Chapitre 10 : Les jardins de Perséphone


Comme annoncé, j'ai mis un coup de collet et j'ai trois chapitres d'avance, youhou. Comme acte de bonne fois, je vous livre celui-ci ! Bonne lecture ! 

PS : j'essayerais de poster toutes les deux semaines, en alternance avec O&P. 


Chapitre 10 : Les jardins de Perséphone.

Il avait fallu trainer Dylan jusqu'au bas des murailles de Hadès.

Et au pas de course pour maintenir les squelettes d'Orcus à distance.

Je levai le regard sur les hautes grilles de métal noir qui gardait l'entrée du palais de Hadès. Il avait suffi à Nico de s'avancer pour qu'elle s'ouvre devant lui, et il dut prendre fermement Dylan par le bras pour lui faire passer les portes. Camille n'eut pas pareille difficulté et courut presque dans l'antre d'Hadès. Connor et moi avions échangé un regard empli d'appréhension. Il finit par soupirer profondément :

-Pour Alice. Bon sang, je lui ferais payer au centuple.

-Et à papa, marmonnai-je en retour.

-Et à papa.

Et nous avions franchi le portillon d'Hadès d'un pas déterminé. Camille, Nico et Dylan avaient avancé sur le chemin de gravier noir qui les menait au château imposant du trônait au milieu des murailles. Je me dévissai le cou pour voir les scènes qui étaient gravées sur les murs du palais. Toutes les images avec un rapport plus ou moins éloigné avec la mort.

-Allez, révisions ton histoire pour ton diplôme, lançai-je à Connor en pointant des hommes munis de masque à gaz sortant de tranchées. Alors ?

Connor me lorgna l'air mauvais. Sans doute que passer son diplôme n'était pas dans ses plans. Pourtant il leva la tête et fronça ses sourcils.

-Euh. Seconde guerre mondiale ?

-Première, raté. Et celle là ?

Elle représentait le bombardement de Fort Sumter, le déclenchement de la Guerre de Sécession, et du conflit le plus meurtrier de notre histoire. Les sourcils de Connor se froncèrent un peu plus et il secoua la tête.

-T'as toujours été le plus intelligent de nous deux, mec. Moi je ne pige rien à tout ça.

-Ce n'est pas une question d'intelligence, répliquai-je. Je n'ai jamais aimé particulièrement l'histoire, j'ai juste appris pour m'en sortir.

-Et décrocher une belle bourse pour la fac de droit. Il faut dire que ... ça ne m'a surpris qu'à moitié. Tu n'as jamais supporté les injustices. Je me souviendrais toujours de la fois où tu as aspergé le casier de Bobby Stinson de sirop d'érable parce qu'il a obtenu le poste de président des élèves grâce à son père pété de thune.

Je souris à l'évocation de ce souvenir et au visage de Bobby lorsqu'il avait découvert son casier dégoulinant et à son air arrogant qui avait fondu comme neige au soleil. Le jour d'après, j'avais également plaqué des affiches dénonçant cette corruption dans tout le lycée, et avais passé de longues heures assis devant le bureau du principal pour réclamer de nouvelles élections, non truquées cette fois. Ça s'était soldé par mon exclusion temporaire, mais le conseil des parents d'élèves avait réclamé de nouvelles élections, que Bobby Stinson n'avait cette fois pas gagnées. Une petite victoire qui avait éveillée en moi des rêves d'une autre vie, une vie où je pourrais défendre les autres et les opprimés. Une vie où je pourrais être utile, au lieu d'être un gamin bourré de problème qui était devenu un poids pour sa mère.

-Un grand moment, admis-je, sachant pertinemment que cet incident avait grandement influé sur ma vie. Il a changé de lycée, d'ailleurs, l'an dernier non ?

-Son père a eu un poste à Washington, je crois. Bon débarras.

Connor shoota dans un gravier noir charbon et je lui jetai un regard d'avertissement. Je n'étais pas sûr que Hadès apprécie que l'on shoote impunément dans ses cailloux.

-Tu sais, ce n'est pas si compliqué d'avoir son diplôme, poursuivis-je innocemment. Il faut juste s'accrocher un petit peu, travailler quand il faut ...

-Tu essaies de me convaincre, là ?

Le ton de Connor était plus méfiant que moqueur. Un sourire s'étira doucement sur mes lèvres.

-Oh il paraît que je suis assez fort à ce jeu là.

-Je le sais bien, grogna-t-il en couvrant ses oreilles de ses mains. La ferme.

Je ricanai alors qu'il accélérait le pas pour mettre de la distance en lui et moi. Dylan, Camille et Nico s'étaient immobilisés plus loin, contemplant quelque chose en contrebas. Connor les avait rejoins et je vis ses yeux s'écarquiller.

-Oh super, grommelai-je, comprenant que quelque chose clochait. Qu'est-ce qu'il se passe cette fois ?

J'allongeai le pas pour les rattraper et jetai un regard en contrebas. La pente était douce jusqu'à ce qui semblait être un jardin. Mais ça ne ressemblait plus à un jardin. Tout était calciné, noirs et brulé. Les arbres pendaient misérablement, leurs branches noircies se balançant au gré du vent. Ce qui avait semblé être de merveilleuses fleurs avait été piétiné, détruit. Des pierres précieuses gisaient éparses dans les cendres. Des spectres arpentaient le jardin, balayant, ramassant, le tout inlassablement sans même relever la tête.

-Bon sang ..., jura Nico avec stupeur. Qui a bien pu faire ça ?

-Qu'est-ce que c'est ? demanda Camille en dressant un sourcil. Ton père veut postuler pour le jardinier le plus mauvais du monde ?

-Ce n'est pas le jardin de mon père. Mais celui de ma belle-mère. Et ... Il n'est pas censé être ... comme ça.

Dylan avait dégluti au moment où Nico prononçait le mot « belle-mère ». Je scrutai les jardins et les spectres-jardiniers qui les jalonnaient. Et finalement, je la vis. Cheminant pied nu entres les plantes brulées, sa somptueuse robe noire trainant derrière elle, ses cheveux bruns attachés en un chignon leste. Son regard était si sombre et si profond qu'il semblait aspirer la noirceur, et bien que je ne pouvais que mal distinguer son visage, je devinai qui elle était.

-Déesse à trois heures, commentai-je alors en réprimant une bouffée d'angoisse.

-Bien vu, Travis, confirma Nico en hochant sombrement la tête. La reine des Enfers en personne, surveillant les rénovations de son jardin.

-Je veux rentrer chez moi, marmonna Dylan en reculant d'un pas.

Elle dardait sur sa mère un regard à la fois méfiant et déchiré, comme si une toute petite part d'elle voulait s'avancer vers cette déesse. Camille poussa un feulement de chat furieux.

-On n'a pas été si bas dans les Enfers pour que tu renonces maintenant ! gronda-t-elle avant de pousser Dylan de son parapluie. Va voir ta mère et demande lui où est ma sœur !

-On y va tous ensemble, tranchai-je avant que Dylan ne plante une flèche entre les yeux de Camille. Ça ne sert à rien de se séparer maintenant. A moins que ... (Je me tournai vers Nico). Tu veuilles directement aller voir ton père ?

-Non, répondit Dylan à sa place. Il reste ici.

Elle lui jeta un regard qui n'autorisait aucune protestation et Nico céda avec un soupir. Après un instant d'hésitation, nous nous engageâmes sur la pente pour descendre vers les jardins de Perséphone – et Perséphone elle-même. Quand les spectres nous aperçurent, ils se mirent en positions d'attaque, armés de redoutables truelles ou râteaux de diverses sortes. Connor explosa de rire en voyant le spectacle et Dylan se fit un plaisir de lui écraser le pied pour le faire taire. Nico leur ordonna de retourner à leurs occupations et les spectres obtempérèrent de mauvaise grâce. Je vis le soulagement envahir les traits du fils d'Hadès, sans doute rassuré de voir des morts lui obéir après l'épisode des squelettes dans l'Asphodèle.

-Tu te sens le droit de régir mes ouvriers ?

La voix était glaciale et émanait de derrière les bosquets calcinés. Un instant plus tard, Perséphone en sortit, belle et ténébreuse reine des Enfers qu'elle était. Sa robe noir était si longue qu'elle trainait à terre et des pierres précieuses étaient cousues sur son buste, y formant des arbres et des fleurs qui semblaient presque bouger au grès du vent. Son teint olivâtre de méditerranéenne détonait dans cet univers sombre et quelques mèches de cheveux bruns s'échappaient de son chignon pour encadrer son visage. Ses yeux durs comme l'onyx étaient rivés sur Nico avec froideur, et pourtant je sentais que le noir n'était pas leur couleur naturelle. C'était l'automne qui les avait rendu si sombre. Nico s'inclina humblement.

-Bien sûr que non, ma reine. Je n'oserais pas.

-J'espère bien, répliqua Perséphone avec sécheresse. Déjà que tu m'as pris quelques grenades l'été dernier ... Ton père te laisse vraiment tout faire, c'est fou.

Elle caressa un de ses arbres, et son regard balaya notre groupe avec hauteur. Je le sentais m'effleurai, comme une froideur sur ma peau qui m'arrachait des frissons. Un sourire finit par lentement s'étirer sur ses lèvres. Petit. Amer.

-La situation doit vraiment être urgente si tu daignes me rendre visite ici, Aiyana.

Je mis un moment à comprendre qu'elle s'adressait à Dylan. Notre groupe se retourna vers elle d'un bloc. Elle avait à nouveau croisé les bras sur sa maigre poitrine, et évita les yeux de sa mère pour nous fusiller du regard.

-Euh, entonna Connor, les sourcils froncés par l'incompréhension. Comment elle t'a appelé, là ?

Cette fois ce fut Camille qui lui écrasa le pied et Dylan lui jeta un regard si meurtrier qu'il s'insista pas. La jeune fille finit par s'avancer de mauvaise grâce et par faire face à la déesse, les yeux farouches, les bras toujours croisés.

-Navrée de te décevoir, mais ... Je ne suis pas venue pour toi.

-Le contraire m'aurait étonné, murmura Perséphone, les yeux rivés sur les traits de sa fille. Tu as grandi, Aiyana.

Il me semblait invraisemblable que le mot « grandir » puisse s'appliquer à Dylan tant elle était petite, mais je gardai cette réflexion pour moi. Maintenant qu'elles étaient l'une devant l'autre, j'arrivais à leur trouver des traits semblables : leur nez retroussé, la courbe de leur lèvre, et cet éclat dans le regard, cet éclat farouche des femmes qui refusaient de laisser faire. Je vis les poings de Dylan se serrer.

-En huit ans, c'est normal, répliqua-t-elle avec froideur. Et arrête de m'appeler comme ça.

Je crus déceler une once de tristesse qui passait dans les yeux sombres de Perséphone.

-Si tu n'es pas venu me voir, entonna-t-elle en un murmure bas. Alors pourquoi es-tu descendu jusque ici ?

-Pour aider des amis. Ils t'expliqueront bien mieux que moi.

Elle me jeta un regard, m'intimant silencieusement de prendre le relai. Je voyais à la contraction de sa mâchoire et à la tension dans ses épaules qu'elle ne se sentait pas capable d'adresser un mot de plus à sa mère sans craquer. Alors je pris mon courage à deux mains et m'inclinai devant la reine des Enfers. Elle dressa un sourcil dédaigneux.

-Votre altesse, la saluai-je maladroitement.

Camille m'encouragea d'un coup de coude. Je pris une inspiration et poursuivis :

-Nous pensons qu'une fille d'environ douze ans ...

-Treize, me souffla Camille.

-Bon, treize ans, bref. On pense qu'elle est venue ici avec l'objectif de vous demander de lui rendre sa sœur morte. Et euh ... Nous n'avons aucune nouvelle d'elle alors ...

Je m'interrompis en voyant le visage de Perséphone changer d'expression, passant de la méfiance à la colère froide. Son aura s'épaissit, me glaçant le sang et me forçant à reculer d'un pas. Son regard passa sur moi, avant de se poser sur Dylan et enfin sur Camille.

-Hermès, marmonna-t-elle en me dévisageant avec défiance. Je reconnaitrais son sang n'importe où. Bon sang, Hermès, vieux roublard ...

Elle jeta un long et pénétrant regard à sa fille avant de fixer le ciel avec un tel courroux que je me mis à craindre pour la vie de mon père. Le sol trembla soudainement et une fissure apparut à ses pieds.

-Oups, lâcha-t-elle sans quitter les cieux du regard.

Elle finit par river les yeux sur moi, et je me figeai devant l'expression son regard, d'une telle intensité que je ne me sentais pas de bouger le moindre muscle.

-Ton père m'avait prévenu que tu arrivais, m'apprit-t-elle en me scrutant. Il m'a dit que tu viendrais chercher ta sœur à sa place ...

-Donc vous avez vu Alice ? compris-je, reprenant espoir. Vous savez où elle est ?

-Si vous avez des doutes, ajouta Connor avant de pousser Camille devant nous. On vous a ramené son double. Essayez de visualiser sans les cicatrices.

-Frère en carton, maugréa notre sœur en le toisant l'air mauvais.

Perséphone nous dévisagea tout les trois, avant de s'intéresser plus particulièrement à Camille. Ma jeune sœur soutint courageusement son regard sans sourciller et sa détermination parut légèrement amusé la déesse.

-Semblables jusque dans l'impudence, chuchota-t-elle en scrutant Camille. C'est le cyclope qui est censé t'avoir tué qui t'a fait ça, trésor ?

-Où est Alice ? rétorqua Camille sans tenir compte de la question de la déesse.

Connor et moi nous accordâmes pour lui donner des coups de pieds à l'arrière de la jambe, mais Camille n'en eut cure, et continua de toiser la déesse avec défi.

-Alors ? insista-t-elle, serrant un peu plus fort Mary Poppins entre ses doigts.

Perséphone ricana et passa le pied sur la fissure qu'elle avait crée. Elle se reboucha en un rien de temps, et une plante noir comme l'ébène y poussa. La déesse adressa un sourire à Camille : un sourire qui pourrait paraître innocent, mais qui me donna froid dans le dos.

-Ta sœur est enfermée dans mon palais.

-Quoi ? s'étrangla Dylan, incrédule. Tu l'as enfermée ?

-Mais qu'est-ce qu'elle a fait ? enchérit Connor. Alice est adorable, elle ...

-Adorable pour des mortels, peut-être, répliqua Perséphone, son sourire devenant plus sinistre. Mais elle semblait avoir ... une dent contre nous. (Elle écarta les bras pour désigner l'ensemble des cendres sur lesquels nous nous tenions). Elle a détruit mon jardin.

***

Alice avait détruit le jardin de Perséphone.

Mais qu'est-ce qu'il avait bien pu lui passer par la tête ?!

Perséphone nous avait fait passé les immenses portes du palais d'Hadès, nous faisant déboucher sur une immense salle aux proportions disproportionnées. Des torches de feux d'un blanc spectral éclairait notre passage et des statues de marbre noir comme la nuit habillait la pièce. Je me dévissai le cou pour voir le visage de l'une d'entre elle et mon sang se figea dans mes veines. J'aurais reconnu cette moustache entre mille. La moustache la plus célèbre et la plus honteuse que l'humain n'ait jamais porté.

-Je rêve, souffla Camille, qui regardait la statue comme moi. C'est Adolf Hitler ?

-Il n'a pas fait ça ? grogna Nico en s'arrêtant à nos cotés.

Je déglutis difficilement. Je savais que la seconde guerre mondiale avait été le terrain d'affrontement des fils de Zeus et Poséidon d'un coté – tel ce cher Franklin Delano Roosevelt, les dieux aient son âme – et les fils d'Hadès. Comme Adolf Hitler. Mais le constater pour de vrai avait quelque chose de glaçant et j'eus l'impression que mon sang se transformait en plomb.

Je n'étais pas particulièrement rassuré d'entrer dans l'antre du père d'un monstre pareil.

-Allez on bouge, marmonna Nico en reprenant la route. Avant que je ne défonce cette statue.

-Ne te retiens pas, défonce la, marmonna Dylan avant de planter son coude dans les côtes de Connor. Tu sais qui c'est au moins ?

-Hey ! protesta mon frère en plissant les yeux. Je ne suis pas si stupide !

-Pour descendre dans mon royaume, j'ai tendance à songer qu'il faut être stupide.

Nos cinq têtes se tournèrent d'un bloc vers le fond de la pièce et mon cœur manqua un battement. Une estrade s'élevait sur les derniers mètres de la pièce, portant deux trônes. Perséphone monta sur l'estrade et parut grandir à chaque pas, devenait démesurément plus grande que les statues. Elle s'assit avec grâce sur son fauteuil en forme de fleur dorée et délicate et aussitôt, elle parut irradier de puissance. Des sandales chaussèrent ses pieds et une fine couronne vint ceindre son front. Elle était intimidante, mais ce n'était rien par rapport à l'homme qui se tenait à ses cotés. Son visage avait la blancheur de l'albâtre et ses yeux la noirceur de la mort. La toge grecque dont il était vêtu était sombre et semblait être cousu de milers de visage humains. Il me semblait même que ses visages bougeaient, comme s'il voulait s'extirper de la robe – et je trouvais ça infiniment malsain. Mais je n'en attendais pas moins de Hadès.

-Dylan, murmura Connor. Comment tu fais pour être si petite en étant la fille d'une géante ?

-Ferme-la un peu, répliqua Nico avant que Dylan ne puisse ouvrir la bouche. Et agenouille-toi devant les Maîtres des Enfers.

Effectivement, au vu de la puissante aura, à la fois fascinante et destructrice qui émanait du couple royal, il me semblait naturel que nous nous inclinions. Nico fut le premier à le faire et je lui emboitai le pas. Camille hésita mais je la fusillai du regard : nous nous étions introduis aux Enfers et notre sœur avait probablement détruit le jardin de Perséphone. Ce n'était pas le moment de pinailler. Camille parut comprendre, comme Connor, car ils posèrent le genou à terre. Seule Dylan resta debout, se drapant de son blouson de cuire rapiécé comme de sa dignité, les bras croisés sur sa poitrine.

J'éprouvai une irrépressible envie de l'étriper.

C'était contre Clopin qu'il fallait rester debout, pas contre les maîtres des Enfers.

-Père, entonna Nico avec un sourire crispé, comme pour détourner l'attention de Dylan. Vous avez ... changé la décoration.

-Un mec responsable de la mort de cinq million de juifs au minimum, asséna néanmoins Dylan, le feu dans les yeux. Quelle preuve de bon goût ...

-Oh par les dieux, Dylan, persifflai-je en lui jetant un regard noir. Tais-toi.

Je n'approuvai pas plus la présence d'Adolf Hitler ici, mais ce n'était pas le moment d'en débattre : nous devions négocier le retour d'Alice, et quelque chose me disait que cela n'allait pas être une tâche aisée. Et Dylan ne nous facilitait pas la tâche. Un rictus déforma les lèvres d'Hadès.

-Perséphone, non seulement ta fille osese présenter devant moi, mais en plus elle refuse de s'incliner et pousse le vice à m'insulter.

-Elle a l'arrogance de sa mère, prétendit Perséphone avec un sourire amusé. Et il faut dire qu'elle n'a pas tord, j'étais contre cette statue, mon amour.

Entendre Perséphone appeler le seigneur de la mort « mon amour » m'avait donné froid dans le dos. Le regard de Hadès se porta sur la statue de Hitler.

-Il n'était pas un fils parfait, admit-t-il en bougonnant. Mais c'était mon fils, et à ce titre il a le droit à sa place ici.

-On ne renonce pas à sa famille. Quand bien même elle nous en donnerait envie.

Je ne savais pas ce qu'il m'avait poussé à prononcer ces mots, mais je me mordis la langue aussitôt, pestant contre moi même. En revanche, ce que je savais, c'était que ces mots dictés par mon père avant régis ma vie et ce qu'Hadès disait y faisait douloureusement écho. Je sentis plus que je ne le vis le regard du seigneur des Enfers se poser sur moi. Je baissai les yeux, ne trouvant pas le courage nécessaire pour croiser les siens.

-Hermès, définitivement, soupira Perséphone avec un sourire dans la voix.

-Hermès, gronda Hadès d'un ton qui me fit frissonner de la tête au pied. Di Immortales. S'il n'y avait pas eu Percy Jackson, ce serait sans doute le neveu que je détesterais le plus. Envoyer ses enfants ...

-Levez-vous.

Personnellement, j'avais très envie de rester à raz du sol, l'échine courbée pour ne pas à avoir à croiser le regard des dieux. Mais je sentis Connor se lever, puis Camille et Nico, alors je fis de même, m'efforçant de contempler les seigneurs des Enfers sans effleurer leurs regards. Un exercice difficile qui demandait toute mon attention. Je sentis une présence derrière moi, et jetai un bref coup d'œil derrière mon épaule. Dylan se tapissait derrière moi, et m'adressa un sourire penaud.

-Ne bouge pas, j'essaie de me cacher.

-Je doute que ce soit efficace. Essaie derrière Connor, il est plus large que moi.

Dylan grimaça et mon frère coula sur moi un regard courroucé. Nico s'était avancé jusqu'au marche : il paraissait si minuscule face à la stature gigantesque du couple divin, et le regard de son père était si froid que moi-même je me recroquevillai, les entrailles gelées.

-Tu m'amènes toujours des gens étranges, gronda sourdement Hadès. Mais je doute que ce soit la raison de ta visite, je me trompe ?

-Comme toujours vous êtes d'une remarquable clairvoyance, Père, railla Nico, les mains enfoncées dans ses poches.

Hadès secoua la tête et se leva avec un signe de main pour son fils.

-Viens, il faut effectivement qu'on en parle. Je trouve ça extrêmement agaçant que l'un des dieux mineurs qui est censé m'être subordonné cherche des noises à mon fils ...

-Attendez ! s'écria Camille en se portant à hauteur de Nico, furibonde. Et Alice ? (Elle pivota vers moi, les yeux flamboyants). Travis, on est venu chercher Alice, pas ramener le petit prince dans les jupes de son père !

-Par les dieux, marmonnai-je, sidéré. Les filles de cette expédition ne savent donc pas se la fermer ?

Dylan m'écrasa les orteils en guise de représailles, et je la fusillai du regard. Un frisson me parcourut violement l'échine, mais je ne sus s'il était du fait de la jeune fille ou du regard qu'Hadès venait de poser sur moi. Il dressa un sourcil flegmatique.

-Alice ?

-La Sang-mêlée qui a détruit mon jardin, l'éclaira Perséphone avec une moue. Hermès en envoyé son fils la chercher.

-Oh, je vois.

Cette fois, ce furent chaque poil de mon corps qui se dressa lorsque que les prunelles froides et sombres d'Hadès effleurèrent les miennes. Il avait l'air singulièrement agacé.

-C'est assez pénible ces demi-dieux qui viennent chercher des choses ... Mon amour, il s'agit de ton jardin, et je sais que tu as une certaine ... affinité avec Hermès.

L'air furieux d'Hadès lorsqu'il prononça ses phrases ne parut pas désappointer Perséphone qui répondit d'un adorable sourire, le menton au planté sur son poing. Son mari laissa échapper un grognement sonore, et se détourna de sa femme.

-Bref, je te laisse gérer cette histoire. J'ai des affaires autrement plus urgentes à gérer avec mon fils – je te laisse avec ta fille.

Avec un mouvement sec de la tête à l'adresse de son fils, il fit volte-face pour prendre un casque derrière lui. Après l'avoir enfiler, il parut se fondre dans les ombres et disparut totalement de notre perception. Aussitôt, j'eus l'impression qu'un immense poids s'ôtait de mes épaules avec la disparition du dieu, et l'étau qui compressait ma gorge se desserra. Perséphone, accoudée à son trône, haussa les sourcils en fixant son beau-fils.

-Ton père t'attend.

-J'y vais, assura Nico, avant de se tourner vers moi pour me souffler. Faites attention, et fais les taire, par les dieux.

J'ouvris les bras en signe d'impuissance, et Nico leva les yeux au ciel. Après un dernier regard pour Dylan, il s'effaça à son tour, et nous nous retrouvâmes seuls face à la reine des Enfers. Sa fille se tapit un peu plus derrière moi, alors que Camille la lorgnait l'air mauvais.

-Je veux voir ma sœur, exigea-t-elle sans détour.

-Ma reine, je sais qu'Alice a détruit votre jardin, plaidai-je pour empêcher Camille d'agacer d'avantage Perséphone. Y-a-t-il quelque chose qu'on puisse faire pour la faire pardonner, et que vous nous la rendiez ? Je ne sais pas, moi euh ... replanter des graines ?

-C'est elle qui a détruit le jardin, pourquoi c'est nous qui replanterions les graines ? protesta Connor.

-Ce que je demande, ajoutai-je d'une voix plus forte, avec un regard aigu pour mon frère, c'est votre prix pour qu'on récupère Alice.

Un fin sourire s'étira sur les lèvres de Perséphone, éclairant sinistrement son visage aux traits harmonieux.

-Et qui te dit que j'ai un prix ?

-Tout a un prix, il suffit de le négocier.

Perséphone éclata d'un rire cristallin qui se répercuta sur les murs du palais, nous renvoyant un écho étrange qui contracta mes entrailles. Elle se leva de son trône, et descendit les marches, reprenant à chaque pas taille humaine pour pouvoir se planter devant moi et me toiser de toute sa hauteur. Elle était quelques centimètres moins grande que moi, pourtant devant son regard intense, j'avais l'impression d'être le plus insignifiant des moustiques. Ma tête se rentra instinctivement dans mes épaules, malgré l'éclat presque tendre qui brillait dans les yeux de la déesse.

-Ton père doit être fier de toi, n'est-ce pas ? souffla-t-elle, si bas que je doutais que les autres aient entendu. Tu suis tout ses préceptes à la lettre. Unité familiale. Sens du négoce. Un peu d'inconscience. Et tu dois être un voleur hors paire, non ?

Je déglutis nerveusement, incapable de répondre quoique ce soit. Mais ce qu'elle lut sur mon visage parut contenter Perséphone, et son visage se fendit d'un sourire plus franc.

-Je le savais. Si ton père t'a envoyé toi, c'est forcément significatif. Peut-on parler ?

Sans me demander mon avis, elle posa la main sur mon bras, et tout tangua autour de moi. J'eus l'impression que ma vue se brouillait et que les lignes autour de moi ondulaient, que les couleurs se mélangeaient les unes au autres. Un clignement d'yeux plus tard, j'avais quitté la sombre salle du trône pour une pièce plus petite et plus chaleureuse, avec un âtre où brûlant un feu incandescent, deux fauteuils imposants mais aux couleurs chaudes et aux coussins moelleux, et une table basse d'ébène. Perséphone lâcha mon bras, et s'installa dans le plus grand des fauteuils et m'invita d'un geste gracieux de la main à prendre possession de l'autre. Déboussolé, je fouillai la pièce du regard, cherchant mon frère, ma sœur et Dylan sans les voir nul part.

-Où sont-ils ?

-Restés dans la salle du trône, répondit Perséphone avec un certain flegme. Quel est ton nom, déjà ?

-Attendez, je ne comprends pas ...

Un sourire découvrit les dents blanches et régulières de la reine des enfers.

-Tu voulais négocier, mon chou. Négocions. Comment tu t'appelles ?

-Travis, répondis-je, toujours désarçonnée.

-Travis. Assis-toi, Travis.

Pataugeant toujours dans la perplexité, et avec d'infinies précautions, je pris place sur le bord du fauteuil, raide comme un piquet. Mon malaise parut amusé Perséphone.

-Bien, Travis. Comment as-tu rencontré Aiyana ?

-Pardon ?

-Ma fille, Travis.

-Oh, compris-je en rougissant. Mais elle s'appelle Dylan et ... Attendez, pourquoi vous voulez parler de Dylan ?

Je plissai les yeux, suspicieux. Perséphone eut un sourire triste, et claqua des doigts. Je me tendis, alerte, mais la seule chose qui se produisit fut l'apparition d'une théière sur la table d'ébène poli. Elle se mit à flotter en l'air, et s'inclina pour verser un liquide fumant dans une tasse si noire qu'elle semblait aspirer la lumière en suspension dans l'air. Perséphone la saisit et enroula ses doigts autour d'elle, l'air songeur.

-Chéri, tu as dû remarquer que mes relations avec ma fille n'étaient pas au beau fixe. Elle me tient toujours rigueur de la mort de son père ... Ah, par Zeus (Elle se massa la tempe, les yeux clos). Comment peut-elle croire que je l'ai laissé mourir par plaisir ? Le fil de sa vie avait été coupé. Toute reine des enfers que je suis, je ne peux pas entraver la Mort en personne.

-Vous le lui avez expliqué ?

-Evidemment. Mais lorsqu'on vient de perdre quelqu'un, on est d'une étonnante surdité ... Bien, mon chou, tu n'as pas franchement répondu à ma question. Comment as-tu rencontré ma fille ?

Je papillonnai des paupières, interdit par la tournure de la conversation. Bien qu'elle eût reprit taille humaine, la déesse semblait toute de même irradier de puissance, et ses beaux yeux noirs étaient plissés en un regard inquisiteur qui faisait dresser les poils sur ma nuque. J'y passai la main pour apaiser le frisson. J'étais franchement mal à l'aise d'être ainsi pris à part, isolé des autres, pour ainsi faire face à la divine mère de Dylan.

-A Denver.

-En réalité, je le sais, éluda Perséphone avec un mouvement de la main. J'ai toujours un œil sur mes enfants. Je te suis reconnaissante de l'avoir sortie de cette « Cour des Miracles », cet endroit l'empoisonnait petit à petit. Il fallait y mettre un terme.

Mes entrailles se contractèrent, prises d'une soudaine intuition. Les yeux des la reine avaient pris une teinte glaciale et satisfaite qui me força à demander :

-Vous ... vous y êtes pour quelque chose ? C'est vous qui avez vendu la Cour aux Romains ?

-Oh ça aurait été une brillante idée, mais non, Travis, je n'y suis pour rien. J'ai simplement constaté sa destruction hier – ainsi que le groupe qui est à vos trousses. Il va falloir être prudents lorsque vous sortirez des Enfers.

-Avec Alice.

Une moue déforma les lèvres de Perséphone. Elle avait accoudé son bras au fauteuil et pressai son poing contre sa joue délicate, les jambes croisées sous ses jupons avec élégance et décontraction. Il y avait indéniablement du Dylan en elle – et du Perséphone en Dylan, rien que dans ce regard sombre et vivant qui vous fixe avec l'impression qu'il ne vous lâchera jamais.

-Ah oui. Alice. Ta proposition ne tient pas, mon cher : aucun mortel ne peut toucher les graines des enfers, pas sans leur faire perdre leur pouvoir et bien sûr ressentir de profonde souffrances. Alors je le regrette infiniment mais tu peux rien pour mon jardin.

-Mais je pourrais quelque chose pour vous ?

Un lent sourire s'étira sur les lèvres de Perséphone et ses yeux me détaillèrent avec un tel intérêt que j'en rougis, sans comprendre pourquoi. Ses prunelles étincelèrent.

-C'est vraiment fou comment tu ressembles à ton père, même physiquement ... Tu as ses yeux, tu le sais ? J'aime beaucoup Hermès. Il m'a beaucoup soutenu lorsque j'ai été exilée mes premiers hivers dans ce trou que l'on nomme « Enfer ». Tu n'imagines pas la douleur que ça a été pour moi. J'étais une déesse de l'extérieur, celle des fleurs, des jeunes pousses et protectrice des jeunes filles ... Et puis simplement parce que j'ai cédé à la tentation du goût exquis d'un fruit, me voilà coincée la moitié de ma vie dans ce lieu singulièrement dépourvu de nature.

Ses doigts fins s'agitèrent dans le vide et une pomme d'une surprenante rougeur qu'elle n'en paraissait pas naturelle apparu au creux de sa paume. Elle l'examina sous toutes ses coutures, comme si elle la soupçonnait de renfermer un pouvoir qui la coulerait définitivement aux enfers, mais elle parut satisfaite car elle en croqua un bon morceau. Malgré moi, je ne pouvais m'empêcher de l'imaginer en Blanche Neige mordant la pomme empoisonné, et un goût aigre monta dans ma bouche.

-Oh, ne pense pas que j'en conçois de l'amertume, ajouta-t-elle d'un ton badin. Au final, j'aime assez l'idée d'être une reine dans le monde des dieux, même si c'est sur les enfers que je règne. Ma mère a été bien plus déçue que moi, et surtout affreusement déconcertée de constater qu'après quelques siècles j'avais accepté ma nouvelle vie au point de l'aimer, et de perdre une partie de moi qui était celle de la vie et de la nature pour qu'elle soit remplacer par les ombres et la mort. Mais j'ai l'impression que c'est le lot de notre grande famille, Travis : les enfants déçoivent leurs parents.

Elle mordit à nouveau dans la pomme et la mastiqua sans me lâcher du regard, un sourire insolent aux lèvres. Je n'aimais pas la lueur qui s'était allumé dans ses sombres prunelles et qui vacillait comme la flamme d'une bougie tremblotante.

-Je pense que c'est ce que je vais te demander, Travis, souffla-t-elle avec amusement. Décevoir ton père.

-Je vous demande pardon ?

J'ignorais comment j'avais réussi à rester si poli face à l'absurdité de sa déclaration. Décevoir ton père ... Le sourire de la reine des enfers s'agrandit face à mon incompréhension, et elle lâcha la pomme qui disparut dans sa chute en un « pouf » qui ne laissa derrière lui que quelques traces de fumée.

-Hermès n'est pas un idiot. Il m'envoie son fils le plus capable de me ramener ma fille avec laquelle il pense que je veux me réconcilier ... Une fille contre une fille ... C'était son offre et tu étais le dépositaire.

Je sentis mes yeux s'écarquiller stupidement, mais je ne pouvais m'en empêcher. Ce qu'elle disait n'était pas dénué de sens, mais cela m'ahurissait au delà des mots. J'avais l'impression qu'un couteau glacé me perçait le ventre. Evidemment. J'ignorais comment j'avais fait pour ne pas le voir plus tôt. Je n'étais pas là pour négocier : j'étais là parce que j'étais l'unique enfant d'Hermès capable d'amener l'équivalent d'Alice pour Perséphone – sa fille Dylan qui la détestait. J'étais l'intermédiaire qui amenait l'offre d'Hermès pour la reine des enfers. « Aide-toi de la fille aux yeux qui changent de couleur ».

Il ne m'avait pas demandé cela pour que Dylan nous aide à nous repérer dans les enfers. Il m'avait demandé cela pour que Dylan soit le prix contre lequel Perséphone nous rendrait Alice. Comme elle venait de le souligner ... « Une fille contre une fille ».

Un goût de cendre se répandit dans ma bouche et j'eus du mal à identifier ce que je ressentais, avant de comprendre que je me sentais trahis par mon père.

Papa, tu es un enfoiré.

-C'est ce que vous voulez ? Garder Dylan ?

Perséphone paraissait se délecter de la révolte qui avait percé ma voix et avait fermé les yeux, comme pour mieux la savourer. Lorsqu'elle les rouvrit, sa bouche s'était tordue en un rictus dépité.

-Garder ma fille, ma Aiyana, dans un lieu si lugubre ? Oh par Zeus non, je ne suis pas si cruelle ... Un fleur a besoin de soleil pour s'épanouir. La place de ma fille est sur terre, je le sais bien.

-Alors qu'est-ce que vous voulez ?

-Oh, lui parler sera déjà un bon début, murmura-t-elle, songeuse. Je ne le nie pas, ton père me fait déjà un beau présent en m'amenant ma fille jusque moi ... Peut-être que nous pourrions ... dénoués quelques conflits.

Je pinçai mes lèvres, incapable si j'étais soulagé qu'elle ne compte pas enfermer Dylan quelque part dans les enfers et profondément agacé de m'être ainsi fait berné par mon père. Perséphone poussa un soupir à fendre l'âme.

-Mais j'aurais pu attendre qu'elle meure pour qu'elle vienne à moi. Je sais être patiente, la vie humaine n'est un clignement de cil pour les immortels ... Là elle aurait été aux enfers, à ma merci et forcée de m'écouter.

-Parce que c'est ce qui compte ? Qu'elle soit à votre merci ?

Le regard de la reine des enfers se fit plus incisif et un frisson me parcourut de la tête aux pieds. J'étais si en colère – contre mon père, moi-même et cette déesse qui me menait en bateau – que j'en avais oublié la prudence la plus élémentaire.

-Je vais attention à mes enfants, rectifia-t-elle avec aigreur. Je ne suis Zeus ou ton père qui en ont tant qu'ils ne peuvent pas tous les compter – et encore moins prendre soin de chacun d'entre eux. Hadès est un mari relativement fidèle au regard des autres dieux, et avec ce stupide pacte je n'ai pu avoir que cinq enfants lors du dernier siècle, un par génération. Alors je prends un soin tout particulier d'eux. Peut-être que nous n'avons pas la même définition de « prendre soin », je le conçois ...

-Mon père fait attention à nous.

-Oui, je l'admets, il fait des efforts incommensurables ... Tu étais au courant de son plan ?

Je me tus, déglutissant pour faire passer la boule chauffée à blanc qui s'était formée dans ma gorge. Perséphone parut lire ma réponse dans mon mutisme et elle se fendit d'un nouveau sourire en se levant paresseusement de son fauteuil.

-Je suppose que non, sembla-t-elle regretter en faisant quelques pas en ma direction. Et tu comprends que comme j'aurais pu avoir ce qu'il me propose de mes propres moyens ... Son prix est tristement insuffisant.

Elle fit quelques enjambées souples qui l'amenèrent derrière mon propre fauteuil et je résistai à la tentation de la suivre des yeux. La brûlure intense de son regard sur ma peau était déjà bien trop suffisante. Presque soudainement, je sentis son souffle proche de mon oreille et quelques secondes plus tard, sa voix chuchotait :

-Alors, fils d'Hermès ? Que me proposes-tu pour rehausser le prix ?

Je sursautai pour m'éloigner du souffle étrangement chaud et normal de la déesse et elle m'adressa un sourire carnassier. Mon cerveau surchauffait complétement en quête de réponse.

-Vous avez parlé de « décevoir mon père », me rappelai-je brusquement. Vous pouvez développer ?

-Tu serais prêt à faire ça ? s'enquit-t-elle d'une voix moqueuse. Décevoir ton père pour récupérer ta sœur ?

-Ça dépend de ce que vous voulez que je fasse.

Un rire rauque s'échappa de la gorge de la déesse et elle se redressa pour à nouveau me faire face, les mains jointes devant son ventre en une position digne et chaste.

-Que tu me ramènes son caducée.

J'étais certain d'avoir mal entendu. Mais les yeux de Perséphone pétillaient d'amusement et son visage avait pris un air ravi qui frisait l'extase. Elle battit des mains, visiblement très fière de son idée et éclata d'un grand rire qui m'arracha des frissons.

-Oh mais oui, c'est parfait ! Le voleur volé et par son propre fils ... Tu entends, mon frère ? (elle leva son visage vers le plafond, mais ses yeux semblaient viser plus hauts – vers le ciel, vers l'Olympe). Je vais envoyer ton fils dont tu es si fier te voler !

-Vous n'êtes pas sérieuse ?

Il y avait de l'horreur dans ma voix, et je n'avais pas cherché à le réprimer. L'idée même de devoir voler mon père me retournait totalement les entrailles, mais l'idée de devoir lui voler son caducée, son objet-symbole dont il ne se séparait jamais me paralysait totalement. Mais lorsque Perséphone baissa enfin son visage vers moi, elle paraissait immensément satisfaite.

-Par les dieux, vous êtes sérieuse ! me récriai-je en m'extirpant de mon fauteuil. Vous voulez que j'aille voler mon père !

-Son caducée, précisa-t-elle avec délectation. Toi qui semble être le fils parfait d'Hermès, tu possèdes aussi des qualités de vol je suppose ?

Oui j'étais un voleur. Mais je volais des chips, des cigarettes – à la limite une voiture lorsque cela s'avérait nécessaire. Je ne volais pas un dieu. Je ne volais mon père. Et je ne volais pas son caducée.

J'avais soudainement l'impression qu'un bébé-Travis s'agitait en moi, un enfant qui avait toute sa vie cherchait de près ou de loin l'approbation de son père dont il n'avait que le nom. Et cette partie la se refusait à faire quoique ce soit qui pourrait couper le lien tangible que le grand-Travis avait tenté fil par fil de tisser avec Hermès. Ce fut sans doute pour cela que je lâchai de but en blanc :

-Pas question.

L'air ravi de Perséphone s'effaça au profit d'une moue ennuyée et d'un léger froncement de sourcil.

-Et pourquoi ?

-Au delà du fait que c'est mon père et que ce n'est pas très moral pour son fils d'aller le voler ... Comment voulez-vous que j'aille voler le prince des voleurs en personne ? Je suis peut-être son fils mais je ne suis que son fils, c'est léger face à un dieu des voleurs !

Le froncement de sourcils s'accentua et elle caressa ses lèvres d'un doigt, songeuse. Elle se remit à marcher lentement dans la pièce, la parcourant de long en large, avant de pivoter brusquement vers moi, ragaillardie.

-Et si je laisse ton frère venir avec toi, ça t'irait ? Et même ta demi-sœur, la Sang-Mêlé arrogante ...

-Camille.

Mais l'idée d'entrainer Camille et Connor là-dedans me terrifiait bien plus que d'y aller seul. Moi j'avais un lien – fin et peut-être imaginaire, mais qui avait le mérite d'existait dans mon esprit – avec mon père, mais eux n'avaient encore rien tissés. Que se passerait-il dans la tête de papa lorsque deux de ses enfants viendraient le voler ? Leur tournerait-il le dos ? N'auraient-ils jamais la chance d'avoir une conversation avec lui ? Car il saurait. C'était indéniable, et la mission était vouée à l'échec. On ne pouvait pas voler un dieu – et pire que tout, on ne pouvait pas voler Hermès.

Non, vraiment, le prix de Perséphone était aussi irréalisable que absurde.

-En somme, vous considérez que le caducée serait la compensation des dégâts d'Alice ? m'assurai-je en m'efforçant de masquer mes tremblements. Je trouve ça exagéré. Vous vous attaquez au symbole même d'Hermès quand vos dommages n'ont étés que des plantes ... La balance n'est pas équitable.

Le regard de Perséphone se planta sur moi et flamboya si fort que je fus certain d'apercevoir de réelle flamme derrière le noir de ses iris, des flammes dangereuses et destructrices qui me prendraient pour cibles. Mon sang se glaça dans mes veines et ma bouche s'assécha alors qu'elle faisait un pas vers moi, les traits figés en un masque de colère froide.

-Que des plantes, répéta-t-elle en un souffle. Non, mon chou, tu es loin du compte. Ce jardin est mon royaume dans celui de mon mari. Mon identité de déesse du printemps dans les immensités glaciales des enfers. Ce jardin est mon symbole, ma fierté, le seul lieu sur cette maudite terre qui me représente telle que je suis : déesse de la vie comme de la mort. En le dévastant, c'est à ma personne que ta sœur s'est attaquée – la pauvre sotte, elle n'en a sans doute pas eu conscience ... Ces plantes, comme tu le dis, certaines mettront des centaines d'année à retrouver leur gloire d'antan. Alors moi je trouve que la balance est équitable. Un symbole contre un autre.

Elle se détourna de moi aussi prestement qu'elle s'était avancé. Une porte se matérialisa et s'ouvrit brusquement face à elle, poussée par un vent glacial qui semblait venir de nul part et qui me cloua sur mon siège. Le froid était tel que je sentais presque la pointe de mes cheveux gelés.

-Voici mon offre, et elle sera la dernière, Travis fils d'Hermès, déclara la déesse sans se retourner. Tu me ramèneras en main propre le caducée de ton père. Tu aurais le droit à l'aide de ton frère et de ta demi-sœur. Aiyannarestera avec moi : je prends la discussion promise par ton père comme acte de bonne foi. Une fois qu'il me sera rapporté, je t'autorise à repartir avec toute ta bande, et Alice. A prendre ... ou à laisser.

Sans me laisser le temps de répondre, elle franchit les doubles portes qui se refermèrent sur elle avec un claquement tonitruant. Aussitôt, le vent cessa et tout vacilla autour de moi : les courbes se troublèrent et les couleurs se confondirent les unes aux autres. En dessous de moi, le fauteuil parut perdre de sa solidité, s'amollir jusqu'à disparaître totalement. Avec un cri de surprise, je chutai dans le vide et je retrouvai étaler de tout mon long sur de la pierre froide, la tête bourdonnante et le souffle coupé.

-Il est revenu ! Connor regarde, il est revenu !

-Di Immortales, Travis, où tu étais ?

-Tu vas bien ?

Je portai une main à ma tempe, proprement sonné et grimaçai en tentant de me redresser. Mais à nouveau mon monde valsa et alors que je me sentais aspirer vers le sol, des mains fermes m'agrippèrent les épaules et ma tête fut posée avec douceur sur des genoux.

-Reste tranquille, ça va passer.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé, Trav' ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

-Mais laisse-le reprendre ses esprits, enfin !

Je ne répondis pas, les yeux clos en attendant que ma tête cesse de bourdonner et mon équilibre de valser. Peu à peu, je prenais conscience de tout ce qui était atour de moi. J'avais froid, mais c'était moins violent que ce j'avais vécu face à Perséphone. Une main me caressait les cheveux en un geste tremblant, mais qui m'apaisait étrangement et me força à ouvrir les yeux. L'image tremblotante de Camille et Connor me fixait, les yeux écarquillés entre perplexité et inquiétude fut le premier tableau que je perçus. J'étais de retour dans la salle des trônes qu'ils n'avaient pas quittés. Ce qui voulait dire que la main qui me caressait les cheveux ... Mes joues s'empourprèrent brusquement et le sang affluant dans la tête me permit d'éclaircir mon esprit. Je me redressai d'un sursaut, le cœur battant la chamade et Dylan me gratifia d'un regard surpris, la main suspendue dans le vide.

-Ça ne va pas ? s'inquiéta-t-elle. Elle t'a fait quelque chose ... ?

-Non, la rassurai-je, haletant et avec la conscience que mes joues avaient pris une teinte cramoisie. Non, elle m'a rien fait ... On a simplement ... négocier.

Et au vu de tout ce qu'elle m'avait avoué durant l'entretien, je n'arrivais pas à déterminer si j'étais sorti vainqueur ou non de la négoce. Faute de me faire un avis – et d'éloigner mes pensées de la main de Dylan me caressant – je me tournai vers mon frère et ma demi-sœur, qui me contemplaient toujours estomaqués.

-Et ça va principalement reposer sur nous. 

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