Chapitre 23 : Raven
Lorsqu'il se réveilla, la première chose qu'il sentit, ce fut la chaleur dans son dos. Les bras serrés autour de lui. Il se souvenait vaguement que Dylan l'avait ramené chez lui mais en dehors de ça, il n'avait pas la moindre idée de comment il avait fini dans son lit.
Il souleva la couverture et soupira en voyant qu'il était encore habillé. Au moins n'avait-il pas fait de bêtise. Le pire aurait été qu'il ne s'en serait même pas souvenu si c'était arrivé. Il n'aurait jamais pu se le pardonner.
Prudemment, il dénoua les bras autour de lui et se retourna pour faire face à l'intrus. Il ne put retenir un sourire en trouvant le visage de Dylan à quelques centimètres à peine du sien. Il dormait profondément, les lèvres entrouvertes, une mèche lui tombant sur les yeux. Raven repoussa délicatement les cheveux qui voilaient une partie du visage de Dylan.
Les traits de l'endormi étaient détendus, adoucis par un sommeil paisible. Il était absolument adorable, débarrassé de cette expression froide et distante qu'il arborait quotidiennement au lycée. Lorsqu'il dormait, Dylan se laissait aller et se montrait réellement et Raven se sentit fondre un peu plus pour le sarcastique président des élèves.
Il aurait pu rester là, à le regarder dormir, jusqu'au lever du jour si ce n'était pour l'atroce migraine et la nausée qui le secouaient. Il sortit du lit avec précaution pour ne pas réveiller Dylan et gagna la salle de bains. Il se passa de l'eau sur le visage et avala un cachet. Ses yeux étaient encore rougis par la quantité d'alcool qu'il avait bue. Il n'avait vraiment pas dormi longtemps.
Il descendit dans la cuisine et alluma la lumière. Il l'éteignit presque aussitôt tant elle était agressive pour ses rétines. Il se massa les yeux avant de faire un nouvel essai. Il lui fallut un moment atroce pour que ses yeux s'habituent à la lumière et qu'ils cessent de le brûler.
Il se servit un café en regardant le jardin, perché sur l'îlot. Il était à peu près certain qu'ils étaient rentrés vers minuit et demi, une heure du matin. Et le four affichait trois heures du matin. Il avait dormi à peine plus de deux heures. Il n'avait même pas cuvé tout ce qu'il avait bu. Pourtant, il sentait qu'il serait incapable de se rendormir avant un moment. Il allait devoir supporter une nouvelle insomnie.
Il descendit de son perchoir et posa sa tasse dans un coin, commençant à sortir les ingrédients qu'il avait dans ses placards. La livraison était arrivée la veille et il avait plus que nécessaire pour travailler. Il avait senti le coup venir depuis que Kelian et Martin lui avaient parlé de la soirée. Ces derniers temps, ses insomnies étaient de plus en plus fréquentes. Il ne dormait jamais longtemps, faisant des cauchemars dont il était incapable de se souvenir.
Il se doutait de ce que c'était, toutefois. Il n'avait pas besoin de se souvenir des images pour deviner ce qui l'empêchait de dormir. Cette date. Dans deux semaines. Dans deux semaines, ça serait son anniversaire. Chez les Herron, l'anniversaire du plus jeune fils avait toujours été un grand événement. Ses parents allaient jusqu'aux extrêmes pour que Stanford ait la fête dont il rêvait et tous les cadeaux qu'il voulait. Et Raven n'était même pas le bienvenu à l'anniversaire de son propre frère.
Raven savait qu'il se faisait du mal pour rien. Qu'il devait cesser d'y penser et effacer l'existence de Stanford de sa mémoire. Il savait que c'était le mieux à faire. Mais il savait comment ça allait se passer. Ça serait exactement comme les années précédentes. Ses parents allaient aller voir Stanford et rentreraient à la maison. Et Raven avait plutôt intérêt à ne pas être présent.
Il allait sûrement devoir passer la nuit dehors. Il n'avait pas envie d'en parler à Dylan. S'il lui demandait de l'héberger pour une nuit, il demanderait des explications que Raven n'était pas sûr d'être prêt à lui donner.
Il avait envie d'en parler. Il en avait vraiment envie. Surtout avec l'anniversaire de Stanford approchant à grands pas. Il ne cessait de penser à son frère, à ce qui se préparait. Il avait fini par comprendre pourquoi il recevait autant d'appels de la prison. Pourquoi sa mère lui avait laissé ces post-it pour le forcer à répondre aux appels. Ça devait être un désir de son frère.
Mais pourquoi Stanford voulait-il à ce point lui parler ? Ils n'avaient rien à se dire. Ils n'avaient jamais rien eu à se dire. Et si Stanford avait eu quelque chose à lui dire, il ne l'avait jamais fait et ne le lui avait jamais laissé savoir.
Les heures passèrent et il enchaîna les préparations sans compter. Il avait besoin de mélanger, de pétrir, de rouler. Il avait besoin de sentir la farine et le sucre sous ses doigts, l'arôme de la vanille et celui du chocolat, la texture de la pâte et l'odeur des gâteaux sortant du four. Rien d'autre ne pourrait lui faire du bien. Rien d'autre ne pourrait lui changer les idées.
Il savait qu'un jour viendrait où même faire de la pâtisserie ne l'aiderait plus. Où il lui faudrait trouver une autre échappatoire. Il ne voulait pas que ça cesse de fonctionner. Il adorait faire la pâtisserie. Il utilisait le minimum de machinerie, devant chaque résultat à la seule force de ses bras.
Bras qui commençaient à souffrir, d'ailleurs. Il soupira et considéra ce qu'il restait de sa dernière pâte, la versant dans des petites coupelles en silicone pour faire des cupcakes. Il ne pourrait pas en faire beaucoup vu qu'il lui restait peu de pâte. Au maximum, il pourrait en faire cinq ou six. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à tout mettre en forme.
Il sortit sa pâte à sucre, ses colorants et ses ustensiles pour commencer à décorer tout ce qui était déjà cuit. Il prépara son glaçage, utilisant ses dernières forces dans l'entreprise. Ses bras commençaient vraiment à fatiguer. C'était rare qu'il prépare autant de choses d'un seul coup.
Il leva les yeux vers le plafond en entendant le plancher grincer à l'étage. Dylan était réveillé. Il se sentit sourire malgré lui en attendant qu'il descende. Il se tourna vers le four qui affichait neuf heures du matin. Raven n'avait pas vu les heures défiler.
Il termina son glaçage et le fit glisser dans une poche à douille après l'avoir séparé en plusieurs parts et l'avoir teint.
- Tu devrais devenir boulanger, bâilla Dylan en entrant dans la cuisine.
Il s'assit sur l'un des tabourets face à l'îlot et se frotta les yeux, encore à moitié endormi.
- Tu es levé depuis quelle heure pour avoir préparé tout ça ?
- Trois heures du matin.
Il sourit face à l'air abasourdi de Dylan. Il ne put s'empêcher de remarquer combien l'autre était adorable au réveil. Les cheveux en pétard, les yeux plissés de fatigue, la voix lente et suave, tout froissé... Raven aimait vraiment beaucoup ce qu'il avait sous les yeux.
- Et au lieu de te rendormir, tu es venu préparer... tout ça ?
- Je dormirai quand je serai mort, répondit simplement Raven, n'ayant pas vraiment envie de s'attarder sur le sujet de ses insomnies.
Il abandonna ses glaçages sur le plan de travail, préparant un café à Dylan. Il avait fini par apprendre les doses exactes qu'il aimait dans son café. Il le lui prépara dans un grand mug et le posa devant lui.
- C'est tellement rare que je sois servi sans rien avoir à demander, je vais en profiter, je crois.
- Tu es toujours le bienvenu ici, chéri. Je ne serais pas contre voir ton petit minois tout froissé dès le matin.
Dylan ne répondit pas, le nez dans son mug. Il dévorait la tarte aux pommes du regard. C'était la seule qui soit prête. Elle était dorée à souhait, brillant sous les néons.
- Tu en veux une part ? sourit-il.
- Je peux ?
Raven roula des yeux et alla chercher une assiette et un couteau. Il coupa la tarte et glissa une grosse part dans l'assiette.
- Je peux te la passer au four, si tu veux.
- S'il te plaît.
Il mit l'assiette au four pendant une poignée de minutes avant de la récupérer et de la mettre devant Dylan avec des couverts.
- Fais attention, c'est chaud.
- Je suis un grand garçon, tu sais.
- Je te préviens quand même.
Pendant que Dylan dévorait sa tarte aux pommes, il commença la décoration de son red velvet. Ce n'était pas le gâteau qu'il faisait le plus souvent mais c'était un de ses préférés. Il adorait le chocolat amer et ce gâteau en était truffé. Allié à la gelée de cerise, c'était une petite bombe de sucre qui le faisait planer.
Il prit son temps, se concentrant sur les détails, transformant les trois niveaux informes de son gâteau en une œuvre d'art. Il le fit pivoter la table tournante pour pouvoir vérifier qu'il n'y avait pas la moindre imperfection. Il rajouta un peu de glaçage par endroits avant de prendre l'assiette sur lequel était posé le gâteau et alla le mettre au frais.
- Qui aurait cru que le cancre du Texas pouvait être un perfectionniste lorsqu'il s'agit de ses gâteaux ?
- La pâtisserie est un art. Si un gâteau est moche à regarder, il ne fera jamais aussi plaisir que si c'est une œuvre d'art. En plus, décorer un gâteau est thérapeutique. C'est ma forme de yoga.
- Je n'ai jamais décoré le moindre gâteau de ma vie. En fait, je n'ai jamais fait le moindre gâteau de ma vie.
- Je vais devoir t'apprendre alors. Tu pourras t'exercer sur les cupcakes. C'est plus petit et plus facile. S'ils sont moches, on les mangera.
- Ils seront moches. Je n'ai aucun sens artistique.
- Aie confiance en le maître, répondit Raven avec un demi-sourire. Décorer un cupcake ne demande pas énormément de talent, juste un peu de maîtrise de la poche à douille.
Le minuteur sonna derrière lui et il sortit ses cupcakes du four. Sans gêne, Dylan lui tendit son assiette où il avait remis une part de tarte. Raven roula des yeux mais l'enfourna.
- Un autre café avec ceci, monsieur ? se moqua-t-il.
- S'il te plaît, répondit Dylan en lui tendant son mug.
Raven lui refit un café et le lui donna. Il récupéra son gâteau à la vanille et le plaça au centre d'une nouvelle assiette sur la table tournante. Il étala du glaçage dessus avant de monter un second niveau. Il le déposa sur le côté pour récupérer deux autres gâteaux plus petits qu'il monta de la même façon. Il étala sa pâte à sucre blanche sur l'îlot. Dylan alla récupérer son assiette dans lefour.
- Ne t'occupe pas de moi, dit-il. Décore ton gâteau.
Raven fit exactement ça, recouvrant les deux parties du gâteau de la pâte à sucre avant de les empiler l'un sur l'autre. Il commença à le décorer avec son glaçage noir, créant des motifs en fleur de lys, des fausses perles, des roses et autres décors, transformant la pièce montée en une œuvre digne de l'ère victorienne. Il prit tout son temps, recherchant la perfection absolue.
- Il est magnifique, Raven, murmura Dylan, impressionné.
- Je ne savais comment ça allait rendre mais je ne suis pas déçu, admit-il modestement. Je n'ai pas pour habitude de faire de tels décors. Ils sont trop longs à faire.
- Tu as fait tout ça en trois quarts d'heure. Je n'aurais pas su le faire trois heures.
Raven se sentit flatté par les compliments de Dylan. C'était la première fois depuis qu'ils se connaissaient que le président des élèves se montrait aussi ouvert et qu'il se débarrassait de son sarcasme.
- Tu vas décorer ceux-là aussi ? reprit Dylan en désignant les gâteaux blancs qu'il avait fait.
- Après. D'abord, on va s'occuper de ces cupcakes. Je vais t'apprendre les bases de la décoration.
Dylan n'eut pas l'air partant mais Raven lui sourit, lui faisant signe de le rejoindre.
- Ne t'en fais pas, tu vas survivre ! Ce n'est pas dur. Même toi, tu ne peux pas te louper.
- Si tu le dis...
Dylan se leva et le rejoignit devant les cinq cupcakes qui avaient refroidi. Il prit une poche à douille qu'il avait déjà préparée en prévision de la décoration des cupcakes. Il montra à Dylan sur un premier cupcake. D'abord l'extérieur, puis l'intérieur, faisant une petite pointe à la fin. Il tendit ensuite la poche à Dylan qui la prit, mal à l'aise.
- Vas-y, fais le contour du cupcake. Revient à l'intérieur... Oh seigneur...
Le glaçage de Dylan avait réussi à ressembler à un frisbee. Raven n'avait aucune idée de comment il avait réussi un tel prodige en suivant ses instructions mais il avait réussi.
- Je t'ai dit que ça allait être une catastrophe.
- C'est rattrapable, t'en fais pas. On réessaie.
Cette fois, Raven posa ses mains sur celle de Dylan, collé dans son dos. Il eut un moment d'égarement, incapable d'être aussi près de lui sans sentir son cœur s'accélérer. Il déglutit, se concentrant sur l'apprentissage de Dylan.
Il guida les mains du président des élèves doucement, ajustant la pression lui-même. Cette fois, ce fut un succès.
Raven se décolla de Dylan en lui laissant la poche à douille.
- Réessaie tout seul.
Dylan refit exactement les mêmes gestes et obtint une soucoupe volante. Ce n'était pas tellement mieux qu'un frisbee.
- En fait, tu déconnais pas en disant que tu n'avais aucun talent...
- Hé ! protesta Dylan en se tournant vers lui.
Du glaçage aspergea le visage de Raven, faisant éclater l'autre de rire. Raven le fixa, outré. Dylan pinça les lèvres, tentant de calmer son rire sans vraiment y parvenir. Pour se venger, Raven récupéra du glaçage noir dans ses mains et alla l'étaler sur les joues de Dylan.
Cette fois, le rire de Dylan se stoppa. Il leva un regard surpris vers Raven qui lui fit son sourire le plus innocent.
- Tu veux la jouer comme ça ?
S'ensuivit une bataille de glaçage qui le laissa haletants dans le salon, couverts de crème noire et blanche. Raven se redressa sur un coude, regardant Dylan qui tentait de se débarrasser d'un maximum du glaçage qu'il avait sur le visage. Il tendit le doigt pour en récupérer un peu et le porta à sa bouche.
- Tu as bon goût, chéri, roucoula-t-il, un sourire amusé sur les lèvres.
Dylan roula des yeux sans répondre.
- Tu vas faire quoi, de tes gâteaux ?
- J'en ai aucune idée. Je n'ai plus trois morfales pour les dévorer en cinq minutes. Et quand il m'en restait, je les amenais à une association.
Dylan se tourna vers lui, surpris.
- Une association ?
Raven se contenta de hocher la tête, n'ayant pas envie de développer. S'il y avait un sujet qu'il ne voulait pas aborder en cet instant, c'était celui-là.
- On dirait que je ne cesse de t'étonner, chéri.
- C'est vrai. Je ne pensais pas que tu penserais à donner tes gâteaux. Tu as beaucoup de facettes auxquelles je vais devoir m'habituer.
- Mes gâteaux sont trop bons pour être jetés.
Dylan se mit à rire en renversant la tête en arrière.
- Évidemment.
Raven se sentait irrésistiblement attiré par Dylan, brûlant de tenter sa chance. Il ne savait pas si l'autre ressentait quoi que ce soit pour lui. Il avait tenté de le savoir mais les signaux de Dylan étaient si mixtes que Raven était resté à la case départ, supposant qu'ils n'étaient qu'amis. Mais là, juste là, il avait envie d'essayer. Si ça échouait... Il aviserait.
Il se pencha un peu plus sur Dylan qui rouvrit les yeux. Ils se regardèrent sans rien dire et Raven continua de se pencher, rapprochant leurs visages, ressentant la tension entre eux.
Et Dylan lui donna un coup de poing dans le ventre. Raven retomba sur le dos alors que l'autre se redressait et lui jetait un regard moqueur.
- Idiot.
Il se leva et partit à l'étage se nettoyer sans réaliser qu'il venait de briser le cœur de Raven.
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NdlA : Oh, Dylan, mais qu'as-tu fait ?! (Non, non, l'auteur n'est pas derrière son écran en train d'éclater d'un rire sadique, pas du tout !)
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