Chapitre 30 : Dylan

Dylan espérait que de regarder un film donnerait le temps à Raven de se calmer. L'altercation avec ces hommes l'avait mis dans une rage noire dont il ne paraissait pas parvenir à sortir. Il y avait cette froideur en lui que Dylan ne lui connaissait pas. Une froideur intense, profonde qui rendait sa colère terrifiante et dangereuse autant pour lui-même que pour les autres.

Il avait l'impression que, à un moment durant l'heure passée, un interrupteur s'était enclenché, activant le mode d'autodestruction qui se cachait dans la colère du texan. Il ne savait pas ce qui l'avait déclenché, ce qui se passait chez Raven. C'était comme s'il lui avait soudain claqué la porte au nez, l'empêchant de comprendre ce qui se passait sous ses yeux.

Il se sentait blessé. À nouveau, Raven le repoussait. S'en rendait-il compte ? Probablement pas. Malgré tout, Dylan détestait voir son ami le rejeter, tenter de l'empêcher de l'aider. Il avait horreur de cette distance entre eux. Il sentait une brèche se former et il ne savait pas quoi faire pour la refermer.

Raven le rejoignit. Il arborait un sourire mais ses yeux étaient froids, lui assenant un coup en plein cœur.

- Tu as choisi ?

Dylan lui montra les deux tickets. Raven se saisit du sien et ouvrit le chemin jusqu'à leur salle. Ils s'installèrent à l'écart des rares personnes présentes. Sans gêne, Raven posa ses pieds sur le siège devant lui et s'installa confortablement dans son siège.

- Raven...

- Qu'est-ce qui te tracasse, chéri ?

Le surnom était là mais tout le reste manquait. Le flirt, la taquinerie, le sourire. Dylan s'orienta vers son ami, de plus en plus inquiet.

- Tu sais que tu ne dois pas écouter ce que ces hommes ont dit, n'est-ce pas ?

- Bien sûr que je le sais. Ce ne sont pas les premiers homophobes que je rencontre. Ça ne me fait ni chaud ni froid.

- Alors pourquoi tu es si distant, si énervé ?

- Ne t'en fais pas pour moi, je vais bien.

- Non, tu ne vas pas bien. Ne me mens pas.

Raven se tourna vers lui avec un sourire qui lui parut atrocement triste.

- Le film commence, tu devrais te concentrer sur ça plutôt que sur moi. Je vais bien.

Les lumières s'éteignirent mais Dylan ne se détourna pas. Il continua de fixer Raven qui avait ramené son attention sur l'écran géant. Il ne parlerait pas. Il ne se confierait pas à lui, aggravant la faille.

Il finit par s'intéresser au film, espérant que ça lui permettrait d'oublier le rejet manifeste de Raven. Puisque c'était ce qu'il voulait, il allait faire comme si c'était vrai, comme s'il allait bien et cesser de s'inquiéter. Ou, en tout cas, prétendre ne plus s'inquiéter.

Lorsqu'ils sortirent, Raven semblait être le même qu'avant l'affrontement avec les homophobes si ce n'était pour cette tristesse dans ses yeux. Pour peu, Dylan aurait presque pu croire qu'il n'avait vraiment été question que de colère mal contrôlée. Sauf qu'il ne se laissait plus duper. Il savait que quelque chose blessait Raven et qu'il le laissait pourrir en lui, refusant d'en parler à quiconque.

À moins qu'il en parle à Steven. Ou à ses amis du Texas. À Deuce. Il y avait beaucoup de monde à qui il pouvait parler avant Dylan. Il avait beau être là, à côté de lui, le texan voyait sûrement ce Sean comme sa première option lorsqu'il voulait parler de ce qui le faisait souffrir. Pas Dylan.

Dans la voiture, ils discutèrent du film, remplissant le vide, couvrant la playlist déprimante que Raven faisait tourner en boucle. Ils arrivèrent vite devant chez lui et Raven coupa le moteur.

- Tu penses que Darren pourrait faire les affiches pour demain ? Comme ça, je pourrais en donner une partie à Deuce quand je le verrai.

- Je lui demanderai.

- Envoie-moi un message pour savoir si je passe demain ou pas.

- D'accord. Tu veux rester dîner ?

Il n'avait pas envie de laisser Raven repartir tout de suite. Pas alors qu'il sentait qu'il n'allait toujours pas bien. Il ne voulait pas que l'autre reste seul et finisse par boire ou casser quelque chose et s'attirer de nouveaux ennuis avec son père.

- Je vais rentrer. Je dois rendre sa voiture à Steven.

Il hocha la tête. Il s'y était attendu, ce qui ne l'empêchait pas d'être déçu. Il aurait espéré qu'il reste. Mais il y avait Steven.

- Et, Dylan... l'appela-t-il alors que Dylan sortait de la voiture, je vais bien alors cesse de te faire du mauvais sang.

- Je n'y crois pas mais je vais prétendre le faire pour te faire plaisir.

- Ça ne te ressemble pas de vouloir faire plaisir, chéri. Je vais apprécier chaque seconde.

Dylan claqua la portière et le regarda démarrer et s'éloigner. Il s'ébouriffa les cheveux en rentrant. Sa mère était dans le canapé, un plateau sur les genoux.

- Déjà rentré ? Je pensais que tu passais la journée avec Raven ! s'exclama-t-elle en levant les yeux. Oh. Vous vous êtes disputés ?

Il se laissa tomber à côté d'elle et appuya sa tête sur son épaule.

- Non. J'ignore ce qu'il a. Il est devenu bizarre et il ne veut pas me parler.

- Il s'est passé quelque chose ?

- On s'est fait agresser par des homophobes. Il m'a dit que ce n'était pas la première fois pour lui et que ça ne le touchait pas mais il était tellement en colère après...

- Et toi ? Qu'as-tu ressenti ?

- Ça m'a énervé aussi que des adultes viennent s'en prendre à des lycéens juste parce qu'ils nous pensaient en couple. Le pire, c'est que nous ne le sommes pas. Ça rend la chose risible. Je ne sais pas pourquoi Raven l'a si mal pris.

Sa mère posa le plateau sur la table basse avant de se réinstaller pour pouvoir le prendre dans ses bras. Il se laissa faire, appréciant l'étreinte de sa mère, sa chaleur, son odeur. Elle lui manquait et, enfin, il pouvait discuter avec elle, lui parler de ce qui le travaillait, le blessait.

- As-tu pensé que, peut-être, Raven n'est pas aussi fort que toi ? Tu sais que nous t'acceptons comme tu es, que nous acceptons tes choix de vie quels qu'ils soient et ça te donne une force que lui n'a peut-être pas. Je ne l'ai pas beaucoup vu mais la première chose que j'ai vue en lui a été sa solitude. Ton ami est malheureux, Dylan.

- Il ne veut pas me parler. J'ai beau essayer, il continue de me dire qu'il va bien.

- Dans ce cas, fais face au problème autrement. S'il ne veut pas parler, ne le force pas. Tu vas le braquer. Contente-toi de lui faire savoir que tu es là pour l'écouter s'il le veut, que tu le soutiens et que tu l'acceptes. Donne-lui le temps. Occupe-lui l'esprit, fais-le rire, ce genre de choses. Empêche-le de se concentrer sur tout ce qui ne va pas et force-le à voir plus loin que ses blessures.

- Je ne sais pas comment faire.

- J'ai confiance en toi, tu trouveras.

Elle déposa un baiser dans ses cheveux et ils restèrent ainsi à regarder la télé. Darren finit par les rejoindre. Il s'installa avec eux en silence, ne demandant pas ce qu'ils faisaient encore dans le canapé. Ce ne fut qu'en allant se coucher que Dylan pensa à demander à Darren son aide pour les affiches et la vente. Étonnamment, Darren proposa de lui-même d'inviter sa petite amie à les aider. Son petit frère commençait à changer et il devrait penser à remercier cette Delilah pour ça.

Le lendemain, Raven passa en coup de vent en début de soirée, Deuce attendant dehors. Il semblait redevenu le même. Cependant, Dylan ne se fit pas avoir. Il fit comme si de rien n'était sans pour autant ignorer que Raven semblait presser de partir. Il récupéra les affiches que Darren venait de terminer d'imprimer et repartir aussi vite qu'il était arrivé.

Il ne put qu'espérer que sa soirée se passerait bien et que Deuce se comporterait bien envers Raven. Ils étaient censés être amis mais il se doutait que l'étudiant avait l'art et la manière de se jouer des gens et de profiter de leur faiblesse. Il aurait dû accepter d'aller avec eux. Au moins pour veiller sur Raven et être sûr que Deuce ne le faisait pas boire pour pouvoir le traîner dans son lit.

- Je ne sais pas à qui tu penses mais tu viens de le maudire sur six cents générations avec ce regard, se moqua Darren.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Arrête de tout nier, Dylan. C'est fatiguant.

Il repartit comme il était venu et Dylan ferma les yeux, laissant l'arrière de sa tête frapper le dossier du canapé plusieurs fois. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était attendre pour savoir comme ça s'était passé.

Il s'occupa de la maison et passa la soirée avec son frère dans sa chambre – qu'il décrirait plutôt comme un dépotoir mais ce n'était que son avis – à jouer à un jeu vidéo. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'ils avaient fait ça. Juste passer quelques heures tous les deux à discuter et à rire en faisant quelque chose qui n'avait rien à voir avec les tâches ménagères ou l'école.

Sans s'en rendre compte, il s'était éloigné de Darren. Avec la mort de leur père étaient arrivées les responsabilités pour que la maison continue de tourner à peu près normalement, pour que leur mère puisse se concentrer sur son travail et ne pas s'inquiéter pour eux. Ça avait créé une césure entre les deux frères. Une césure que Dylan voulait réparer.

En rentrant, leur mère les trouva profondément endormis dans le même lit pour la première fois depuis plus d'un an et demi.


Le lendemain, ils furent réveillés par leur mère avant qu'elle ne parte travailler. Elle avait une demie-heure d'avance et seul Dylan se leva. Il avait dormi comme un bébé et se sentait plus sonné que jamais au réveil. Il alla se faire un café dans la cuisine, laissant son frère dormir encore un peu. Il se sentait magnanime aujourd'hui. Il ne le réveilla qu'en sortant de la salle de bains, prêt à aller en cours.

Dix minutes plus tard, la voiture de Steven se gara. Il ne s'était toujours pas habitué à ne plus voir la vieille Ford rouge. Il ne se ferait probablement jamais à la berline noire. À part quand Raven conduisait. Bizarrement.

Il pressa son frère pour qu'il prenne son petit-déjeuner et ne pas faire attendre leur ami plus que raison. Darren marmonna quelque chose avant de se lever et de récupérer son sac. Il avança comme un zombie jusqu'à la voiture et Dylan soupira à la vue de la vaisselle qu'il devrait faire en rentrant après les cours.

Il soupira et ferma la porte avant de rejoindre la voiture. Il haussa un sourcil en entendant la musique. Ça ne ressemblait pas à Steven.

Il monta à l'arrière, trouvant son frère sur la banquette, boudeur. Steven était sur le siège passager, pâle mais calme. Et Raven tapait le rythme de la musique sur le volant. Le texan lui envoya un sourire avant de démarrer.

- Je peux savoir pourquoi c'est lui qui conduit ? questionna-t-il.

- À cause de la musique, répondit Steven, sa voix trahissant une tension que son visage dissimulait.

- Pourquoi le laisser la mettre si tu n'aimes pas ça ?

- Parce qu'il m'aide.

- Je pige que dalle à leur truc et il est trop tôt le matin pour que je réfléchisse alors bonne nuit, lâcha Darren en rabattant sa capuche sur sa tête, se calant contre la vitre pour se rendormir.

Personne ne lui prêta la moindre attention. Dylan se pencha entre les deux sièges, cherchant à comprendre ce qu'il se passait.

- Expliquez-vous, tous les deux.

Raven tourna la tête vers Steven qui hocha une fois la tête avant de fermer les yeux.

- C'est la raison pour laquelle Steven vient aussi souvent chez moi. Pour écouter de la musique. Pour qu'il dépasse son blocage en comprenant ce qui le provoque. Il a déjà fait pas mal de progrès mais je préfère éviter de lui laisser un volant pour l'instant. En plus, ça lui donne le temps de chercher la solution dans un environnement familier, entouré de personnes en qui il a confiance. J'ai pensé que ça pourrait l'aider un peu plus que Darren et toi soyez là.

- Ce n'est pas une phobie ?

- Non. Sinon, il n'aurait jamais tenu aussi longtemps sans avoir une crise. Il n'aurait aucun contrôle dessus. Je pense honnêtement qu'il y a un moment dans son passé où son cerveau a assimilé les bruits forts à un traumatisme dont il n'avait aucune conscience. S'il parvient à trouver ce que c'est, il pourra à nouveau écouter la musique comme il veut, sortir avec nous, cesser de détester l'école et tout un tas de trucs géniaux qui incluent tous les bruits que l'on peut imaginer.

Dylan ne put s'empêcher de regarder Raven qui débitait tout cela comme si c'était naturel et que n'importe qui aurait pu le savoir. Il appuya son front sur le siège de Steven et expira longuement. Raven avait-il la moindre idée de combien il le frustrait ? Il était évident qu'il avait les capacités pour réussir à l'école et pourtant, il les gaspillait par fainéantise. Par pure et simple fainéantise.

Toutefois, il ne fit aucune remarque. Le confronter sur le sujet ne produirait aucun effet positif. Il fallait qu'il trouve un autre moyen de pousser Raven à travailler ses cours et à montrer toute l'intelligence qu'il possédait.

- Vous avez des pistes ?

- Il en a une mais il ne veut pas m'en parler.

Raven vola une place de parking devant l'entrée à une autre voiture qui klaxonna furieusement. Il l'ignora en débouclant sa ceinture. Il se tourna sur son siège et Dylan cilla lorsqu'ils se retrouvèrent face à face, bien trop proches pour qu'il soit à l'aise. Raven sourit, ne semblant pas perturbé le moins du monde.

- Deuce a adoré les affiches et il va les donner autour de lui et en déposer à l'association pour les familles. Et Steven veut bien venir nous aider à condition de ne pas être obligé de s'occuper des enfants. Ça crie, ces choses-là.

- D-Darren a accepté aussi.

- Et D-Darren commence à le regretter quand il assiste à un spectacle aussi écœurant dès le réveil !

Darren sortit en claquant la portière derrière lui. Aucun d'eux n'avait vu Steven sortir de la voiture.

- Allons-y, chéri, avant qu'ils ne croient qu'on ne dénature la banquette arrière.

Dylan lui envoya sa main en plein visage pour le repousser sur son siège, le faisant éclater de rire. Il savait que son visage s'était enflammé et ça ne l'aidait pas. Pas du tout. Raven devait jubiler de sa petite victoire.

En parlant du texan, il débarqua et passa un bras autour de ses épaules. Il n'eut pas le temps de lui dire quoi que ce soit que Marvin débarquait et le poussait violemment. Raven eut beau lâcher Dylan aussitôt, le président des élèves tituba en arrière aussi.

- Marvin ! tonna-t-il.

L'ignorant totalement, Marvin lança son poing vers Raven qui l'esquiva sans mal.

- Qu'est-ce qui t'arrive, l'hippopotame ? le provoqua Raven. Tu as dû faire quelques mètres de plus ? C'était pas trop dur ?

- Arrêtez, tous les deux ! cria Dylan. Ça suffit !

Jillian survint et prit son frère par le bras. Elle ne dit pas un mot mais le regard qu'elle leur lança ne fut qu'une preuve de plus de ce que Dylan avait deviné : la guerre ne faisait que commencer.

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NdlA : Il cogite sacrément, le petit Dylan ! Va-t-il découvrir ce qui tracasse réellement Raven ? Telle est la question !

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