Chapitre 29 : Raven

Les réparations avaient été bien plus aisées à faire qu'il ne l'aurait cru. Il s'était attendu à de gros dégâts qui lui prendraient des heures. Au lieu de ça, ça avait de petits défauts qui s'étaient amplifiés par l'utilisation passée des lieux. Une réparation basique avait suffi. Le seul problème demeurait la hotte qu'il n'avait pu réparer puisqu'elle avait grillé et qu'il faudrait la remplacer.

Alors que Dylan lisait une histoire aux trois enfants qui étaient là, Raven ne put s'empêcher de penser que, jusque là, cette journée était un succès. Il avait pu voir Dylan se réveiller, bien trop adorable pour son propre bien, avait découvert qu'il était un peu trop curieux envers ce qu'il se passait entre lui et Steven pour que ça soit entièrement désintéressé, et il avait même réussi à le faire admettre qu'il était impressionné. Jusque là, tout était parfait et il se sentait invincible.

La porte s'ouvrit et Deuce entra en secouant ses cheveux trempés de pluie. L'étudiant eut un grand sourire en voyant Raven.

- Salut ! Je nepensais pas te voir ce week-end.

- Je suis venuréparer la cuisine, répondit Raven en lui rendant son sourire.

- Ah oui ? Tu asréussi ?

- Ai-je vraimentbesoin de te répondre ?

Deuce sourit en secouant la tête.

- J'ai tendance à croire que tu es capable de faire des miracles avec ces mains.

Raven lui donna un coup dans l'épaule en roulant des yeux. Deuce alla saluer Farah et Bella dans la cuisine et ne tarda pas à revenir.

- Tu vas faire quoidu reste de ta journée ? questionna son ami en s'appuyant aucomptoir.

- Je sais pasexactement, avoua Raven. Je pensais que ça me prendrait plus detemps que ça de tout réparer alors je suis venu tôt. Il faut queje voie avec Dylan.

- Ça avance ?

Raven secoua la tête.

- Alors profite decet après-midi pour le faire fondre. Tu es doué pour ça, non ?Presque autant que moi.

- Je dois te rappelerqu'il n'a pas voulu de toi ou ça va aller ?

Deuce lui jeta un regard mauvais en faisant la moue.

- C'est l'occasionpour toi de dépasser le maître, alors. Tu peux le faire tomber,Raven.

Raven ne répondit pas, se contentant de s'intéresser à son thé. Deuce pensait-il que Raven ne tenait qu'à avoir une aventure avec Dylan ? Il était probablement mieux qu'il pense ça. Qu'il ne se doute pas des réels sentiments de Raven. Moins il y avait de personnes qui savaient ce qui se cachait dans le cœur de Raven, mieux c'était. Il n'avait vraiment pas envie que Dylan sache que Raven était sincère lorsqu'il flirtait, lorsqu'il lui lançait ces répliques qui déclenchaient ses sarcasmes.

Deuce passa son bras autour des épaules de Raven et le pressa contre lui.

- Je suis sûr que tuas plus de chances que je n'en ai jamais eu avec lui. Alors essaie.Tu peux carrément lui faire tourner la tête. Au pire, s'il terejette, je suis prêt à te consoler.

Raven se mit à rire en le repoussant. Il n'en louperait jamais une.

- Et ta copine ?Je doute qu'elle serait ravie que tu me... consoles.

- C'est fini avecVee. Elle m'a carrément dit que la vie de couple ne lui convenaitpas et qu'elle préférait s'envoyer en l'air avec le plus de mondepossible.

- Sérieusement ?

- Je t'assure. J'y aipas cru, au départ. Quand je l'ai vu en train de chevaucher notreprof de sociologie, j'ai compris qu'elle déconnait pas.

- Ah oui, quandmême...

Deuce hocha la tête et enroula ses bras autour de Raven en se serrant contre lui.

- Tu veux pas meconsoler ? J'ai le cœur brisé !

Raven se mit à rire. Il ne chercha même pas à repousser Deuce. L'étudiant tourna la tête vers Dylan lorsque celui-ci les rejoignit.

- Qu'est-ce qui sepasse ? demanda-t-il prudemment.

- Je me suis faitplaquer et il veut pas me consoler, gémit Deuce, son ton indiquantclairement ce qu'il entendait par « consoler ».

- Je ne veux riensavoir. Et faites ça ailleurs.

- Ne sois pas jaloux,bébé, ronronna Raven. Tu sais que je ne vois que toi.

- Je suis vexé !protesta Deuce.

- Ça te ferapeut-être me lâcher.

- J'en reviens pas decomment je me fais traiter. Je suis outré.

Deuce relâcha Raven et s'éloigna pour rejoindre Farah dans la cuisine pendant que Bella s'occupait des enfants.

- Qu'est-ce que tuveux faire ? On a fait tout ce qu'on pouvait ici. Il ne restequ'à préparer la vente de pizzas. On a le temps de faire ça dansla semaine.

- C'est vrai. Il fautqu'on fasse la liste de ce que l'on doit faire dans la semaine pourque cette vente ait un résultat maximum. J'ai déjà une vague idéemais mieux vaut en parler pour ne rien manquer.

- Pas de soucis. Onpeut commencer en allant manger, si tu veux.

- Pour une fois quetu as une bonne idée, railla Dylan.

Raven ne releva pas le sarcasme et alla saluer Deuce, Farah et Bella. Le premier le retint par le bras.

- On va boire unverre, demain ?

- Si tu veux,répondit Raven en haussant les épaules.

- Tu m'enverras tonadresse, je passerai te prendre.

- Pas de soucis.

- Tu peux veniraussi, Dylan, si tu veux.

- Très peu pour moi.Je ne tiens pas à assister à votre fin de soirée.

Deuce haussa les épaules alors que Raven jetait un sourire à Dylan. Se pouvait-il que Dylan soit jaloux ? Il y avait beaucoup de petits détails qui lui faisaient penser que c'était possible, qu'il se pouvait que Dylan soit jaloux. Même s'il y avait peu de chances que ça soit vrai, Raven aimait croire que c'était vrai.

- À demain, alors,Rave !

Raven et Dylan rejoignirent la voiture. Il démarra et partit vers le centre-ville. Il avait remarqué une petite pizzeria où ils seraient tranquilles et pourraient discuter. Il n'avait pas envie d'emmener Dylan dans un McDonald's ou un Subway. En plus de leur faire changer d'atmosphère, ça lui permettrait de tester l'eau, de voir comment Dylan réagirait.

- Deuce ne comptevraiment pas lâcher l'affaire.

- Il n'aime pas qu'onlui résiste, ce n'est rien de plus que ça. Et il sait que je vaisle faire.

- Et tu n'as paspensé qu'il veut juste te faire boire pour avoir ce qu'il veut ?

Raven haussa les épaules.

- C'est déjàarrivé. C'est pour ça que je me souviens pas de notre secondefois.

- Et tu vas laisserça recommencer ?

- On va sûrementaller à l'arcade et boire un verre quelque part où il réussira àme faire entrer.

Il se gara devant la petite pizzeria et se tourna vers Dylan en coupant le moteur.

- Je ne compte pascoucher avec Deuce, Dylan. Si ça te rassure, je ne le laisserai pasme faire boire.

- Il n'est pasquestion de me rassurer. Je pense simplement que Deuce semble décidéà obtenir ce qu'il veut de toi et que tu devrais faire attention,ami ou non. Surtout s'il l'a déjà fait.

Raven ne put s'empêcher de sourire, sûr que Dylan s'inquiétait pour lui.

- Allons manger.

Dylan regarda enfin dehors et haussa un sourcil. Raven haussa les épaules et sortit de la voiture. Le président des élèves ne tarda pas à le rejoindre et ne dit rien, entrant dans la pizzeria lorsqu'il lui ouvrit la porte.

Une odeur de fromage et pâte chaude les frappa au visage et les enveloppa. Une serveuse les emmena à une table près d'une fenêtre qui donnait droit sur une église. Les murs étaient d'un rouge orangé, rehaussés par d'épaisses poutres d'un marron profond et des plafonniers en vitraux. Des peintures étaient accrochées au mur. Raven vit une croix pendre sur le mur au-dessus de la porte d'entrée.

La serveuse leur amena un pichet d'eau et deux menus avant de les laisser pour aller voir une autre table où cinq hommes dévoraient leurs pizzas en parlant bruyamment. Ils ouvrirent leurs menus et choisirent ce qu'ils voulaient et donnèrent leur commande à la serveuse.

- Alors, chéri, etsi on passait en revue ta petite liste pour notre vente ?

- Le plus important,c'est de faire la promotion. Que les gens sachent que ça se passe.On peut passer par les gardiens et les familles, le bouche àoreille.

- On peut aussi fairedes affiches et en mettre un peu partout.

- J'y ai pensé. Jepeux demander à Darren, il est doué avec un ordinateur.

Raven hocha la tête, satisfait.

- Premier élémentde ta liste : réglé. Après ?

- Il nous faut del'aide. On ne peut pas tout gérer à cinq. À la rigueur, onpourrait sûrement recruter quelques gardiens.

- On peut déjàdemander à Darren, Harmon et Steven. Je peux aussi tenter avecKelian et Martin, si besoin.

Son vis-à-vis parut compter dans sa tête, ne répondant pas immédiatement. La serveuse revint avec leurs pizzas. Elle ne leur adressa pas le moindre mot et repartit aussitôt. Raven sentit que quelque chose clochait mais ne dit rien.

- Il nous faut unedizaine de personnes, dit Dylan en coupant sa pizza. Si on peutconvaincre tout le monde de participer, ça serait bien. Avoir uneou deux personnes en plus serait mieux.

- Darren va sûrementamener Delilah. Je peux sûrement convaincre une personne ou deux enplus.

- La rouquine qui teregarde comme si tu étais l'incarnation de ses rêves les plusfous ?

- Pourquoi pas ?Elle est gentille. Je suis sûr qu'elle serait partante.

- Je n'en doute pas.

Raven rigola, tendant la main vers Dylan pour caresser sa main.

- Ne sois pas jaloux,bébé, chantonna-t-il.

Dylan recula sa main et enfonça son couteau à quelques millimètres des doigts de Raven qui déglutit.

- Quelle violence,marmonna-t-il.

- Reprenons.

Ils continuèrent de mettre au point leur vente de pizzas de la semaine prochaine. Dylan demeura sérieux et concentré malgré les efforts déployés par Raven pour le forcer à se détendre et à se laisser aller. Il parvint à peine à obtenir des réponses à son flirt éhonté. Quand Dylan avait quelque chose en tête, il semblait impossible de l'en détourner et c'était frustrant.

Il ne renonça pas, espérant que Dylan finisse par se relâcher lorsqu'ils en auraient fini avec la vente. Mais même une fois tous les détails passés en revue, il continua de lui paraître distant. Ce n'était pas du tout ce qu'il avait espéré de ce moment.

Au fond, peut-être était-ce mieux. Mieux valait qu'il cesse d'essayer de susciter un intérêt plus profond de la part de Dylan. Qu'il se force à enterrer ses sentiments et se contente d'une amitié sans complication. Il était évident qu'il n'aurait jamais le cœur de Dylan. Y avait-il seulement quelqu'un qui réussirait à l'avoir un jour ? La muraille qu'il avait bâti était si haute et si épaisse qu'elle ne pourrait jamais être démolie. Il faudrait une personne incroyable pour réussir à se forcer un passage à travers. Et Raven n'était pas cette personne.

Ils terminèrent de manger et Raven alla payer. Dylan allait râler mais tant pis. Ça serait la seule fois qu'il aurait l'occasion de le faire. Autant en profiter avant de brûler ce pont et de passer à autre chose. Au fond, ce n'était pas si mal qu'il ait rendez-vous avec Deuce le lendemain. Il avait bien besoin d'un verre. De deux ou trois.

- Tu n'avais pas àpayer, lui lança Dylan en le rejoignant.

- Comme si j'allaiste laisser payer, chéri.

Il sortit sans attendre sa réponse et se retrouva bloqué par les cinq hommes qui étaient dans le restaurant un peu plus tôt. L'un d'eux, le meneur, s'avança droit vers Raven, un rictus mauvais sur les lèvres.

- Mais ce sont nospetits pédés, les apostropha-t-il.

- Laissez-nouspasser, répondit simplement Raven.

Il tenta de forcer le passage mais un grand blond avec une croix tatouée sur l'avant-bras, lui barra la route.

- On en a pas fini,siffla le meneur. Parce que, tu vois, gamin, les pédés, on en veutpas dans notre coin. On préfère se débarrasser de la vermine dansvotre genre. Vous devriez même pas exister.

- C'est de votreconnerie dont vous devriez vous débarrasser, répliqua Raven.

Il sourit lorsque l'autre lui saisit les cheveux et le força à lui faire face.

- Oh, la véritéblesse !

- Tu ferais mieux dela fermer, sale pédé ! Tu n'aimerais pas qu'on s'en prenne àta belle gueule, pas vrai ?

- Ma belle gueule ?Alors quoi ? Je te plais ?

- Il va falloir queje t'apprenne à la fermer, on dirait.

- Je doute que tu yparviennes mais vas-y ! Donne tout ce que t'as, gros dur !

L'autre lui envoya un coup de poing dans l'estomac et Raven toussa un rire. Il se dégagea de sa prise sur ses cheveux et lui envoya un uppercut en pleine mâchoire.

- C'est tout ce quet'as ?

- Arrête !intervint Dylan en lui saisissant le bras. Allons-nous-en.

Il résista un peu, espérant une vraie bagarre. Il avait besoin de se défouler. De relâcher toute la tension, la frustration, la peine qui bouillonnaient dans son sang. La porte du restaurant s'ouvrit et un homme d'une cinquantaine d'années aux tempes grisonnantes sortit, le téléphone à la main.

- Dégagez d'ici ouj'appelle les flics ! cria-t-il.

- Viens, insistaDylan.

Cette fois, il se laissa entraîner jusqu'à la voiture et ils partirent. Dylan s'orienta vers lui dès qu'ils se furent insérés dans le trafic.

- Tu étais obligéde le provoquer ? Ça aurait pu mal finir.

- Ce n'est pas mapremière bagarre avec des homophobes, répondit Raven. Ils ont toutdans la bouche et rien dans les bras.

- Tu n'es pasinvincible, Raven.

- Merci del'évidence, Sherlock.

Dylan soupira, semblant renoncer à lui faire entendre raison. Pour une fois, Raven se moquait de l'image qu'il renvoyait. Au contraire, plus elle serait mauvaise, mieux ce serait. Il voulait créer une dispute entre eux, une césure qui rendrait tout tellement plus facile à supporter. À gérer.

- Tourne à droite.Allons voir un film. Ça te détendra.

- Tu veux aller voirun film ?

- Oui. Alors tourne àdroite.

Raven soupira mais enclencha son clignotant. Il se gara sur le parking du cinéma et suivit Dylan à l'intérieur sans rien dire.

- Qu'est-ce que tuveux aller voir ? l'interrogea Dylan en regardant les films àl'affiche.

- Peu importe.Choisis. Je reviens.

Il ignora le regard curieux de Dylan et partit vers les toilettes. Il s'appuya contre le rebord du lavabo et inspira profondément. Juste pour cet après-midi. Juste pour ce qu'il en restait, il allait prendre sur lui. Dès le lendemain, il tirerait un trait et assassinerait ses sentiments jusqu'à ce qu'ils soient tous enterrés au plus profond de son cœur et qu'il n'en reste pas même un fantôme.

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NdlA : Oh, Oh...

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