Chapitre 7 : Raven
La sensation de solitude qui s'empara de lui lorsqu'il s'installa avec son hamburger à une table coupa l'appétit de Raven. D'ordinaire, il serait encadré par Sean, Tim et Ricky, peut-être de quelques filles dont il serait incapable de retenir le nom. Ils seraient tous apprêtés, parés à sortir quelque part, n'importe où. Que l'on soit mardi ou vendredi n'avait aucune importance pour eux. La fête était leur religion.
Et voilà qu'il se retrouvait seul dans un fast-food à contempler son hamburger dégoulinant de gras avec l'air d'un condamné. Il recevait constamment des messages de ses amis. Toute la journée, ils avaient discuté. Ils lui donnaient des nouvelles, lui racontaient ce qu'ils avaient fait subir à leurs camarades ou leurs professeurs.
Et Raven n'avait rien à raconter. Il les félicitait, les encourageait, leur donnait de nouvelles idées pour de nouveaux crimes mais n'avait absolument rien à raconter. La journée était passée lentement. Il n'avait pas croisé Harmon, n'avait eu aucun cours avec lui et le seul qui avait été intéressant avait été celui de littérature.
Il avait remarqué que ses camarades ne tenaient pas particulièrement à lui adresser la parole ou à s'approcher de lui. Il avait réussi à adoucir certains professeurs – les femmes ne résistaient jamais à son charme enjôleur lorsqu'il le déployait – mais ses camarades avaient tendance à l'éviter. Il avait discuté avec quelques-uns mais avait vite renoncé. Aucun n'avait suscité le moindre intérêt. Par contre, il avait remarqué quelques jolies filles sur lesquelles il ne rechignerait pas à faire ses griffes.
Si l'envie lui revenait.
Dans sa bouche, le hamburger n'avait aucune saveur. Flirter avec la serveuse n'avait eu aucun attrait. Cette fois, il savait que ça allait plus loin qu'un simple ennui. C'était plus fort, plus profond. Ça le dévorait de l'intérieur, lui donnait envie de hurler, de frapper, de fuir à l'autre bout du monde.
Il avala tout ce tourbillon de sentiments violents qui le déchiraient avec la dernière bouchée de son repas et se leva. Il abandonna son plateau sur la table, enfonça ses mains dans ses poches et sortit en poussant la porte de l'épaule. Il fit passer son sac devant lui. Au fond, au milieu des cahiers cornés et des paquets de chewing-gums entamés, il retrouva ses écouteurs. Il les enfonça dans ses oreilles et ferma les yeux lorsque la musique envahit son crâne.
Il marcha longuement, lentement. Les rues étaient brillamment éclairées, presque trop tôt. Il aurait préféré retrouver les lampadaires usés qui diffusaient une lueur si faible qu'elle touchait à peine le sol du Texas. S'il avait eu sa voiture, il était sûr qu'il aurait pris ses clés, appuyé sur la pédale pour rentrer chez lui, quitter cet Oregon humide et inhospitalier.
La maison était toujours aussi vide lorsqu'il rentra. Aucune trace d'une visite de ses parents n'était visible. Il ouvrit le cabinet du meuble du salon et sortit l'une des bouteilles de whisky que son père cachait à l'intérieur. Il avait posé un cadenas à code dessus pour l'empêcher d'y toucher mais aucune serrure ne pouvait lui résister.
Raven but à même le goulot, ne prenant pas la peine de prendre un verre. Il monta dans sa chambre et donna un coup de pied dans la porte pour la fermer. Il se laissa tomber dans son lit et récupéra son ordinateur par terre. Il l'alluma et oublia la raison pour laquelle il l'avait fait lorsqu'il vit le fond d'écran. Il avait oublié que Stanford l'avait changé pour une photo d'eux deux, son petit frère mort de rire, lui faisant une tête bizarre, une sorte de grimace déformant sa bouche.
Il but une nouvelle gorgée de whisky, laissant l'alcool lui brûler la gorge.
- Tout ça, c'est de ta faute, connard, marmonna-t-il.
Il referma son ordinateur et le repoussa loin de lui. Adossé au mur, il continua de boire jusqu'à ce qu'il parvienne enfin à s'endormir.
Au réveil, le soleil perçait à travers les fenêtres et tombait droit sur son visage, un martèlement terrible tambourinait entre ses tempes et sa bouche semblait être faite de papier mâché. Une vague de nausée le secoua, le forçant à tituber jusqu'à la salle de bains. Il vomit tout ce qui restait dans son estomac en plus d'une bile acide qui lui brûla la gorge. Il toussa, se laissant tomber sur le sol en se tenant la tête dans les mains.
Il finit par réussir à se relever et à retourner dans sa chambre. Il s'effondra sur son lit, réalisant qu'il était toujours dans son uniforme. Il soupira, chercha son téléphone à tâtons pour regarder l'heure. Il se doutait qu'il était très en retard au vu de la hauteur du soleil dans le ciel. Il avait au moins loupé la moitié de la journée de cours.
11:08. En effet, il avait manqué toute la matinée. Un sourire joua sur ses lèvres à l'idée de la réaction du président des élèves quand il l'apprendrait.
Il tressaillit lorsque l'on frappa à la porte d'entrée. Il se pencha pour regarder par la fenêtre et fronça les sourcils lorsqu'il reconnut la voiture de Harmon. Que pouvait-il bien faire ici ? N'était-il pas censé être en cours ?
Et puis, en plissant les yeux, il vit Harmon derrière le volant. Alors qui frappait à la porte ? Se pouvait-il que ça soit Dylan ?
Soudain excité, Raven se leva et se traîna jusqu'au rez-de-chaussée. Il ouvrit la porte après avoir désarmé l'alarme. Un sourire vint étirer ses lèvres lorsqu'il trouva Dylan sur le seuil, son uniforme tombant impeccablement, sa cravate enserrant son cou. Jamais Raven n'aurait-il cru que quiconque put avoir l'air canon dans de tels vêtements mais Dylan Goodwind... Il était définitivement canon dans cet uniforme.
- Salut, Altesse, roucoula-t-il. Je te manquais déjà ?
- Je crois avoir compris pourquoi tu n'étais pas là ce matin, soupira Dylan. Nuit agitée ?
- Plutôt calme, en vérité.
Pour l'instant, en tout cas. D'ici le soir, la chanson ne serait plus la même, il en était sûr. Il avait descendu une bouteille quiavait coupé plus de deux cents dollars à son père après avoir forcé le cadenas. Il n'allait assurément pas apprécier la surprise.
- Parfait, alors. Va chercher ton sac, tu viens avec nous.
Raven cilla, réalisant avec un temps de retard que le sourire de Dylan s'était transformé, devenant ouvertement moqueur tout en restant sérieux. Il n'aurait jamais cru que c'était un mélange possible et pourtant, Dylan le réalisait parfaitement. Tout était dans ce regard froid qu'il conservait alors que son sourire se moquait.
- Je crois surtout que je vais noyer ma migraine dans une montagne de Froot Loops et retourner coucher juste après.
- Oh non, Raven. Tu viens avec nous.
Avec une force surprenante, il attrapa le bras de Raven pour le tirer dehors. Le vent froid le gifla avec une violence qui le réveilla. Il n'était vraiment pas frais. Il était certain de sentir un mélange rance de sueur et d'alcool, peut-être même de vomi. Dylan ferma la porte derrière lui après avoir récupéré le trousseau de clés de l'autre côté.
- Tu sais que tu es en train de me kidnapper, Altesse ?
- Tu n'as pas l'air de chercher à t'enfuir. Et si tu ne t'enfuis pas, est-ce vraiment un kidnapping ?
- J'ai trop bu pour réfléchir. Je te répondrai quand mon crâne arrêtera de pulser.
Dylan sourit et regagna la voiture. La portière claqua derrière lui. Il fit descendre la fenêtre et lança :
- Tu as une minute pour monter dans cette voiture. Après, tu devras faire la route à pied.
- Je pourrais retourner à l'intérieur.
Dylan agita les clés de Raven.
- C'est moi qui aie tes clés. Alors à moins que tu ne veuilles déclencher l'alarme...
Raven serra les dents. Il s'était fait avoir dans les grandes largeurs et ce petit con jubilait. Foutue gueule de bois ! Il fallait vraiment qu'il se secoue avant qu'il ne se retrouve mené par le bout du nez par ce démon au sourire sournois un peu trop sexy.
- Trente secondes.
Dylan referma la portière et Raven soupira. Il n'avait pas envie de trouver un moyen de rentrer sans les clés et, vu son état, il était certain de déclencher l'alarme. Or, il n'avait pas envie de faire face à la rage de son père alors qu'il était encore à moitié saoul. Il se résigna à monter dans la voiture.
- Prêt pour la marche de la honte ? se moqua Harmon en le regardant à l'aide du rétroviseur.
- Ça ne sera pas ma première, répondit mollement Raven. Et certainement pas ma dernière.
Il appuya son front contre la vitre fraîche et ferma les yeux. Il avait encore la nausée, sûrement parce que la faim commençait à se faire sentir. Son corps réagissait bizarrement lorsqu'il était rempli d'alcool.
Harmon se gara devant l'entrée du lycée et Raven trébucha en sortant de la voiture. À côté de lui, Dylan haussa un sourcil, les lèvres pincées pour ne pas rire.
- Tu devrais aller manger quelque chose avant d'aller en cours, dit-il, son amusement audible dans sa voix. Oh, et pense que, si tu vomis, c'est toi qui ramasses.
Raven marmonna quelque chose d'inintelligible, même de lui, et emboîta le pas du président des élèves. Ce n'était pas parce qu'il était encore à moitié intoxiqué qu'il allait laisser Dylan s'en sortir aisément.
Tout le monde semblait avoir envahi les couloirs lorsqu'ils entrèrent côte à côte. Raven arbora son plus beau sourire en passant un bras autour des épaules de Dylan. Ce dernier fronça le nez d'une façon adorable malgré son regard distant, ses mâchoires serrées.
- Pourrais-tu enlever ton bras de moi ?
- Tu m'as kidnappé, tu assumes, chéri.
- Appelle-moi encore une fois « chéri » et tu pourras dire adieu à tout espoir de reproduction.
Le ton de Dylan était glacial et menaçant, ronflant comme une tornade en approche, inévitable. Raven dut quelque peu surpris par son attitude mais n'enleva pas son bras pour autant.
- Tu sais que tu adores ça, répondit-il effrontément.
Dylan s'arrêta à son casier et seulement alors, Raven le lâcha. Il retint le numéro – 102 – sachant que ça pourrait assurément lui être utile. Harmon les rejoignit, son bras tombant aussitôt sur les épaules de Raven. Il reçut l'habituel coup de coude dans les côtes et grimaça en reculant.
- Tu t'es fait une petite fête ? lui demanda Harmon en continuant de se masser les côtes.
- Vu ma migraine, elle était pas si petite que ça.
- Tu aurais pu attendre vendredi soir, franchement. Tu aurais eu le week-end pour cuver.
- Pourquoi attendre ? J'ai envie de faire la fête, je fais la fête.
La première sonnerie résonna et Raven soupira. Il avait une heure de maths qui l'attendait. Il n'osait imaginer ce que ça allait donner. Déjà à sang frais, il n'était pas fort brillant mais avec encore au moins un gramme dans le sang, ça risquait d'être hilarant.
- Allez en cours, tous les deux.
- C'est quoi ma salle, déjà ? questionna Raven. J'ai maths mais j'ai aucune idée d'où je dois aller.
- Salle 304, répondit Dylan en partant.
- Tu vas réussir à y aller seul ou je dois t'y emmener ?
- Je devrais m'en sortir si je me prends pas de gamelle dans les escaliers.
Il inspira profondément en partant vers la cage d'escalier. Tout le monde le regardait, observait ses gestes. Il se contenta de sourire en enfonçant ses mains dans ses poches. Il n'hésita pas à flirter silencieusement avec les jolies filles qu'il croisa dans les couloirs.
Il savait à peu près de quoi il avait l'air. Chemise froissée, cravate dénouée, cheveux en bataille, peut-être même avait-il encore la marque de l'oreiller sur la joue. Il fit jouer ce sourire séducteur qu'il avait tant de fois utilisé et à qui personne n'avait résisté jusque là.
Il trouva sa salle de classe et s'installa au fond, au dernier rang. Il croisa les bras et ferma les yeux. La professeur arriva sous le coup de la seconde sonnerie. Il l'entendit marcher entre les pupitres.
- Monsieur Herron, serait-ce une odeur d'alcool que je sens sur vous ?
- Parlez-en à Son Altesse le président des élèves, bâilla-t-il en réponse, sa voix ronronnant. Il ne m'a même pas laissé prendre une douche.
Il ouvrit les yeux avec une expression paresseuse, détaillant la femme du regard. Dans les quarante ans, mariée, engoncée dans une jupe pinceau avec un chemisier crème et des escarpins à petits talons. Un jeu d'enfant.
Il passa une main dans ses cheveux, la regardant droit dans les yeux. Elle cilla, ses cils lourds de mascara rendant le mouvement étrange. Pourquoi les femmes s'entêtaient-elles à noircir leurs cils debiche quand ceux-ci étaient déjà parfaits ?
- Promis, je vais être sage, susurra-t-il. Vous ne m'entendrez pas.
La professeur se racla la gorge en reculant d'un pas.
- Bien. Très bien.
Elle partit à l'avant de la salle et commença son cours. Raven se pencha sur sa voisine, une petite blonde au teint bronzé qui n'osait pas le regarder.
- Dis-moi, ma jolie, tu n'aurais pas quelque chose à grignoter ?
Elle rougit dans la seconde, bégayant un « a-a-a-attends » avant de fouiller son sac pour en sortir une barre de céréales. Elle la lui tendit, la main légèrement tremblante d'un émoi visible sur son visage en forme de cœur.
- Merci.
Il lui décocha son sourire le plus ravageur en se réinstallant dans son siège. Il dévora la barre de céréales, étouffant quelque peu la faim qui le tenaillait.
Lorsqu'il sortit du cours de maths, Raven eut l'impression que son statut avait changé. Au lieu de l'ignorer, certaines filles lui offraient des sourires timides ou ouvertement séducteurs, le saluaient. La plupart continuait de l'éviter mais, malgré tout, il avait gravi un échelon dans la hiérarchie de North East High. Il le sentait dans l'air et il en profita jusqu'à ce qu'il puisse partir. Il discuta avec nombre de jolies filles, sympathisa même avec quelques garçons qui semblaient admirer sa façon de gérer la situation.
Raven ne voyait pas en quoi c'était si impressionnant. Peut-être était-il juste trop habitué ou peut-être personne n'avait encore osé débarquer au lycée dans les mêmes vêtements que la veille, puant l'alcool. Il était certain que la seconde option était la plus probable. Dans son ancien lycée, c'était plus un devoir qu'une anomalie. Après tout, il lui était même arrivé de prendre un verre avec le prof de dessin pendant la pause...
Non, assurément, ce n'était pas à North East High que ça risquait d'arriver.
Toujours était-il qu'il avait bien fait de céder face à Dylan et de venir au lycée. De manière totalement surréaliste et inattendue, cette attitude l'avait intégré au lycée, l'avait aidé à briser la glace. Il savait que, dès le lendemain, tout risquait d'être revenu à la normale mais, pour une après-midi, il y avait eu des gens pour lui parler, des filles avec qui flirter.
Son sourire fondit lorsqu'il arriva dans sa rue. Les voitures de ses parents étaient garées côte à côte dans l'allée. Cette journée n'allait pas bien finir.
Il poussa la porte et monta dans sa chambre sans attendre. Son prénom résonna dans toute la maison et Raven s'adossa à la porte, se préparant mentalement. Le son furieux des pas de son père dans l'escalier le fit frémir. La porte s'ouvrit à la volée et la première gifle s'abattit sur son visage.
Il n'écouta pas la moindre parole prononcée par son père. Les noms d'oiseau volèrent, les coups aussi. Tout ce qu'il vit, ce fut le cadavre de la bouteille de whisky au pied de son lit.
______________________
NdlA : Nouveau chapitre ! Ne me détestez pas trop et dites-moi tout en commentaire ! La vie de Raven semble encore plus complexe qu'on ne le croyait, on dirait !
Et comme la musique est essentielle dans cette histoire, je vous ai mis la musique qu'il écoute en haut ! N'hésitez pas à l'écouter en lisant le chapitre !
EDIT : J'ai posté ce chapitre ce matin mais apparemment, il n'apparaît pas sur l'application... C'est agaçant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top