœur qui m'avait semblé si léger il y avait une seconde, retomba telle une pierre dans ma poitrine. Je passai une main troublée dans mes cheveux.

-Bon sang, on en a des choses à expliquer ...

***

Connor était chanceux : il avait le droit à un sursit, et c'était bien parce qu'il avait promis qu'il passerait sérieusement son diplôme malgré la Colonie et qu'il reviendrait plus souvent. Ma mère était une femme forte, et ce fut sans doute grâce à cette force qu'elle réussit à ni frémir, ni hurler lorsque je lui parlais des Enfers et du vol du caducée. En revanche, ses lèvres se pincèrent lorsque j'évoquai le sort de Dylan et de la déception traversa son regard.

-Elle a tort, j'aurais pris sur moi pour lui donner un avenir, m'avait-t-elle avoué une fois seule à seul. Même si ça signifiait ouvrir le soir ... Moyennant qu'elle travaille un peu ... Bon sang, Travis, j'aimais vraiment cette petite. Où qu'elle soit, j'espère qu'elle va bien ...

Puis son visage s'était rembruni, et elle avait passé une main tremblante sur son visage.

-Mais les autres enfants ... Travis, je ne peux pas tous les entretenir ... Dylan, je la connais depuis tellement longtemps que j'avais l'impression qu'elle était de la famille, mais eux ... Ne prends pas ça pour de la mauvaise volonté, c'est juste ...

-Je comprends, l'avais-je coupé avec un sourire rassurant. Ne t'en fais pas, je suis sur le coup.

L'inquiétude de ma mère était naturelle : nous étions devenues une nouvelle Cour des Miracles, qui ressemblait à s'y méprendre avec l'état du bungalow onze à l'époque où de nombreux indéterminés et enfants de dieux mineurs restaient chez nous. Des matelas s'entassaient dans les chambres et dans le salon, et la discipline extraordinaire de certain ses enfants et l'aide précieuse de Chelsea nous empêcher de faire sombrer cette maison dans le chaos. Malgré tout, certains commençaient à s'impatienter et les repas à quinze étaient devenus difficiles à tenir.

Fort heureusement pour la santé mentale de ma mère, les fruits de mon travail ne tardèrent pas à éclore. J'avais transmis, comme promis, le message de Clopin : la Cour des Miracles se poursuivait du côté de Vancouver. Deux adolescents, Spencer le fils d'Hécate et Jennifer, fille de Vulcain, avaient décidé de les rejoindre, malgré les protestations de Chelsea. Nous avions réussi à se cotiser pour leur payer le trajet jusque la frontière et ils étaient partis le lendemain. Connor réussit après maintes tentatives à envoyer un message-Iris à Chiron, qui avait évidemment accepté d'accueillir tout les Sangs-Mêlés grecs qui le souhaiteraient, et enverrait les harpies et un satyre les chercher. Connor et Alice s'étaient alors fait un devoir de les convaincre tous et ce fut avec une grande satisfaction qu'ils m'annoncèrent que l'immense majorité avait choisi de tenter l'aventure de la Colonie.

Restaient les Demi-dieux romains, et c'était la partie la moins facile. Aussi étais-je rassuré de voir que Nico Di Angelo l'accompagnait quand elle arriva.

Elle s'était installée en face de moi, droite et altière dans son tee-shirt pourpre où s'étalaient les lettres « SPQR ». A chaque geste, j'avais l'impression qu'elle allait m'étriper, même si elle ne faisait que saisir la feuille que je lui tendais, ou boire son chocolat chaud. Et malgré la présence rassurante d'Hazel Levesque à ses côtés, je tremblai lorsque son regard sombre se portait sur moi.

-Tu me demandes de récupérer des demi-dieux, dont certains qui ont désertés la Légion et le reste qui crache dessus depuis des années ? résuma Reyna, fille de Bellone et préteur de Rome.

-Ils ne crachent pas dessus, protestai-je, néanmoins intimidé. Ils ... sont juste méfiants.

-Méfiants, répéta Chelsea en hochant la tête. C'est ça.

Elle était assise à côté de moi, face à Reyna et Hazel. Nico complétait la table, assis au bout et prenant la place de l'arbitre, sirotant son milk-shake un sourire aux lèvres. J'avouai être heureux de pouvoir compter sur son soutien face à l'inquiétante Préteur et sur les liens qu'il avait noués avec elle l'été dernier. Notre face-à-face paraissait vaguement l'amuser et il me fixait comme s'il faisait des pronostiques sur la façon dont j'allais m'en sortir. Reyna darda un regard sévère sur Chelsea.

-Et tu en faisais parti, si je me souviens bien. Cohorte quatre ?

-Exact, confirma Chelsea en roulant sa manche pour faire apparaître son tatouage, deux traits surmontés d'une lyre et des lettres « SPQR ». J'étais ...

-Je me souviens de toi. Tu travaillais avec ...

-... Octave, achevèrent-elles ensemble en un murmure sombre.

Le visage de Reyna se ferma et elle poussa un profond soupir de dépit. Je me souvenais du garçon du nom d'Octave qui s'était déclaré Imperator et avait lancé l'assaut contre notre Colonie et s'il me restait des vestiges de méfiance vis-à-vis des romains, c'était bien de sa faute. Mais visiblement, son souvenir parut également indisposer Reyna.

-Il était un poison dans notre Légion, admit-t-elle avant de pointer un doigt sur un nom sur la liste. Je suppose qu'il est aussi la raison pour laquelle Jasper Hillbrook est parti ?

-L'une des raisons. Apparemment, vous n'étiez pas assez ouvert et notre manque de souplesse absurde le mettait sur les nerfs. Ainsi que votre affreuse manie de favoriser des gens comme Octave parce qu'ils venaient d'anciennes familles romaines. C'est Clop ... Jasper qui aurait dû être Augure – pas Octave.

Reyna pinça des lèvres, mais je sentais que, contre son gré, elle lui concédait ce point. Hazel relut plusieurs fois la liste de nom et coula un regard sur la salle, où les plus jeunes jouaient au Uno avec force d'éclat de rire. Le plus jeune romain était le benjamin de la Cour, Mac, et n'avait que sept ans.

-Reyna, on ne peut pas les laisser, fit-t-elle valoir avec une moue. Ils ne sont que cinq, et trois n'ont jamais connu le Camp ...

-Il faudra tout de même qu'ils passent par la Maison du Loup, rappela Reyna avec prudence.

-Cette tradition là aussi est absurde, rétorqua vertement Chelsea. L'un de mes amis à la Cour, Milo, a été rejeté par Lupa et s'est retrouvé livré à lui-même. Il a vécu avec la certitude qu'il n'était pas assez fort, et surtout qu'il ne valait rien. Mac n'a que sept ans, si vous imaginez ...

-On avait conscience de ça, la tranquillisa Hazel. Lupa elle-même se voit comme notre mère à tous et a consenti à ne plus rejeter les demi-dieux. La Maison du Loup devient une sorte de pré-entrainement pour la Légion.

L'argument ne parut pas totalement convaincre Chelsea, qui jeta un regard inquiet à ses protégés. Elle avait ces derniers jours fait preuve d'une étonnante maturité pour une gamine de quinze ans, gérant tout les enfants comme une mère et m'aidant à organiser la vie dans le restaurant, prenant sur son temps libre pour aider ma mère. Mais je supposai que le fait d'avoir passé son enfance, d'abord avec une mère droguée puis au Camp où elle avait été harcelée par Octave, avait dû la faire grandir plus vite.

-Et la Légion en elle-même ? m'assurai-je avec un froncement de sourcil. Il y a eu des dysfonctionnements, sinon un garçon comme Octave ne serait monté si haut et une fille aussi raisonnable que Chelsea ne l'aurait pas quitté. Et vous avez dû faire fort pour que Clop ... Jasper haïsse autant les Camps et les dieux.

-Tu nous appelles pour qu'on prenne les enfants et maintenant tu te méfies de nous ? s'hérissa Reyna.

-Je veux juste être sûr que je les envoie dans un endroit où ils pourront évoluer en toute sécurité, préteur. Sans offense.

Reyna plissa ses yeux sombres et échangea un regard avec Nico qui semblait clairement dire « pourquoi tu m'as amenée ici ? ». Le fils d'Hadès se contenta de répondre par un sourire que je qualifierais de « malicieux » et daigna intervenir :

-Je comprends l'inquiétude de Travis, c'est vrai qu'avec Octave, vous ne vous êtes pas montrés sur votre meilleur jour ...

-Le cas d'un soldat ne fait pas une généralité, rétorqua Reyna. Je l'ai dit, Octave était véritablement un poison dans notre Légion, et à présent qu'il est mort, nous tentons de drainer les restes pour assainir nos rangs. Tout ce qui a pu se passer sous le joug d'Octave ne se passera plus, je l'assure.

-Tu vois, tout se passera bien, ajouta Hazel à l'adresse de Chelsea. Tu n'as rien fait de grave, je suis sûre que le Senat acceptera que tu reviennes et c'est la même chose pour l'autre garçon qui s'est enfui – Danny, c'est ça ?

Les poings de Chelsea se serrèrent sur ses genoux – j'avais depuis longtemps compris qu'elle considérait le fils de Vénus comme son petit frère et qu'un lien s'était noué entre eux lorsqu'ils mendiaient ensembles.

-Vous n'avez pas l'air de comprendre, entonnai-je avec un léger sourire. La question n'est pas de vous convaincre de prendre les enfants, je suis presque persuadé que vous le ferez quoi qu'il arrive.

-Non mais je rêve, lâcha Reyna, stupéfaite. Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

-Hazel a elle-même avoué que le but de la venue à la Cour n'était pas de se battre contre eux, mais de s'informer de la situation des Sangs-Mêlés romains – sans doute dans le but d'être sûr qu'ils soient en sécurité, non ? Et cela a dû se faire sous ton ordre, préteur, et je ne vois pas pourquoi tu aurais lancé une telle opération pour ensuite abandonner ces gamins. Mais peut-être que je me trompe.

L'œil noir que Reyna planta sur moi m'indiqua que je ne me trompais pas, et que ça l'agaçait que je perce si rapidement ses intentions. Hazel m'adressa un léger sourire qu'elle effaça vite lorsque sa préteur lui jeta un regard réprobateur.

-J'en avais parlé juste à Nico, c'est lui qu'il faut disputer ! se défendit la fille de Pluton en pointant son frère du doigt.

Nico leva les mains en signe d'innocence lorsque le regard sévère de Reyna se posa sur lui.

-Peu importe. De toute façon, Travis a raison : il n'y a aucune raison que tu ne prennes pas ces enfants avec toi, et le léger problème qu'on a c'est qu'une partie sera réticente à te suivre.

-Pardon ?

Chelsea hocha la tête avec fatalisme.

-Je les ai sondé. Danny refuse de revenir : il est parti parce que ça faisait deux ans qu'il était en probatio malgré des actes qui auraient mérité qu'il soit fait légionnaire à part entière. Simplement son centurion de la cohorte trois le trouvait trop fluet et pas assez agressif pour être un soldat de Rome. Il ne veut pas retourner dans un camp où il sera marginalisé parce qu'il n'entre pas dans le moule. Mac peut facilement se laisser convaincre, mais Chloé et Lee ont toujours été à la Cour et ils ont grandi dans la méfiance des Camps, et surtout du Camp Jupiter. Chloé accepterait d'aller à la Colonie en cas échéant puisqu'elle a l'air moins contraignante et moins stricte mais la dureté du Camp lui fait peur et je peux la comprendre après tout ce que nous avons pu lui raconter – et tout ce qu'elle a pu endurer à la Cour. Mais je pense que ce serait bien qu'elle se réconcilie avec Rome tu ne crois pas ?

-Et toi tu serais prête à te réconcilier avec Rome ? interrogea Reyna, un sourcil dressé.

L'exposé de Chelsea paraissait l'avoir déconcertée : elle n'avait visiblement pas songé à l'aspect de ce problème. La fille d'Apollon resta quelques secondes muette, l'air de soupeser silencieusement la question, avant de dire :

-Je pense que si tu me jures que les mœurs de Rome ont changé, que tu me promets que je ne serais plus jamais confrontée à des chefs comme Octave, que l'organisation est plus sûre et plus juste pour les soldats sans influences pour moi, je pense pouvoir donner une seconde chance à Rome.

-Et elle veut une place à l'infirmerie, enchéris-je avec un sourire. C'est une guérisseuse hors-paire, vous auriez tord de ne pas profiter de ses talents.

Je pressai mes mains l'une contre l'autre, qui avaient retrouvées une partie leur vitalité après les soins de la jeune fille. Chelsea rougit mais acquiesça et Reyna haussa un nouveau les sourcil. Mais cette fois, il me sembla que la commissure de ses lèvres se relevait en un fin sourire.

-Ce sera tout ? railla-t-elle.

-Je veux une conversion de mes années à la Cour comme année de service pour Rome, ajouta précipitamment Chelsea. Peut-être pas stricte, mais ça a été des années difficiles pour nous tous et j'aimerais tout de même aller à l'université un jour et si je dois encore fait huit ans pour Rome ...

-Je suis en train de revoir ce système avec le Sénat, admit Reyna en inclinant la tête. Il est vrai que demander dix ans de service plein et entier est un sacrifice énorme et qu'il empêche de correctement s'intégrer dans la ville civile et retarde nos études ... Il se peut que le système s'assouplisse d'ici là. Et si ça peut te rassurer, nous avons aboli le système de recommandation pour l'entrée dans une Cohorte ou l'obtention des postes. Tout se fera au mérite, à présent, dans le respect démocratique de l'esprit des lois de la République Romaine.

Pour la première fois de la conversation, le visage de Chelsea parut se détendre et un sourire sincère fendit son visage.

-Alors c'est d'accord pour moi. J'aiderais la Légion à continuer dans ce nouvel élan démocratique.

-Formidable, me réjouis-je avant de balancer mon pouce en direction des enfants qui jouaient toujours. Reste à convaincre le reste des troupes, et c'est surtout pour cela que j'ai besoin de toi, préteur. Et du centurion Levesque, bien évidemment.

Hazel m'adressa un sourire désabusé et Chelsea se mâchouilla la lèvre inférieure et se leva en annonçant qu'elle allait regrouper les romains dans la petite pièce dans les combles qui nous servait de salle de jeux vidéo à Connor et à moi. Je gratifiai Reyna d'un sourire moqueur.

-Tu vois, j'avais raison.

-N'en conçois pas une gloire, rétorqua-t-elle en se levant pour suivre Chelsea. Mais je suis curieuse : quel est ton intérêt dans tout ça ?

Mon sourire se fit plus amer quand je repensais à tout ce que la Cour des Miracles m'avait apporté et coûté, et malgré le fait qu'ils m'avaient permis de retrouver Camille et Alice, je n'arrivais cette fois pas à considérer que la balance était positive. Pourtant je m'étais démené pour trouver un point de chute à chacun d'entre eux, m'échinant à retrouver l'adresse du père de Julio, le fils d'Hébé qui ne souhaitait pas aller à la Colonie, et négociant avec l'intimidante préteur de Rome. Je finis par hausser les épaules avec une nonchalance feinte.

-Bah, je suis un fils d'Hermès. Prendre soin de tout ceux qui sont sur la route, c'est comme une seconde nature.

-Tu vas réellement nous faire croire que tu es le bon Samaritain ? s'amusa Hazel, l'air visiblement peu convaincue.

-Je ne vois pas ce qui te fait croire le contraire, protestai-je en la fixant à travers mes cils.

La fille de Pluton leva les yeux au ciel et suivit Chelsea dans les escaliers qui menaient aux étages. Reyna me contempla encore un instant d'un regard qui semblait dire qu'elle ne savait toujours pas quoi penser de moi et emboita le pas à son centurion. Je me retrouvai seul avec Nico, qui sirotait toujours son milk-shake avec ce vague sourire amusé.

-Ça ne s'est pas trop mal passé, évalua-t-il tranquillement. Elle n'a pas appelé ses lévriers d'or et d'argent, ce qui était un excellent signe à la base.

-Merci, Nico. Je veux dire, d'avoir été la chercher.

Nico haussa les épaules et acheva sa boisson en un son de paille bruyant qui m'arracha une grimace.

-Pas de problème, ça fait longtemps que je n'avais pas vu Reyna, ça me fait plaisir. Mais l'aller-retour en Vol d'Ombre m'a un peu fatigué, et Will va m'étriper si je ne rentre pas rapidement à la Colonie – tu comprends, il se prend pour mon docteur personnel. Tu crois que ... je peux dormir ici pour recharger les batteries ?

Je souris, attendri d'entendre le fils d'Hadès évoquer si naturellement son histoire avec Will Solace. Malgré moi, je ne pus m'empêcher d'éprouver un petit pincement de jalousie devant cette improbable relation qui semblait en marche malgré deux personnages aux antipodes, et ce fut sans doute pour cela que ma voix fut un peu froide quand je déclarai :

-Alors c'est sérieux cette histoire avec Solace ?

Nico se figea et darda sur moi un regard agressif qui lui ressemblait un peu plus.

-Pourquoi ? Tu as un problème avec ça ?

J'écarquillai les yeux avant de comprendre le sens réel de sa question. Le quiproquo me fit éclater de rire, ce qui ne fit que rembrunir d'avantage Nico.

-Oh par les dieux non, j'ai aucun problème avec le fait que tu sois gay, c'est ta vie ! m'esclaffai-je. Tu la mènes comme tu le sens. C'est juste mon côté commère qui se demande s'il y a vraiment quelque chose entre Will et toi ...

Nico continua de me contempler, de ce regard noir qu'il m'évoquait tant Dylan lorsque l'automne arrivait, mâchouillant nerveusement la paille de son milk-shake. Il paraissait néanmoins s'être calmé en comprenant qu'il avait mal jugé ma question et consentit à répondre, le regard rivé par la fenêtre :

-On peut dire qu'il y a quelque chose, ouais. Quoi exactement, je ne suis pas encore sûr alors ... On verra comment ça évolue.

-Wha. Bah ... Félicitation, écoute. Je suis content pour toi.

Un menu sourire s'étira sur les lèvres de Nico et pourtant, si petit qu'il était, il éclaira son visage d'une manière que je n'avais jamais perçue jusque là. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé à la Colonie, j'avais la vision d'un Nico Di Angelo serein et épanoui et cela fit naitre un sourire absurde sur mes lèvres, tant cette bonne humeur était contagieuse.

-Si tu veux savoir, je suis content pour moi aussi, plaisanta Nico en jouant avec sa paille, l'air vaguement gêné. Et, euh ... Je suis désolé pour ce qui s'est passé entre Dylan et toi. J'aurais dû essayer de lui parler, avant qu'on quitte les enfers ...

Je balayai ses excuses d'un geste de la main pour couper cours à ses paroles et éviter que ma poitrine ne se compresse d'avantage.

-Chiron envoie une voiture pour les grecs demain, lui appris-je pour éloigner le sujet de la jeune fille. Evidemment que tu peux dormir ici, si tu veux, un de plus ou de moins ... Par contre je te garantie pas le confort, ils ont mis des matelas jusque dans les couloirs ... j'ai l'impression d'être revenu à la bonne vieille époque du bungalow onze quand on avait la moitié des effectifs de la Colonie à nous seuls ...

Nico essuya un petit rire.

-Et pour l'avoir vécu je sais ce que c'est. Impossible de comprendre les règles du poker dans ce raffut.

Cette fois, mon sourire se fit sincère au souvenir de notre piteuse tentative d'apprendre ce jeu à Nico pour le détourner des Mythomagics. Il acheva son milk-shake, tel l'enfant qu'il, en un sens, n'avait jamais été et repoussa le verre avec un sourire.

-Bref, merci de me laisser rester. Promis, je ne prendrais pas de place.

Il se leva et me tendit la main. Je la serrai, assez surpris d'échanger ce genre d'amabilité avec l'inquiétant fils d'Hadès, et il prit congé pour voir comment Reyna et Hazel s'en sortaient en territoire hostile. Je me passai une main sur mon visage, toujours agacé car une situation me coinçait encore. Je ne savais pas quoi faire de Camille. Elle n'avait plus aucune famille depuis la mort de sa mère et ne semblait toujours pas décidée à se laisser tenter par la Colonie de façon permanente. Ma mère s'était prise d'affection pour les jumelles pour lesquels nous avions tant risqué, et s'était trouvée prête à les accueillir pour les fêtes, et de manière générale chaque fois qu'elles auraient envie de s'éloigner de la Colonie, mais de là à accueillir totalement Camille comme sa propre fille ... Si je la croyais capable de le faire pour Dylan, avec qui elle avait noué un amour presque filiale au fil des années, elle ne connaissait Camille que depuis deux jours, et il faudrait tout lui payer : les études, une garde-robe, des fournitures, et tout les extras ... Je me répugnais à demander cela à ma mère, surtout que Camille était trop jeune pour prendre un emploi d'appoint et amorcer les coûts comme aurait pu le faire Dylan. 

Faute de trouver une solution, je me glissai dans les cuisines. En cette heure creuse de l'après-midi, elles tournaient au ralenti et Pollux tentait d'apprendre à Connor à faire des crêpes, sous le regard bienveillant de ma mère qui faisait les comptes. Mais la tentative de mon frère fut une catastrophe et le fils de Dionysos dut plonger une poêle qui commençait à fumer dangereusement dans l'eau pour éviter que le détecteur d'incendie ne se mette en route.

-Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre ! se moqua-t-il lorsqu'il me vit arriver. La cuisine, c'est vraiment pas votre truc !

-Pourquoi tu crois qu'on est ami avec toi ? répliqua Connor avec un sourire malicieux.

-Je t'avais prévenu, chantonna ma mère avant de lever les yeux sur moi. Alors, cette réunion avec les romains ?

Je m'installai d'un bond sur le plan de travail et relatai la discussion avec Reyna et Hazel et ce qui était en train de se jouer dans les étages. Ma mère parut rassurée de l'issue relativement positive de l'entretien et hocha la tête avec détermination.

-Bien. Et j'ai eu le père de Julio au téléphone : il vient le chercher dans l'après-midi, il habite à Colorado Springs.

-Je vais pouvoir récupérer ma chambre ! se réjouit Connor en levant les bras au ciel. Par les dieux, j'en ai assez qu'elle soit squatté par les filles ...

-En parlant de chambre, je pensais transformer la salle de jeu dans les combles en une petite chambre pour les jumelles quand elles viendront ici ... Il va falloir que vous déménagiez votre play-station dans le salon.

-Quoi ? s'indigna Connor.

Pollux et moi éclatâmes de rire face à l'air ouvertement choqué de mon frère.

-De toute façon, tu n'aurais pu le temps de jouer aux jeux vidéo puisque tu seras à la Colonie et que tu travailleras pour ton diplôme, expliqua tranquillement ma mère. Et puis tu pars demain avec les enfants de la Cour, non ?

Le rappel parut doucher Connor, qui contempla longuement ma mère de façon silencieuse. Son regard passa brièvement sur moi avant qu'il ne hausse les épaules et admette :

-C'est pas faux. Et puis Travis doit rattraper ses cours donc il n'aura pas le temps non plus. Peut-être même que je pourrais la prendre à la Colonie ...

-Pas question, refusai-je immédiatement.

-Mais maman !

Plongée dans ses comptes, ma mère se contenta de me pointer du doigt pour me donner raison et je brandis discrètement le poing en signe de victoire. Pollux enchérit que du fait que Katie refusait de le voir jouer dans leur salon, il allait pouvoir venir chez moi pour contourner sa règle et Connor poussa un long gémissement, vaincu. Mon ami acheva de faire sa fournée de crêpe avant de les couvrir d'un aluminium et de les tendre à Connor.

-Allez, c'est cadeau. Partage avec tes frères et sœurs, d'accord ?

-Par frère et sœur, tu veux dire Travis et les jumelles ? Parce que ce sont les seuls avec qui j'accepterais de partager.

Pollux poussa un gros soupir avant de sourire d'un air désabusé et de lui faire promettre de bien se tenir à la Colonie. Puis il s'en fut, sifflotant joyeusement dans la cuisine avant de disparaître et de ne laisser derrière lui que ses délicieuses crêpes que Connor attaqua dès la seconde où il passa la porte.

-Mon dieu, il n'y a que lui qui sait les faire comme ça, s'extasia-t-il avant d'ajouter précipitamment devant le regard meurtrier de notre mère : et toi aussi maman, enfin tu sais que tes crêpes sont les meilleurs du monde !

-Je n'avais pas capté que tu repartais déjà demain, maugréai-je sombrement en piochant dans le plat.

Connor grogna tout en finissant sa crêpe et même ma mère daigna lever un regard désolé sur moi. Son instinct maternel lui avait fait comprendre en deux secondes que je n'étais pas dans le meilleur des états psychologique et je l'avais entendu demander discrètement à Connor de rester un peu plus. Mais j'avais contrarié ses plans en donnant pour mission à mon frère de ramener les jeunes de la Cour à la Colonie : au moins, ils arriveraient avec une tête connue et je ne serais pas un poids qui clouerait Connor à Denver alors qu'on l'attendait ailleurs. Il avait longtemps hésité avant d'accepter en comprenant qu'après tout ce qui avait pu se passer, j'avais besoin de solitude et de me recentrer sur l'essentiel. Mes études, notamment. Néanmoins, l'idée que mon frère reparte aussi vite, sans que l'on ait pu réellement profiter de notre complicité retrouvée, me tordait le ventre.

-Mais tu reviens vite, c'est ça ? s'assura ma mère.

-A Thanksgiving, promit Connor avec un léger sourire. Chelsea pourra venir aussi ? Elle est cool, Chelsea.

-« Elle est cool Chelsea » ? répétai-je, légèrement amusé.

Connor rougit légèrement en comprenant où je voulais en venir. Il avait toujours apprécié la gamine des rues auquel il avait voulu voler ses larcins mais depuis qu'il connaissait son parcours, je lui trouvais un intérêt tout particulier pour elle. Mais mon frère secoua la tête.

-Non, non, non ! Les Alatir en ont fini avec les filles !

-Ah carrément ? s'étonna ma mère d'une voix un peu forte, les yeux rivés sur une lettre.

-Carrément ! Je suis solidaire avec ...

-Non, le coupa ma mère, qui paraissait troublée. Je veux parler ... la poste ...

Connor et moi échangeâmes un regard anxieux en reconnaissant le nom de code qu'elle utilisait lorsqu'elle parlait d'un message de papa. Sans attendre, nous la flanquâmes chacun d'un côté, lisant par dessus son épaule la lettre les yeux écarquillés.

Moi, Hermès, messager des dieux, protecteur des voleurs et des voyageurs, saint-fondateur d'Internet et garant du commerce mondial qu'il soit divin ou mortel, donne toute autorité à Holly Estelle ALATIR concernant l'éducation et le soin de mes deux filles, Alice et Camille-voleuse-de-caducée MIYAZAWA. Elle sera leur responsable légale dans les affaires de mortels – école, apprentissage, nourriture, habillage – mais interdiction de jeter le parapluie. Elle leur apprendra à devenir des femmes bien comme elle n'a pas su le faire avec mes fils Travis et Connor voleurs-de-caducée ALATIR.

Pour ce faire je joins à la lettre la somme qui couvrira les frais des jumelles dans leur ensemble.

Avec tout mon amour pour Holly – pas pour vous les garçons.

Moi.

Malgré les piques que mon père avait pu faire nous concernant, un sourire insensé fleurit sur mes lèvres et ma mère n'eut pas le temps d'être indignée qu'elle étouffa un cri de surprise en découvrant le montant du chèque, qui couvrait effectivement toutes les dépenses pour les filles, d'aujourd'hui à l'université. Et par les dieux, quelle somme ça représentait ! Les yeux de Connor paraissaient prêts à sortir de leurs orbites.

-Mais on a coûté si cher ?!

-Et puis encore avec toutes les amendes que vous avez provoquées, murmura ma mère, le souffle coupé. Mon dieu, mon dieu, mon dieu ...

-Le dieu en question s'appelle Hermès.

Ma mère me jeta un regard noir, et sans perdre de temps, elle prit son sac pour aller déposer le chèque à la banque, serrant la procuration de notre père entre ses mains tremblantes.

-Attends ! l'appela Connor au moment où elle passait la porte. Ça veut dire que tu es d'accord ? Je veux dire, tu as galéré toute ta vie avec nous et tu acceptes de prendre en charge deux demi-déesses supplémentaires ?

Ma mère le toisa, l'air vexé qu'il la pense capable de refuser par commodité.

-Evidemment que c'est d'accord. Tu veux que je laisse ces gamines seules et sans rien ? Ce sont vos sœurs. En un sens elles sont ma famille aussi, et si je peux leur donner un toit, j'en serais très heureuse.

Là dessus, et sous notre mine estomaquée, elle claqua la porte derrière elle. Un lent sourire s'étira sur mes lèvres. Il y avait aussi du Hermès en Holly Alatir, qui malgré sa sécheresse apparente avait le cœur sur la main. Connor brandit les poings au ciel en signe de victoire avec un cri de jouissance.

-Si Reyna arrive à convaincre les romains, on aura une place pour tout le monde ! Bon sang je pensais qu'on y arriverait jamais !

Il leva la main et je tapai dedans avec entrain, soulagé et fier que chacun ait trouvé sa place grâce à nous. Même ma petite Camille, le cas épineux, qui resterait à présent avec moi. Je levai les yeux au ciel, vers les cieux, vers l'Olympe, et adressai un « merci » silencieux à Hermès.

Mon père m'avait peut-être fustigé tout le long de sa lettre, il avait tout de même écouter ma prière.

***

Camille n'avait même pas songé à protester : elle avait immédiatement investi la chambre sous les combles et ma mère et les jumelles avaient passé l'après-midi à meubler la pièce et à refaire leur garde-robe. Malgré tout, Alice n'avait pas changé d'avis : elle souhaitait passer l'année à la Colonie, histoire de parfaire sa formation de demi-déesse et ne plus se trouver dans des situations délicates – comme se retrouver coincer aux Enfers. La solution avait paru contenter les deux sœurs : elles réapprendraient lentement à se connaître, à vivre l'une avec l'autre, à s'appréhender de nouveau sans que ce ne soit trop brusque. Ma mère paraissait heureuse d'avoir une fille à s'occuper après toute une vie à éduquer deux garçons et j'étais moi-même ravi de la présence de Camille à mes côtés. J'avais fini par développer une vraie tendresse pour ma jeune sœur et notre aventure avait noué des liens étroits entre nous. Et l'impression était réciproque car elle s'était jetée à mon cou malgré son désamour des contacts physiques en comprenant qu'elle pouvait rester avec moi.

Camille avait désespérément besoin d'une famille. Et elle avait été assez courageuse pour ne pas la fuir.

La suite fut nettement plus déchirante avec le départ de Connor pour la Colonie avec la moitié grecque des enfants de la Cour. J'avais enlacé mon frère, lui faisant promettre de m'appeler souvent, même pour me demander de l'aide pour ses devoirs. Je sentis mon frère réticent à me laisser : je n'avais pas totalement récupéré du choc que m'avait asséné Dylan. Mais le fait que Camille reste avec moi semblait l'avoir rassuré. Il laissa même Chelsea l'étreindre avant de monter dans le camion à la suite de Grover, d'Alice et de Nico et la camionnette s'éloigna sous le ciel gris de Denver. Chelsea enroula son bras autour du mien et posa sa joue sur mon épaule.

-Ça va faire bizarre de ne pas vous voir trainer à deux dans les rues de Denver.

-De toute façon tu pars dans la semaine, non ? Direction San Francisco ?

A mon plus grand soulagement, Reyna avait réussi à convaincre l'intégralité des enfants de la Cour des Miracles romains de tenter l'aventure de la Légion, y compris Danny, le plus réticent. Elle avait accepté de leur compter pour un an de Cour six mois de service à la Légion et Chelsea se retrouvait à présent avec deux barres supplémentaires sur son bras.

-J'appréhende un peu, avoua-t-elle dans un filet de voix.

-Oh, je t'en prie, objecta sèchement Camille. C'était ton but, non ?

Je lui jetai un regard d'avertissement qui ne parut pas ébranler ma sœur. J'avais fait part de mes soupçons à Camille, mais certainement pas pour qu'elle les jette aussi crument au visage de Chelsea. La fille d'Apollon haussa les sourcils, surprise.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je fusillai Camille du regard, mais devant l'incapacité d'éviter la discussion je finis par soupirer à l'adresse de Chelsea.

-Parce que ce n'est pas toi qui as vendu la Cour au Romains, peut-être ?

La couleur cramoisie qui s'étendit sur les joues de Chelsea fut le plus poignant des aveux. Elle riva son regard sur ses pieds, enroulant nerveusement une mèche blonde autour de son doigt.

-Comment vous avez deviné ? s'enquit-t-elle dans un filet de voix.

-C'est Travis qui a deviné, lui apprit Camille. En partant du principe que celui qui avait prévenu les romains avait dû faire parti de la Légion ...

-... Et être en total désaccord avec les méthodes de la Cour, jusqu'à la trouver néfaste et nocive, un danger pour ses amis, poursuivis-je avec douceur. Tu étais en total désaccord avec Clopin, Chelsea, et je trouve que pour une fille qui a voué une partie de sa vie à la Cour ... tu t'es très vite résignée à la quitter.

Chelsea me jeta un regard déchiré, comme si une petite partie d'elle regrettait sa décision et avait peur de mon jugement et de celui de Camille. Elle se laissa tomber sur le trottoir, adossée au restaurant, à l'exact endroit où elle avait mendié tant de fois pour m'arracher quelques drachmes.

-Je n'avais pas d'autres choix, souffla-t-elle, vaincue. Depuis que les demi-dieux de Castellan sont venus nous attaquer, Clopin devenait ingérable. L'idée était bonne au départ et ça marchait vraiment bien mais à partir de là, il est devenu méfiant, paranoïaque. Ça a correspondu au moment où Dylan sortait avec Caleb et je pense que Clopin était blessé qu'elle ne soit plus autant là pour lui – il a un côté mégalomane. Alors il a écouté Allison qui lui disait d'être plus dur pour mieux protéger notre secret – pour mieux nous protéger nous. Et un jour il est venu me voir en m'annonçant qu'il avait eu cette vision ... Clopin a toujours eu des visions, des genres de flash qui lui dévoilaient un fragment de l'avenir, un don extrêmement rare pour un « Apollon ». Il m'a fait juré de n'en parler à personne, il voulait juste mon avis parce que j'étais sa demi-sœur ... Mais ce que j'ai pu constater, c'est que ça a empiré. J'ai commencé à réellement enrager lorsqu'il a promulgué une nouvelle loi qui pouvait nous punir physiquement. Dylan était totalement contre, mais même elle avait perdu toute prise sur Clopin. Il ne l'écoutait pas et comme elle était la plupart du temps à Denver ...

Elle me jeta un bref regard, avant de le river à nouveau sur le sol. Elle tordait ses doigts avec anxiété et de la colère transparut dans son regard. C'était difficile d'évoquer Dylan avec elle, car elle était sans doute celle qui lui en voulait le plus d'être partie avec Clopin.

-« Celui qui est prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'un, ni l'autre et finit par perdre les deux », cita-t-elle. Benjamin Franklin. Moi je n'étais pas prête à perdre ma liberté et j'étais effarée de voir que tout le monde acceptait ces nouvelles règles ... Dylan était rarement à la ferme, elle ne se rendait pas totalement compte de ce que Clopin devenait et je pense que lorsqu'elle y a été confrontée pour de vrai quand elle a dû t'amener, Travis, ça lui a fait prendre conscience de ce qui se passait. Mais avant ça, elle sous-estimait la situation. Personne ne voulait rien faire et peu à peu, on a appliqué les règles : Jennifer a été mis au régime pain et eau pour avoir dépasser le couvre-feu, Allison a giflé Mac parce qu'il a dit vouloir rencontrer son parent divin et lorsqu'ils ont enfermé Milo parce qu'il avait parlé de la Cour à sa copine ... Dylan n'était pas là, elle n'a pas entendu les cris de Milo qui voulait sortir. J'étais venue à la ferme pour soigner la fièvre de Serena et moi je les ai entendu ... La petite tremblait de peur dans mes bras. Alors je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose. Que je ne pouvais pas laisser Clopin les détruire les un après les autres. Alors j'ai rappelé mon ancien centurion, Leila. J'avais gardé son numéro, au cas où ... Je lui ai parlé de la Cour, de ce qu'on subissait, si elle pensait que les préteurs accepteraient que je revienne ... J'étais tellement paniquée ...

Elle nous regardait tour à tour, désemparée. Camille avait pincé des lèvres, mais ne pipait mot. Je savais qu'elle comprenait comme moi les motivations de Chelsea et elle finit par soupirer à prendre place à côté d'elle.

-Bien. De toute façon, c'est fait, pas vrai ?

-Mais je ne savais pas que ça finirait comme ça, gémit Chelsea, les larmes aux yeux. Je ne pensais pas que la Légion enverrait carrément des troupes, ni que Clopin déclarerait la guerre ... Et que ça entrainerait la mort de Rose ...

-Tu n'es pas responsable de la mort de Rose, Chelsea, la coupai-je en me laissant tomber de l'autre côté d'elle. En plus elle n'est pas réellement « morte », elle s'est juste réincarnée en plante, c'est un esprit de la nature ... Mais bref. Ça aurait pu bien tourner ce jour là. Ce n'est de ta faute si Clopin a choisi la guerre.

-Tu voulais sortir de là, je comprends, ajouta Camille avec une certaine douceur. Moi aussi je rêvais de sortir de la Cour, mais je n'avais aucun moyen. Ça ne sert à rien de regretter, ce qui est fait est fait. Et si tu ne l'avais pas fait ça aurait pu être pire, non ?

Chelsea hocha mollement la tête et essuya une larme qui avait coulé le long de son nez. Je passai un bras derrière ses épaules et elle laissa aller sa tête contre la mienne en poussant un gros soupir pour évacuer la tension.

-Je n'en reviens pas que Dylan l'ait suivi ..., s'étrangla-t-elle. Elle savait que Clopin déviait, mais elle lui restait fidèle parce qu'elle savait qu'il avait un bon fond et qu'elle le considérait comme son frère ... Mais elle savait ce qu'il créait était malsain ... pourquoi ... ?

-Il lui a promis de changer et elle l'a cru, répondis-je d'une voix atone. Elle pense que sa place n'est nul part d'autre qu'à la Cour.

Camille poussa un feulement de chat furieux et darda des yeux furibonds sur le trottoir. Ma bouche s'était asséchée dès que Chelsea avait prononcé le nom de Dylan et j'avais du mal à supporter le regard compatissant qu'elle leva sur moi. Je fus presque rassuré de voir la pitié être balayée par la colère.

-Par les dieux qu'elle a été idiote, ragea-t-elle en chassant ses larmes d'un battement de cil. Penser qu'elle trouvera sa place dans le nord ... Dylan est liée au Colorado. Elle m'a expliquée que les amérindiens sentent que leur énergie vitale est liée à leur terre et que c'est pour ne pas quitter le Colorado qu'elle a refusé d'idée d'une Cour itinérante au début ... Et maintenant elle va au Canada ... Quand je pense ...

Elle se prit la tête entre les mains et poussa un cri de rage. Je pensais qu'en un sens, Chelsea et Dylan avaient lié un lien fraternel indirect. Sœur de cœur et de sang de Clopin, elles étaient devenues sœurs elles-mêmes et Chelsea avait réellement du mal à accepter la décision de Dylan. Son idée première en l'apprenant avait été d'aller la chercher à Vancouver mais je l'en avais empêché. Camille haussa les épaules avec raideur.

-Elle a choisi Clopin, marmonna-t-elle. C'est tout, fin de l'histoire.

-Mais c'est totalement incohérent ! se récria Chelsea. Avant, elle ne choisissait pas Clopin ! Je veux dire, elle l'adorait, c'était son frère mais ... Si c'était Clopin par dessus tout, elle ne serait pas restée à Denver : elle aurait accepté de rester à la ferme avec lui. Mais chaque fois qu'il lui demandé, elle refusait. Elle adorait être à Denver.

Elle me jeta un bref regard et ma poitrine se compressa douloureusement. La voix de Dylan jaillit dans mon esprit : « Tu savais que je restais à Denver pour toi ? ». Je tournai la tête et observai les passants sur le trottoir d'en face nous lorgner l'air curieux.

-Je t'assure, poursuivit tendrement Chelsea. Elle aimait être ici parce qu'il y avait moins de pression qu'à la ferme, c'était l'endroit où elle pouvait être le plus libre. Contrairement aux apparences, je pense que Dylan est un esprit totalement indépendant.

-Je sais.

C'était d'ailleurs son esprit d'indépendance qui avait parlé lorsqu'elle avait choisi de suivre la Cour plutôt que rentrer à Denver. Elle ne voulait pas dépendre de moi et de ma famille pour survivre, l'idée lui avait été insupportable. La main de Chelsea couvrit la mienne.

-Et si ça peut te rassurer, évidemment qu'il y avait un peu de toi. Une fois que Clopin lui a demandé pour la millième fois de rester à la ferme, elle lui a répondu pour plaisanter « Ça va pas ? Travis s'ennuierait affreusement si je n'étais pas là pour le harceler ». Souvent le matin, on se regardait et on se demandait « laquelle de nous deux va embêter les Alatir aujourd'hui ? ». Depuis que tu es revenu de ta Colonie, tu es une part importante de sa vie ...

-Et alors ? rétorquai-je, la voix rauque. Visiblement, ce n'était pas assez important pour qu'elle reste. Alors peu importe.

Les lèvres de Chelsea se tordirent et sa main serra la mienne. Mais la pression ne fit que comprimer un peu plus mon cœur alors je me dégageai avec un soupir. La jeune fille ne paraissait plus avoir les mots, mais ce n'était pas le cas de ma sœur, qui lança sèchement :

-Travis, ne songe pas un seul instant que la décision de Dylan est de ta faute. Si elle n'a pas voulu être avec un garçon aussi adorable que toi, c'est qu'elle a vraiment un problème.

-Répète-moi ça ? me moquai-je avec l'ombre d'un sourire. Je veux dire, le moment où je suis adorable ?

Les yeux de Camille roulèrent dans leurs orbites et Chelsea fronça les sourcils.

-Adorable n'est peut-être pas le mot que j'aurais utilisé, avoua Chelsea. Je ne sais pas si quelqu'un de bien irait voler les piécettes de deux mendiants ...

-Oh ça va, tu me l'as bien fait payé après ...

-... Mais je pense réellement que tu es quelqu'un de bien. Et surtout que tu as le cœur sur la main. Mais quoi ? protesta-t-elle en remarquant que je ricanai, à la fois amusé et désabusé. Travis, tu connais beaucoup de garçon de dix-huit ans qui se seraient démenés comme tu l'as fait pour que des gamins que tu ne connaissais même pas trouve un foyer ?

-Et beaucoup de fils d'Hermès qui seraient descendus jusqu'aux Enfers pour aller chercher une gamine qu'ils n'avaient pas vu depuis plus d'un an ? enchérit Camille. Ce sont les héros qui descendent aux Enfers, Travis.

-Est-ce que vous avez mangé les cookies périmés cachés dans la chambre de Connor ?

Chelsea planta son coude dans mes côtes et Camille passa par dessus sa tête pour me flanquer un coup sur le crâne.

-Des fois que tu n'aurais pas compris, c'est une façon de te remercier de ce que tu as fait, rétorqua Chelsea en plissant les yeux. Réellement, Travis, je ne sais pas comment moi et les enfants on va pouvoir assez vous remercier toi et ta mère pour tout ce que vous avez fait pour nous.

-Viens à Thanksgiving. Ça fera plaisir à Connor.

Chelsea s'empourpra furieusement et se trouva un intérêt soudain pour ses chaussures. Camille pointa un index sous le nez de la jeune fille.

-Ah non, hein ! Chelsea, tu mérites mieux que Connor, comme Travis mérite mieux que Dylan !

-En vrai, je pense que c'est le fond du problème, se précipita Chelsea, rebondissant sur la seconde partie du problème pour ignorer la première. Je pense réellement que Dylan ne pensait pas mériter Travis, qu'il méritait mieux qu'elle et qu'en le suivant elle serait un poids pour lui. Mais bien sûr, ça n'excuse rien ...

-On peut changer de sujet ?

-Ouais, revenons sur cette histoire entre Chelsea et Connor, approuva Camille avec un sourire carnassier. Autour d'un milk-shake et à l'intérieur, je commence à avoir froid.

J'éclatai de rire devant les joues rougissantes de Chelsea et me levai avant de tendre les mains aux filles. Nous nous engouffrâmes dans le restaurant au moment où le vent se mettait à souffler de violentes bourrasques, et Camille alla immédiatement demander sa boisson à ma mère, qui lui servit avec un immense sourire. Ma sœur s'était considérablement détendue depuis hier et je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour en remarquant qu'une certaine complicité se développer déjà entre ma mère et Camille, et que cette dernière semblait appréhender sa nouvelle vie avec ravissement. C'était une seconde vie qui commençait pour elle, comme pour Chelsea et tout les enfants de la Cour.

Tout comme pour moi. 

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