Chapitre 9 : Raven

La honte le rongeait. Il ne comprenait pas comment Dylan pouvait faire comme si de rien n'était. Raven avait vu l'état de son visage. Son père n'y était pas allé de main morte. Et pourtant, Dylan n'avait fait aucune remarque.

Il ne parvenait même pas à être furieux après lui. Il était entré chez lui sans y être invité et, pourtant, Raven ne l'avait pas chassé. Il savait que c'était ce qu'il aurait dû faire. Il le savait mais la présence du président des élèves lui permettait de vivre un mensonge agréable. Sa présence lui permettait de croire que quelqu'un se préoccupait de lui.

Il n'était pas assez idiot pour réellement croire que Dylan s'inquiétait pour lui. Le seul soucis du président des élèves était qu'il aille au lycée à l'heure et rentre dans le rang. Mais déjà rien que ça, c'était mieux que ce que faisaient ses propres parents et pourtant, il n'avait rencontré Dylan que quatre jours auparavant.

Clignant des yeux et reniflant discrètement, il servit ses pancakes dans une assiette et les noya sous le sirop d'érable. Il sortit deux fourchettes, au cas où Dylan changerait d'avis en voyant la débauche de sucre et de délice.

Il sentit Dylan revenir avant de le voir. Il avait les mains chargées de tubes et d'un paquet de coton. Raven fronça les sourcils.

- En plus d'entrer chez moi, voilà que tu te sers. Ce n'est pas très correct, Altesse.

Dylan l'ignora en posant tout sur l'îlot de la cuisine. Il ne manqua pas le regard qu'il lança aux pancakes fumants. Cet idiot mourait de faim.

Avec un sourire en coin qui réveilla la douleur dans sa mâchoire, Raven prit sa fourchette et coupa la pile de pancakes. Il en planta le maximum au bout de sa fourchette et la tendit vers Dylan.

- Vas-y, chéri, l'incita-t-il. Je suis sûr que tu vas fondre et me supplier de t'épouser.

Il fut surpris lorsque Dylan se pencha pour refermer les lèvres sur la fourchette dans un mouvement qui parut étonnamment sensuel à Raven. Il l'observa mâcher et avaler, son sourire s'agrandissant, sûr de sa victoire.

- Hum. J'espère que tu n'avais rien prévu pour le mariage car il n'est pas près d'arriver.

Les yeux de Raven s'écarquillèrent alors qu'un sourire paresseux venait jouer les lèvres de Dylan. Il déglutit, tentant de retrouver un visage neutre.

- Tu finiras par l'admettre.

- Ce jour-là, il gèlera en enfer.

Ils terminèrent les pancakes dans un silence confortable, Raven ne pouvant s'empêcher de taquiner l'autre. Lorsque le président des élèves le poussa à aller prendre une douche, Raven soupira. Il n'avait pas particulièrement envie d'aller au lycée. Cependant, y aller signifiait passer un peu plus de temps avec Dylan et il n'était pas contre. Il ne voulait pas que ce moment qu'ils venaient de partager se termine.

Plus que tout, il ne voulait pas être seul.

La vue de son visage dans le miroir le fit grimacer. Il n'y était vraiment pas allé de main morte. Raven avait connu pire au travers des nombreuses bagarres dans lesquelles il s'était retrouvé pris. Néanmoins, ce n'était pas plaisant pour autant.

Il se changea, ne gardant de l'uniforme que le blazer et la cravate, remplaçant le reste par un jean et un fin pull qui moulaient ses formes à tous les bons endroits. Avec sa nouvelle popularité venait le besoin de se mettre en valeur. Surtout avec la tête qu'il se tapait. Ça ne serait pas du luxe de jouer sur ses atouts quand son visage ressemblait à l'art abstrait d'un enfant de trois ans.

Il récupéra la chemise ruinée et son sac et descendit. Dylan était toujours dans la cuisine, adossé à l'îlot central, les coudes sur le marbre, un talon contre le bois, le regard perdu devant lui. Il était évident qu'il ne faisait aucun effort et pourtant, ce type exsudait une sensualité indécente. Il approcha doucement, s'appuya dans l'encadrement de la porte, les bras croisés.

- Ton frère ?

Raven ne fut même pas surpris que Dylan sache qu'il était là. Avec le beau brun, plus rien ne l'étonnait. Il ne répondit pas et Dylan se tourna vers lui, soufflant une mèche hors de ses yeux. Raven se détourna, allant jeter la chemise dans la poubelle. Quand il fit à nouveau face à Dylan, celui-ci ouvrait un tube de crème.

- Approche-toi.

- Je savais que tu ne pouvais pas me résister, rit-il en obtempérant.

Dylan déposa la crème sur les hématomes, appuyant un peu plus que nécessaire, le faisant grimacer.

- Ne sois jamais infirmier, marmonna-t-il. Tu ferais plus de mal que de bien aux patients.

- S'ils sont comme toi, sûrement.

- Je suis adorable.

Le haussement de sourcil de Dylan le fit sourire. Il n'avait même pas besoin de prononcer les mots que son sarcasme emplissait la cuisine.

- Pourquoi tu ne poses pas de questions ?

La question lui avait échappé. Il n'avait pas prévu de la poser, de le laisser voir qu'il cherchait à le comprendre.

- Veux-tu que j'en pose ? se contenta de répondre Dylan en rebouchant le tube de crème.

- Non.

Un sifflement de douleur passa entre ses dents lorsque le président tapota la coupure sur sa lèvre avec un coton imbibé d'antiseptique. Il alla ensuite jeter le coton dans la poubelle, ayant déjà retenu son emplacement dans cet enfer de portes lisses et uniformes. Il récupéra le tube de crème à l'arnica et le lui tendit.

- Mets-le dans ton sac. Tu en auras besoin.

Raven ne dit rien mais glissa le tube dans son sac, sachant parfaitement qu'il allait y rester et y moisir jusqu'à ce qu'il ait un jour le courage de vider son sac. Il tourna les talons, gagnant la porte d'entrée. Il s'effaça pour laisser sortir Dylan qui lui fourra son trousseau dans la main sans même lui adresser le moindre regard. Il continua sans s'arrêter jusqu'à la voiture de Harmon. Raven soupira, commençant à se demander si c'était vraiment une bonne idée d'aller au lycée dans cet état.

Il savait ce que sa mère avait écrit sur ce post-it. Ne pas aller au lycée, ne pas se montrer jusqu'à ce que ça ait guéri, faire profil bas, ne plus énerver son père. Encore et toujours les mêmes recommandations vides de sens. Il aurait aimé croire qu'elle s'inquiétait sincèrement pour lui. Il y avait cru, au départ. Jusqu'à ce qu'il comprenne que ce n'était pas tant sa santé qui l'inquiétait que l'avis du monde extérieur.

Il s'installa sur la banquette arrière de la voiture et sut tout de suite que le trajet allait être long. Les ressorts du siège lui rentraient dans les fesses. Il n'y avait rien de pire.

- Wouah ! Il t'est arrivé quoi ? s'exclama Harmon. On dirait que tu es passé sous un troupeau d'élans !

- Mais je suis toujours aussi sexy.

Dylan pouffa doucement alors que Harmon se mettait à rire. Raven sourit, satisfait. Avec un peu de chance, il parviendrait à éviter de répondre à cette question. La solution la plus facile aurait été de dire qu'il s'était battu mais c'était un mensonge à monter et à élaborer. Sans compter qu'il ne connaissait pas assez la ville pour y trouver un bon bouc-émissaire sans risquer de voir son mensonge percé à jour.

Ils arrivèrent au lycée et Harmon dut se garer au fond du parking, toutes les autres places étant prises. Ils entendirent la première sonnerie résonner dans les murs du lycée et dans la cour alors qu'ils remontaient les longues allées de voitures. Ils se mirent à courir, se séparant dans le couloir, chacun gagnant sa classe.

Raven se laissa tomber sur sa chaise avec un long soupir. Il ferma les yeux, passa une main sur son visage. Il ignora les murmures qui bourdonnaient dans la classe. Il se doutait que l'état de son visage aller susciter des réactions et il s'y était préparé. Il lui suffisait de les ignorer, de les transformer en bruit de fond.

- Qu'est-ce qui t'est arrivé, mec ? lui demanda le rouquin assis devant lui.

- Rien de grave.

- Tu es sûr, Raven ? insista la fille qui lui avait donné une barre de céréales la veille.

Il lui offrit un sourire rassurant.

- Je vais très bien, assura-t-il, utilisant tout son charme.

Elle rougit, baissa les yeux avec un petit sourire. Il l'avait complètement charmée et il le savait. Elle ne s'en cachait pas.

La seconde sonnerie résonna avec l'arrivée du professeur. Par instinct, Raven s'étala sur sa table, cachant au maximum son visage tout en faisant mine de simplement vouloir dormir. Il ferma les yeux, laissant la voix du professeur s'effacer en bruit de fond.

Si la première heure passa sans que le professeur ne remarque l'état de son visage, ce ne fut pas pareil pour le suivant. Deux heures de chimie avec un vieux professeur bedonnant avec une sérieuse scoliose, déjà dans la salle lorsque ses élèves arrivèrent. Forcément, Raven ne put passer inaperçu. Il se retrouva face à face avec M. Oliver, obligé de justifier les hématomes qui coloraient son visage. Et Raven ne connaissait qu'une seule façon de se sortir de cette impasse sans donner la moindre réponse.

- Allons, monsieur, c'est évident ! On a cru que ça suffirait à me rendre moins sexy !

Des rires explosèrent dans la salle de classe. M. Oliver ne parut pas amusé le moins du monde. Raven conserva son sourire le plus adorable et innocent.

- Je vous pose une question sérieuse, M. Herron.

- Et ma réponse l'est tout autant, m'sieur ! Vous savez, être aussi beau que moi, c'est dur parfois. Certaines personnes ne savent plus se contrôler. Surtout les filles, si vous voyez ce que je veux dire...

- Assez ! Je ne veux plus vous entendre ! Sortez votre cahier.

Raven soupira, quelque peu soulagé. Il avait réussi à s'en sortir avec le baratin qu'il avait déjà sorti des centaines de fois au Texas. Par chance, ce genre d'attitude obtenait toujours la même réponse, peu important l'interlocuteur ou le contexte.

À la cafétéria, il s'installa à une table au hasard. Il ne fallut pas plus d'une minute pour que trois garçons et deux filles débarquent, claquant leurs plateaux sur la table. Aucun n'eut le moindre intérêt pour Raven bien qu'il leur réponde avec un sourire. Ils n'avaient rien d'intéressant à raconter à ses yeux. Ils parlaient jeux vidéos, séries télé ou mangas. Et Raven n'y connaissait rien. Il regardait rarement la télé, n'avait joué que très rarement aux jeux vidéos et n'avait jamais ouvert un livre – qu'il ait des images ou non – sans y avoir été obligé. Aussi se retrouva-t-il rapidement lassé par leurs discussions auxquelles il ne comprenait rien.

Il termina de manger et se leva, quitta la cafétéria. Il avait l'impression d'être revenu en arrière, quand il était devenu populaire au collège avec Sean, Tim et Ricky. Tout le monde avait tenté de devenir leur ami, de s'installer à leur table, de les pousser à s'intéresser à ce que eux aimaient. C'était drôle lorsqu'il avait ses amis avec lui mais maintenant qu'il était seul... C'était fatiguant. Il ressentait plus que jamais combien il était isolé et combien il se sentait seul.

Il sortit, trottinant jusqu'au préau pour aller s'allonger sur un banc et regarder le ciel. La pluie commençait à tomber, uniforme, froide et lassante. Il en avait plus qu'assez de toute cette pluie. Il détestait l'Oregon.

Une ombre surgit. On donna un coup dans ses jambes, manquant de le faire tomber du banc. Il fusilla la personne du regard. Il reconnut le petit frère de Dylan, Darren. Tous deux se ressemblaient beaucoup. Ils avaient la même teinte noisette de cheveux, ces mêmes mèches douces et indisciplinées, le même teint pâle, la même forme de visage. Darren avait les yeux vert forêt là où ceux de son frère étaient d'un brun si foncé qu'il en paraissait noir. Le benjamin des deux frères était beau mais il lui manquait ce qui donnait cette prestance, cette sensualité à son frère. Il avait l'air plus brut, plus délibérément séducteur. On voyait que, tout dans son attitude, était délibéré. Il cherchait l'attention, il voulait qu'on le veuille.

Ce qui n'était pas le cas de Dylan.

- Comment tu fais ? lui demanda Darren, agité, frustré.

- Comment je fais quoi ?

- Pour que tout le monde s'intéresse à toi ! Du jour au lendemain, tu es devenu une vraie coqueluche ! Toutes les filles commencent à s'intéresser à toi ! Tu débarques au lycée comme si tu sortais de boite de nuit et... ! Comment tu fais, bon sang !? Même avec la tête que tu te paies, elles ne se préoccupent plus que de toi !

Raven sourit en se redressant pour faire face à Darren.

- Oh, je comprends ! Je te vole tes conquêtes !

- Disons plutôt que tu ne me facilites pas la tâche ! Voler est un bien grand mot.

Raven se mit à rire.

- Ne t'en fais pas, je ne vais pas te voler tes proies. À part si elles me plaisent bien.

Darren le fixa, les sourcils froncés, les lèvres pincées.

- On ne va pas s'entendre, toi et moi, je crois. Vraiment pas. Même si tu deviens pote avec mon frère.

- Tu te montes la tête pour pas grand-chose, gamin.

- C'est ce que Dylan dit aussi.

- Écoute-le alors.

Darren ne répondit pas, semblant toutefois se détendre légèrement.

- Pourquoi est-ce que mon frère est si gentil avec toi ?

- Parce que je suis nouveau.

- Non. Il aurait dû être encore pire avec toi parce que tu es nouveau.

- Parce qu'il est dingue de moi, alors.

Darren explosa de rire. Raven aurait pu être vexé s'il ne s'était pas attendu à une telle réaction.

- Mon frère n'est jamais sorti avec personne et ce n'est pas toi qui vas réussir à changer la donne ! Pourtant, ça le décoincerait un peu, ça lui ferait pas de mal.

Raven haussa un sourcil. Dylan n'était pas si coincé que semblait le croire son frère, il en avait eu la preuve le matin même. Si ça avait été le cas, jamais Dylan ne lui aurait répondu aussi effrontément, n'aurait mangé lorsqu'il lui avait donné la becquée. Darren connaissait-il seulement son frère ?

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? l'apostropha le plus jeune.

- Disons que « coincé » n'est pas un adjectif qui me viendrait pour parler de ton frère. Il est beaucoup trop sérieux mais il n'est définitivement pas coincé.

- Tu parles de lui comme si tu le connaissais mais tu ne le connais pas. Ça fait seize ans que je vis avec.

Raven ne dit rien, se contentant de se rallonger sur son banc, donnant un coup dans les fesses de Darren pour l'en faire tomber.

- Hé !

La brun se contenta d'un mouvement de la main pour chasser Darren avant de poser son bras sur ses yeux, retenant une grimace de douleur. Son visage recommençait à lui faire mal. C'était très désagréable.

- Oh, quand on parle du loup... lâcha Darren. J'espère qu'il va te punir, ajouta-t-il dans un murmure.

- Mais vire, le mouflet. Tu me fatigues.

Il se pencha pour récupérer son sac et en tirer ses écouteurs. Il leva les yeux lorsque Dylan s'arrêta devant eux, cet air sérieux sur le visage.

- Salut, chéri, lui lança Raven avec un sourire moqueur.

- Darren, ton professeur de sciences vient de me dire que tu lui as jeté une grenouille à la tête.

Le ton de Dylan était calme, posé. Et pourtant, la tempête qui ronflait était audible. Ce calme était mortel et Raven était bien content que ça ne soit pas vers lui qu'il était dirigé.

- Disons plutôt qu'elle m'a échappé des mains... ? tenta Darren avec une grimace.

Dylan soupira en se passant une main dans les cheveux.

- Écoute, Darren, je sais que tu détestes M. Van Der Bercken. Mais ce n'est pas une raison pour lui jeter des animaux à la tête ! Tu as de la chance que ça soit à moi qu'il en ait parlé. En attendant, tu es collé ce soir. Deux heures. Et je t'assure que tu as intérêt à te tenir à carreau à partir de maintenant.

Darren déglutit et hocha la tête.

- Bien.

Dylan tourna les talons et s'éloigna sans rien ajouter. Son petit frère frémit.

- Ah ! Il me fait presque flipper parfois.

- Darren ! En cours ! tonna Dylan sans se retourner.

Raven ricana en se redressant.

- Va en cours, mouflet.

- Toi aussi, tu dois y aller, Raven. Ça vient de sonner.

Raven soupira et se redressa. Encore une demie journée à passer avant d'être libéré.

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NdlA : Un petit chapitre tout simple mais avec l'intervention de Darren ! Vous en avez pensé quoi ?

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